Visite inattendue [Alathea]

La silhouette encapuchonnée s’avançait lentement, inspirant chaque bouffée d’air comme s’il s’agissait de la dernière qui arriverait jusqu’à ses poumons, avançant chacun de ses pieds comme s’il s’agissait du dernier qui foulerait ces terres. Se fondant parfaitement dans la masse, elle ne dégageait aucune aura particulière, ni n’affichait le moindre signe ostentatoire d’une quelconque richesse. Hormis ses deux bottines brunes, vraisemblablement usagées par une utilisation régulière et répétée, signe d’une personne aventureuse et voyageuse, son unique habit distinguable était la longue cape ample qui l’enveloppait, se poursuivant jusqu’à la nuque pour former la capuche qui dissimulait complètement son visage. Elle ne dégageait rien, se mouvait sans un mot, sans un bruit, sans attirer l’attention. Elle s’avançait, simplement, lentement, vers sa cible. Et puis elle s’arrêta, son objectif atteint. Et puis elle leva son regard doré vers la statue qui lui faisait face.


dit-elle simplement dans un murmure imperceptible.

Alathea faisait face à la statue que le roi Gilgamesh avait érigé en sa mémoire, après les événements tragiques qui étaient survenus en ces lieux. Lexi l’avait prévenue que la sculpture ne lui plairait pas, et pas pour des raisons artistiques ou esthétiques. L’elfe n’aimait pas être présentée au-devant de la scène : à l’instar de sa meilleure amie, l’ombre et la discrétion lui convenaient parfaitement, tant pour accomplir les tâches qui lui incombaient que pour son quotidien des plus classiques. L’idée d’avoir été déifiée à Uruk n’était pas franchement la meilleure nouvelle que sa comparse ait pu lui annoncer. Malheureusement, ce qui était fait ne semblait guère possible à défaire, aussi l’archère devrait-elle s’acclimater à cela, avec dépit.

C’était l’une des raisons qui avaient longuement fait hésiter Alathea. Uruk représentait bien des choses pour elle. Une ville chargée d’histoire et de culture, qui lui avait beaucoup plu et avait déchaîné sa curiosité maladive. Une administration particulière et une régence au sommet d’un lien entre élus qui semblait particulièrement friable à cause de la dangerosité et de l’esprit d’initiative de ses membres, alliance sur laquelle l’elfette avait une opinion plus que mitigée… Un tombeau, enfin, car c’était ici qu’elle était purement et simplement décédée sous les coups violents et répétés de Kanzetsu… Malgré tout, malgré son détachement et la perte de ses souvenirs, quelque chose, enfoui en elle, refusait et était effrayé de remettre les pieds ici…

Toutefois, en dépit de ces nombreuses réflexions internes, Al’ avait fini par sauter le pas et s’était finalement décidée à revenir à Uruk pour la première fois depuis son trépas. Il y avait une conversation avec Gilgamesh qui n’avait jamais été menée à son terme, faute de temps et de disponibilité. D’autant que l’archère sentait en elle comme une obligation d’annoncer au blondinet qu’elle avait appris à apprécier son retour, bien malgré le fait qu’elle souhaitait rester la plus discrète possible sur la question, sa disparition supposée lui offrant certaines libertés et possibilités qui lui étaient jadis impossibles et impensables.

La tireuse de précision arpenta encore un temps les lieux, repassant à certains endroits où étaient signifiés les combats qui y avaient fait rage, espérant que le fait de s’y trouver une nouvelle fois physiquement donnerait davantage de contenance et de vivacité à des souvenirs partiels qui provenaient de toute la recherche d’information qu’elle avait menée depuis son retour à la vie. Malheureusement, rien ne changeait là-dessus… Elle se résigna donc et se rendit finalement au palais, requérant pour la seconde fois une audience royale, en s’annonçant sobrement :



Toujours dans une démarche de discrétion, Al’ préférait garder son identité inconnue encore un peu. Malheureusement, la sécurité renforcée des lieux n’était guère enchantée à cette idée-là. D’autant qu’apparemment, Gilgamesh était particulièrement occupé en ce moment et avait demandé à ne pas être dérangé, hormis nécessité absolue. La belle aux yeux d’or soupira et laissa donc choir la capuche qui protégeait son faciès, causant naturellement l’étonnement général le plus total, sa notoriété la faisant aussitôt reconnaître pas tous. La plupart avait d’ailleurs l’impression d’avoir affaire à un fantôme, d’autres à une apparition divine. Mais Alathea ne s’en soucia guère, insistant du regard, sans reformuler sa demande, pour que la servante aille avertir le Roi de sa présence.

Elle n’eut pas à attendre longtemps. Dans une tenue beaucoup plus décontractée que dans ses souvenirs, et surtout, visiblement en sang et en sueur, Gilgamesh fit rapidement son apparition. Il avait l’air de sortir d’une rude bataille, peut-être un entraînement avec ses gardes ? Alathea ne savait pas trop comment réagir aussi le laissa-t-elle s’exprimer en premier.


répliqua-t-elle avec un sourire moqueur.

Le dirigeant d’Uruk l’invita très vite à le suivre vers un coin plus tranquille, pour privatiser leur discussion à venir, mais surtout pour se remettre en état. Alathea acquiesça sans mot dire et le suivit. De mémoire, leur première entrevue avait eu lieu dans la salle du trône et elle n’avait pas visité davantage le palais. C’était donc là l’opportunité de découvrir des zones qu’elle ne connaissait pas. Gilgamesh l’amena rapidement à ses quartiers personnels, sans doute pas la partie qu’il dévoilait le plus à autrui. Elle en prit note sans commenter ce propos. Il congédia ensuite les quelques servants qui les avaient suivis, privatisant effectivement les lieux, avant de déguster une pomme, tout en commentant le retour inattendu de l’hybride. Celle-ci fit une moue dépitée.


plaisanta-t-elle.

Elle s’avança pour venir se servir à son tour dans la corbeille de fruits, sans même demander l’avis de son hôte, croquant également dans un fruit bien juteux avant de reprendre :

C’était tout de même curieux pour Alathea d’être ainsi en présence de cet homme sur lequel elle avait jadis tiré, l’une des rares fois où elle avait laissé sa colère et son âme vengeresse prendre le dessus sur son usuelle rationalité. Elle savait que Gilgamesh et elle avaient eu l’occasion d’enterrer définitivement la hache de guerre, après la mission de sauvetage à Shutô Tokai et peu avant son trépas face à Kanzetsu, ses souvenirs de cette discussion lui ayant été rendu partiellement, bien que la manière de les récupérer lui donnait l’impression qu’il ne s’agissait pas de sa propre mémoire. En un sens, pour cette « version » d’Alathea, native d’Erdrigoth et élue de Kougaku, c’était la première fois qu’elle mettait les pieds à Uruk et, par extension, qu’elle y rencontrait le roi qui régissait la cité. Elle se devait néanmoins d’aller au bout de la démarche, afin de vaincre complètement le traumatisme qui subsistait en elle, afin de pouvoir aller de l’avant.

Elle éluda très vite les questions à son propos, interrogeant directement le souverain sur la perception qu’il avait de sa vie personnelle et de celle de ses sujets. Après tout, même si elle était essentiellement intervenue face à Kanzetsu pour défendre sa meilleure amie, se sachant pertinemment en danger de mort, elle avait également été longuement occupée à protéger Gilgamesh des assauts des pantins manipulés par Reiya, le tout sans infliger aux habitants ainsi contrôlés contre leur gré la moindre blessure. Elle se souciait de la sécurité de chacun et il était important pour elle de confirmer qu’Uruk n’avait plus eu à affronter pareille épreuve depuis lors.

Cela semblait effectivement être le cas, puisque la population avait, semble-t-il, prospéré massivement et le bonheur était manifestement l’émotion principale véhiculée dans les rues de la grande cité. Gilgamesh semblait curieusement presque dépité ou nostalgique, alors que son projet arrivait à son terme, que la ville lui rappelait même celle qu’il avait autrefois dirigé en un autre univers. Cette attitude intrigua Alathea, qui l’observa quelques instants, avant de l’interroger sur le sujet :



Alathea avait remarqué dès son arrivée que le roi était blessé de part et d’autre sur son corps athlétique, mais cela ne semblait pas attente à la vie du dirigeant, aussi était-elle restée silencieuse à ce sujet. Néanmoins, elle ne put s’empêcher d’afficher un air étonné en observant son interlocuteur commencer à se soigner par ses propres moyens, en se contentant d’alcool pour désinfecter les plaies, ainsi que de quelques herbes médicinales pour accélérer la cicatrisation. Une bien curieuse façon de guérir pour quelqu’un qui possédait tout.


indiqua-t-elle avec un sourire provocateur.

Gilgamesh la surprit ensuite en se mettant à l’interroger plus en profondeur sur son passé. Il était devenu si rare pour l’elfette d’évoquer sa vie antérieure, cette dernière affectionnant beaucoup plus d’écouter les autres l’instruire que l’inverse. La dernière fois, c’était avec Megan Sakkari, après que la jolie brune l’ait tirée d’un sacré pétrin, à son retour du Royaume des Morts. Alathea fixa longuement le roi, prit le temps de déguster la pomme qu’elle tenait en main, effectuant quelques pas en rond, avant de se rassoir.



Alathea n’avait plus aucune mélancolie, ni aucun regret en elle, lorsqu’elle parlait de son passé. C’était comme si sa mort l’avait libéré de l’emprise qu’avait ce sombre et macabre voile qu’elle arborait jusqu’ici.

La répartie du roi, bien courte et bien faible, prononcée sur un ton et avec un air qui signifiaient absolument le contraire de ce qui était dit, laissa Alathea de marbre. Son regard doré scrutait attentivement son interlocuteur, attendant patiemment que celui-ci se justifie bien plus explicitement. Il savait pertinemment, pour avoir eu plusieurs conversations antérieures, que la curiosité de l’archère ne serait nullement satisfaite par une si maigre réponse, qu’il lui fallait bien davantage pour être rassasiée. Elle demeurait donc silencieuse, le vide sonore étant bien plus éloquent que n’importe quelle interrogation insistante.

Gilgamesh était un de ces êtres qui aimaient se pavaner à leur paroxysme, dans ses plus beaux apparats, sous son meilleur jour, afin d’impressionner les autres par son charisme et sa prestance naturels. C’était d’ailleurs à force de côtoyer ce personnage qu’Alathea avait fini par revoir son premier jugement sur le blondinet, en observant la fascination qu’il inspirait aux gens qui l’entouraient. La belle aux yeux d’or ne l’avait jamais vu aussi démuni et vulnérable qu’actuellement, à moitié nu, blessé, visiblement atteint au moral. D’ordinaire, il savait tout aussi bien dissimuler ces émotions négatives que renvoyer constamment une image puissante et royale. Aujourd’hui, tout ceci était bien différent, peut-être parce que la visite inattendue de la native d’Erdrigoth l’avait pris de court, l’empêchant de se préparer efficacement…

Alathea ignorait exactement la nature de son lien avec Gilgamesh. Il y avait une espèce de curiosité surprenante que lui inspirait le roi, dont elle savait que le savoir était pratiquement intarissable, ce qui était particulièrement attirant pour elle lorsque l’on connaissait son caractère. Lors de leur dernière entrevue, tous deux étaient passés outre leur rencontre en dents de scie, mais elle se demandait si elle pouvait qualifier cela d’amitié naissante, notamment à cause de sa propension à prendre constamment du recul et à cause du statut si prestigieux de son interlocuteur. Le créateur de l’Alliance des élus n’était pas n’importe qui et Al’, malgré le fait qu’elle ne reconnaisse toujours pas le rôle de ce rassemblement d’êtres dont la royauté était antérieure à leur arrivée en ce monde, ne comptait pas déroger aux règles d’éthique lorsqu’elle était en sa présence. Cela ne l’empêchait pas de s’inquiéter sincèrement pour lui.

Finalement, il occulta le sujet de son état visiblement préoccupant, refusant également assez catégoriquement un soin plus efficace que celui qu’il opérait actuellement sur son corps meurtri. Alathea n’insista pas, se doutant que c’était parfaitement inutile. Elle l’écouta ensuite commenter sa propre interprétation de son passage au Royaume des Morts, le roi ne la jugeant nullement coupable de ce qui avait été commis par le passé, arguant que chaque élu, ou presque, avait ses propres casseroles, pour lesquelles il aurait été inutile de tenir rigueur en un monde où chacun repartait systématique de zéro, peu importe son statut, son origine ou sa force d’antan.


dit-elle simplement, sans imposer quoi que ce soit.

Sa confrontation avec son père, les paroles de Ceriya Maranam, ses ultimes avertissements… Tout ceci était profondément gravé dans son esprit. Elle chasse cependant bien vite ces pensées morbides, puisque le Roi avait finalement décidé de passer aux aveux, témoignant de sa fatigue mentale, qui transparaissait désormais physiquement, sur les doutes qui l’assaillaient constamment, sur le sentiment d’accomplissement personnel qui lui empêchait d’entrevoir le moindre avenir radieux pour lui. En un sens, il était confronté aux mêmes interrogations qui avaient longuement harcelé l’elfette après son trépas, alors qu’elle luttait pour maintenir sa conscience intacte parmi les ombres du pays des défunts. Son propre avis avait failli la pousser à renoncer, à abandonner toute tentative pour revenir à la vie, considérant que sa confrontation avec Kanzetsu représentait l’achèvement ultime de sa courte vie d’elfe, de sa longue vie d’humaine.



Elle s’avança sur le balcon, se tenant à ses côtés, pour observer la cité d’Uruk sous un angle qu’elle ne connaissait pas encore.


dit-elle sur un ton amusé.

Elle soupira.



Alathea marqua une pause un court instant, lui laissant l’opportunité de répondre s’il le désirait.



Alathea lui tendit la main, en lui souriant sincèrement.

Le roi s’ouvrait beaucoup plus à l’archère que celle-ci ne l’aurait cru. Après tout, elle était simplement venue, ou plutôt revenue à Uruk pour vaincre ses démons intérieurs et tenter d’y retrouver ce qui l’avait autrefois tant intriguée à propos de cette cité-état. Bien entendu, l’histoire de Gilgamesh faisait partie de ce lot de curiosités qui l’intéressait, mais cela allait beaucoup plus loin. Il y avait peu d’individus en ce monde avec qui échanger apportait autant de paix et de tranquillité à Alathea, et autant elle aurait pu douter qu’il en fasse partie avant cet entretien, autant leurs dernières réparties avaient tendance à lui confirmer que le blond n’était pas une personnalité si banale pour elle. On parlait bien ici de ce mélange de charisme, de prestance et d’éloquence qui le caractérisait si bien, mais pas que, et elle ne parvenait pas à deviner complètement pourquoi, bien qu’elle ait tout de même quelques hypothèses sur le sujet.

Gilgamesh semblait aussi avoir un raisonnement allant dans ce sens, déclarant qu’il avait bien plus de facilités à se confier à elle qu’à quiconque en Kosaten, allant même jusqu’à la comparer à son ami très cher, le très énigmatique Enkidu sur qui Alathea en savait si peu, la comparant à une vieille connaissance alors que leurs rencontres se dénombraient sur les doigts d’une unique main. La belle aux yeux d’or en avait sa propre interprétation, comprenant parfaitement ce que voulait dire son interlocuteur.



Finalement, la native d’Erdrigoth se trouva à porter un regard sincèrement émerveillé sur les contrebas d’Uruk. Elle avait déjà exprimé son admiration pour l’architecture atypique de la cité à son dirigeant, se renseignant sur cette inspiration qu’elle savait tirée du savoir passé de Gilgamesh. Chaque région de ce monde avait beau avoir son propre style de construction ou d’évolution, il y avait tout de même une certaine récurrence qui se retrouvait chez chacune d’entre elles, ce qui, logiquement, ne concernait pas Uruk. Alathea était curieuse au point de tenter de percer les mystères de domaines qui s’éloignaient de très loin de son expertise.

La mélancolie était le sentiment qui se dégageait le plus de sa discussion avec Gilgamesh, ou plutôt, l’énergie principalement véhiculée par le créateur de l’Alliance des élus, là où l’elfette témoignait de davantage de regrets et de recherche de rédemption. Alathea ne put s’empêcher d’être une fois encore particulièrement à l’écoute dès lors qu’il recommença à évoquer Enkidu, à qui elle était comparée, sans en connaître l’exacte connotation.



Finalement, comme prévu, Al’ titilla son interlocuteur sur le projet auquel il avait voué son existence entière, remettant en question les fondements de sa pensée afin de le forcer à vider son sac. Elle l’écouta donc patiemment, ne cherchant pas le moins du monde à dissimuler ce petit sourire satisfait qui traduisait actuellement sa pensée. Gilgamesh la gratifia de l’une de ces longues tirades dont lui seul avait le secret, confirmant enfin qu’il en avait malgré tout encore dans les tripes et qu’il ne comptait pas se laisser dépérir et prendre la poussière, avachi sur son trône. La tireuse de précision avait pratiquement retenu sa respiration pour que son interlocuteur monopolise complètement l’ambiance sonore environnante. Elle soutint son regard jusqu’au dernier instant.



Après une hésitation particulièrement palpable, Gilgamesh finit par saisir la main tendue par l’archère, qui le soutint un moment, toujours en captant son regard, écoutant ses ultimes réticences, avant de le lâcher.



Elle marqua un moment de silence, avant de reprendre :

C’était étonnant, presque déstabilisant pour Alathea, d’être ainsi confrontée aux confidences si ouvertes du roi, à propos de sujets sur lesquels elle l’avait déjà interrogé antérieurement, mais auxquels il avait alors catégoriquement refusé de répondre. Il ne s’était pourtant rien passé de particulier entre temps, en tout cas de nature à changer le lien qui les unissait. Certes, l’archère s’était battue pour défendre le blondinet, ses sujets et sa Cité, et en avait péri, mais, comme elle l’évoquait si souvent lorsqu’on lui prêtait de trop pures intentions salvatrices, elle avait à l’époque longuement hésité avant d’intervenir directement sur le champ de bataille et seule la sensation de danger imminent pesant sur les épaules de Lexi l’avait finalement convaincue à entrer en lice dans l’arène des guerriers. Elle avait trépassé en ces lieux et y remettait les pieds pour la première fois, ce qui signifiait qu’il ne s’était fondamentalement rien déroulé entre sa dernière entrevue avec Gilgamesh et celle du jour. En tout cas, pour elle, comme si le temps s’était figé… Le changement était donc à constater du côté de son interlocuteur, qui avait vécu pratiquement une année et demie avant que la native d’Erdrigoth ne revienne à sa rencontre.

Enkidu. Elle n’avait entendu ce nom que de la bouche de Reiya, mais avait instantanément compris que c’était un être très cher aux yeux de Gilgamesh, qu’il faisait partie de ce cercle privé très intime et très secret que celui-ci aimait à ne garder que pour lui. C’était donc une véritable marque de confiance envers elle que le fondateur de l’Alliance des élus se confie à elle à ce propos. Alathea se montra particulièrement attentive sur ce sujet, afin de tenter de mieux comprendre l’homme qui se tenait à ses côtés. Elle lui avait bien spécifié son raisonnement sur cette proximité mutuelle qui semblait les pousser tous deux à s’ouvrir davantage à l’autre, justifiant cela par leurs vies antérieures à leur conditionnement d’élus de Kosaten, des vies particulièrement longues et chargées. En un sens, la discussion était assez différente de toutes celles qu’elle avait pu avoir avec Lexi : si la mi-humaine n’avait pratiquement plus le moindre secret pour son amie Marchombre, elle ne cherchait cependant pas à refaire le monde comme cela pouvait être le cas avec le maître des lieux.



Alathea avait la ferme intention de faire valoir son avis sur le propos, pour la simple et bonne raison qu’il en avait été de même pour elle autrefois. Après sa longue expérience de meurtrière de guerre, Kosaten avait été une rédemption pour elle, de même que son passage dans le monde des défunts, mais sans l’intervention salutaire de Lexi Hil’Feyan, la nonagénaire se serait interdite toute proximité avec qui que ce soit autour d’elle, souhaitant expier pour le restant de son existence le lourd poids de sa culpabilité. La situation de Gilgamesh, quoique bien différente de la sienne, était pourtant suffisamment proche de la sienne pour qu’elle soit prise d’empathie à l’égard de ce personnage qu’elle avait autrefois tant haï. Néanmoins, l’avis de l’autre étant particulièrement tranché, une fois qu’elle avait offert sa propre vision des faits, elle se tut, ne souhaitant guère insister ou empiéter sur son intimité personnelle.

Assez étonnamment, et d’aucuns y verront là ce que l’on nomme assez basiquement la transmission de pensée, Gilgamesh aborda spontanément le sujet sur lequel la tireuse de précision s’apprêtait à le lancer. Elle était de fait bien curieuse de savoir ce qu’il était survenu de la Caste noire et de ses membres, en particulier de sa leader, Reiya, seul point obscur dans sa compréhension de tout ce qu’il s’était passé ici lors de l’attaque d’Uruk. Apparemment, le Roi avait fini par rendre sa mémoire à la mage, qui s’en était simplement allé, sans réellement en vouloir à ce dernier. En même temps, il avait longuement pris soin d’elle alors qu’elle avait directement attenté à sa vie et à celle de ses sujets…

Il la surprit alors grandement, s’esclaffant en constatant avec ironie que ses agresseurs avaient tendance à devenir ses plus proches alliés, remarque qui fit sourire Alathea, bien qu’elle la laisse un peu dubitative sur le propos. Elle n’avait pas franchement le même ressenti ou souvenir que son interlocuteur.



Gilgamesh, loin de lui lâcher la main, raffermit sa prise, tout en la surprenant à nouveau, changeant drastiquement de sujet pour évoquer son besoin urgent de prendre un bain. Alathea eut un peu de mal à cacher son étonnement devant la sincérité désarmante de son interlocuteur, qui venait littéralement de passer du coq à l’âne en un rien de temps et avec la même intensité.


déclara-t-elle avec un léger sourire.

Elle laissa son regard perçant scruter les environs jusqu’à repérer, hors de l’enceinte de la cité, une rivière qui correspondait à peu près à ce que semblait recherche le roi.


dit-elle en plaisantant.

Elle marqua un moment de silence, avant de reprendre :

Capa' contextuelle:

Bien que l’archère se doutait que les quelques blessures du Roi, certes visuellement impressionnantes, n’étaient que superficielles et ne mettaient nullement sa vie en jeu, elle n’avait pas pu s’empêcher de lui proposer de s’en occuper elle-même, avant de le mettre en garde contre le risque de se baigner ainsi, à peine désinfecté et recousu, dans une rivière emplie d’eau non traitée et totalement propice à rouvrir les plaies, voire à les empirer. Naturellement, Gilgamesh tint à lui rappeler implicitement son statut d’élu plutôt robuste et présent désormais depuis de nombreuses années, ce qui lui permettait assez logiquement de se remettre rapidement et efficace des balafres les plus coriaces, son soin archaïque n’ayant été effectué que pour la forme. Alathea n’insista donc pas, soupirant en constatant à quel point le personnage face à elle était des plus singuliers, bien loin de sa conception personnelle du pragmatisme, qu’elle partageait avec Lexi.



Son interlocuteur faisant tout pour ne pas faire valoir son statut si prestigieux depuis le début de la discussion, la belle aux yeux d’or s’attendait donc à ce qu’il propose de quitter la cité par la plus classique des voies, à savoir la voie pédestre, ce qui impliquerait tout de même que tous deux dissimulent leurs faciès et leurs auras respectives, un peu comme l’avait fait Alathea pour rejoindre le palais, l’un étant le dirigeant d’Uruk, l’autre y étant désormais déifiée, bien malgré son gré. La téléportation fut proposée, mais elle n’attendait pas de réponse affirmative sur le propos.

La répartie de Gilgamesh fut à son image, exubérante et en grande pompe, celui ayant fait apparaître juste en face de son balcon son immense vaisseau doré qui lui permettait de se déplacer dans les cieux à vive allure pour un effort des plus minimes. Alathea ne s’émerveilla pas autant que la première fois devant cette soudaine apparition, ayant déjà eu l’occasion par le passé de monter dessus, au retour de Shutô Tokai, en compagnie du Roi, forcément, mais également de Harima Araki. Elle retrouva un faciès assez neutre, acceptant avec politesse la main que lui tendait son confrère élu, même si tous deux savaient qu’elle aurait pu se passer de cette galanterie. Néanmoins, ce geste n’était pas forcément pour lui déplaire, elle qui, contrairement à d’autres dans son entourage, n’était pas familière de ce genre d’attention à son égard, ne faisant rien de particulier pour plaire ou pour ouvrir son cœur à autrui.


dit-elle simplement, avec un sourire chaleureux, en montant à bord du vaisseau transcendant les cieux.

Le pilote s’amusa ensuite à multiplier les cabrioles avec le vaisseau, notamment pour impressionner le peuple qui l’avait pertinemment aperçu, mais sans doute également pour montrer sa maîtrise auprès de sa visiteuse. Celle-ci s’émerveillait assez visiblement, mais pas forcément pour les raisons que l’on aurait pu croire. Bien loin de s’extasier devant les compétences de maître des airs de son hôte, elle s’intéressait une fois encore à la capacité de l’engin à se défaire de la gravité et des lois physiques les plus naturelles, malgré une telle masse et une telle taille. Erdrigoth avait beau avoir longuement innové pour entretenir le conflit sanglant qui y faisait rage depuis tant d’années, le ciel n’avait jamais été conquis… C’était donc une expérience assez nouvelle pour elle, exception faite de cette escapade qu’elle avait effectuée il y a bien longtemps sur une plateforme flottante guidée par Tyr, peu de temps après que Reisha ait explosé.



Bien qu’elle ne craigne absolument pas une chute d’une telle hauteur, Al’ s’agrippa tout de même par réflexe à la rambarde la plus proche lorsque Gilgamesh les fit se retrouver la tête en bas, avant de constater que, par un étrange pouvoir, la gravité ne semblait pas les affecter. Sans doute, cet engin était-il réellement capable de nullifier complètement les règles de celle-ci. La tireuse de précision entendit alors son interlocuteur se plaindre une nouvelle fois, exprimant ses doutes quant à une éventuelle mise en retrait de sa part, n’ayant pas envie de laisser ses sujets à l’abandon.

Si le visage de l’archère, toujours aussi curieuse que lors de son arrivée et de ses premiers pas en ce monde, s’illumina dans un premier temps, alors que Gilgamesh, prenant la comparaison avec la technomagie, lui fournissait quelques détails techniques sur le fonctionnement de son vaisseau transcendant les cieux, il finit cependant par s’assombrir lorsque l’autre évoqua un peu plus les avancées scientifiques de son univers originel, ou plutôt la direction vers laquelle celles-ci étaient orientées. La guerre, les armes, la destruction, la mort… Comme en Erdrigoth, l’Homme semblait voué constamment à entrer en conflit avec autrui, de façon plus meurtrière et plus violente à chaque fois… La science, la magie, la technomagie, un potentiel pratiquement infini et pourtant tellement gâché entre de mauvaises mains. Elle soupira, en perdant son regard au loin.



Elle l’écouta ensuite rebondir sur ses propos et exprimer ouvertement toute l’expérience qu’il avait amassée au fur et à mesure de ses différentes vies. Il se justifiait sur ses choix, évoquant notamment l’avenir qu’il était capable d’anticiper grâce à tout ce qu’il avait jadis pu traverser. Sa vision était assez sombre mais concordait plutôt bien avec ce qu’Alathea savait déjà de son côté. Si Tenkasuru et son empereur un peu trop belliqueux à l’encontre des élus s’était longtemps posé comme une dangereuse menace, chacun savait au fond de lui que le pire restait encore à venir après, et qu’il allait falloir une sacrée cohésion du côté des élus pour réussir à surmonter cette difficulté qui n’avait encore jamais été expérimentée auparavant.

Elle n’insista cependant pas sur le sujet, n’étant toujours pas convaincue par la forme que prenait l’alliance entre les élus. Alathea avait beaucoup eu à réfléchir après sa mort et elle en était arrivée à certaines conclusions quelques peu extrêmes : elle ne se battrait plus que pour défendre ses proches. Pour le reste, si protéger les plus faibles ou les plus démunies étant encore naturellement dans ses intentions, elle ne prendrait plus les armes pour un conflit qui ne la concernait pas directement. Après tout, la native d’Erdrigoth avait vécu par la guerre et était morte par la guerre. Le cycle était à présent achevé et il était temps pour elle de prendre son envol vers une nouvelle direction.

Gilgamesh lança alors les hostilités, en faisant instantanément disparaître l’engin flottant dans un amas de poussières dorées, les condamnant à la plus libre des chutes avec en contrebas l’eau de la rivière où le roi souhaitait se désaltérer. Alathea n’avait pas vu venir l’espièglerie de l’autre élue et elle poussa un léger cri de surprise, avant de se ressaisir et de brandir son arc, pour venir décocher un trait doré qui se ficha sur la terre ferme, à quelques mètres de la zone aqueuse. La seconde d’après, la tireuse de précision était de retour sur le plancher des vaches, juste à temps pour observer le blond atterrir à plein régime dans l’eau, éclaboussant une bonne partie des alentours, sans que la moindre goutte n’atteigne Al’ cependant.

Celle-ci s’avançant finalement, afin de vérifier que tout allait bien malgré tout. Elle constata alors que Gilgamesh avait même pris la peine de se déshabiller, ce qui ne la gêna nullement. Elle prit place au sol, à quelques décimètres du cours d’eau, attendant que l’autre se rapproche, avant de réfléchir aux très nombreuses options dont elle disposait pour se venger de lui et de sa fourberie précédente.


déclara-t-elle avec un sourire amusé.

Sans perdre une once de son air sincèrement jovial, elle s’empara à nouveau de son arc et y matérialisa très vite une flèche cryogénique, avant de la tirer directement dans le ruisseau, gelant les flots tout autour de Gilgamesh, en lui rendant ainsi la monnaie de sa pièce, avant de ranger son équipement pour observer le résultat.

Capa' contextuelle:

Flèche utilisée:

Une fois encore, Gilgamesh avait un point de vue différent, pas en tout point, mais bien davantage en quelques menues subtilités qui traduisaient la richesse de cette conversation, sur l’approche et les intentions de Tyr. Si Alathea et lui pensaient assez similairement dès lors que le sujet s’orientait vers la guerre, le roi avait, de son côté, une expérience bien différente en tant que dirigeant belligérant, tandis que l’archère n’avait toujours été qu’une simple exécutante. Elle n’était cependant pas dupe quant à tout ce que le projet de conquête spatiale du techocréateur impliquait, notamment en cas de rencontre avec de nouvelles espèces extra-terriennes. Al’ avait toujours gardé à l’esprit la puissance du laser conçu par le leader et qui lui avait permis, entre autres, de déclarer l’indépendance de la nation des technos. Néanmoins, même si elle aurait eu d’autres points à aborder en ce sens, elle préféra se taire et laisser son interlocuteur conclure cette dramatique parenthèse.

Alathea était joueuse et elle répondit rapidement à l’invitation informelle de Gilgamesh. Sa flèche cryogénique eut naturellement l’effet escompté, figeant dans le temps et le gel les flots tumultueux de la rivière bleutée, emprisonnant le blond dans un bloc de glace qui ne devait pas être bien confortable. L’elfe se doutait qu’il en faudrait bien plus pour calmer l’ardeur de l’autre élu, c’était d’ailleurs pour cela qu’elle s’était permise le trait, en dépit du crime de lèse-majesté que cela signifiait, tant bien même elle s’était, plus tôt, excusée de lui avoir jadis tiré dessus.

Gilgamesh l’insulta sympathiquement, avant de se libérer de son tombeau givré, en matérialisant de multiples armes tout aussi dorées et lumineuse que sa chevelure, usant de ce pouvoir de création assez similaire à celui de la belle aux yeux ardents avec ses propres flèches magiques. Non content de permettre au roi de se dépêtrer de sa fâcheuse situation, cela le mit assez vite en position de contre-attaque, une immense vague, bien trop disproportionnée par rapport à la taille du cours d’eau, étant projetée vers Alathea, le trublion se tenant à son sommet, se servant d’un genre de bouclier élancé pour glisser assez gracieusement dessus. Il avait véritablement du style, il fallait bien l’admettre.


répliqua la nonagénaire, avec un sourire malicieux en coin.

Puisque Gilgamesh tenait à ce que cet affrontement se fasse, et étant donné que les deux élus étaient à une distance suffisante d’Uruk pour pouvoir se lâcher un peu, Alathea décida de donner une petite leçon d’humilité, en toute bienveillance, à cet individu qu’elle appréciait un peu plus à chacune de leur rencontre. Elle libéra son aura magique, trait caractéristique de sa moitié elfique, afin de laisser entrevoir à son adversaire son niveau actuel. Son regard de feu balaya la vague aqueuse qui était déjà pratiquement sur elle, puis l’homme qui la chevauchait tel un cavalier des mers, analysant chacun des détails environnants.

La native d’Erdrigoth redressa son arc en un instant, matérialisant instantanément une flèche de recul, avant de libérer sa puissance rotative contre la déferlante d’eau. L’impact fut éclatant et toute l’ondée fut éparpillée dans une fine pluie qui, croisant les lueurs de l’astre solaire, prit des reflets irisés. Alathea ne s’attarda cependant pas à la contemplation, ayant déjà préparé sa riposte. Un trait bleuté avait en effet suivi de peu son tir défensif, se fondant dans son sillage venteux pour aller cibler le roi. Ce n’était qu’un simple projectile somnifère, rien de bien dangereux pour ce dernier.

Toutefois, cette autre manœuvre n’était encore qu’un simple leurre pour détourner l’attention de Gilgamesh, tandis qu’Al’ sifflait aussi mystérieusement qu’imperceptiblement, demandant aux créatures maritimes qui n’avaient pas encore fui, malgré l’affrontement de haute intensité en perspective, de se rassembler progressivement. Lorsqu’elle sentit et releva que le roi des élus était exclusivement focalisé sur elle, la mi-humaine donna son signal et une myriade de poissons de tailles diverses et de formes multiples se ruèrent vers lui, le gobant un peu partout pour le blesser superficiellement et l’immobiliser. Alathea n’insista pas, attendant d’observer la réaction ennemie.

Capa' contextuelles:

Flèches utilisées:

Pour un convalescent simplement censé prendre un bain dans le cours d’eau local, Gilgamesh se la donnait réellement beaucoup. Son manque de sérieux effarant et apparent contrastait drastiquement avec cette prestance royale et charismatique qui le caractérisait d’ordinaire, ce qui donnait sans doute lieu à l’une des situations les plus improbables et incongrues que ce continent ait jamais connu… Naturellement, il était assez difficile pour Alathea imaginer Tyr ou Reisha dans une position similaire à celle du leader d’Uruk… Ce n’était cependant pas pour lui déplaire, ce dénouement imprévu permettant d’une certaine manière de chasser les fantômes du passé qui avaient commencé à la harceler dès lors qu’elle avait posé le regard sur la statue édifiée à son effigie, faisant ainsi ressurgir un traumatisme pourtant bien enfoui en elle…

Si le premier trait de l’elfette remplit parfaitement son objectif, à savoir dissiper la force aquatique de la vague chevauchée par Gilgamesh, le second, en revanche, celui qui visait à envoyer le dirigeant rejoindre le doux monde de l’onirique, fut aisément esquivé. Qu’à cela ne tienne, ce n’était qu’une simple manœuvre visant à détourner le regard du roi, avant que la véritable répartie d’Alathea ne se fasse voir, ou plutôt ressentir. Dans un pur comique de situation et de répétition, elle assista à une nouvelle scénette des plus absurdes : après le surfeur d’ondée survenait le dîner des fonds marins… Bien loin de chercher à se défendre, l’autre se contentait de se laisser becqueter à tout-va, surréagissant à chaque croc qui venait se poser sur sa peau.

Gilgamesh réussit finalement à se débarrasser de toute cette joyeuse petite armada, se dévoilant dans les cieux au plus pur de sa forme, puisque sa nudité était désormais plus apparente que jamais. Il prit alors un air furieux, affirmant qu’il allait sortir le meilleur atout en sa possession, ce qui mit la puce à l’oreille à l’elfette quant à l’absence de sérieux de son discours, cette dernière se souvenant parfaitement qu’il avait jadis déclaré réserver cet artefact secret pour un moment bien plus approprié, et elle doutait fortement que ce moment était d’actualité. Il invoqua une sorte de disque jaune, qu’il propulsa de manière circulaire en direction d’Alathea.

Celle-ci vit le projectile arriver à toute allure vers elle et, ne sentant pas de danger immédiat, elle tendit la main pour interrompre l’élan de l’objet. La native d’Erdrigoth le fixa alors avec un air interdit, tandis que son interlocuteur explosait de rire. Elle soupira, avant d’afficher un sourire, comprenant qu’elle était tombée dans le panneau et confirmant intérieurement que Gilgamesh n’avait pas, ou plus, la moindre intention d’être sérieux en sa présence.



L’assaut de son adversaire du jour était cependant bien loin d’être fini, puisqu’après lui avoir donné cet avant-goût de sa puissance laitière, Gilgamesh invoqua de nombreux portails magiques, dont surgissaient à profusion des meules fromagères similaires à celle qui se trouvait toujours dans la main de la belle aux yeux ardents. Il continuait donc de se moquer d’elle, et ce, le plus ouvertement possible… Ce n’était décidément plus le gamin freluquet et impertinent, imbu de sa personne, dont elle avait autrefois fait la rencontre à Zouhan…

Elle lâcha finalement le fromage qui accaparait sa main dominante, pour reprendre convenablement son arc. Esquivant progressivement les attaques à base de calcium qui lui étaient destinées, elle libérait un trait doré chaque fois qu’une tomme s’approchait, plaçant ainsi une flèche sur chacune d’entre elle, et ce, jusqu’à ce que l’assaut soit interrompu. Tout aussi svelte et prompte qu’elle fut, sa manœuvre un peu osée ne lui permit pas de tout éviter et plusieurs vecteurs de lait fermenté la touchèrent au niveau des cuisses ou des côtes, la faisant légèrement grimacer de douleur, sans pour autant que l’on ne tombe dans l’extrême comme avec Gilgamesh.

Dès que celui-ci eut fini de la harceler avec grand coup de lactose et de caséine, Alathea matérialisa une myriade de flèches dorées à ses pieds, dont l’éclat scintilla longuement, avant que les traits ne disparaissent finalement, remplacés par chacun des fromages invoqués plus tôt par Gilgamesh, ceux-ci formant alors une pile abusément élevée. L’élue de Kougaku se tourna alors vers l’être dénudé, avec un sourire provocant.

Alathea conserva son sourire, malgré la disparition dans son dos de la myriade de meules fromagères dont Gilgamesh s’était servie pour l’attaquer. Il déclara noter l’idée dans un recoin de son esprit, l’ajournant cependant à une date ultérieure, où les festivités seraient de mise, son discours s’assombrissant quelque peu en évoquant à demi-mot la guerre qui se tenait prête à causer des ravages dans les différents camps qui allaient s’affronter. L’archère songea que les préoccupations de l’autre devaient être particulièrement pesantes, à cause de toute cette instabilité quant à l’avenir qui attendait ses sujets. Après tout, seuls les oracles étaient capables de prévoir ce qui allait survenir, mais même eux n’étaient pas infaillibles dans leur domaine de prédilection. Être un dirigeant dans ce climat déchirant et explosif était sans doute l’une des tâches les plus périlleuses et chronophage qui soient…

Le blondinet revint finalement fouler la terre ferme de ses pieds dénudés et ensanglantés, tandis que la pression magique qui s’était manifestée lors des quelques échanges musclés entre les deux élus s’atténuait peu à peu, avant de totalement disparaître. Leur affrontement amical s’achevait donc aussi promptement qu’il avait été initié. Après tout, le but n’était pas vraiment de se mesurer à autrui, ni même de se perfectionner, mais simplement d’être un simple divertissement comme un autre. D’autant que Gilgamesh était initialement déjà meurtri, il fallait tout de même éviter que son état ne s’aggrave, même si Alathea doutait fortement de la gravité de ses plaies actuelles. Celle-ci rangea son arc dans son dos, avant de se rapprocher de son interlocuteur.

Gilgamesh la remercia tout en effectuant un bien étrange geste de connotation relativement condescendante. Si Al’ ne l’empêcha pas de placer cette main affective sur sa tête, elle ne put qu’afficher un air un peu gêné, n’étant pas franchement familière de ce genre d’attention. Honnêtement, cela semblait plus pour elle être le type de geste attendrissant qu’elle pouvait avoir avec une monture, avant de la chevaucher, qu’autre chose… La belle aux yeux ardents resta donc silencieuse, attendant que le roi retire finalement sa main.

Ce qu’il fit, tout en commentait le fait qu’Alathea se montrait toujours très curieuse quant à ceux qui la côtoyaient, mais qu’en retour, elle ne laissait jamais rien transparaître sur ce qui la définissait ou la caractérisait, ses passions, ses désirs, ses pulsions… Gilgamesh s’était montré sous un nouveau jour et avait dévoilé une facette de sa personnalité que bien peu connaissaient. Il souhaitait donc assez logiquement que la native d’Erdrigoth abaisse à son tour certaines de ses défenses. Cette dernière eut un léger sourire un peu crispé, tandis que son regard de feu balayait les flots tumultueux de la rivière en esquivant celui de l’homme qui se tenait à ses côtés.


déclara-t-elle sobrement.

Ce n’était guère pour casser l’ambiance tranquille et joviale qu’elle disait cela, mais bien par souci d’honnêteté à l’égard de Gilgamesh. S’il tenait réellement à la comprendre, alors elle devait bien se justifier sur sa manière d’être. En l’occurrence, alors qu’elle libérait la pression accumulée lors de leur mission de sauvetage à Shutô Tokai en explorant les divers pans d’Uruk, après y avoir finalement échangé avec son leader, Kanzetsu était apparu pour provoquer ce dernier. La suite était connue et n’avait plus besoin d’être narrée… Alathea soupira, songeant qu’elle devait vraiment tourner la page.



Elle s’accroupit finalement, toujours en fuyant les yeux perçants de l’élu masculin, jouant avec l’eau qui s’écoulait à ses pieds en y trempant ses mains, demeurant silencieuse quelques instants supplémentaires, avant de finalement se laisser choir en arrière, s’allongeant tout en fixant le ciel d’un air pensif.



Elle marqua un temps d’arrêt, avant de fixer à nouveau son interlocuteur.



Nouvelle pause, afin d’évacuer le petit fou rire que ce dernier commentaire avait fait naître. Alathea eut cependant un regard triste, n’ayant pas encore pu retrouver son amie depuis son trépas.



Dernière pause, pour l’effet théâtral.


demanda-t-elle avec un sourire malicieux.