À malin, malin et demi (chasse)

L’esprit errait dans la vieille maison depuis longtemps maintenant. Au départ, il était comme en dormance, à deux doigts de franchir le seuil entre le monde des vivants et celui des morts. Comme en hésitation devant une porte, il était resté dans ce stade passif un long moment. Puis lorsqu’il avait repris conscience - ou du moins, une faible part de sa conscience d’antan - il s’était mis à déambuler inlassablement, ne sortant jamais des murs de l’endroit auquel il semblait attaché. Qui était-il ? Pourquoi était-il ici ? On l’ignorait.

Souvent, des gens venaient habiter ici. Il les observait un temps, cela lui passait l’ennui. Mais il ne pouvait s’empêcher de vouloir les côtoyer. Surtout lorsqu’il y avait des enfants. C’était son point faible, son péché mignon. Il voulait tellement jouer avec eux. Pourquoi partaient-ils tous ? Dès qu’il se manifestait, les esprits s’échauffaient, l’anxiété montait. Et lorsqu’il tentait de jouer avec les enfants, cela sonnait le glas : on partait en claquant la porte, le laissant seul à nouveau.

Peu à peu, seule restait l’amertume d’être toujours seul. Pourquoi était-il ici ? Condamné à vivre - ou plutôt exister - entre ces cloisons poussiéreuses ? Peut-être qu’un jour il se souviendrait qui il était.

Il ignorait évidemment quel était le point de vue des autorités. Cette maison avait été vidée de ses occupants indésirables, puis utilisée pour loger un soldat et sa femme. Ils avaient d’abord été témoins de faits étranges - une tasse qui tombe et se brise, une porte qui s’ouvre, ou encore des lumières qui vacillent. Inquiétant, mais ils étaient déjà reconnaissants que l’armée leur ait fourni ce logement. Ils n’ignoraient pas qui étaient là auparavant, et cela les inquiétait parfois de voir des phénomènes inexpliqués, mais mieux valait ça que rien. Ce n’est que lorsque leur premier bébé arriva que les choses s’aggravèrent. Pour la première fois, ils avaient aperçu le farceur de temps à autre, comprenant d’où venait les détails inexplicables. Ils voulurent s’en aller une première fois, mais durent rester. Ils cohabitaient avec l’esprit d’un mort, et il se doutait de qui, mais puisque l’être ne semblait pas dangereux, ils restèrent. Mais lorsque le nouveau-né devint un enfant d’environ deux ou trois ans, ils firent face à deux départs de feux, et sauvèrent d’extrêmes justesse leur enfant lorsqu’un orbe magique s’était dirigé vers lui à pleine vitesse. Ils étaient partis.

Ce genre de schéma s’était reproduit avec chaque famille qui avait suivi, chacune fuyant ce qu’elle craignait. De son côté, l’esprit ne comprenait pas, et se sentait abandonné. Il avait alors décidé qu’on ne l’abandonnerait plus. Plus personne ne viendrait vivre ici. Plus de déception, plus d’attachement. Plus rien d’autre que le vide. Le vide et le néant.

C’est la raison pour laquelle l’élue et son fils, venus déloger l’esprit, furent accueillis dans la maison par une salve de boules magiques qui explosaient au sol, dans le but de les chasser. Il n’y avait aucune conviction dans ses attaques, pas de réelle volonté. Simplement de la lassitude, et l’envie d’être en paix. Le farceur, qui était apparu à leurs yeux depuis la première attaque, se mouvait tranquillement, flottant à quelques décimètres du sol. Il semblait les regarder de deux yeux arrondis, creux et sombres.

Combat:

Le spectre fut étonné de voir la jeune femme ne pas s'uriner dessus de terreur face à ses attaques. C'était en général ce qu'il se passait, surtout pour les femmes. Eleanor tenta de parler avec l'esprit. Celui-ci n'avait pas croisé de mage de la puissance de l'élue depuis longtemps, et l'aura qu'elle dégageait le poussa à s'ancrer dans la réalité. Alors qu'il n'avait jamais parlé, une voix d'enfant résonna étrangement dans la maison. La voix d'une enfant pour être précis.
" - Parler ?".

Mais l'esprit n'avait pas la capacité ni le temps de développer, surtout que la vampire lança ses deux plus puissants sorts sur la créature. Avec un étrange soupir qui semblait venir de la maison même, le farceur dressa un écran brillant d'énergie entre lui et la vampire, encaissant une bonne part des dégâts mais souffrant tout de même de la magie du sang utilisée. Il dut ensuite se débattre avec les jeux d'esprits que lui imposait l'élue, perdant de précieuses secondes dans ce combat mental d'où il finit par s'extirper. Encore quelques mouvements pour éviter les balles de sang, et il put attaquer à son tour, s'étant réveillé de sa lassitude pour entrer peu à peu dans un état de colère froide.
" - Dehors !" la voix finit-elle par ordonner entre deux puissantes attaques magiques.

Combat:

L'esprit était fort mis à mal par les sorts de la vampire. Elle le surpassait largement en terme de puissance, et il ne pouvait pas faire face malgré ses pouvoirs déjà hors normes. Un nouveau soupir des profondeurs, qui se transforma lentement en douce plainte aigüe, comme un râle de douleur, lorsque les deux premières attaques de la vampire frappèrent l'esprit. Il ne pouvait plus se permettre la moindre erreur. Il louvoya donc entre les balles de sang sous pression qui suivirent, parfois de justesse, mais survécu à cette nouvelle salve.

Ironiquement, alors que le temps lui était compté, le combat et l'échange d'énergie entre lui et l'élue réveillaient l'esprit. Peu à peu, sa conscience s'affermissait, et alors que sa forme visuelle était toujours floue, Eleanor pouvait maintenant être certaine - sans qu'on ne comprenne vraiment le processus - qu'elle affrontait une jeune femme d'environ huit ans, qui avait vécu ici il y a déjà des décennies. Un court sanglot résonna alors, suivit d'un cri.
" Monstre !"
Toujours en proie à une fureur démente, le farceur lança deux puissantes attaques magiques sur Eleanor, avant de poser les yeux sur son fils, allongé dans un coin.
" Monstre ! Ce sont des gens comme toi qui tuent des familles ! Monstrueux ami de Zang !"
C'était la première phrase complète prononcée depuis son décès par l'esprit. D'une pensée, elle lança une chaîne magique sur la vampire, cherchant à entraver ses mouvements. Épuisée par le combat, l'enfant proféra une ultime menace.
" - Un jour, il te fera pareil... Pareil qu'à moi et maman."

Combat: