L'odeur des cendres (Feat Hécate)

La main d'Hécate s'approcha des feuilles grises à sa hauteur et les toucha, faisant tomber une partie des cendres la recouvrant. Son regard suivit la chute de ces volutes grises jusqu'à leur arrivée sur le sol. Comment une forêt pouvait survivre avec l'omniprésence de ces cendres? Dire qu'on disait les Enfers inhospitaliers... mais au moins ces derniers étaient prévus pour des âmes n'ayant aucun besoin matériel, ici on parlait de lieu de vie d'êtres vivants... Enfin, encore fallait-il oser vivre dans un endroit pareil et même la faune semblait l'avoir compris puisque la déesse n'entendait aucun oiseau ni insecte et n'avait vu aucun mammifère non plus. Les autres voyageurs qu'elle avait croisé étaient toutefois formels, il fallait traverser cette forêt pour atteindre le désert puis la capitale.
Epoussetant les cendres sur son armure, la divinité reprit donc son chemin. Pour le moment, aucune autre âme n'avait croisé son chemin et cela l'arrangeait. Si Hécate était parvenue à retrouver son armure, elle sentait bien que l'énergie de celle-ci n'était plus ce qu'elle était. Ajoutons à cela sa propre faiblesse... en toute honnêteté la déesse n'en menait pas large. C'est pourquoi elle s'était permise de faire acheter une arme par Rhadamanthys lorsqu'ils voyageaient ensemble. Il s'agissait d'une longue dague, effilée avec plusieurs gravures dorées. Cela aurait été mentir que dire que l'apparence de l'arme n'avait joué aucun rôle dans le choix... Mais après tout, une femme de son rang n'allait pas voyager avec une arme de mauvaise qualité... quand bien même sa maîtrise était perfectible...et  quand bien même cela risquait aussi d'attirer les voleurs, encore.
Hécate était toutefois confiante, en dehors du vol de son armure, rien de vraiment fâcheux ne lui était arrivé et l'argent laissé par le Juge lui avait permis de voyager de manière correcte, sans devoir quémander à chaque trajet voire repas. Ce n'était que temporaire bien sûr, mais de toute manière elle ne comptait pas rendre son séjour ici permanent.

*Si seulement mes appels étaient entendus... Rhadamanthys et moi ne pouvons pas être les seuls grecs présents ici...*

Malheureusement, peu importe le nombre de fois à laquelle elle pensait aux conditions l'ayant menée ici, aucune solution ne venait. Il ne restait qu'à espérer croiser un autre chevalier ou spectre et découvrir comment ils étaient arrivés ici. Il était inconcevable pour la divinité grecque d'imaginer que le stratagème l'ayant amenée ici soit introuvable ou immuable alors que les dieux l'ayant créé étaient morts. Soit on est puissant, soit on ne l'est pas, ce n'était pas compliqué.

Ses réflexions furent coupées par une scène macabre à quelques mètres. Même sans être juste à côté des corps, la corde dans les branches et le rouge du sang qui tranchait avec le gris des cendres donnait une idée assez exacte de ce qui s'était passé ici. Après s'être approchée, ses hypothèses se confirmèrent. Un pendu, deux hommes tués de manière quelque peu... malsaine. Habituée aux guerres, Hécate avait de nombreux souvenirs de ce que pouvait devenir un corps après des attaques de cosmos, ou même simplement des attaques physiques.
Intriguée, son regard observait les corps encore tièdes, signe que cela était encore récent, se demandant qui ou quoi avait pu causer ce type de blessures fatales. Perdues dans ses pensées, elle n'entendit que trop tard les pas se rapprochant. Alors qu'elle se retournait en apercevant une ombre dans son dos, elle ne put voir et sentir qu'une masse noire la frapper au visage. Sonnée mais pas encore totalement inconsciente, la déesse les maudit tous et tenta de se défendre, portant la main à son arme. Ses assaillants -car elle percevait plusieurs voix- furent plus rapides et la lui enlevèrent. Constatant ensuite que leur prisonnière n'était pas totalement coopérative, ils lui assénèrent un second coup qui, cette fois, la rendit inerte pour de bon.

Hécate reprit peu à peu conscience en entendant des voix et aussi à cause de la position extrêmement inconfortable dans laquelle elle se trouvait. De ce qu'elle devinait, un de ses assaillants la portait sur son épaule avec ses mains ayant été attachées dans son dos. En redressant la tête, elle remarqua que les autres transportaient deux masses enveloppées dans leur manteau, très certainement les corps sur la route vu l'odeur qui s'en dégageait.

- Aaaah elle est réveillée...
- La chef et les anciens décideront de son sort, on est bientôt arrivés.

La deuxième voix provenait de celui qui la portait et son ton cassant rendit muet les autres pour les quelques minutes précédant leur arrivée dans ce qui semblait être un village. Les structures étaient simples, presque primitives et rappelaient à Hécate les quelques villages les plus pauvres qu'elle avait traversés en Grèce.

- On les a retrouvés, reprit la voix cassante, cette étrangère était penchée au dessus d'eux.

Sur ces mots, il la fit tomber au sol sans ménagement, lui permettant enfin de reprendre son souffle correctement et de mieux voir l'assemblée autour d'elle et des deux cadavres déposés avec précaution. Une femme s'approcha alors et se mit face à la déesse avant d'ordonner qu'on la détache, lui permettant ainsi de se relever.

- Dans le clan Malka, le châtiment pour avoir tué les nôtres est la mort par pendaison. Vous avez été épargnée car les femmes ont droit à un sursis si elles portent la vie. Vous prétendrez sûrement que c'est le cas pour avoir la vie sauve mais nous allons vérifier cela. Si vous n'êtes pas enceinte, alors vous serez pendue à l'aube, à moins que vous puissiez prouver votre innocence.

La chef parlait calmement mais avec fermeté. Hécate eut, malgré elle, une longue seconde de silence le temps de digérer ce qui venait d'être dit. Elle, enceinte? S'imaginer avec un enfant lui semblait plus incongru que le fait d'être accusée à tort de cette boucherie. Elle retrouva toutefois rapidement sa contenance et fit face à la chef, guère intimidée par tous les guerriers les entourant.

- ... Est-ce que vous accusez d'emblée tous les étrangers que vous voyez? J'étais bien à côté des corps quand vos guerriers m'ont "trouvée", mais je ne les ai pas tués. Regardez-les.

Elle s'approcha des deux cadavres et écartant les pans des manteaux qui dissimulaient les blessures.

- Regardez-les et regardez moi, croyez-vous vraiment que j'ai la force d'infliger de telles blessures? Si j'avais eu la force pour écraser un crâne, vos hommes ne m'auraient pas eu aussi facilement et ne s'en seraient certainement pas sortis indemnes.
- Vous étiez armée..., maintint un des dits guerriers qui tendit la dague à sa chef.
- Une arme pour une voyageuse seule, c'est vrai que c'est surprenant... Bien sûr que je suis armée, je ne compte pas laisser des voleurs m'attaquer ni laisser des bandits me violer ou que sais-je... Mais ces deux corps là... Ils n'ont pas été volés, puisqu'ils ont encore leurs sacoches, et ils ne se sont pas défendus non plus car leurs armes sont toujours dans leur fourreau. Soit ils connaissaient leur ou leurs agresseur(s), soit ça a été tellement rapide qu'ils n'ont pas eu le temps de s'en saisir. Dans les deux cas, je n'aurais pas pu le faire.

La chef écoutait attentivement et s'efforçait de ne rien laisser paraître, bien qu'Hécate percevait quelques changements lui indiquant que son raisonnement parvenait à la toucher. Le jugement n'était pas terminé malheureusement et, pour une déesse plus habituée à juger les autres qu'à être jugée, cela commençait à devenir sérieusement agaçant. N'avaient-ils donc pas un minimum le sens de l'observation? Vu le corps du pendu, les combats, meurtres et autres joyeusetés n'avaient pas l'air d'être du domaine de l'inconnu pour eux.

- Pourquoi vous être penchée au dessus d'eux? Pour quelqu'un de votre âge, ça n'a pas l'air de beaucoup vous émouvoir. Comptiez-vous les voler? Vous ont-ils agressés les premiers? Le jugement peut être revu si vous agissiez en légitime défense.

La voix de la déesse se fit alors bien plus sèche, presqu'agressive.

- Je ne m'abaisserai jamais à voler aux morts! Est-ce là tout l'honneur que vous accordez à autrui? Je n'ai rien à voir avec la mort de vos hommes.

Son interlocutrice ne répondit pas, et personne d'autre ne se permit de le faire bien que des regards s'échangeaient et qu'une agitation était perceptible. On observait les corps, puis Hécate, puis les corps à nouveau... jusqu'à ce que des murmures commencent à s'élever. La chef balaya alors l'assemblée des yeux et, semblant repérer quelqu'un, s'approcha d'un homme que la déesse n'avait pas remarqué jusqu'à présent. Son physique était pourtant assez atypique pour repérer aisément qu'il n'était pas natif de la tribu. Ce fut donc à lui que s'adressèrent les questions suivantes.

- Vous êtes arrivé peu de temps avant, avez-vous remarqué quoique ce soit?

La déesse observa cet inconnu, se faisant la réflexion qu'avec un tel physique, il aurait pu aisément être coupable des deux meurtres. La chef avait sans doute eu la même réflexion mais la diplomatie semblait, cette fois-ci, sa ligne de conduite.

On dit que les apparences peuvent être trompeuses... et cela n'était pas le cas ici. La réponse claire et concise de l'inconnu correspondait en tout point au physique de ce dernier et au stéréotype que la déesse avait fini par réaliser en commandant les spectres: pourquoi s'embarrasser de subtilité et de discrétion quand on pouvait provoquer l'ensemble de ses adversaires? Hécate n'en fut donc pas si surprise et à vrai dire, cela la dérangeait plus qu'autre chose car un tel comportement ne pouvait que mal finir, et la déesse savait qu'elle serait au milieu si ça dégénérait. Les mêlées ne la dérangeaient pourtant pas mais cette fichue faiblesse sans pouvoir était d'un handicap innommable. Il était d'ailleurs difficile de trancher sur ce qui l'agaçait le plus: se retrouver dépourvue de puissance ou devoir faire preuve de lâcheté pour s'en sortir?
C'est en cherchant à retrouver le porteur de sa dague qu'on l'interpella en lui offrant le pouvoir décisionnel. Oh, voilà qui était intéressant bien que, pour les raisons évoquées ci-dessus, elle aurait aimé être simplement laissée.

- Rachetez-vous en me laissant repartir. Cet homme ne m'a rien fait alors je refuse d'avoir une influence sur sa mort... ou vie.

Malgré la supériorité numérique du clan, vu la force ayant broyée les deux pauvres corps, l'inconnu allait leur donner du fil à retordre, voire parviendrait à s'en sortir. La déesse comptait profiter de ce règlement de compte pour reprendre sa route mais s'il survivait, hors de question d'être une cible potentielle. Il lui était impossible d'ailleurs de savoir d'où il venait mais, maintenant qu'elle avait pris son temps de l'observer, sa tenue était on ne peut plus exotique au milieu de ce decorum et, si l'armure d'Hécate était capable de repousser des attaques divines, qui sait ce que pouvaient avoir les autres "élus". Rhadamanthys avait utilisé ce terme lors de leur rencontre même si elle avait encore du mal à l'adopter totalement, mais ici cela semblait approprié vu la différence flagrante de tenue et d'apparence.
En revanche, là où la déesse voyait une ressemblance était dans l'attitude de cet homme et de certains spectres ou chevaliers. Malgré son immobilité, il était loin d'être passif et observait rapidement les alentours. Après avoir passé des siècles à combattre et diriger des êtres capables de filer à la vitesse de la lumière, remarquer ce genre de détails était devenu une habitude. Toutefois, ce n'est pas pour autant qu'elle en fit part, plutôt satisfaite d'avoir visé juste en supposant que ça allait mal tourner. Un homme encerclé face à une foule mal armée, confiante dans le seul fait d'être en supériorité numérique... l'équation parfaite pour obtenir une défaite. S'il s'était dénoncé d'emblée, c'est qu'il devait avoir assez d'assurance -assaisonnée d'une "pointe" de prétention- pour croire pouvoir les défaire.

- Choisissez, comment m'auriez vous exécuté ?

Le regard d'Hécate soutint celui de l'inconnu, s'interrogeant sur les raisons de cette question. Cherchait-il à déterminer si elle était réellement une ennemie? Voulait-il juger sa force et/ou sa dangerosité par rapport aux autres? Au final, les réponses n'étaient pas indispensables et la divinité fut donc honnête, peu importe si cela ne faisait aucun sens pour lui.

- Si vous m'aviez offensée, je vous aurais contraint à vous planter une lame dans le coeur en faisant en sorte que vous restiez conscient, ou j'aurais utilisé une illusion pour vous pousser au suicide sans que vous vous en rendiez compte.

En réalité, les manières de tuer ne manquaient pas pour elle, d'ordinaire, et cela ne lui causait aucun état d'âme non plus. Seulement, comme il l'avait déjà entendu de toute manière, il savait que ses intentions n'étaient pas de le tuer, mais encore fallait-il qu'il la croie et ne soit pas juste en quête de sang, qu'il soit rouge ou bleu...
Avant l'odeur du sang, ce fut les cendres qui emplirent l'air. Le meurtrier avait commencé ses attaques, provoquant un mouvement instinctif de recul pour les personnes en dehors du cercle des guerriers qui l'entouraient. Tout s'enchaîna ensuite. Les bruits de combat, l'odeur de sang de plus en plus présente, les cris, le silence, les ordres qui vinrent le rompre, les flèches faisant siffler l'air, le bruit sourd lorsque l'une d'entre elle transperça la chair...
C'est intriguée que la déesse regardait cette scène, comme si elle n'en faisait pas partie. Elle avait même envie de circuler autour pour l'admirer sous plusieurs angles car, à ce jour, seuls les êtres capables de maîtriser le cosmos pouvaient, éventuellement, survivre à des blessures mortelles pour tout autre être humain... et lui. C'était intéressant et potentiellement dangereux pour elle. La seule ombre à ce tableau était la prétention dont il semblait faire preuve. Avoir abattu des hommes juste car ils n'avaient pas répondu à ses questions? Cela était assez extrême à moins que... bon d'accord, Hécate aurait probablement infligé un sort presque identique à ses hommes s'ils avaient osé lui répondre avec désinvolture ou irrespect...
Un peu comme ce qu'elle comptait désormais faire subir à la cheffe tribale venant de lui mettre une lame sous la gorge.

Un grognement de mécontentement échappa aux lèvres de la déesse en sentant le métal contre sa peau et cette voix trop proche de son oreille. Par tous les Olympiens, était-il vraiment nécessaire d'être dans ce genre de situation humiliante? Loin d'être effrayée, la 'prisonnière' était agacée et n'allait pas tarder à aider indirectement le meurtrier en s'occupant de cette cheffe qui décidément n'avait pas les qualités requises pour diriger qui que ce soit si elle paniquait face à un guerrier coriace.
Le dit guerrier semblait réellement ne pas se préoccuper d'Hécate et cela l'arrangeait... jusqu'à ce qu'il mentionne Rhadamanthys. Cette mention la fit se redresser bien que la lame sur sa gorge la ramena contre la cheffe qui n'allait plus être patiente très longtemps. La déesse comptait répondre, même si le "vermine" employé n'était pas à son goût, mais surtout, il était temps de stopper ce crime de lèse-divinité.
Ignorant la dernière réflexion du meurtrier, Hécate se saisit de la lame qui la menaçait d'une main et enfonça son coude en armure dans les côtes de la cheffe. Du fer l'aurait déjà protégée sans trop de dommages mais le métal de son armure s'en sortait sans même une marque. L'autochtone tenta de se défendre, assénant un coup au niveau de l'abdomen de la déesse qui réagit seulement en se saisissant de son arme pour la lui arracher, la frapper à la tempe et finir par lui enfoncer sa propre lame au travers de la gorge, l'achevant sans attendre en lui ouvrant le cou pour être sûre de prévenir toute survie improbable.

Voir leur supérieure mourir immobilisa les guerriers autour des deux étrangers, permettant à Hécate de récupérer son arme gentiment poussée vers elle par le meurtrier puis répondre à ce dernier.

- J'ignore qui est ce "Saga" mais je connais Rhadamanthys, il m'a servi pendant plusieurs guerres et laissez-moi deviner, il a cherché à vous combattre, c'est ça?

Connaissant le caractère de son Juge, cela ne l'étonnerait pas le moins du monde. Ne l'avait-il pas agressée avant de s'enquérir de son identité? Frapper puis réfléchir... Ce n'était pas forcément un comportement inapproprié d'après ses critères, mais force est de constater qu'ici, il faudrait s'en abstenir. Enfin... tant qu'il revenait toujours pour la servir, libre à lui de provoquer qui il voulait.
Un mouvement venant des guerriers détournant son attention, ayant juste le temps de voir la pointe d'une lance chercher à percer son armure en visant son coeur. Malheureusement pour lui cette pointe de pierre n'aurait jamais rien pu passer et ne réussit qu'à faire reculer la jeune femme. Sa réaction ne se fit pas attendre. Saisissant la lance de sa main libre, elle tira l'attaquant à elle et plongea sa dague dans sa poitrine avant de le laisser s'écrouler. Hécate s'adressa alors à ces autochtones.

- Aucun d'entre vous ne survivra si vous persistez à combattre. Attaquez moi encore...

La déesse se décala de quelques pas pour aller saisir une torche non loin.

- ... et je mets le feu à vos réserves... Je suis certaine que les autres tribus se feront un plaisir de tous vous achever, si on ne s'en occupe pas avant.

Autrefois, la demoiselle ne connaissait pas grand chose du monde paysan de son époque mais après ses voyages, il en était heureusement différemment. Désormais, elle pouvait reconnaître les entrepôts de nourriture et, vu l'hostilité de la nature aux alentours, chaque grain était vital. La vision de la torche beaucoup trop près du toit inflammable de leurs stocks tint à bonne distance les guerriers dont les regards passaient de l'inconnu à elle. A vrai dire, Hécate ne comptait pas massacrer toute une tribu alors que celle l'ayant menacée était déjà morte, mais peut-être en irait-il autrement pour le meurtrier qu'elle utilisait donc pour avoir la paix. Toutefois... même en partant maintenant, ces imbéciles risquaient de la suivre pour lui tendre une embuscade dans ces bois qu'ils connaissaient mieux qu'elle... La jeune femme s'adressa alors à l'inconnu.

- Je vais reprendre ma route, vous pouvez m'accompagner si vous le désirez... ou je peux aussi jeter un oeil à votre cou, il commence à prendre un aspect inquiétant...

La nuit n'allait pas tarder à tomber mais Hécate ne s'en préoccupait pas, ayant toujours été nyctalope, elle s'arrêtait la nuit qu'en cas d'extrême fatigue ou pour mieux passer inaperçue au milieu des mortels.
Seulement au milieu de cette proposition généreuse -n'avait-elle pas été capturée par sa faute après tout?-, les autochtones avaient repris leurs esprits et étaient de toute évidence décidés à ne pas laisser passer tout ce massacre. Les derniers guerriers les attaquèrent, ruinant toute possibilité de survie pour eux. Respectueuse de sa promesse, la déesse lança la torche sur le toit de leurs réserves et attaqua en priorité ceux qui tentaient d'empêcher l'incendie. Si on la regardait combattre, on pouvait constater que ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait dans cette situation, mais un oeil expérimenté verrait que ses techniques étaient perfectibles, et pour cause puisqu'elle n'avait jamais vraiment eu besoin de se défendre "à l'humaine". Heureusement, les guerriers étaient désorganisés entre les deux étrangers et le début d'incendie de leurs stocks qui pouvaient s'étendre aux autres huttes. Aidée en plus par la résistance de son armure, Hécate s'en sortit au final avec une dague recouverte de sang rouge et une coupure à la joue. Le lendemain verrait aussi apparaître quelques hématomes sur son corps mais cela n'avait pas d'importance.

- Malakès... comment faire disparaître une tribu bêtement, lâcha-t-elle sans destinataire précis.

Fuyu, ancien roi au nom étrange... ce genre d'informations avait le don de la perdre assez rapidement, étant très loin de (vouloir) maîtriser l'histoire et la politique de ce monde. Hécate prêta toutefois attention aux dires concernant Rhadamanthys et l'autre chevalier. Le dit Saga correspondait donc au chevalier d'Athéna maîtrisant les dimensions dont son Juge avait parlé... Un chevalier des Gémeaux, sans doute celui que la déesse avait rencontré le plus souvent au cours des guerres. Elle aviserait sur son cas si elle le croisait un jour car pour le moment, ce que la jeune femme notait avant tout, c'était la délation facile dont faisait preuve le meurtrier à côté d'elle. Prenait-il plaisir de lui révéler tout cela? Il devait sans aucun doute jouer sur le fait de sa présentation en tant que supérieure du spectre, profitant en plus d'avancer sa victoire face à lui... S'il savait... Les Spectres étaient vaincus, mourraient et revenaient pour attaquer encore. Pourquoi serait-elle émue de savoir que son général n'avait pas remporté leur combat? Honnêtement, certes, cela aurait été bien plus agréable à entendre si la Wyverne l'avait battu mais une petite défaite n'allait pas destabiliser la déesse.

- Sa loyauté est ma préoccupation seule. Il m'a avoué en avoir servi d'autres et a déjà été condamné pour ça.

Trève de bavardages, les autochtones ne leur en laissèrent plus le temps de toute manière. Le duo malgré lui parvint tant et si bien à décimer les guerriers.. qu'il n'en restait plus un pour leur tenir tête. Pendant quelques moments, seuls les craquements du bois en train de se consumer brisèrent le silence ambiant... juste quelques millisecondes avant que d'autres silhouettes sortent des huttes en flamme.
Merde.
Des civils. C'était toujours au traitement envers les civils qu'on jugeait ses hommes. Hécate avait eu le pire et le pire du pire. Demander aux spectres de faire dans la finesse revenait à demander à un maëlstrom de ne pas agiter l'océan. La déesse put alors constater, à la fois curieuse et inquiète, que le meurtrier faisait malheureusement partie de cette catégorie lui aussi. Alors qu'il balança la bouteille sur le petit groupe, Hécate soupira, peu inquiète du géant dans son dos mais conscience que chercher à l'arrêter... ne donnerait aucun résultat. Le mépris qu'elle avait envers ce genre de tueurs froids frôlait celui qu'elle vouait aux imbéciles fonçant dans le tas sans réfléchir en hurlant être meilleurs que tout le monde pour finir vaincu dès la première attaque. Toutefois, il aurait été mensonger de dire qu'elle ne l'avait pas vu venir. Dire qu'on qualifiait les dieux infernaux comme des "divinités belliqueuses n'aspirant qu'à la totale destruction de la Terre"... Si la déesse était plus nuancée que ses pairs, elle approuvait cependant complètement l'annihilation pure et simple pour ce genre d'individus.

La dague à nouveau dans sa ceinture, la jeune femme suivit l'inconnu désormais nommé "Zayro Jinn", laissant derrière eux le village en proie aux flammes.

- Je m'appelle Hécate.

Elle n'ajouta aucune autre information. Il faut dire qu'elle ne se présentait jamais d'emblée comme déesse, encore moins avec tous ses domaines, encore moins ici. Il ne manquerait plus qu'il l'abatte juste pour sa gloire personnelle et le plaisir d'annoncer avoir abattu un dieu. Combien de temps pouvait-elle rester à ses côtés? Toute la nuit et le lendemain? Juste la nuit? Juste une partie de la nuit jusqu'à pouvoir partir seule en profitant de voir dans l'obscurité? Avoir une épée de Damoclès au dessus d'elle n'était pas dans ses habitudes et la sensation était très désagréable. Ou alors ils pourraient juste marcher en silence, il avait l'air d'être du genre à simplement parler pour rappeler sa supériorité ou poser des questions, cela ne devrait pas être trop compliqué à suivre.
C'est au milieu de ces pensées que la providence voulut lui apporter son aide. Alors qu'elle dépassait Zayro en secouant ses cheveux pour en débarrasser les cendres s'y était déposées -quel intérêt d'ailleurs vu sa couleur de cheveux-, un bruit sourd l'amena à se retourner. Son regard rencontra alors le meurtrier à terre, visiblement en piteux état et qui la fixait.

- Retirez le poison... Ou je vous tue.
- .... Oh, rien que ça?

Hécate ne bougeait pas, continuant à observer le karma faire son oeuvre. Elle avait bien dit que cette plaie avait un mauvais aspect, la pensait-il donc capable de le soigner? Malheureusement pour lui, bien qu'elle ait des connaissances en botaniques, la faune et flore de ce monde lui était inconnues et préparer un remède serait donc impossible.
Elle s'approcha enfin, calmement en l'observant sombrer dans l'inconscience...

- Même face à la mort, vous prenez le temps de menacer la seule personne capable de vous aider? Si nous devons avoir un point commun, c'est que je peux aussi tuer pour un simple mot de travers...

La différence, c'est qu'elle était biologiquement supérieure aux mortels. Elle ignorait toutefois s'il pouvait l'entendre mais qu'importe. En une pulsion morbide, la déesse mit un genou à terre à côté de l'inconscient, observant les veines noires et écoutant sa respiration. Devait-elle le laisser mourir? Devait-elle l'achever? Devait-elle l'aider? Si elle le sauvait, pouvait-elle compter sur une éventuelle dette? Il avait vaincu Rhadamanthys après tout, aussi obtenir son aide ne serait pas négligeable... S'il restait dans les clous...
"Si", "si", "si"... tant d'incertitudes qui empêchaient la jeune femme de se décider. Elle préféra donc laisser cette décision au hasard et sortit un yen de sa bourse. Pile: elle l'aidait, face: elle partait. Sa main lança la pièce, la pièce retomba, la main la rattrapa, s'ouvrit...

Pile.

Bon... après tout, l'aider ne voulait pas dire qu'elle parviendrait à le sauver... Maintenant il fallait juste trouver comment retirer le poison. Coller ses lèvres à la plaie pour l'aspirer? AH! Jamais. Ses lèvres n'avaient embrassé que du divin, hors de question de les mettre en contact avec une chair aussi... abjecte et teinte du sang des innocents du village.
Non, il fallait trouver un autre moyen pour que le poison s'écoule hors de ces veines, et la déesse avait l'outil parfait pour cela. Sa main se saisit de sa dague sans attendre et, après avoir dégagé le cou du vêtement le recouvrant encore, mit la pointe contre la peau meurtrie de son acolyte non désiré. La pointe s'enfonça alors et coupa un peu la chair qui libéra le liquide rouge empoisonné, mais ce n'était pas suffisant. Hécate fit donc glisser la lame, allongeant la plaie, la rendant plus profonde aussi alors qu'elle appuyait sur son arme pour faire disparaître le métal sous le sang de plus en plus abondant, se déversant sur les vêtements du meurtrier mais aussi sur le sol de cette forêt sans vie.
La déesse regardait son oeuvre et s'exécutait dans le plus grand calme. Pas de tremblements, pas de tressaillements sur son visage, juste ses yeux repérer la prochaine veine à ouvrir et sa main pour obéir jusqu'à l'arrêt, jugeant qu'assez de sang avait été perdu. S'il avait pu prendre une flèche dans la gorge sans tressaillir, quelques ouvertures faites à la dague ne devraient pas être trop dramatiques et s'il avait tout ressenti... peu importe, ça ne l'émouvait pas une seconde.

Regardant une dernière fois son oeuvre, la demoiselle se leva et retourna vers le village pour arracher quelques bouts de tissus relativement propres au milieu des flammes et du massacre. Elle dénicha même une outre d'eau encore fermée qu'elle ramena auprès du convalescent avec le tissu. A nouveau à ses côtés, Hécate remit un genou à terre et ouvrit l'outre.

- Juste pour l'ironie, j'ai vraiment hésité à cautériser la plaie avec l'alcool et les flammes du village... Je devrais sans doute le faire...

A la place, c'est l'eau qui nettoya les plaies avant d'entourer le cou avec les ban...

- Faites-le vous même.

Elle laissa les bandes en plan et se releva. Qu'on ne dise pas que les Enfers n'avaient même pas une once d'altruisme.

Alors que la déesse se retrouvait au dessus du sol, la gorge écrasée contre un arbre par cette brute, elle regretta de ne pas l'avoir laissé mourir de son poison, ou de ne pas l'avoir achevé... Tout ça car il la jugeait dangereuse de l'avoir aidé... Donc si elle ne l'aidait pas, il la tuait, et si elle l'aidait... il la tuait car c'était louche? Comment voulez-vous raisonner avec un homme pareil?
Hécate s'était saisi de sa dague par réflexe bien que cette dernière ne ferait pas grand chose avec un tel pouvoir de régénération. A vrai dire elle préférait largement être désignée "dangereuse" que simplement "utile". Le pire, c'est qu'à son intonation et à la vue de son comportement général, le "vous avez été utile" précédent devait très probablement être ce qui se rapprochait le plus d'un compliment pour lui. Et maintenant qu'elle avait fait ce qu'il avait demandé (ou plutôt "exigé"), il allait s'en débarrasser? L'air affluant à nouveau dans ses poumons lui donna la réponse. La déesse toussa quelque fois et se massa la gorge, détestant cette sensation. Intérieurement, elle se promit de lui faire payer cet affront, un jour, bien qu'elle ne le lui dirait jamais à voix haute.

- Ce que je veux... que vous vous absteniez de me toucher pour commencer...

Y avait-il plus rageant que d'être incapable de châtier une offense envers sa personne? Où était la Hécate capable de rendre fou ses ennemis, de les persuader de se planter une lame dans la gorge ou simplement les balancer dans l'hyperdimension? Et elle ne pensait pas non plus aux spectres dont elle pouvait arracher les âmes pour les renvoyer dans leur prison originelle... Non, au lieu de tout ça, une brute manquait de l'étrangler contre un arbre après avoir brûlé des innocents les laissant partir. Quel monde de m... Les dieux de ce monde avaient-ils vraiment besoin de telles âmes?
La mâchoire serrée, la déesse suivit donc le colosse, marchant à son niveau, ni l'un ni l'autre ne prenant la peine de prendre une source de lumière. S'il pouvait aussi voir la nuit, tant mieux même si cela risquait d'être un inconvénient en cas de fuite.
Fuir... elle s'en voudrait encore un long moment de devoir considérer cette option...

- Oh je n'avais pas remarqué tiens... Je ne voudrais pas de vous comme subordonné de toute manière... Quel enfer ça serait, on vous repérerait à des kilomètres. Au mieux, vous feriez une excellente diversion, et même un excellent massacre mais tous les combats ne se gagnent pas ainsi.

Rhadamanthys avait ses qualités et ses défauts mais au moins, il savait quel respect accorder à ses dieux et ne craignait pas d'attaquer les autres, condition nécessaire pour faire partie du massacre éternel entre cette vaste famille déchirée qu'était le panthéon grec. Elle était toutefois quasi certaine que son interlocuteur ne voyait les combats que comme trois simples étapes: il arrivait, il ouvrait en deux tout ce qui était sur son chemin, il gagnait. Cela fonctionnait parfois, mais pas aux yeux de la commandante infernale. Enfin... inutile de tergiverser sur le sujet, au vu des méthodes de ce Jinn, il y avait fort à parier qu'ils ne s'accordent jamais sur la manière de combattre.
Jetant un coup d'oeil entre les cimes des arbres pour tenter de distinguer la lune, la jeune femme se demanda sérieusement si le mépris était une caractéristique innée dans le monde de son interlocuteur, ou s'il n'était pas lié à Arès d'une manière ou d'une autre. Pourtant, Hécate connaissait bien sa famille, avait vécu littéralement des siècles auprès d'eux à les entendre mépriser les mortels mais lui, cet homme-là, parvenait quand même à la surprendre. Cela ne la vexait pas pour autant, ayant eu sa part de mépris venant de Thanatos en son temps, mais sa voix faisait tout de même ressortir toute l'amabilité qu'elle ressentait envers son accompagnateur.

- Non je n'ai aucun objectif exact pour le moment, si ce n'est rejoindre Feng. Je sais toutefois qu'il y a au moins des voleurs, des tribus agressives et des brutes solitaires qui parcourent ces routes, et vous vous demandez pourquoi je vous ai aidé?

Elle se retourna partiellement et montra de la main le chemin derrière eux alors qu'ils s'éloignaient du village ravagé.

- L'incendie finira par attirer les autres tribus qui s'apercevront bien que ce massacre n'est pas de leur fait. J'aurais pu vous laisser là-bas, soit pour mourir du poison soit pour vous faire achever par leurs guerriers mais je doute qu'ils croient que vous les aviez tous tués à vous seul, ce qui est le cas ici, et ils seraient donc partis à la recherche de vos éventuels complices pour s'assurer de ne pas être les prochains. Or, je ne suis pas en état de tenir tête à un trop grand nombre d'adversaires en même temps. Et ça n'a pas l'air de vous déranger plus que ça d'exécuter quelqu'un juste pour être en travers de votre chemin. De plus, même si les autres tribus peuvent se réjouir de la disparition de leurs rivaux, nous ignorons s'il s'agissait du seul village de cette tribu ou non, ou ils pourraient aussi avoir des avant-postes dont d'autres guerriers pourraient revenir à l'aube ou en voyant l'incendie, bref... Vous êtes utile.

Voilà, ainsi le "compliment" était retourné. Pouvait-elle pousser et exiger une dette? Qu'elle le puisse ou non, elle allait le faire de toute manière.

- Et puis qui sait? J'aurais peut-être besoin de vous un jour, Rhadamanthys ne peut malheureusement pas être partout.

Franchement? Hécate doutait que ça arrive. Oh elle irait très certainement le voir pour exiger qu'il paye sa dette mais aurait-il juste l'honneur de le faire? De son expérience, ce genre d'individus se sentaient rarement redevables, ce n'était pas toujours le cas, mais fréquent. De son point de vue, ils se demandaient certainement pourquoi ils iraient aider quelqu'un n'ayant de toute manière aucun moyen de pression sur eux. Qu'il soit rassuré toutefois, la déesse comptait bien utiliser son Juge autant que possible avant de devoir faire appel à ce genre d'individus, mais malheureusement il lui était impossible de prédire l'avenir.

- Assez parlé de moi, qu'est-ce que vous espérez redécouvrir à Kaên?

- Je suis donc dangereuse parce que je vous aide mais pas assez pour voyager seule?

Cette logique lui échappait quelque peu, à moins que ça ne soit qu'une provocation pour rappeler qu'elle était faible... Elle aurait pu lui répondre que Rhadamanthys était en mission, ou encore que personne ne l'aurait dérangé dans son voyage s'il n'avait pas tué des autochtones pour "ne pas avoir été assez polis", mais elle s'abstint. Les remarques précédentes de sa part n'avaient pas non plus mérité de commentaires car... à quoi bon? "Oubliez le respect envers vous mais envers moi prenez garde à ne pas omettre les formes" semblait être le sous-entendu, en à peine exagéré. En d'autres circonstances, elle aurait même pu tenter de le taquiner en lui demandant s'il était si inquiet pour elle. Seulement, du peu qu'elle voyait ça n'avait pas l'air d'être son genre de rebondir sur ça.
Puis vint sa réponse à sa remarque sur la dette. Eh bien, en voilà une surprise, peut-être s'était-elle trompée à son sujet au final. C'est donc avec attention que la déesse l'observa faire appel à ses capacités, ou du moins essayer. C'était bon à savoir tout de même. Il avait sans aucun doute des pouvoirs, comme elle, mais ne parvenait pas à les utiliser... Et Rhadamanthys n'était pas parvenu à le vaincre? Il faudrait peut-être revoir les capacités de son spectre en effet. La jeune femme prêta ensuite attention à ses explications sur ce sceau qu'il pouvait mettre... Cela était... hors de question. Sur sa peau? Jamais. Hécate avait déjà reproché au Juge de s'être laissé marquer par les dieux de ce monde et elle ferait la même chose volontairement? Non... elle mettrait tout en oeuvre pour préserver son corps d'un contrôle tiers.

- Si ce sceau ne peut être fait que sur ma peau, alors je préfère renoncer. Par contre, s'il est possible de le lier à un de mes objets, faites-le sur ma dague. Il faut toutefois m'expliquer comment cela fonctionne, même si vous pensez que je n'y comprendrais rien.

Différents mondes signifiaient différentes lois, différentes forces, ... Toutefois, ces forces pouvaient être similaires à celles qu'elle connaissait. Etait-ce un sceau permettant d'entrer en contact avec une personne grâce à une formule spécifique? Saurait-il où elle se trouvait à chaque instant? Est-ce que ça s'activerait en cas de dangers? Dire qu'il y a peu de temps encore, Hécate était capable de localiser n'importe quelle âme vivante du moment qu'elle avait un élément lui appartenant... Ce pouvoir avait disparu, lui aussi... Dans l'immédiat, elle lui passerait sa dague si la marque possible.

Reprenant la route, Zayro répondit à la question lui étant adressée. Il était donc quand même disposé à donner quelques informations, ce qui arrangeait la divinité. Pas qu'elle cherchait absolument à en savoir le plus sur lui spécifiquement mais, en tant qu'élu présent depuis plus d'un millénaire, ses connaissances pourraient lui permettre de mieux appréhender ce monde et en apprendre au maximum à propos des dieux. Seulement, tout ce qui était assez bon à retenir était qu'il s'était retrouvé à nouveau sans pouvoir bien que, à l'observer, il devait encore les ressentir. Cette sensation, Hécate avait la même. Tout ses pouvoirs dormants, mais toujours en elle, comme s'il suffisait de simplement le vouloir assez pour les déchaîner... Le coup était d'autant plus dur qu'elle les avait depuis sa naissance. Contrairement aux Spectres, aux Chevaliers, talentueux peut-être mais mortels, aucun entraînement n'avait été nécessaire pour les découvrir, aucune épreuve, juste un flux continu d'énergie dont elle peut s'abreuver quand elle le souhaite.

Enfin, la sortie de la forêt arriva, laissant à la déesse le plaisir d'observer le désert, de nuit. Ce type de paysage ne lui était pas inconnu mais ne l'avait vu que quelques fois dans sa vie, pourtant longue par rapport à celle d'un humain. La fraîcheur de l'air ne la dérangeait pas non plus, préférant au contraire en profiter avant la longue marche l'attendant jusque Kaên. Perdue dans son admiration, Hécate prit un peu de retard sur le colosse et dût trottiner pour retourner à son niveau tandis qu'il l'interrogeait à nouveau.
Elle? La plus forte?
La déesse gloussa. Ce n'était étonnamment pas moqueur mais s'imaginer la plus forte du panthéon grec était assez incongru, heureusement qu'aucun autre membre de ce dernier n'était présent.

- Oh non... Je suis loin d'être la plus faible, mais la plus forte... non plus. Si vous avez croisé Rhadamanthys j'imagine qu'il a dû mentionner servir le dieu Hadès? C'est lui le plus puissant des Enfers, moi... je suis juste la plus jeune divinité chthonienne. Mais je doute fortement que vous ayez croisé les autres, si vous me jugez prétentieuse, alors ils vous auront forcément marqué.

Elle était persuadée qu'il avait posé cette question uniquement pour jauger sa puissance et sa "dangerosité", s'étant aperçu avoir peut-être été trop vite tout à l'heure. Seulement, à quoi bon mentir? Le Panthéon olympien était complexe, elle n'en faisait même pas partie d'ailleurs. Il fallait aussi prendre en compte ceux qui ne prenaient pas part aux guerres, plus les demi-dieux, les divinités mineures, etc... Thanatos, Hypnos et elle pouvaient être appelés "mineurs" bien que leurs parents étaient des Titans, mais il y en avait d'autres leur étant encore inférieurs comme les Oneiroi. En d'autres termes, juger qui était le plus puissant était probablement impossible.
En revanche, pour son autre question, bien plus personnelle, Hécate ne savait pas vraiment quoi répondre. Son visage prit un air soucieux alors qu'elle réfléchissait à tout ce que ça impliquerait mais répondit avec honnêteté.

- Peu importe ce que j'imagine... je ne vois pas comment cela finirait bien... Soit je serais juste plus puissante qu'Hadès et je pourrais le renverser mais... en un sens je lui dois la vie, ma position, et je le renverserais juste parce que je le peux?

Il y avait une autre possibilité mais elle ne voulait pas la partager. Il lui serait possible d'enfermer Hadès à Elysion et gouverner les Enfers, non pas pour y condamner absolument toutes les âmes mais restaurer un semblant de justice, les guerres saintes cesseraient aussi... Enfin, cela semblait tout de même bien utopique.

- Ou alors, si j'avais la puissance pour surpasser ceux qui nous ont précédés, alors soit tous mes pairs chercheraient à me combattre, croyant probablement avoir conclu un pacte pour les surpasser, soit je chercherais à m'imposer au sein du panthéon pour imposer ma vision des choses, soit je prendrais mon indépendance... Ou même les trois à la suite. Mais si on reste uniquement sur celui qui me commande donc Hadès... non je ne pourrais pas prendre sa place, je sens en revanche que nos opinions divergent sur certains points et, comme leur obstination est la hauteur de leur fierté, nous finirions par nous battre quand même...

Sauf qu'il ne s'agirait pas d'une bête lutte de pouvoir. Celui qui gouvernait les Enfers, décidait aussi de ce qu'il advenait de la Terre... Sans Hadès, la menace d'une éclipse mortelle disparaissait, ne laissant alors que Poséidon pour vouloir la disparition de l'Humanité.

- De toute façon, j'ignore comment est votre supérieur, ou vous, mais user d'une telle puissance peut juste être... grisant... Certains d'entre nous ont juste à se concentrer quelques secondes pour trouver une âme sur Terre, la viser et l'exécuter quasi-instantanément, quand bien même elle se trouverait à l'autre bout de la Terre, quand bien même d'autres tenteraient de la protéger... J'admirais... j'admire un tel pouvoir. Ce Saga à l'armure d'or... Je ne pense pas l'avoir déjà rencontré, mais j'aurais au moins rencontré un de ses prédécesseurs sauf que je suis là, et pas eux, est-ce que j'en éprouve des regrets? Aucun, et je me suis surprise à attendre la guerre suivante juste pour me rappeler encore et encore que je pouvais juste les écraser, et cela alors que comme je l'ai dit, je suis la plus jeune, mes pouvoirs vont encore évoluer. Reste à savoir si je conserverai mes principes ou mon désir de tuerie.

Combien de chevaliers d'or avait-elle tué? Elle n'avait pas tenu les comptes, encore moins ceux des rangs inférieurs mais il était certain que son armure c'était abreuvé de leur sang sans une once de remord. Hécate avait tout de même songé à des alternatives en demeurant sur Terre mais cela signifiait-il pour autant que son bras avait faibli? Les cadavres désormais calcinés donnaient la réponse.
La déesse ignorait en tout cas si sa réponse faisait sens à Zayro mais elle avait été honnête, bien qu'elle ne l'en jugeait pas forcément digne. Cependant, elle n'avait rien dit de compromettant. S'il venait à répéter ces dires, elle les assumerait car elle en pensait chaque, mot même si elle devait les justifier face à Hadès lui-même. Il lui fallait reconnaître ne pas être sûre de garder ces principes. Rhadamanthys n'avait-il pas dit que les mortels les avaient oubliés? Cela méritait-il de tous les faire disparaître pour autant?
En réalité, ce qu'elle ne dirait jamais à voix haute c'est que ces guerres étaient très probablement un moyen de combler l'ennui des dieux. Une éternité à guider une humanité jamais conforme à leurs attentes? Plutôt lancer une guerre de temps à autre qu'ils ne gagneront jamais, mais au moins ça occupe.

- Que feriez-vous de votre côté? Vous êtes ici depuis bien plus longtemps que moi. Avez-vous seulement essayé de retourner dans votre monde? Et ne me sortez pas que c'est impossible, je ne croirais à cette affirmation que lorsque j'aurais épuisé moi-même toutes les possibilités de contrer les dieux ici.

La divinité avait posé ces questions en se tournant vers le colosse tout en marchant à côté de lui. Son regard remarqua toutefois, au loin dans le désert, une masse noire, longue qui épousait la forme des dunes comme une concentration d'ombre qui s'en soulevait. Son esprit, peu familier des déserts, pensa seulement à un violent orage comme sur les océans.
Le duo en tout cas avançait et Hécate espérait tomber sur un avant-poste d'où elle pourrait rejoindre une caravane pour se rendre à la capitale, mais uniquement si cette tempête de sable qu'elle prenait pour un orage ne les perdait pas.

Venait-il vraiment de la qualifier "dangereuse" pour la deuxième fois? Eh bien... la déesse prenait le compliment sans retenue, ce dernier agissant comme un petit baume apaisant sur son ego maltraité et sans pouvoirs. Cela ne lui fit même pas relever sa remarque sur son refus de la marque. Oui, bien sûr Zayro Jinn... La marque n'était peut-être qu'une marque mais n'ayant eu aucune explication, ou même le moindre indice, sur comment elle fonctionnait et aurait permis à la déesse de le contacter, la déesse se doutait que c'était plutôt... unilatéral. Il était hors de question qu'on la marque ainsi, pas après que Rhadamanthys lui ait parlé qu'à l'époque, la sienne l'avait contrait à obéir à un dieu. Certes, cet homme n'en était pas un mais il valait mieux, à ses yeux, rejeter toute magie inconnue plutôt que tout accepter aveuglément et risquer la soumission forcée. La jeune femme aurait même parié son armure que si les rôles avaient été inversés, il aurait également refusé.

Cette réflexion lui fit toutefois repenser à sa propre allégeance. Hadès ne lui avait apposé aucune marque, mais les Enfers avaient bel et bien modifié son être. Pouvait-elle donc être rapprochée de ce qu'avait connu les élus il y a un millénaire? Non, elle n'en était pas persuadée. Cela n'avait pas été précisé dans sa réponse au colosse mais si la déesse n'éprouvait aucune envie de renverser le dieu infernal, c'était aussi car elle avait choisi de le servir. Ce choix faisait toute la différence sur les rapports entre les différentes puissances chthoniennes... qui n'avait plus grande importance maintenant qu'elle était la seule divinité grecque à fouler ces terres.

En revanche, lorsque Zayro aborda le sujet de l'âme, la divinité ne put s'empêcher de le regarder avec un air surpris. Céder son âme... à une sorcière? Aux dernières nouvelles, les sorcières pouvaient communiquer avec les morts, entendre les Enfers mais n'avaient aucune influence sur les âmes, strict domaine des dieux. Cette "sorcière" serait donc encore d'un autre monde, elle aussi. A y réfléchir, la déesse se disait qu'il lui faudrait utiliser des termes grecs précis afin de faire entendre sa vision et d'éviter les confusions entre ces différentes cultures inter-mondes.

- C'était stupide de vous séparer de votre âme... L'âme a une puissance incroyable et la diviser ou s'en séparer... c'est comme cesser d'exister.

S'il y avait une information que les dieux s'étaient abstenus de communiquer aux mortels, c'est que leurs âmes combinées avec leur maîtrise du cosmos pourraient bien mettre en difficulté quelques divinités. Toutefois, ce genre d'attaque étaient constamment à usage unique, les âmes disparaissant en même temps dans le processus. Cela l'amena cependant à une autre réflexion sur l'importance de l'âme des élus ici. Si les dieux avaient surtout pris des élus au moment où, dans leur monde, ils étaient sur le point de mourir, il s'agissait peut-être simplement d'une mesure pour obtenir l'âme plus facilement puisqu'elle se retrouvait alors temporairement sans vaisseau.
Les autres réponses du colosse se perdirent quelque peu entre les pensées de la déesse. Celle-ci s'arrêta toutefois sur l'utilisation fugace mais révélatrice du verbe "mériter" lorsqu'il décrivait son supérieur. Il avait donc soif de pouvoir mais tout de même un semblait de respect et de recul vis-à-vis de celui qui le commandait... C'était intéressant bien que l'information servait surtout à rendre ce meurtrier moins froid, et ce quand bien même il disait vouloir tout faire disparaître ici.
Occultant totalement cette nouvelle menace envers sa personne et tous les êtres foulant ces terres, Hécate ne put s'empêcher de partager l'objet de ses réflexions.

- Quand Rhadamanthys a accepté de servir les Enfers, Hadès a marqué son âme afin qu'il soit ressuscité à chaque guerre... Il doit en aller ainsi pour nos âmes ici...En nous choisissant, les dieux auront laissé quelque chose, une trace, ou autre pour nous guider ici et sceller nos pouvoirs. Il faut agir avec prudence... Les tuer pourrait nous libérer tout comme cela pourrait nous condamner puisque nous perdrions tout moyen de réutiliser leur puissance.

La jeune déesse cache toutefois être capable de voyager entre les dimensions ce qui, avec ses pouvoirs retrouvés, pourrait la sortir d'ici, elle et Rhadamanthys en prime. De toute manière, il était inutile d'en informer cet homme puisque l'hyperdimension broyait tout corps non divin. Seulement, avant de penser à ouvrir ce portail, il fallait que la déesse comprenne comment l'énergie divine fonctionnait ici. Rhadamanthys avait déjà un artefact en lui, il fallait maintenant connaître les autres divinités. Les tuer pourrait certes être une solution mais si le Juge n'avait retiré aucun gain de puissance à la mort du dieu l'ayant emprisonné, comment être certain que tuer les autres allait le faire?

- Espérez par contre que l'abandon de votre âme n'ait pas définitivement coupé votre chemin du retour.

Deux voix inconnues stoppèrent cette conversation. Deux caravanes allant à deux destinations différentes dont Feng, parfait! L'orage que voyait la divinité était donc bien plus dangereux qu'une tempête de sable... Hécate accepta volontiers de suivre le groupe se rendant à la capitale, marchant donc vers les torches éclairant ces êtres incapables de voir dans l'obscurité. La voix du nomade l'avertissant des dangers pour son "compagnon" la fit se retourner et observer la silhouette du colosse. La jeune femme se contenta d'hausser les épaules et reprendre son chemin.

- Il s'en sortira, même une pluie acide ne saurait tuer un tel caractère.

Se séparer sans se dire un mot, cela ne l'étonna pas, et ne la dérangea pas non plus. Les cordialités hypocrites auraient de toute façon tranché avec le ton de la conversation entretenue depuis le village. Connaissant maintenant ses objectifs, il était quasi certain qu'ils se recroiseraient, tout comme il était certain que la déesse allait encore détester un certain temps l'odeur des cendres.