Crystal Lagoon

Alathea titubait toujours, se remettant tant bien que mal sur ses deux jambes vacillantes, grandement aidée par la jolie brune qui s’était portée à son secours. Aussi étonnant et intrigant que cela puisse paraître, elle avait le sentiment de l’avoir déjà rencontrée auparavant, sans parvenir à tirer de ce ressenti davantage d’informations susceptibles de l’égayer sur cette voie. Son nom, Megan, ne l’aida pas plus à se remémorer ce qu’il pouvait bien il y avoir en commun entre les deux. Quoi que ce soit, toutefois, ce n’était probablement pas un lien particulièrement marquant, puisque Megan n’avait pas plus réagi à son apparence ou à sa propre identité. De toute façon, au vu de l’état dans lequel se trouvait actuellement la mémoire de l’elfette, il y avait fort peu à parier que l’on puisse en tirer la moindre donnée pertinente pour le moment.

Un point cependant à noter était que l’archère sentait peu à peu ses forces lui revenir, doucement, mais sûrement, et il ne faudrait sans doute que quelques minutes de plus, avec l’aide de Megan, pour qu’elle puisse se tenir droite par elle-même. Bien entendu, elle n’irait pas courir un marathon de sitôt, mais au moins serait-elle en mesure d’être un peu plus autonome que maintenant. Profitant du fait que son inespérée ange gardienne fasse le plus gros des efforts pour se mouvoir, Alathea enregistra les informations que celle-ci lui donnait peu à peu, sans mot dire, réfléchissant intérieurement. Les plages de cristal, donc. Elle se souvenait très bien y être déjà venue par le passé pour chasser une sirène. C’était également en ces lieux qu’elle avait autrefois rencontré un bien étrange petit garnement.



Même en disant cela à voix haute, Alathea ne parvenait pas à se persuader elle-même de ce qu’elle racontait. Cela ne faisait pas de sens, pas avec le peu qui lui revenait tranquillement à l’esprit. Le duo avançait pas à pas dans le sable ardent et rosé qui s’humidifiait sous chacun des pieds que posait la belle aux yeux d’or. Megan préféra tout de même l’avertir qu’elle ne disposait pas de la moindre compétence médicale et qu’il valait mieux éviter qu’elle s’effondre maintenant. Al’ eut un petit rire léger avant d’adresser un sourire qui se voulait rassurant.



Pour ponctuer ses mots, elle se défit doucement de l’étreinte chaleureuse de la brune, vacilla un bref instant, avant de se stabiliser. Alathea parvenait effectivement à se mouvoir, certes lentement, mais sûrement. Elle invita alors son interlocutrice à reprendre la route vers la monture de celle-ci.



En un sens, le timing d’apparition de Megan avait presque été trop beau pour qu’il ne semble pas un peu suspect. Néanmoins, Alathea était bien trop reconnaissante et son esprit de logique bien trop embrumé pour qu’elle n’ait le moindre petit soupçon à l’égard de l’autre jeune femme. Celle-ci l’invita à essayer d’évoquer tout ce qui pouvait lui revenir en mémoire. L’Oeil-de-faucon ferma les yeux un instant, se frottant le front de la main droite, comme pour activer davantage ses cellules grises. Quelques bribes mémorielles lui revenaient effectivement.



Alathea maudissait sa fichue mémoire de lui jouer pareil tour maintenant. À quoi bon s’échigner à amasser de nombreuses connaissances aux quatre coins de ce continent si c’était pour que celles-ci s’éclipsent au premier traumatisme rencontré ? Elle soupira, rouvrant les yeux et regardant la brune avec un regard désolé.

Alathea fixait pensivement les flots marins qui avaient bien failli l’engloutir pour l’éternité, tout en écoutant la réponse fournie par Megan, avec une certaine surprise dont elle ne laissa rien paraître. Aucune épave, ni aucun survivant… Même si l’archère n’avait aucun souvenir du bateau qui avait pu la transporter avant le naufrage, ni même des potentiels membres d’équipages ou autres passagers à bord, elle ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur pour ces malheureux dont le destin n’avait pas été aussi bien fortuné que le sien, si tant était que l’on pouvait parler de bonne fortune après avoir frôlé la noyade… Pourtant, il y avait quelque chose qui clochait… À bien y regarder les courants marins, ainsi que les vagues qui venaient doucement s’allonger sur le sable cristallin, il semblait bien moins probable qu’un navire échoué soit aspiré par les fonds sous-marins plutôt que rabattu et éclaté sur la côte… De même pour les dépouilles humaines, l’elfe en étant le parfait exemple puisqu’elle n’avait pas fait grand-chose pour revenir sur la terre ferme…


dit-elle en se retournant vers Megan durant sa dernière interrogation.

Après avoir obtenu l’accord, verbal ou non, de son interlocutrice qui devait sans doute se demander ce qu’elle comptait bien faire, Alathea s’approcha de la mer, scrutant les alentours sans mot dire, avant de finalement porter son pouce et son index à sa bouche, poussant un sifflement particulier, tirant drastiquement vers l’aigu, inaudible pour quiconque ne disposait pas d’une ouïe d’exception. Au bout d’une dizaine de secondes, deux créatures des eaux, semblables à des dauphins, mais aux nageoires bien plus développées, firent émerger leurs têtes de l’eau, répliquant en émettant les mêmes ultrasons que la belle aux yeux d’or précédemment. Cette dernière, usant de son don personnel, leur demanda de quadriller brièvement la zone, pour confirmer ou non la présence de morceaux de bateau ou de cadavres par-deçà la surface marine. Les bêtes s’éclipsèrent promptement, tandis que la native d’Erdrigoth s’éloignait doucement de la lisière entre terre et mer pour rejoindre sa salvatrice compagnie.


commenta-t-elle avant que l’autre ne l’interroge sur ce propos.

En attendant le retour de la patrouille des océans, Alathea poursuivit sa conversation avec la brunette, la remerciant allègrement pour son assistance qui lui avait sincèrement sauvé la vie, son interlocutrice rétorquant qu’elle se contentait de faire ce qu’elle souhaitait qu’on lui retourne, s’inspirant ainsi d’un vieil adage bien connu. C’était une belle mentalité et l’archère ne pouvait que s’estimer heureuse, chanceuse même, d’avoir croisé ainsi le chemin d’une telle bienfaitrice.


répliqua-t-elle avec un sourire sincère.

L’idée de se faire atomiser au combat par Lexi n’était clairement pas une nouveauté, puisque, plus d’une fois, Alathea avait envisagé cette éventualité, lors des nombreux désaccords qui étaient survenus entre elles, notamment cette triste fois où la nonagénaire avait dû mettre en joue sa complice de toujours pour défendre un dirigeant qui l’avait maintes et maintes fois trahie…

Ceci étant dit, Alathea fit un nouvel effort de recollection mémorielle, tant pour satisfaire la curiosité de son interlocutrice que la sienne. Des bribes lui revenaient, parsemées d’autres souvenirs qu’elle savait pertinemment beaucoup plus vieux. La seule image concrète qu’elle parvenait à assembler était celle du roi Gilgamesh, assis sur un trône doré, sans doute le sien, donc à Uruk. Était-ce ici que s’était achevée leur mission de Shutô Tokai ?



Les efforts s’arrêtèrent là, puisque les poursuivre s’avérait infructueux. Alathea préféra reporter la discussion sur son interlocutrice, afin de ménager un tant soit peu ses méninges qui avaient visiblement énormément souffert.

Capa' contextuelle:

Alathea avait toujours eu une proximité particulière avec les animaux, indépendamment du don qu’elle s’était vue octroyer à sa naissance, mais de manière plus générale, avec la Nature en elle-même. Elle n’oubliait point ses racines, ni dans quel environnement elle s’était abritée et avait grandi, d’où provenait son arc magique. C’était parfois tellement plus simple de se laisser imprégner par la beauté d’un paysage inaltéré par la présence humaine… Mais pour l’heure, l’elfe attendait le retour de ses envoyés des flots, soucieuse d’en apprendre un peu plus son passé récent, tout autant que dans l’hypothèse que d’autres individus puissent également être en danger, auquel cas leurs chances de survie diminuaient à chaque seconde qui s’écoulait…

Megan, après avoir vu son bien étrange numéro dont peu pouvaient se targuer d’avoir été les témoins, témoigna d’une certaine admiration, autant que de curiosité envers les créatures qui ressemblaient fortement à des dauphins, sans en être réellement. Elle émit par ailleurs l’idée que ceux-ci auraient pu être les véritables sauveurs de l’archère, ce qui aurait justifié sa survie. Toutefois, s’il y avait bien une chose dont Alathea était certaine, c’est qu’elle avait repris conscience à quelques mètres sous l’eau et avait dû ensuite se sortir de cette situation périlleuse par elle-même…


expliqua-t-elle à sa salvatrice.

En attendant davantage de précisions sur la question principale qui taraudait l’esprit de la belle aux yeux d’or, cette dernière s’intéressa, comme souvent avec une avide cupidité maladive, à son interlocutrice, cherchant à connaître son passé, ses origines ou encore la succession d’événements qui l’avait conduite à être présente, à cet instant, pour l’épauler. Apparemment, il était question pour la mercenaire aux cheveux bruns de transport de marchandises entre Shutô Tokai et Jiban, information qui arracha un sourire nostalgique à Alathea, celle-ci se remémorant une des missions qui les avait conduites, Frisk, Lexi et elle, à convoyer une marchandise de valeur, dérobée au musée de la capitale neutre, jusqu’à la nation du Grand Cristal, bien avant que chacune ne prenne des directions divergentes.

Alathea écoutait pensivement tout en fixant les armes à poudre à feu dont était dotée sa bienfaitrice. Elle n’avait pas de très bons souvenirs de ces engins de mort, très peu en vogue en Kosaten, mais très largement utilisés dans son monde d’origine afin d’abattre efficacement les elfes, avant que ceux-ci n’aient le temps de riposter. Megan faisait donc partie de ces élus provenant d’un monde au moins autant technologiquement avancé que le sien, sans doute pas, cependant, au même niveau que celui dont était issue Lemane Russ.

Tandis qu’elle forçait sa conscience à affronter la brume mémorielle qui tentait de l’empêcher de se remémorer son propre passé, et alors qu’elle songeait en parallèle qu’il lui faudrait un jour convenir avec Tyr d’un processus de synchronisation cognitive qui lui permettrait de stocker l’intégralité de ce qu’elle avait découvert au sein d’une base de donnée simplifiée pour un usage commun, et ainsi, éviter que ce genre de cas se reproduise ultérieurement, le nom de Gilgamesh fut mentionné et, très vite, Al’ comprit que son interlocutrice ne portait pas le roi blondinet dans son cœur, pas plus qu’elle ne cautionnait non plus ses actions. Elle aurait aimé en apprendre davantage, étant globalement assez d’accord avec l’autre, mais elle sentit tout aussi promptement que le sujet ne devait pas être relancé.

Megan évoqua ensuite son monde, qu’elle nomma Terre, comme tant d’autres avant elle. Alathea, à force d’accueillir de nouvelles têtes sur ce continent, avait parfaitement assimilé la divergence des univers de chacun. Malgré des similitudes fréquentes, il était extrêmement rare que deux individus soient réellement issus du même endroit. Apparemment, la Sakkari n’avait pas beaucoup changé d’emploi du temps, malgré le changement de cadre contextuel, mais la native d’Erdrigoth comprit tout de même que les conflits et les meurtres étaient bien un fait de son quotidien. Comme elle l’avait dit un jour à Tyr, la violence faisait malheureusement partie intégrante de la nature humaine.



La mi-humaine aurait pu s’étendre davantage, mais elle perçut le retour des deux Taiji et s’interrompit donc en conséquence pour obtenir les renseignements qu’elle désirait. Ceux-ci lui transmirent ainsi ce qu’ils avaient perçu, avant d’être chaleureusement remerciés, puis congédiés par l’archère, dont la moue dépitée ne cachait en rien son désarroi.

Cela faisait bien longtemps qu’Alathea ne s’était pas ainsi replongée dans ses souvenirs d’antan, dans cette mémoire impie qui la hantait chaque nuit, lui rappelant les atrocités qu’elle avait autrefois perpétrées en Erdrigoth, au nom de sa propre survie et pour des causes qui ne reflétaient en rien ses idéaux personnels. Tant de massacres commis, tant de sang versé, tant d’êtres vivants privés de tout, du simple fait de ses capacités hors normes… La guerre avait toujours fait partie du quotidien de l’archère et elle n’avait même pas eu la moindre once de surprise ou de désarroi en découvrant les conflits qui continuaient de façonner sa route, les batailles menées sur les terres de Kosaten et d’ailleurs. Son destin était intimement lié à celui de la mort, qu’elle laissait dans son sillon, n’ayant plus en elle la moindre larme à verser pour des familles brisées et des amants esseulés. Elle en avait abattu tellement qu’elle n’était aujourd’hui plus capable de se souvenir du visage de la moindre de ses victimes…

Megan montra assez logiquement de l’empathie, ne s’attendant sans doute pas à une telle franchise et à un tel exposé d’un monde déchiré par un conflit éternel. Sa première réaction fut tout de même de demander à Alathea si, dans ses épreuves difficiles, elle avait été dotée d’un soutien physique quelconque, de la famille ou tout simplement d’un proche. La tireuse de précision secoua tristement la tête. C’était un traumatisme qui l’avait longtemps atteinte et touchée au plus profond de son être, mais aujourd’hui, elle se servait de cette expérience pour tenter d’éviter à son jeune entourage le malheur qui avait été sien durant de si longues décennies.


ajouta-t-elle assez froidement.

Elle ne recherchait aucune pitié dans le regard de son interlocutrice, mais puisqu’elle était redevable envers cette dernière et que pour elle, l’information était le bien le plus précieux qui puisse exister, elle n’avait pas hésité à partager des éléments de son passé. Kosaten avait bel et bien été un renouveau pour elle, mais surtout, c’était sa rencontre avec Lexi Hil’Feyan qui avait bouleversé à jamais le destin de la native d’Erdrigoth, tout en lui permettant enfin de s’accorder une rédemption qu’elle avait tant cherchée sa vie durant.

Par la suite, la conclusion ayant été tirée de l’immense travail de recherche des Taiji n’arrangeait pas les affaires d’Alathea en matière de compréhension de sa situation. Megan proposa donc une autre piste, celle d’un ennemi lui ayant cherché querelle et ayant utilisé un dispositif de téléportation afin de l’envoyer paître à tout jamais dans les abysses océaniques. La nonagénaire eut une pensée amusée en imaginant Tyr utiliser son dispositif de transport instantané pour lui jouer un mauvais tour, mais en dépit de son imprévisibilité quasi parfaite, il n’était pas assez tordu pour employer une telle méthode avec elle, au risque de perdre l’un de ses meilleurs éléments pour de bon.



L’hypothèse d’une tentative d’assassinat ennemie semblait donc déjà destinée à être abandonnée. C’est alors que Megan envisagea une énième alternative à laquelle Al’ n’aurait jamais songé par elle-même. Elle commença à évoquer la mort, dont le conditionnement était quelque peu différent pour les élus, car ceux-ci étaient parfois amenés à revenir à la vie. Malheureusement, bien peu en avaient cette capacité et aucun témoignage n’avait vu le jour, ce qui expliquait les lacunes de l’elfette sur la question, malgré tout son travail de rechercher effectué pour comprendre le fonctionnement de ce monde.

Alathea fut alors prise d’un malaise et se pencha violemment, vomissant de la bile sur le sable violacé, se reprenant assez vite, même si la sensation de mal-être persistait. Des larmes se mirent inconsciemment à couler sur ses joues, sans qu’elle puisse les contrôler et un flash soudain apparut dans sa tête. L’image d’un buste privé de sa tête, de SA tête, apparut alors dans son esprit, puis s’effaça, laissant la belle aux yeux d’or encore plus livide qu’au moment où Megan l’avait trouvée. Elle se mit à trembloter, ignorant s’il s’agissait là du froid ou de la peur.


murmura-t-elle alors que son timbre de voix se brisait sur ses derniers mots.

Après s’être peu à peu dévoilée à Megan en se mettant pratiquement à nu sur ses origines, après avoir ainsi évoqué le traumatisme principal de son passé et ainsi avoir effleuré l’état dans lequel elle était à son arrivée en Kosaten, Alathea ne s’attendait pas franchement à ce qu’une réaction d’une telle violence apparaisse spontanément chez elle. Elle avait accepté la fatalité du destin et la seconde vie qu’on lui avait accordé, elle s’était dépêtrée des fantômes de son passé et, grâce à une poignée de personnes pouvant se compter sur les doigts d’une main, poignée dont faisait évidemment partie Lexi, elle avait fini par se pardonner ses crimes d’autrefois et avait commencé à aller de l’avant, sans cesser de se retourner rétrospectivement chaque jour et chaque nuit qui défilaient. Ce type de symptômes ne s’était donc, depuis, plus jamais présenté chez elle, et ne s’était d’ailleurs jamais montré d’une telle violence.

Alathea avait l’impression d’avoir été assommée par un violent coup de marteau, perdant en à peine une seconde les quelques forces qu’il lui avait été donné de récupérer grâce au soutien de l’artilleuse à côté d’elle, son organisme stomacal cessant lui-même d’être efficient durant plusieurs instants, lui causant ainsi d’intenses nausées qui lui valurent finalement l’immense déplaisir de vomir sur le sol sablonneux. Elle avait froid, elle avait peur et elle oublia presque la présence alliée et réconfortante à qui elle devait la vie.

Ce fut pourtant cette même présence, ancrée physiquement en elle par le contact direct de la main de Megan dans le dos de l’elfette qui permit à cette dernière de se reprendre. Doucement, elle se redressa. Doucement, elle se calma. Doucement, son souffle respiratoire et ses pulsations cardiaques se stabilisèrent. Doucement, ses intestins reprirent leurs pleines fonctions. Doucement, le sang irrigua à nouveau l’ensemble de son corps. Doucement, la sensation de froid et de mal-être s’effaça, lui permettant de retrouver des couleurs habituelles. Doucement, ses yeux cessèrent d’humidifier l’ensemble de son visage et regagnèrent leur vivacité habituelle.


murmura-t-elle à l’intention de sa bienfaitrice.

Alathea accepta la gourde d’eau que lui tendait la brune, en versa un peu dans sa bouche, en évitant tout contact physique afin de ne pas la salir avec les restes de biles qui suintaient aux commissures de ses lèvres, et la rinça activement, avant de recracher le liquide à terre. Ceci étant fait, elle avala quelques gorgées rafraîchissantes et assainissantes, fermant les yeux en acceptant la bienfaisance qui se propage ait en elle. Cela faisait si longtemps qu’une simple lampée d’ondée ne lui avait pas paru aussi bénéfique et divine qu’en cet instant. Elle rendit ensuite la bouteille à sa digne propriétaire avec un sourire reconnaissant, tout en refusant d’un signe de main les vêtements de rechange qu’elle lui proposait. Al’ ne voulait pas abuser de la bonté de la brune, d’autant que, sous le soleil éclatant qui pointait à son zénith en cette radieuse journée, les dernières traces d’eau salée imprégnée dans ses propres habits étaient en train de s’évaporer doucement. Elle trouverait sûrement un logement où les nettoyer correctement et où passer la nuit dans les environs.

L’archère tourna le dos à Megan, essuyant les dernières larmes séchées sur son faciès, tout en fixant un point au loin vers l’horizon. Désormais, il n’y avait plus le moindre doute quant au sort qui lui avait été réservé. Cela leva pratiquement tout le voile des mystères qui subsistaient, expliquant notamment le fait qu’elle ait été retrouvée seule et sans embarcation en mer… C’était tout de même une bien curieuse manière que de ramener quelqu’un à la vie en l’expédiant en plein milieu de l’océan, ou presque, au risque que celui-ci y passe à nouveau… Malheureusement, même en ayant toutes ces cartes mentales en main, Alathea ne parvenait pas à retrouver le moindre souvenir ultérieur à cette entrevue assez floue avec Gilgamesh. Le roi doré avait-il un lien, direct ou indirect, avec son trépas ? Elle allait devoir s’en assurer.


dit-elle en se retournant à nouveau vers Megan.

Un autre détail la chiffonnait, qu’elle n’osait pas évoquer avec son interlocutrice, faute de repère spatio-temporel précis lié à ses derniers souvenirs. Alathea ignorait de fait combien de temps s’était écoulé depuis sa mort. La logique aurait voulu que son retour à la vie se fasse assez vite, mais il était également possible que le temps, qui n’en faisait qu’à sa tête et ne suivaient que ses propres lois, se soit égrené différemment pour elle… En ce cas, il fallait absolument qu’elle contacte ses connaissances les plus chères afin de vérifier ce qu’il en était et puis surtout, de signifier son état.

Quelque part, Alathea comprenait parfaitement pourquoi l’idée du trépas et du retour à la vie ne lui était pas venue à l’esprit, là où la proposition avait semblé naturelle dans la bouche de Megan. Il était logique qu’en plus de cette inexplicable amnésie liée aux événements qui avaient amené sa flamme intérieure à s’éteindre pour de bon, qu’une certaine forme de déni intrinsèque, mais surtout inconscient, apparaisse chez elle. Le corps humain, mais surtout le cerveau, était un organe particulièrement bien pensé qui était de lui-même capable de bannir certaines idées ou certains souvenirs si cela lui semblait trop douloureux à supporter pour la personne. Sans même s’en rendre compte, ou plutôt alors que l’information aurait pu lui sauter aux yeux au vu des circonstances ayant entouré sa noyade avortée, l’archère s’était d’elle-même jetée de la poudre aux yeux afin d’éviter tout syndrome post-traumatique, comme cela était survenu lorsque l’artilleuse avait mis le doigt sur la vérité.

Megan semblait bien au fait de ce qui se disait sur les élus, supposés avoir autant de chances de revenir à la vie qu’ils le souhaitaient, en cas de mort prématurée. Malheureusement, on ignorait tout de la manière dont cela se passait au Royaume des Morts. Peut-être cette résurrection impliquait-elle la perte d’une partie de sa conscience ou de son humanité, ou un autre lourd tribut à payer. Alathea n’était certaine de rien et cela l’agaçait profondément, en plus de faire naître une certaine inquiétude en elle.



Alathea n’avait plus rien à faire sur cette plage cristalline. Maintenant qu’il était à peu près certain qu’elle venait tout juste de se réincarner une nouvelle fois en ce monde, il ne servait à rien de s’attarder ici plus que de mesure à comprendre quelque chose qui n’était pour le moment pas à sa portée. Pour l’heure, elle avait besoin de repos, de recouvrer ses forces et de laisser cogiter son esprit. Cependant, la tireuse de précision n’avait pas encore retrouvé ses pleines capacités et elle doutait de pouvoir faire la route jusqu’au village le plus proche par ses propres moyens. Elle se permit donc d’abuser de nouveau de la générosité de sa bienfaitrice en lui demandant de l’aider à atteindre cette étape. Celle-ci ne sembla pas s’en offusquer, montrant toute la bienveillance qui circulait dans chacun des vaisseaux sanguins qui parcouraient son corps. La native d’Erdrigoth accepta à contrecœur la veste que lui imposait la jolie brune, s’en vêtissant aussitôt tout en attrapant la main serviable de l’autre afin de la rejoindre sur sa monture.


dit-elle avec un sourire qui se voulait chaleureux malgré la pâleur résiduelle de son faciès.

De la chance, ou bien une sacrée coïncidence, de la trempe de cette même mystérieuse énergie qui amenait les élus à se croiser bien plus souvent qu’ils ne l’auraient normalement dû. Alathea flatta l’encolure du cheval tout en s’installant, sifflant à nouveau brièvement pour transmettre également sa gratitude à l’animal, tout en laissant sa sauveuse reprendre correctement les rênes en mains. Elle fit de son mieux pour ne point la gêner, malgré que sa présence ne devait pas être des plus confortables à gérer pour l’autre.

Histoire de rendre le trajet moins pénible et sans doute aussi pour lui vider l’esprit de toute pensée morbide, Megan relança leur discussion précédente évoquant le temps passé sur le continent, ainsi que son logement. Pour le coup, le style de vie de la Sakkari lui faisait beaucoup penser à celui de Lexi, très itinérante et constamment en mouvement, s’installant très peu à Jiban, du temps où le Conseil des Anciens existait encore, et n’ayant d’ailleurs qu’une très modeste demeure à l’emplacement alloué aux élus de la nation.



Alathea soupira, se demandant ce qu’avait bien pu penser le dirigeant des technos au moment de son décès. Après tout, elle n’était qu’une variable dans ses sempiternelles équations, il avait sans doute dû très vite s’adapter à son absence…

Capa' contextuelle:

Le pragmatisme de Megan Sekkari n’était clairement pas sans lui rappeler celui de Lexi Hil’Feyan. Certes, toutes deux avaient chacune un caractère bien à elles, mais il y avait en ces deux femmes cette même aura et prestance qui se dégageait, ce charisme et cet indépendantisme qui défiait quiconque de leur imposer un mode de vie. La jolie brune était clairement de la même trempe que la Marchombre et ce sentiment de puissance était sans doute l’un des traits principaux nécessaires à la survie pour une élue féminine. D’aussi loin qu’elle puisse se souvenir, Alathea n’avait jamais croisé la moindre dame d’apparence frivole dès lors que l’on évoquait les élues ayant réussi à percer en ce monde. Leurs homonymes masculins ayant une certaine propension à constamment rappeler à autrui leur existence, il semblait assez naturel que les femmes doivent également faire leurs preuves afin d’avoir voix au chapitre. L’elfe n’était pas quelqu’un de particulièrement remarquable ou remarquée, mais, dès lors qu’elle s’en donnait les moyens, elle était parfaitement capable de laisser son empreinte dans l’Histoire. Même si cette mort récente laissait supposer qu’elle avait été directement confrontée à sa propre faiblesse…




Megan n’était pas quelqu’un de nécessairement modeste, incapable d’accepter les compliments d’Alathea, mais bien plus une personne réfléchie qui avait tendance à raisonner de manière cartésienne, sans surinterpréter tout ce qui survenait autour d’elle. L’archère n’avait pas l’intention de la contredire sur ses propos, ceux-ci lui arrachant même un léger sourire alors qu’avec une pointe de nostalgie elle se souvenait avoir tenu les mêmes, à peu de choses près, à d’autres élus pour qui elle avait drastiquement contribué à la survie. C’était tout de même bien plus agréable de croiser des personnages tels que cette artilleuse au grand cœur, plutôt que tous ces férus de puissance et de conquête incapable de baisser le regard ne serait-ce que pour constater l’ampleur des dégâts qu’ils laissaient dans leur sillon.


répliqua-t-elle avec un sourire et un clin d’œil complice.

La native d’Erdrigoth n’oublierait jamais cette dette, quoiqu’il advienne. Megan n’en ferait sans doute jamais la demande, mais Al’ savait que si l’opportunité de se montrer utile à celle-ci se présentait, elle le ferait sans la moindre once d’hésitation. Malheureusement, pour l’heure, elle avait encore besoin de l’assistance de la Sakkari afin d’être conduite en lieu sûr et de profiter d’un repos bien mérité. Une fois ce premier cap franchi, la belle aux yeux d’or pourrait effectivement commencer à enquêter sur son propre passé, afin de découvrir tout ce qu’il s’était passé depuis cette mission à Shutô Tokai qui demeurait son ultime souvenir avant son réveil en pleine mer.

Puisque la chevauchée allait durer un petit moment et qu’a priori, ce n’était pas une zone réputée pour ses agressions bestiales, le duo en profita pour poursuivre leur discussion. Alathea avait évoqué son passé avant son arrivée en ce monde, elle fit de même avec son histoire en tant qu’élue de Shintan, puis de Kougaku. Naturellement, tant par curiosité que par respect mutuel, elle retourna la question à son interlocutrice, qui avoua à demi-mot avoir un peu perdu la notion du temps depuis qu’elle vivait ici, phénomène relativement répandu chez les élus et qui avait énormément de sens pour la m-humaine, pour qui la longévité naturelle était une donnée bien relative. Point étonnant, Megan ajouta, rebondissant sur une remarque précédente de la jeune ressuscitée, qu’elle avait également était présente à Zouhan, lors du tragique incident qui y était survenu et avait conduit à la disparition de Reisha et à la prise de pouvoir effective de Tyr. Alathea ne put s’empêcher de tourner la tête, sourcils levés, ne cachant nullement sa surprise.



Megan demanda à Alathea ce qui avait bien pu la marquer depuis qu’elle était ici, lieu ou individu. Naturellement, sa première pensée alla directement pour sa meilleure amie et comparse de toujours, avec qui elle avait souvent des désaccords même s’il s’agissait de la seule et unique personne en ce monde pour qui elle donnerait sa vie, et bien plus encore. C’était assez ironique de constater à quel point une Marchombre portée sur la discrétion et l’efficacité silencieuse, était malgré tout assez connue pour marquer les gens lorsqu’ils la rencontraient. Avec très peu de mots ou de gestes si bien affûtés, elle était capable de frapper fort là où ça faisait mal, ce qui expliquait cette curieuse contradiction.

Lexi avait apparemment sauvé la mise à la Sakkari quelques semaines plus tôt et en avait profité pour proposer à cette dernière de la rejoindre à Shintan. C’était à peu de choses près ainsi qu’était née la complicité d’Alathea avec l’Alavirienne, ce qui ne manqua pas de la faire sourire. L’avantage avec la plus puissante élue de la nation de Cristal, c’était que l’on savait rapidement à quoi s’attendre et ce qu’elle pensait.



Alathea ignorait si Lexi était au courant pour son décès, mais dans le doute, mieux valait ne pas l’en informer. Elle comptait bien retourner la voir prochainement de toute façon, dès que les mystères autour de sa mort seraient résolus.

Le sujet de la mort tragique et inexpliquée s’arrêta là, suite aux quelques élucubrations d’Alathea à ce sujet, ainsi qu’aux réponses très terre-à-terre de Megan. Il était inutile de ressasser un passé qui tenait à se rappeler à son bon souvenir, pour le moment en tout cas, et de toute façon, l’elfe était encore bien trop faible pour affronter une potentielle terrible fatalité. La seule chose dont elle pouvait être certaine, c’était qu’il ne s’agissait aucunement d’un décès de cause naturelle, puisqu’il lui restait plus de quatre siècles à vivre de par sa longévité raciale. Le reste serait à creuser, peu à peu, jusqu’à dénicher les précieux souvenirs qui avaient disparu de sa tête. Il lui faudrait sans doute se rendre à Shutô Tokai pour retrouver cette piste perdue, mais également à Kougaku : elle était pratiquement certaine que Tyr, avec tous les moyens de surveillance et de communication dont il disposait, saurait ce qu’il lui était arrivé. Ce n’était toutefois que le dernier recours qu’elle se réservait, n’ayant pas spécialement l’intention de donner du crédit aux méthodes parfois douteuses du dirigeant.

Megan expliqua ensuite une des potentielles raisons au fait qu’aucune des deux ne se soit entraperçue à Zouhan, lors des tragiques événements qui y avaient eu lieu et avaient conduit à l’explosion de Reisha. Alathea avait pourtant été particulièrement active ce jour-là, notamment après le départ de certains élus en compagnie de Grimm, mais surtout lorsque Tyr lui avait appris qu’il fallait impérativement récupérer au moins un cube mémoriel pour éviter le cataclysme qui s’en était suivi. L’artilleuse, de son côté, s’était sans doute montrée un peu plus discrète, vraisemblablement à l’image d’Adam, dont la belle aux yeux d’or avait aussi appris la présence bien plus tard. Elle comprenait donc parfaitement ce que voulait dire son interlocutrice et aurait d’ailleurs sûrement agi de manière similaire, n’aimant guère plus s’afficher à la lumière du grand jour, si ses intérêts personnels n’avaient pas été directement ciblés.


ajouta-t-elle avec un sourire conciliant.

Alathea s’amusait souvent, en rencontrant de nouvelles têtes, de constater que la terrible Lexi Hil’Feyan en avait déjà fait de même avant elle, laissant bien fréquemment un souvenir particulièrement impérissable. Elle sentait bien que la jeune femme qui la maintenait sur la monture ne lui avait pas forcément tout dit à ce sujet, mais c’était parfaitement dans son bon droit. De toute façon, l’archère aurait l’opportunité d’en apprendre plus sur le sujet lorsqu’elle reverrait sa meilleure amie, retrouvailles qu’il valait tout de même un peu mieux retarder, pour éviter de l’inquiéter plus que de mesure.

Une pluie d’une fraîcheur particulièrement pénible à supporter pour la nonagénaire se mit à tomber averse, perturbant quelque peu les échanges verbaux entre les deux élues, qui se contentèrent donc de se couvrir, dans l’attente de leur arrivée à destination, qui ne devait plus tarder. Alathea sentait bien que son rétablissement passager n’était que temporaire, notamment avec une relative baisse de température dans son corps, alors qu’elle était pourtant particulièrement résistante aux fortes chaleurs et froids extrêmes. Il lui fallait du repos, au plus vite. Heureusement, l’auberge ne se fit guère attendre plus longtemps. La native d’Erdrigoth descendit de la monture, une nouvelle fois bien aidée par sa sauveuse, et alla vite se réfugier dans l’enceinte réconfortante du bâtiment.

Megan, un peu contrainte par le climat météorologique peu clément, se résigna à prendre également le temps de se poser. Alathea en profite pour aller se baigner un long moment dans la petite source d’eau chaude construite dans l’arrière-cour, avant de se changer complètement avec des vêtements fournis par l’établissement, le temps que les siens sèchent définitivement. Sa salvatrice reprit un peu plus tard la route et Al’ s’empressa d’aller la saluer avant son départ :



Alathea observa longuement la cavalière s’éloigner de là, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un infime point au sein d’un horizon infini, jusqu’à ce que même ses pupilles acérées ne puissent plus l’apercevoir, avant de retourner à sa chambre, pour s’y reposer. Il lui faudrait sans doute davantage qu’une simple nuit pour se remettre complètement d’aplomb, mais elle n’était pas pressée.

"Que nous vivions ou mourions n’est pas un gros problème. Si vous vous concentrez sur la vie, vous développez de la peur. Vos yeux s'embrouillent. Mais si vous n’avez pas de tels sentiments… vous êtes capable de vous battre jusqu’au bout du monde."