Rencontre avec (la) Justice [Ft Justice]

Cela faisait maintenant quelques heures que j’errais dans les rues de Heï, sans objectif particulier. Cela faisait bizarre de retrouver dans un tel environnement après mes dix-huit premières années passées dans le climat tempéré de Fiore puis plus de deux ans à Minshu dans le même type d’atmosphère, le temps de Reïfuu me changeait beaucoup. L’air glacé, la neige pratiquement présente tous les jours, je m’étais rapidement adapté. Enfin, il faut dire qu’avec mes pouvoirs, ce n’était pas compliqué, je ne sens pas le froid de base.

Donc, sur le plan physique, je m’adaptais plutôt bien à mon nouveau royaume et ma nouvelle vie. C’était plus sur le plan mental que c’était compliqué. Car quand je ne m’entraînais pas, cela laissait le temps à mes pensées noires de prendre le dessus. Cela ne faisait même pas un mois que je m’étais réveillé après un sommeil de mille ans. J’ignorais si Rumaki était présente sur Kosaten et elle ne serait certainement pas à Reïfuu vu les mauvais souvenirs. Et Haïko…. C’était quasiment certain qu’il était décédé. J’espérais au moins qu’il avait eu une vie après le cataclysme, mais j’en doutais. Le résultat était le même de toute façon, il n’était pas là aujourd’hui. Plus Natsume. Franchement, je ne savais pas comment je n’étais pas tombé en dépression depuis mon réveil avec toutes ces pertes. Sans doute parce que je m’épuisais à l’entraînement et que je tentais de me changer les idées en traînant dans les tavernes quand je me trouvais libre.

Comme maintenant, mes pas m’avaient mené à une taverne dans le centre de la capitale. Une que je n’avais pas encore visité. J’avais pratiquement l’impression d’être revenu des années en arrière quand j’étais arrivé à Minshu et que j’avais trouvé un travail dans un tel établissement. Mais ce n’était pas le cas aujourd’hui. J’entrai dans “Un séjour glacial” en tant que client et je ne comptais pas nettoyer un verre de la soirée. Non, je serai comme la plupart des personnes présentes, à noyer mon chagrin et ma colère dans l’alcool. Sans en abuser non plus. Je n’étais pas rendu à un point si pathétique.

J’espérais juste ne pas avoir à stopper une énième bagarre de poivrots. Ou rencontrer des personnes bizarres. Non. Je voulais juste passer une soirée tranquille avant d’aller me coucher et de répéter la même journée le lendemain.

Cela faisait maintenant une heure que j’étais assis à la même table, sans que personne ne vienne me perturber. J’avais déjà enchaîné plusieurs verres et je savais qu’il serait bientôt temps de partir si je ne voulais pas finir sous la table à pleurer comme un idiot. Ou pire, avant que je ne me mette à balancer la dite table à travers la salle sous un coup de colère.

Je venais juste de finir ma dernière gorgée, les joues légèrement rosies par l’alcool quand un bruit de chaise tirée me fit lever les yeux vers la personne qui venait de s’installer face à moi, et ce, sans demander aucune permission. Un sourire si brillant qu’il me fit plisser des yeux et une voix si enjouée que je cru qu’elle allait me percer les tympans. Était-ce trop demander d’être laissé seul ? Je pensais que mon attitude faisait clairement entendre le message que je préférais être laissé dans mon coin. Mais non, cette femme s’était installée face à moi, comme si de rien était, comme un joyeux luron.

Sa tenue, ses cheveux inhabituels, et ses lunettes de soleil me permirent très vite de l’identifier comme une élue. Mon esprit n’était pas si embrumé par l’alcool que je n’étais pas capable de deviner que son ensemble ne pouvait être porté par un natif. Je ne retins pas ma grimace avant de répondre d’un ton peu aimable.

- Wow. Vous ne pouviez pas faire plus cliché si vous le souhaitiez. Sérieusement ? Et c’est quoi cette expression “c’est quoi ton blaze?”. Vous êtes au courant que vous êtes dans un monde où on ne comprend pas vos expressions de votre univers d’origine ?

Je me redressai légèrement dans mon siège, la toisant du regard. Sans doute l’effet recherché ne serait pas forcément obtenu vu que je me doutais que mes yeux étaient loin d’être du bleu glacial habituel et plus proches d’un calme lac. Merci ma précédente consommation d’alcool. Mais je ne pouvais m’empêcher de lui faire des remarques sur son comportement.

- Vous savez, vous pourriez tomber sur des personnes beaucoup moins patientes qui vous enverraient voler d’un coup de poing bien placé si vous leur parliez comme ça. La seule chose qui me retient, c’est que je n’ai vraiment pas envie de m’embêter avec les conséquences ou d’attirer l’attention. Et que ce n’est pas dans ma nature de me montrer impoli ou violent envers une femme. Donc, que voulez-vous à m’aborder ainsi ?

Je ne savais comment réagir face à sa réplique. Sérieusement ? Elle s’était sentie obligée de me sortir ces phrases bien trop clichées qui me donnaient envie de vomir ? Et c’était quoi un “pégus”? Je supposais que ce n’était pas un terme très poli pour désigner un natif. Je me retins de faire une remarque désobligeante mais je ne pus empêcher mon sourcil de tiquer face à ces propos.

Sourcil qui tiqua encore plus avec ses phrases suivantes avant de se hausser quand elle me révéla son handicap. Mais je n’étais pas né de la dernière pluie. Elle croyait vraiment que j’étais assez stupide pour ne pas savoir qu’elle devait voir une technique pour se défendre ou s’orienter ? Après tout, elle n’avait eu aucune difficulté à trouver ma table et s’y installer en sachant qu’elle était occupée puisque c’était elle qui avait entamé la conversation. Je ne pus m’empêcher de lui faire la remarque avec un léger sourire narquois.

- Vous savez, si vous n’étiez pas si visiblement une élue, j’aurais pu croire à votre vulnérabilité comme vous dîtes. Mais je ne suis pas assez stupide pour croire que vous n’avez pas une manière de -je fis un signe de guillemets- “voir” pour ainsi dire. C’était bien tenté cependant.

Et par-dessus le marché, elle prouva mes dires en évoquant clairement “ma tête d’enterrement”. Je fronçai des sourcils, me renfermant visiblement face à ses suggestions. Je croisai les bras, laissant un petit instant avant de répondre sans que je ne l’agresse. Chose qui était compliquée. J’avais beaucoup moins de contrôle que d’habitude et cela devait sans doute se voir dans mes yeux qui avaient dû revenir à leur bleu glacial normal quand elle s’était engagée dans ce chemin un peu trop personnel. En quoi ça la regardait si je n’allais pas bien ? Est-ce qu’elle me voyait aller voir les autres clients qui n’étaient sans doute pas dans un meilleur état mental que moi ?

Cependant, sa pseudo-bonté me rappelait aussi de vieux souvenirs. J’étais comme elle avant. Natsume et Rumaki aussi. Et voilà où ça nous avait mené. J’avais presque envie de la mettre en garde. Que ce monde allait détruire cet optimisme et cette joie de vivre si visible chez elle. Mais qu’est-ce qui me donnait le droit de faire ça ? Et en quoi ça me regardait ? Elle le découvrirait bien assez tôt. Je répondis donc après m’être légèrement détendu avec un sourire amusé.

- Ne vous inquiétez pas. Je n’ai pas l’intention de mettre fin à mes jours. Et ce serait bien inutile car je reviendrais à la vie après une petite aventure. Je n’arrive pas à croire que votre motivation soit mon apparence physique. Par contre, je ne suis pas sûr que vous ayez le moyen de me dérider si facilement. Mais libre à vous d’essayer.

J’attendis un peu avant de lui donner mon nom, histoire de la faire mariner un peu. Bizarrement, je commençais à m’amuser de cette situation. Pas autant que j’aurais pu le faire dans le passé, mais étant bien plus détendu par l’alcool circulant dans mon sang, cette jeune femme arrivait à me sortir de mes pensées noires. Peut-être que je pouvais la laisser faire son petit jeu un peu plus longtemps.

- Je suis Tenma. Je dirais enchanté de faire votre connaissance Justice, mais je ne suis pas encore sûr que ce soit le cas.

Finis-je avec un visage neutre mais mes yeux laissant paraître une lueur d’amusement. A voir comment elle allait réagir. Vu son comportement jusqu’ici, je ne doutais pas que ce soit intéressant.

Je rêvais ou elle était en train de me draguer ? Je pensais pourtant avoir été clair dans ma première remontrance. Non, je ne rêvais pas. Le clin d’œil ne faisait qu’appuyer ma théorie. Elle ne savait pas lire les signaux ou quoi ? Il était pourtant clair que je ne recherchais pas ce genre de conversation, non ? Et en plus, elle prenait mon manque d’envie à sourire pour un défi. Cette Justice ne semblait vraiment avoir aucune limite.

Et son culot ne s’arrêta pas là. Non, après avoir envoyé une remarque bien trop sûre, elle bougea dans ma direction et je fus momentanément pris de court en voyant une queue démoniaque gigoter derrière elle. Oh bon sang, d’où venait-elle ?

Ma surprise ne fut que plus grande quand elle osa s’installer à mes côtés, passant un bras autour de mes épaules. Elle était sérieuse ? Je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi effronté ! Comment pouvait-elle se permettre de s'immiscer dans ma bulle personnelle sans mon avis ou approbation ?! Mon sourcil se mit à tiquer violemment face à ce comportement qui, finalement, ne m’amusait plus du tout. Je m’écartai de la démone, me collant contre le mur avant de répliquer.

- De un, écartez-vous, on est pas amis, vous n'avez rien à faire aussi proche de moi. Et pour cette même raison, je ne vais pas dévoiler à une parfaite inconnue l’histoire de ma vie. Je pense que vous devriez vous calmer et trouver une autre personne avec qui discuter.

Visiblement, cette femme n’avait aucune gêne parce qu’à peine avais-je fini ma phrase qu’elle se rapprocha encore plus de moi, se permettant de m’embrasser sur la joue, un peu trop proche de mes lèvres. Avant de porter sa bouche au niveau de mon oreille et de suggérer des choses qui me figèrent sur place. Non mais elle se prenait pour qui ? Parce que je semblais malheureux, j’allai jeter mon dévolu sur la première femme qui me ferait des avances ?! Qui plus est, si outrageantes ?!

Cette fois, je n’allai pas me retenir de lui dire ses quatre vérités. Je mis ma main sur son visage, tentant de la repousser. Je grinçai des dents, la fusillant du regard. Mon ton n’était plus du tout amusé, mais bien glacial quand je repris la parole.

- Décidez-vous. Vous voulez me séduire ou prêter une oreille compatissante à mes possibles problèmes ? Vous allez trop loin. Vous n’avez jamais entendu parler d’espace personnel ? Tout le monde n’accepte pas qu’une femme se jette sur lui et lui fasse des avances aussi outrageantes. Donc calmez vos ardeurs si vous voulez qu’on continue notre discussion. Sinon, on s’arrête là et vous pouvez quitter ma table. La taverne même.