Arachnophobia (chasse)

Un monstre gigantesque et presque intégralement écarlate, telle était la première vision que l’on avait d’elle. D’aucuns auraient pu jurer qu’il s’agissait de la pire abomination qu’ils aient jamais vu au cours de leur courte existence humaine, que cette créature infernale semblait provenir des tréfonds les plus horrifiques du Royaume des Morts. Certains ajoutaient même qu’il s’agissait de la descendance d’une divinité cachée du panthéon de l’ancien temps, un être bestial, comme ses congénères Fenghuang, Long et Manshe, aux traits forcément très arachnoïformes, et qui aurait été vaincue et bannie, jetée au fond d’un gouffre béant impossible à trouver pour le commun des mortels et bloquée pour l’éternité par un sceau. Mais la disparition des dieux aurait causé l’affaiblissement de cette barrière, permettant à cette incarnation maléfique de propager une faible partie de ses pouvoirs à travers son engeance, engeance que représentaient naturellement les akaiura.

L’Alpha n’était, en un sens, pas une prédatrice très vorace. Si elle avait dû déloger de son nid actuel son précédent habitant dans un affrontement atroce au cours duquel son venin avait douloureusement et longuement affaibli l’adversaire jusqu’à sa mort, elle n’en avait depuis jamais bougé et ne sortait pas de cet antre pour aller se délecter de proies faciles qui pourtant ne manquaient pas dans les environs directs. Non, l’araignée se terrait dans cette caverne, se nourrissant exclusivement du gibier en tout genre qui avait le malheur de s’aventurer en son domaine, opérant à chaque fois de la même manière que citée précédemment. Elle n’était pas un réel danger pour quiconque s’était un tant soi peu renseigné sur les lieux et sur le comportement des akaiura de Kosaten.

Malgré cela, la bête velue se montrait sans aucune pitié pour tout être qui transgressait les limites naturelles de son territoire et tentait d’y découvrir quelque trésor caché ou quelque source d’eau aux vertus bien particulières. Il y avait une multitude de chemins ou de désirs qui pouvaient motiver autrui à risquer sa vie dans cet enfer rocailleux, mais il n’y avait à chaque fois qu’une unique issue, sans autre voie de secours, la mort, pure et simple, terrible et déchirante, tellement que parfois ses cibles se donnaient elles-mêmes l’ultime assaut pour stopper le calvaire.

Sa toile avait été longuement tissée, au fil des années, afin de parcourir l’entièreté du réseau caverneux dans toutes ses dimensions possibles. Ainsi, personne ne pouvait l’approcher sans que les sons ou les vibrations transmis par ses fils ne l’en informent. C’était de cette façon qu’elle repérait ses proies en un instant, puis qu’elle les ralentissait drastiquement, avant de les empoisonner avec son venin si foudroyant. Ce fut d’ailleurs l’un de ces mouvements filaires qui avertit l’akaiura que cette journée serait ponctuée par l’arrivée d’une nouvelle proie.

Elle ne mit qu’une seconde à identifier la nature de la cible, ainsi que sa position. Il s’agissait d’un humanoïde en armure. D’apparence somme toute assez banale, l’instinct prédateur de l’arachnoïde lui murmurait pourtant de se méfier de ce type. Fait surprenant également, celui-ci s’était immobilisé et semblait attendre quelque chose. Toutefois, ce n’était pas les affaires de la créature.

Vive et silencieuse, elle s’avança lentement jusqu’à parvenir à la portée du futur macchabée. Afin d’être certaine de faire mouche directement, elle usa de toute l’amplitude de ses pattes pour balayer l’intégralité de la grotte et faucher à coup sûr l’humain. Après avoir tenté cette approche pour le déséquilibrer, elle se rua vers lui, faisant fi de la discrétion, pour frapper à l’aide de ses mandibules, afin d’inoculer le poison mortel. Simple, mais redoutablement létal.

L’araignée frappa vite et fort, comme à son habitude. Il fallait dire qu’elle en avait fait des victimes, en ces lieux. Bien trop pour qu’elle puisse aujourd’hui les dénombrer. Les ossements au sol et autres carcasses ne s’étant pas encore entièrement transformés en poussière pouvaient en témoigner. L’imprudence et la témérité avaient toutes deux conduites bien trop de créatures à une mort certaine… Pourtant, toutes les toiles tissées à l’entrée de la caverne, ainsi que l’aura malsaine qui se dégageait de l’endroit avaient largement de quoi effrayer les inopportuns… Malheureusement, pas suffisamment, à ce qu’il semblait…

L’araignée frappa vite et fort, comme à son habitude. Toutefois, si elle avait pu sentir une présence secondaire aux côtés de l’humanoïde à la force éclatante, l’Akaiura n’avait pas pu en déterminer ni la nature, ni la localisation. Dès lors que le serviteur du maître surgit des ombres, elle se retrouva légèrement déstabilisée dans son assaut, perdant quelques secondes qui permirent au type en armure de déclencher un puissant sortilège défensif sous forme d’une armure titanesque qui prenait presque toute l’envergure de la salle, manquant de peu de faire s’effondrer les roches. Voyant cela, le monstre, craignant pour son antre, décida de mettre un terme au plus vite à cet assaut et se rua sur le blond, tentant de l’abattre définitivement avec son venin.

Mais ce gars-là avait de la ressource. Non content de disposer d’une puissance colossale, il était également très adroit malgré la promiscuité des lieux, et surtout le manque de visibilité qui aurait pu largement le pénaliser. Il put ainsi passer outre les mandibules assassines et ne se priva ensuite pas pour riposter en invoquant un feu mystérieux et incroyablement brûlant, qui contraignit la bête à se replier temporairement face à cet élément qui constituait sa faiblesse principale. Malgré sa vitesse d’action et la robuste de son enveloppe charnelle, elle avait tout de subi quelques dégâts superficiels, ce qui laissait présager de la force de son opposant.

Dans l’histoire, elle manqua de peu d’oublier, une fois de plus, la présence de la force abyssale qui accompagnait le pyromane, et qui déchaîna un véritable flot foudroyant contre lequel l’Akaiura dut se replier entièrement sous sa posture la plus défensive pour résister. L’autre était moins fort que le premier, mais il ne fallait pas le sous-estimer non plus. D’autant qu’avec leurs numéros de prestance, l’intégrité de l’antre avait été sérieusement atteinte…

L’araignée se fondit alors dans l’obscurité, avant de ressurgir derrière le serviteur des ombres, l’agrippant violemment tout en tentant de l’empaler avec ses crocs, afin de mettre un terme à son existence. Elle jeta ensuite la chose, et réitéra l’opération avec l’humain en armure, avant de poursuivre l’offensive avec quelques coups de mandibules bien placées.

Il y avait deux éléments à retenir de ces premières minutes fortement intenses d’affrontement, chacun d’entre eux correspondant à l’un des deux ennemis en présence. Le premier concernait l’humain à l’aura colossale et à l’armure robuste. C’était lui le danger principal, lui qui peut-être surclassait même l’akaiura dans sa forme la plus menaçante, mais également la cible prioritaire, car sa capacité à invoquer un brasier infernal risquait fort de venir à bout de l’araignée plus tôt que prévu. Il fallait impérativement se débarrasser de cet intrus avant qu’il ne cause plus de dommages à la paroi rocailleuse. Malheureusement, c’était vraisemblablement celui qui tiendrait le plus longtemps… Le deuxième élément concernait l’étrange mort-vivant lié au premier. Celui-ci n’était pas très costaud, ni inquiétant, mais à cause du sous-nombre, la bête ne parvenait pas à se défendre convenablement contre ses décharges foudroyantes…

Ce n’était pas la première fois que l’akaiura était confronté à plusieurs créatures simultanément, mais, d’ordinaire, l’obscurité de son antre, ainsi que sa taille modérée, et sa connaissance des lieux lui permettaient de pouvoir les gérer un par un, sans qu’il puisse se créer une quelconque forme d’acharnement. Par exemple, lorsqu’une meute réduite de loups s’était introduite sans vergogne dans les cavernes profondes, elle les avait aisément piégés dans ses fils épais, avant de les éliminer un par un en les empoisonnant. Mais ici, c’était différent. Le nouvel arrivant était parvenu à s’approprier les lieux en quelques instants et il ne craignait visiblement nullement d’être enseveli sous la montagne, ce qui le poussait à déployer toute sa puissance sans arrière-pensée négative. Quant au squelette des ombres, ses étranges propriétés corporelles lui permettaient de se fondre dans le décor, ce qui ne rendait pas son assaut facile…

La contre-attaque fut violente, extrêmement violente, bien trop pour que le monstre puisse encaisser sans encombre la totalité des dégâts. L’humanoïde en armure parvint à percer à nouveau son blindage hérissé naturel, toujours en fracturant au passage les murs jusqu’à leur extrême limite. L’akaiura était blessée, pas trop gravement, mais suffisamment pour laisser des failles dans ses défenses. La grotte, quant à elle, ne tiendrait pas un assaut supplémentaire dans ces conditions. Sur ce constat, l’akaiura évita d’autres tirs d’énergie, se repliant pour tenter d’attirer le destructeur à un autre endroit de sa tanière, mais le spectre électrique, qu’elle pensait avoir éliminé en l’empalant un peu plus tôt, se dressa à nouveau sur son chemin, réitérant son effort offensif, forçant l’araignée à stopper net sa course.

Elle se protégea à nouveau avec ses mandibules et put même achever cet impertinent ennemi à l’aide du poison, mais ses éclairs laissèrent de nouveau quelques traces de leur passage. L’accumulation de douleur fit crier l’akaiura sur des fréquences suraiguës, difficilement supportables pour des tympans humains. Elle ne comprenait pas ce que racontait le guerrier, mais cela ne faisait aucun doute qu’il s’agissait de menaces. Furieuse, elle se retourna précipitamment et se mit soudain à enfler jusqu’à prendre des proportions démesurées, le rouge écarlate couvrant son corps s’intensifiant soudain en aveuglant la pièce autant que pendant les explosions précédentes. Et puis soudain, plus rien… Plus d’araignée… Plus de rougeur… Que le noir… Que le silence… Et que la mort…

La créature frappa, semblant surgir de nulle part, s’acharnant sur le prétentieux humain, tentant à nouveau de l’empoisonner de diverses manières, tout en s’assurant qu’il ne pourrait pas fuir. C’était son ultime atout et bien peu avait eu la malchance d’y être confrontés… avant d’en trépasser...

L’étrange revenant aux pouvoirs fulgurants finit par succomber sous les coups répétés et empoisonnés de l’araignée. Assez peu coriace, il avait surtout été très pénible par la répétition de ses éclairs violents et extrêmement vifs, assez durs à encaisser. Sans être à la hauteur de l’humain en armure, cet esprit avait eu le mérite de représenter une menace suffisamment pesant pour que l’akaiura se préoccupe de l’éliminer en priorité. Néanmoins, si ce premier état de fait pouvait être compté comme une victoire, l’avantage n’était cependant pas revenu en faveur de la bête velue…

De fait, le touffu blond continuait d’étaler ses nombreuses capacités, malmenant toujours plus l’araignée, forant toujours davantage la caverne qui lui servait de tanière et de terrain de chasse depuis si longtemps déjà. Il ne faudrait plus que quelques coups pour causer l’effondrement complet de tout l’édifice, ce qui, évidemment, n’était pas chose acceptable pour l’akaiura. Cela faisait tellement longtemps qu’elle vivait dans l’obscurité la plus totale que la lueur du soleil aurait tôt fait de l’achever, ou tout du moins, de l’affaiblir considérablement jusqu’à la laisser extrêmement vulnérable face à la férocité de son opposant. La pénombre était son alliée tout autant que la clarté était son ennemie.

Malheureusement, l’alpha eut beau user de son atout secret, de cette faculté mortelle qui lui avait été conférée à la naissance et qui lui avait toujours permis d’éliminer les ennemis récalcitrants, l’homme se tenait toujours debout et semblait toujours aussi fort et robuste. Pire encore, il laissa éclater son aura à un niveau encore plus démentiel qu’auparavant, forçant l’arachnide à se replier dans un des rares coins encore solides de l’antre. Elle put voir l’attaque arriver, mais ne put toutefois rien faire pour s’en prémunir correctement.

Le royaume des morts lui-même semblait s’être déversé sur l’akaiura, bien incapable d’y réagir. Sa carapace était robuste et elle lui permit de s’en tirer sans trop de plaies apparentes, mais la résistance de cette protection avait été sérieusement entamée. Pire encore, le monstre ignorait comment, mais ce mystérieux arcane avait sapé sa vélocité, la ralentissant drastiquement. Ses mouvements se faisaient de moins en moins fluides et elle ne pourrait bientôt plus esquiver les assauts répétés de l’autre.

En parallèle, le foudroyant spectre avait, par on ne sait quel étrange procédé, réussi à puiser dans ses dernières ressources pour lancer une ultime salve offensive qui surprit tellement l’akaiura qu’elle manqua de peu d’y laisser quelques poils. Furibonde, elle ne pouvait malheureusement plus faire grand-chose, l’épuisement commençant lentement à poindre le bout de son nez. Sa riposte mandibulaire se fit plus molle et plus désuète… Les parois rocailleuses tout autour étaient prêtes à ensevelir les deux combattants encore en lice...

Le combat se poursuivait, empli de violence et d’intensité à un niveau jusqu’ici complètement inouï, alors qu’aucun des deux partis en présence ne souhaitait lâcher de lest et céder de terrain à son ennemi. Si l’akaiura avait initialement pris l’ascendant dans la bataille grâce à sa connaissance de la zone et à son expérience de la traque, la combativité de l’humain avait permis à ce dernier de se défaire de cette emprise. Si, à son tour, ce dernier avait pris le dessus dans l’affrontement, notamment grâce à ses capacités toutes plus destructrices les unes que les autres, le manque d’énergie lui faisait à présent défaut et l’avait empêché de réellement mettre au tapis l’araignée. L’issue n’était donc toujours pas acquise, d’un côté comme de l’autre, et tout restait à faire dans cette rixe de griffes, de mandibules et de mental, alors que le souffle se faisait de plus en plus court pour chacun et chacune.

L’alpha de l’antre n’avait plus aucun atout secret en réserve, ayant abattu toutes ses cartes les unes après les autres. Même son attaque signature si redoutable n’était pas parvenu à vaincre la bête qui envahissait son territoire, même le poison qu’elle avait injecté en lui, à plusieurs reprises, n’était pas parvenu à l’affaiblir suffisamment pour effacer toute trace de vie en lui… À présent, privée de toute l’énergie minérale de son environnement et de sa carapace, l’akaiura ne pouvait que bloquer mollement les assauts adverses et riposter faiblement à l’aide de ses mandibules acérées. Non pas que ces dernières étaient de simples jouets en mousse, mais c’était bien loin d’être suffisant en ce jour pour triompher…

L’entité squelettique avait été une seconde fois abattue et, une seconde fois, l’akaiura s’en désintéressa pour reporter son attention sur le destructeur en puissance. Là résidait le véritable problème. Elle frappa, autant qu’elle put, aussi fort qu’elle put, sans parvenir à percer cette solide armure qui enveloppait son corps de faible humain. Il n’y avait plus de stratagème en tête pour elle, ni même de possibilité de fuite. A cause de la fragilité et de l’instabilité de la caverne, les deux causés par la fureur du dragon, il n’y avait plus vraiment d’endroit sûr en cet espace confiné qui menaçait de s’écrouler à tout moment. Quoiqu’il advienne, elle vivait probablement ses derniers instants sur cet endroit qui l’avait vu naître et croître.


La riposte ne tarda pas et vint la cueillir assez facilement, elle qui ne pouvait plus dresser si fièrement sa carapace protectrice. Si le premier coup la blessa assez superficiellement, le second en revanche, bien plus destructeur, lui arracha deux pattes et une partie de son abdomen, ce qui eut pour effet d’électriser le reste de son corps par un flot d’adrénaline soudain, permettant alors à l’akaiura, malgré la fatigue, d’éviter le reste des coups. Cruellement meurtrie, elle observait d’un regard meurtrier et rougeoyant le visage colérique de l’ennemi, visualisant ce dernier en train de se faire percer les différents orifices par ses propres mandibules. Malheureusement, cette scène n’était pas destinée à se produire en cette ligne temporelle.

Une fois de plus, une fois de trop, le servant mortifère se releva, prenant en tenaille la prédatrice velue, qui s’en trouva foudroyée sans rien pouvoir faire, subissant à nouveau une multitude de dégâts corporels irréversibles… Prête à se venger, elle se tourna vers l’autre monstre, levant sa mandibule pour décapiter ce misérable lâche increvable… Mais ne put jamais abattre son dard empoisonné… Le point de rupture avait été atteint par ce dernier assaut et les parois rocailleuses déjà bien fragilisées venaient de céder. De multiples rochers commencèrent à tomber de part et d’autre, mettant en danger réel chacun des individus qui se trouvaient en dessous. L’antre était en train de disparaître et d’aspirer ses occupants avec lui…

L’akaiura bondit à plusieurs reprises pour esquiver les blocs. Ceux-ci n’étaient pas vraiment une menace pour elle. Mais le plafond finit par s’effriter dans son intégralité, révélant alors la lueur solaire qui n’avait jamais pénétré ces lieux auparavant… Cela fut fatal pour l’araignée, dont les pupilles n’avaient jamais vu le grand jour jusqu’alors. Celles-ci grillèrent en un instant et la prédatrice s’effondra, offrant le loisir à quiconque de l’achever assez aisément, à moins qu’un rocher perdu en fasse son affaire au préalable… Triste fin que celle-ci pour le monstre pluri-centenaire…

“Nous tissons notre destin, nous le tirons de nous comme l'araignée sa toile. ”