Dépassement de soi

La 12e aube se levait pour illuminer la remontada de Ruby. 12 jours d’entraînement intensif, digne des plus grands guerriers. C’était simple, le bretteur ne se cassait pas la nénette. Il ne changeait aucunement son mode de vie. Seul ou avec Ruby, il s’entraînait 15h par jour. Le but ? Elle le suivait dans ses excès, du mieux qu’elle le pouvait. Evidemment, les premiers jours, elle s’écroulait au bout de 50 tractions seulement quand il dépassait l’inimaginable, vomissait après 70km de course, était à deux de se péter un bras au-delà d’un certain kilo etc, des prouesses déjà exceptionnelles pour un humain lambda mais les élus, et surtout Zoro, transgressait toutes les lois physique. Mais ce n’était pas un problème, tant qu’elle essayait de le suivre, quitte à alléger le poids ou simplifier certaines figures. Par exemple quand lui s’amusait à faire plus de 1000 pompes sur un bras chacun, en équilibre, elle se contentait de 100 pompes classiques.

Au début, elle se roulait en boule, essoufflée et les articulations en PLS au bout de 2 à 3h de sport intensif d’affilées, sans pause. Mais désormais, au bout du 12e jour, elle montait à 5h30 et montait se reposer ou s’occuper de sa gamine pendant que le sabreur terminait son interminable séance. Le but n’était évidemment pas de la forcer à remplir son emploi du temps avec 15h du sport comme ce guerrier détraqué mais au moins de la faire monter à 7h histoire qu’elle s’entretienne comme une championne. Avec 8h, on obtenait déjà des résultats renversants. Au-delà de cet horaire tenait de la folie pour les titans qui souhaitaient dépasser toujours plus leurs limites mais en soi, ce n’était pas forcément très productif ou utile.

Il notait une nette progression au niveau de son endurance, mais surtout sa force. Il était déjà possible d’apercevoir le tracé de ses muscles se dessiner, surtout aux bras, la première zone généralement touchée par les efforts. Certains jours, il testait son agilité avec des parcours préparés et désormais, elle était capable de sauter comme une ninja d’un sapin à l’autre ou de faire des bonds de 15m de longueur entre deux falaises séparés par un immense précipice. Il l’avait mise également à l’escalade, sur une façade de montagne abrupte et enneigée. Elle atteignait le sommet avec les orteils et les doigts en sang mais se régénérait tout aussitôt.

En revanche, il ne l’avait pas re-testé au combat pur. Tant qu’il n’approuvait pas la solidité de ses bases, il ne la défiait guère, pour le plus grand dam de la demoiselle. En effet, il percevait chaque jour en elle la flamme de revanche grandir dans son regard cramoisis. Il ressentait son envie d’en découdre, de vérifier l’étendue de ses améliorations en pratique mais elle n’était pas encore prête selon lui à passer sur cette étape. Elle mourait d’envie de se la donner avec Zoro mais il la confrontait à la frustration de prendre son mal en patience.

Le 12e jour constituait une aube nouvelle. Cette fois-ci, Ruby se réveillerait aux aurores en constatant un navire bien silencieux. En effet, pour une fois, l’empereur de Fuyu ne l’attendait pas sur le ponton et sa fille ne se trouvait pas dans sa cabine.

Seul un mot trônait sur la table :

« Quelque chose qui t’est chère est peut-être tombée dans l’eau... Dépêche-toi, le temps presse. »

Aucune autre indication ne fut présentée. L’eau ? C’était vaste, la rivière mesurait plusieurs kilomètres de long et comment s’assurer qu’on parlait bien d’une rivière ? Et puis, que pouvait bien être ce quelque chose ?

Il était temps pour Hélène de Sparte de renouer avec ses origines et d’éveiller son potentiel. Après études de ses compétences, il connaissait les talents de détection de la demoiselle alors il ne s’inquiétait pas, elle le trouverait plus vite que son ombre, surtout avec un motif aussi capital.
Il ne s’attendait évidemment guère à un accueil chaleureux à base de lancers de confettis et parade de trompettes, d’autant plus quand elle apprendrait ce que le sabreur avait fait de sa chère enfant. Son sang risquait de ne faire qu’un tour.

En attendant, au bout de sa course effrénée contre la montre, elle finirait par tomber sur le fier guerrier, assis en tailleur sur un morceau d’ice-berg flottant au centre d’un lac, tel un moine shaolin en méditation. En revanche, pas une seule fillette casse-couille à l’horizon. Le ciel clair apportait pourtant une netteté aux alentours aujourd’hui. Les rayons du soleil éblouissaient la neige à en cramer les rétines les plus sensibles comme celle de Ruby, bien que les raisons de ce brasier oculaire n’avait rien à voir avec la lumière aveuglante mais avec une sombre colère dévastatrice.
La jeune femme se révéla à l’empereur reifuujin sous son vrai jour. Quand il ouvrit son oeil pour la toiser, avec suffisance, il découvrit une mère assoiffée de sang, prête à lui déchiqueter la gorge à tout moment. Dans ces conditions, il étiat possible de constater son affiliation avec le diable, elle ne portait pas le nom de «fille du sheitan» de nulle part.

Les veines qui arpentaient son corps comme les routes visibles sur une carte de ville laissaient entendre à l’épéiste que la suite des événements ne s’annonceraient pas de tout repos. Il ne risquait pas de s’emmerder aujourd’hui.

Flottant sur son glaçon, au coeur d’un lac moyennement étendu mais à la profondeur abyssale, recouvert par un tapis de glace craquelé par instant, offrant donc une ouverture vers le sol lointain, le balafré indiqua à son élève.

- C’est pas trop tôt... L’eau a sûrement immergée ses poumons à l’heure qu’il est. Je te laisse aller vérifier.

Il l’invitait à plonger dans cette eau si froide stagnante sous ses fesses impériales pour retrouver son trésor le plus cher. A l’image d’un gouffre opaque et écrasant, la visibilité dans ces eaux troubles cédaient rapidement leur place à une obscurité des tréfonds. Mais, la demoiselle possédait quelques talents pour compenser ce problème.

Il était temps pour Ruby de confronter à nouveau sa faiblesse : l’eau. Cet élément était la cryptonite de la dame du feu. Or, pour devenir la meilleure, l’élue de Kaen devait atteindre un niveau divin dans son milieu le plus défavorable.
La première fois, elle avait échoué à son épreuve. Aujourd’hui, le bretteur la mesurait à une situation de taille. En effet, avec la vie de sa fille en jeu, réussir n’était plus une option pour la sauver. Malgré ses difficultés, il la pousserait, par ce motif, à se dépasser. Ce n’était pas la méthode la plus douce, étant donné que cela conduisait la femelle au teint halé à un état d’angoisse démesurée mais savoir gérer son stress dans les situations les plus critiques faisaient partie de l’entraînement. Parviendrait-elle à préserver son sang-froid afin de se concentrer sur sa tâche principale ou céderait-t-elle à la panique au sein de ce terrain hostile pour elle : les profondeurs aquatiques.

Calliope résidait donc quelque part, tout au fond, dans cette immensité désertique dépourvue de frontières. Attachée avec une corde à la cheville dans la vase solidifiée. 8 minutes qu’elle avait déjà rejoint les fonds marins, mais Zoro la priva de cette information puisque 8 minutes, pour n’importe quel humain lambda, signifiait la mort. Il ne souhaitait pas la décourager d’emblée.

Avant qu’elle puisse récupérer le corps de sa défunte noyée adorée, elle devrait affronter quelques petites surprises en chemin. Pénétrer la résidence des habitants du lac amenait aux conséquences naturelles : la «chose» défendrait son territoire, coûte que coûte.

- Il est possible que vous ne soyez pas seules là-dessous. Claque-lui la bise pour moi si tu le croises..

A quoi pouvait-il bien faire référence ?

Evidemment, ce qu’il ne précisa pas à la mère de famille, c’était que sa fillette d’amour ne mourrait pas. En effet, monsieur le filou détenait dans sa sacoche des plantes magiques, qui une fois sous l’eau, s’activaient en bulle d’air. Des bulles utilisées par une ancienne civilisation aquatique qu’il avait visité dans une expédition spéciale auprès d’anciens collègues comme Rinkyu, et qui permettait de respirer sous l’eau durant une bonne heure. Oui la bulle avait une durée de vie mais il était convaincu que la femelle atteindrait son objectif avant l’heure fatidique.

Le lac était profond cela dit, il ne lui conseillait pas de trop remonter pour reprendre son souffle si elle ne souhaitait pas perdre du temps, surtout avec la «grosse» épreuve qui l’attendait en chemin.

La fillette pionçait donc tranquillement, enrobée dans sa bulle d’oxygène, ne se rendant compte de rien, telle la belle au bois dormant au fond du lac, patientant que sa responsable légale vienne la repêcher.

A l'annonce de sa prochaine mission, le fier guerrier haut perché sur son glaçon put apercevoir le brasier infernal naître dans ses prunelles rubis. Une hystérie maternelle envahissait l'atmosphère du lac, au point de donner l'impression que le lieu avait gagné quelques degrés. Le pirate tournait la jeune fille (qu'en apparence) en bourrique, la bernant sur le contenu réel présent au fond du lac. 2500 années de vécu et toujours capable de se faire piéger par des émotions primaires. A croire que la folie de l'instinct maternel ne s'assagissait jamais, comme un trait immuable partagé entre les femmes.

Malgré le fait qu'une envie claire d'étrangler l'empereur sur place se faisait entrevoir, la mère de famille savait encore classer ses priorités et plongea sans une once d'hésitation vers les profondeurs. Le jeune homme observa durant quelques secondes la zone de l'impact du corps plongeant, qui provoquèrent de jolies ondulations à la surface avant de remarquer les bulles remonter.

De longues minutes s'écoulèrent et le pirate remarqua que la demoiselle avait déjà dépassé son temps en apnée médiocre de la dernière fois. Mieux, elle le doubla, puis le tripla, et... alors qu'il commençait à doucement se méfier, quadrupla. Tant qu'il percevait de temps à autre les bulles revenir éclater à l'air libre, et surtout, tant qu'il entendait le bruit sourd du combat aquatique, il ne sourcilla pas. A entendre les ondes de choc lointaines et les mouvements d'air revenir à la surface, il supposa que la femelle avait rencontré ses amis des profondeurs et qu'elle se donnait à fond pour pouvoir esquiver la discussion, comme légèrement pressée de prendre son train, déjà suffisamment en retard comme cela. Mais comme ces vieux voisins relous qui tombaient toujours au pire moment, elle semblait traverser quelques difficultés pour se débarrasser d'eux tandis qu'ils prenaient un malin plaisir pour la retenir le plus possible.

Depuis maintenant plusieurs secondes, le calme avait regagné la surface depuis un moment, seul témoin de ce qu'il se passait là-dessous. Le plus étonnant fut cet instant où des bulles, cette fois-ci bien plus intense et nombreuse qu'une simple expiration des poumons, remuèrent l'eau telle une casserole bouillante destinée à recevoir des pâtes. Le liquide se réchauffait en un clin d'oeil, le bretteur remarqua même des filets de fumée s'évaporer de ce lac certainement chaud pour la première fois de sa vie. Il sentit l'espace sous son cul se réduire de plus en plus jusqu'à partiellement disparaître, l'obligeant à regagner le bord ferme d'un bon agile.

Au même instant, une furie des eaux vint jaillir à la surface comme un monstre marin dont l'intention ne laissait pas de place au doute. Elle était visiblement prête à le bouffer tout cru.

- Tout porte à croire que tu as trouvé ce que tu cherchais...

La provoqua-t-il de plus bel, persuadé que le coup du mannequin en bois avait eu son petit effet. Elle était rentrée furieuse dans ce bain glacé, elle en ressortait déchaînée comme une harpie. Sans plus tarder, elle engagea le combat, sous la légère surprise du bretteur. Il s'attendait à ce qu'elle le plaque contre le glacier du coin pour tenter de lui tirer les vers du nez mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle le frappe frontalement. Grossière erreur mais, il entra dans son jeu, amusé, en se protégeant, parant et esquivant ses premières agressions.

- Mh... Si c'est ce que tu veux...

Evidemment, il ne la savait pas prête pour égaler son niveau mais il saluait cette ambitieuse démarche motivée par la colère, alors il se promit, intérieurement, de ne pas y aller trop fort. Il se contenta de répliquer par quelques attaques de base, dégainant ses katanas pour la frapper aux endroits sensibles, sans exagérer dans l'excentricité de ses techniques, il fit simple. Il était temps d'évaluer où elle en était en terme de combat brut.
Il se rapprocha donc d'elle, pour du corps-à-corps et visa certaines zones clés de son corps pour la déstabiliser, après avoir déclenché un cyclone assez grand avec la rotation de ses 3 lames.

Bien que le sabreur ne déployait pas plus de 2/3 de sa puissance, ce qui était déjà pas mal, il ne put s'empêcher de savourer agréablement la persévérance de son élève. Il remarqua qu'une énergie plus forte que d'habitude l'entourait et renforçait aussi bien ses attaques que sa défense, tout comme lors de son entraînement improvisé avec Luxanna. Décidément, entre elle et Lux, il avait le don de faire ses sortir les demoiselles de leurs gonds au point de leur faire atteindre le surpassement de soi tant attendu. Il sentait bien que la belle tressée repoussait ses limites et manifestait un potentiel bien au-delà de ses moyens et... Bon sang ce qu'il aimait ça. Il en jouissait intérieurement.

Il se permit par ailleurs d'encaisser un ou deux coups de sa chaîne iconique pour en connaître les effets. Il se reçut la première sur le bras, cela risquait de lui causer un joli petit bleu mais la seconde augmenta légèrement en douleur puisque ce fut la trachée qui réceptionna. Un coup dans la glotte, aussi inoffensif soit-il, était l'une des choses les plus désagréables. Si elle n'arrivait pour le moment guère à lui faire couler ne serait-ce qu'une seule goutte de sang, elle réussit néanmoins l'exploit de lui extirper un toux. Il porta une main à sa gorge et esquiva les deux suivantes :

- Oi.. Doucement avec ça Hélène...

Répliqua-t-il avec un sourire en coin, évidemment non sérieux. Elle lui donnait juste une raison pour la harceler d'attaques, sans répit, bien qu'il retint ses coups. Il attendait de voir si la prochaine riposte valait le coup de lui démontrer ce dont il était réellement capable. A sa question de mère enragée, il crut percevoir une louve sanguinaire, prête à tout pour protéger ses petits, ce à quoi il répondit un simple :

- Va falloir faire mieux que ça pour le savoir...

Il prenait un malin plaisir à la provoquer, en sachant qu'elle était déjà probablement à fond et qu'elle avait déjà atteint le but qu'il lui demandait depuis le commencement de son combat. Elle se dépassait, et il n'était pas encore possible pour elle de dépasser son dépassement.
La réalité, c'était qu'il souhaitait simplement faire un peu durer parce qu'il s'amusait de sa rage et souhaitait l'alimenter pour qu'elle la tienne en endurance lors de son affrontement final contre Osha. Car c'était bien beau de décupler sa force sur une attaque, déchaînée, mais encore fallait-il tenir le marathon le plus loin possible dans cet état pour se rendre véritablement efficace et surprendre son adversaire.

Ruby resta sereine sur ses appuis, déterminée à ne pas bouger d'un iota quitte à finir en gaspacho au fond d'un précipice. Une volonté saluable. Il l'observa le dépasser et foncer vers la falaise derrière son dos. Pendant ce temps, il l'attendait, jetant parfois quelques furtifs coups d'œil à ses acrobaties loufoques. Un sourire en coin s'étira quand il la vit sauter comme un bouquetin des montagnes d'une roche à l'autre.

Que se passerait-il au sommet ? Comment s'occupait sa gamine ? Pourvu qu'elle ne se soit pas jetée dans le ravin. Allez savoir ce qu'il se passait dans la caboche des mioches parfois mais bien qu'elle ne semblait pas être le couteau le plus affuté du tiroir, il comptait sur son minimum de bon sens pour ne pas commettre une telle ineptie. Avait-il eu tort ? Il n'avait pas intérêt à se gourer car Ruby risquait de le poursuivre jusqu'aux enfers pour lui arracher les couilles et l'étouffer avec.

Rien que d'y penser, il en eut la boule au ventre. Il chassa cette pensée de son esprit et laissa voguer son esprit à plusieurs autres thématiques comme l'élaboration de nouvelles techniques, Luxanna et la jeunesse éternelle, son pacte avec Alastor, le retour de Saga et même le mariage de Rinkyu.

Puis, il décida de se lever afin de contourner la falaise jusqu'à parvenir au chemin facile pour accéder au sommet de la falaise. Il se doutait qu'avec sa fille, Ruby ne se permettrait pas de la mettre en danger en descendant de la façade abrupte. Par conséquent, il les attendrait de l'autre côté, afin de rentrer à la maison tous ensemble comme une vraie petite famille. C'était faux. Il ne connaissait juste pas le chemin pour retourner au bateau alors mieux valait ne pas prendre trop d'avance.

Il poireauta donc sur le sentier comme un campeur, tapotant du pied, les bras croisés, impatient de retrouver la chaleur du navire. Certes, il avait appris à supporter les températures les plus extrêmes mais il ne l'appréciait pas plus pour autant. Il se caillait les miches, surtout quand il ne bougeait pas, debout, à se manger le plein blizzard en pleine tronche. Alors quand il aperçut enfin deux silhouettes, dont une plus petite que l'autre, à travers la brume, il avança d'un pas ou deux vers elles afin de les rencontrer plus vite.

- Oi, vous avez pique-niqué là-haut ?

Questionna-t-il sans le moindre culot, après les épreuves qu'il venait de faire traverser à la mère de famille. Voilà que maintenant monsieur se plaignait alors qu'il s'agissait d'une de ses idées saugrenues. Il avait le don pour faire enrager gentiment son entourage par son comportement de goujat culotté.

Désormais, il était temps de rentrer au navire.