Enlèvement à Tanikaze

Un bâillement particulièrement prononcé vint à signaler le réveil d’Eileen, qui s’étira dans les scondes qui suivirent. Le soleil s’était pourtant levé depuis presque deux heures, mais il semblait que la concernée n’avait finalement que très peu de motivation de saluer l’astre solaire. Après tout, la mission du jour était particulièrement simple, à savoir escorter un convoi de marchandise d’une ville à l’autre. Etant donné l’importance de ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur, les mercenaires recrutés pour l’occasion étaient tellement nombreux que tous les bandits des environs en avaient entendu parler et avaient été découragées, si bien que cela rendait la mission trop aisée, et ceux qui rêvaient d’un peu d’action se retrouvaient quelque peu penaud face à l’ennui qui s’était installé, notamment lors de la traversé du lac. Il y en avait bien quelques uns qui restaient en permanence sur leurs gardes, comme Cordelia à tout hasard, mais ils étaient bien minoritaires et leurs efforts bien maigrement récompensés.

‘’Alors, Cordelia. Rien à signaler ?’’

‘’Rien qui ne puisse être intéressant. Les quelques navires de pêche que nous rencontrons s’éloignent rien qu’à notre vue. Si vous espériez quelques pirates, je crains que vous n’en sortiez déçue.’’

‘’Je ne vais pas cracher sur de l’argent facile. Même, avec une attaque, nous aurions pu demander une prime.’’

‘’Eh bien, cela ne sera pas aujourd’hui.’’

‘’Ça arrive. Et puis, au moins je suis payée pour dormir et boire en voyageant. Je dirais qu’il y a pire comme train de vie.’’

‘’En effet.’’ Avoua Cordelia, en soupirant quelque peu. C’était une drôle de manière de vivre que de passer d’un contrat à un autre en dormant dans des auberges. Une vie assez nouvelle pour l’Ylissienne, qui avait été plutôt habituée à l’inconfort d’une caserne jusqu’à maintenant. Après tout, elle considérait encore sa situation comme temporaire, et qu’elle finirait tôt ou tard par trouver un chemin de sortie en dehors de ce monde qui la ballotait d’un endroit à l’autre de la carte. Mais bon, pour le moment, la rive se dessinait sous leurs yeux, devant la proue du navire.

‘’Les marins disent que nous devrions arriver d’ici deux heures. Vous connaissez notre destination plus en détail ?’’

‘’Tanikaze ? Eh bien… J’y suis passée une fois, pas grand-chose de plus. C’est juste une ville au niveau des montagnes qui font la frontière avec Shuza, et pas très loin de Reïfuu non plus.’’

‘’Hum ? Vous n’en savez pas plus ?’’

‘’La dernière fois, je n’étais pas exactement sobre, donc… Non, rien de plus.’’

Cordelia souffla une nouvelle fois, avant de se diriger vers l’avant du bateau. Traverser le plus grand lac des zones neutres n’était pas une si grande épreuve, surtout dans de telles conditions, mais il demeurait cependant qu’une certaine curiosité l’animait actuellement. Les échos des marins parlaient d’une ville assez particulière, qui changeait beaucoup des autres villages des croisements commerciaux par exemple…

Et peu avant d’arriver, la jeune femme pu déjà deviner ce qui faisait la particularité de cette ville : La proximité des montagnes rendait le nombre de terres habitables bien plus faible, mais il semblait que les habitants s’étaient débrouillés d’une autre manière, installant la ville au gré d’une vallée entre deux montagnes et autres falaises. La ville, à moitié troglodyte, se retrouvait ainsi face à face, séparée le vide qui était franchi par de nombreuses passerelles de bois et parfois de pierre.

‘’Ah oui, j’avais oublié que c’était comme ça.’’

‘’C’est… Impressionnant.’’

‘’Bouche bée ? C’est vrai qu’elle change des villages qu’on a traversé jusqu’à maintenant. Mais ne comptez pas sur moi pour vous faire une visite guidée. Comme d’habitude, on récupère la monnaie et on part sur la prochaine tâche. Je suis sûre qu’il doit y avoir quelques fugitifs à récupérer, ou bien quelqu’un qui a perdu son gamin dans les montagnes.’’

‘’Toujours à l’affût, hum ? Très bien. Tachons déjà de poser pied à terre. J’ai comme l’impression qu’il y a un peu d’agitation sur les quais.’’

‘’Les jours où il n’y en aura pas, le ciel sera tombé !’’

Poser pied à terre fut une satisfaction bien réelle pour les deux demoiselles, mais recevoir la paye qui allait avec la fin de leur mission l’était peut-être encore plus, tout du moins pour Eileen. Cordelia s’était allée à un nouveau long soupir face à l’avarice apparente de sa comparse, avant de simplement attendre le moment opportun pour descendre.

Arriver dans une nouvelle ville n’était pas forcément une chose particulièrement rassurante. Les zones neutres étaient réputées pour le banditisme et les coups fourrés en tout genre, et cet endroit devait avoir son lot de coupe-jarret prêt à bondir sur des personnes isolées dès que les gardes auraient le dos tourné. En vérité, cela était plutôt rassurant que d’être accompagné ici, même si la compagnie qu’elle avait pouvait parfois l’agacer, même si elles arrivaient à se supporter un peu près maintenant. Au moins n’essayaient-elles pas de s’entretuer dès la nuit venue, ce qui était déjà un avantage pour coopérer.

‘’Bon… Je suppose que nous allons nous diriger vers la première auberge visible ?’’

‘’Pourquoi en serait-il autrement ?’’ Fit l’elfe en levant les épaules, sa capuche toujours sur sa tête pour dissimuler son identité différente de la norme. Cependant, alors qu’elles avançaient sur le ponton, une étrange scène s’offraient à elles. Là, au milieu d’une foule dont les cris d’admiration n’avait d’égal que la cohue d’un marché aux heures matinales, se dressait une femme aux cheveux clairs qui dépassait aisément la majorité des personnes présentes. Elle était grande, très grande, et cette impression n’était que renforcée par les cornes qui dépassait de part et d’autres de sa tête. Et ses habits… Bon sang ses habits, comment n’avait-elle pas pu la remarquer auparavant, avec un kimono si noble qui…

‘’AHEM !’’

‘’Hein que-quoi ?!’’ Fit Cordelia, en clignant plusieurs fois des yeux, avant de se rendre compte de la situation. Elle était restée durant plusieurs seconde bouche bée, immobile à contempler cette personne si particulière, comme si elle avait rêvée l’espace d’un instant. Ridicule certes, surtout pour le rang qu’elle aspirait à atteindre. Une telle distraction ne devait pas se reproduire, sous aucun prétexte.

‘’Kosaten à madame parfaite, nous cherchons une réaction !’’

‘’Pardonnez-moi, j’étais… Distraite.’’

‘’Ah bah quand même ! Bon, on va peut-être mettre l’auberge de côté pour le moment.’’ Fit-elle à voix basse, complotant en pleine rue face à cette situation opportune qui se présentait à elles : ‘’Y’a une demoiselle en détresse qui nous demande de l’aide. Et plus important encore, une riche demoiselle en détresse.’’

‘’J’imagine que vous faites cela de manière intéressée.’’

‘’Qui ne le ferait pas ? Non, ne vous présentez pas en exemple.’’

‘’De toute façon, récompense ou non, je ne laisserai pas derrière quelqu’un ayant besoin d’aide.’’ Fit-elle en s’avançant, faisant lâcher un soupir volontairement exagéré à l’elfe, qui suivit à son tour. Restait cependant à trouver comment faire diversion de cette masse sourde dont le seul objectif était de mater de près cette demoiselle si particulière.

‘’Excusez-moi, pardon !’’ Commença la chevalière en tentant d’écarter plusieurs personnes, mais qui continuaient de s’agglutiner. Il s’agissait d’une masse fermée, complètement hermétique au moindre changement. Il allait falloir plus que ça. Il allait falloir une distraction un peu plus pressante et crédible pour réussir à faire le nécessaire…

‘’Là-bas, un monstre ! Des Shinkagyos !’’ Fit l’elfe en faisant apparaître un plante derrière des tonneaux, la faisant bouger quelque peu pour faire croire qu’il y avait un danger immédiat. Son sourire mesquin sur ses lèvres indiquait qu’il s’agissait du genre de plaisanterie qu’elle adorait réaliser sur son temps libre, et heureusement qu’il se trouvait dissimulé sous ses affaires. Mais au moins, cela provoqua une petite distraction, qui permit à Cordelia d’avancer, saississant sans attendre le poignet cette étrange personne, avant de l’écarter rapidement vers un croisement proche, là où elle serait au moins à l’abri des regards.

‘’Est-ce que vous allez bien ? Vous ont-ils fait quelque chose ?’’

‘’Oh leurs têtes ! C’était génial !’’ Fit Eileen en approchant, ne dissimulant plus son rire moqueur.

‘’Je ne suis pas certaine qu’ils aient appréciés.’’

‘’Et alors ? Ce n’est pas comme si cela m’intéressait d’avoir leurs avis !’’

Un nouveau soupir de la demoiselle. Une nouvelle fois, comment avait-elle pu tenir aussi longtemps avec une telle personne ? Un miracle, c’était au bas mot ce qu’il avait fallut, ou bien une franche nécessité…

Est-ce que la personne au cœur de la foule se trouvait en danger ? La question pouvait se poser. Après tout, aucun ne semblait être spécialement menaçant ou l’arme à la main. En fait, ils semblaient être même plutôt en admiration face à cette bien singulière personne, comme s’il s’agissait d’une noble de la région ou d’un pays. Dans tous les cas, cette situation la dérangeait suffisamment pour qu’elle ne réclame assistance, ses fans demeurant sourds à ses complaintes et à l’action de la rousse.

Heureusement pour tous, une fourberie et un début de panique eut l’effet escompté, et la crainte de l’arrivée d’une terrible créature provoqua ainsi une diversion suffisante pour que Cordelia puisse prendre en main la situation, amenant cette personne à l’abri des regards pendant qu’Eileen rejoignait cela, satisfaite de cette odieuse opération qu’elle venait de commettre. A croire qu’elle avait la roublardise dans le sang, et qu’elle n’hésiterait pas à jouer d’autres cartes pièges si l’opportunité se présentait à elle.

Néanmoins, alors que Cordelia regardait par-dessus son épaule, vérifiant qu’elles n’étaient pas suivis par une ou plusieurs personnes, la grande femme s’approcha d’elle, se baissant un peu avant de...

De l’embrasser.

Pas sur la bouche hein, juste un sur la joue, mais qui fit écarquiller les yeux de la demoiselle qui eu un mouvement de recul, prise de surprise face à cette réaction ! Et il ne fallut même pas un pavé plus haut que l’autre pour qu’elle ne vienne à perdre l’équilibre, tombant en arrière et se ramassant sur les fesses dans un bruit métallique propre à l’armure qu’elle portait.

‘’Q-Q-Qu’est-ce que ?!’’

‘’Oh ? My my… J’ignorais que vous auriez droit à « ce genre » de récompense…’’

L’elfe se prit alors d’un franc rire, posant ses mains sur ses hanches. Un peu plus, et le port tout entier pourrait l’entendre rire comme une baleine. Au moins, cela restait dans le thème du lieu, même s’il serait difficile de trouver ceci en eau douce. Cordelia se releva tout de même, encore confuse, fermant les yeux et cherchant à se remettre de ses émotions face à ce qu’il venait de se passer.

‘’Hmpf…‘’

‘’Eh bah alors ? On perd l’équilibre ?’’

‘’Arrêtez de vous moquer…’’ Souffla la concernée, d’une manière légèrement agacée des moqueries qu’il y avait là. Elle s’était fait surprendre, mais jamais, ô grand jamais, elle ne se serait attendue à ceci. Elle épousseta succinctement son armure, avant de secouer un peu sa tête, histoire de se remettre apte à discuter face à cette personne, qui les remercia d’être intervenues.

‘’Ce n’est rien, juste… Je ne m’attendais pas à être ainsi remerciée… Ainsi. Mais au moins vous êtes saine et sauve.’’

Eileen se retint cependant de dire qu’elle préférait les pièces sonnantes et trébuchantes comme récompense, mais au moins avait-elle eu un bon rire, donc elle n’en sortait pas non plus sans rien. Les poches légères, mais l’esprit bien malicieux. Dans tous les cas, la rescapée de la foule se présenta sous le nom de Kiyohime, mais avec un titre bien intéressant… Impératrice, rien que ça ! Et dieu dragon aussi. Bref, de quoi soulever les sourcils et des questions… Mais ces dernières vinrent au moins à se taire lorsqu’elle expliqua que ces titres étaient maintenant désuets, tout du moins sur ces terres…

‘’Sur ces terres hum ? Oh, pas mon affaire après tout.’’

‘’Je m’appelle Cordelia, chevalière pégase du Saint-Royaume d’Ylisse. Mais… Comme vous, ce titre est un peu désuet. Je suis une simple chevalière errante maintenant.’’

‘’Et moi c’est Eileen. Et habituellement, on demande le nom avant d’embrasser. C’est comme ça qu’on fait ici.’’

‘’Je crains avoir quelques souvenirs vous concernant qui…’’

‘’Alors, ça, ça dépend le nombre de verre.’’

Elle afficha tout de même un certain sourire, probablement provoqué par l’idée d’obtenir une récompense plus grande encore.

‘’Et du coup… Dieu-dragon et impératrice ? Rien que ça ?’’

Un curieux sauvetage qui avait des conséquences plutôt intéressantes. C’était en tout cas ce que pensait actuellement Eileen, un sourire narquois sur ses traits. Pour une fois qu’elle avait l’occasion de se moquer sans le moindre ménagement, elle n’allait pas se gêner, bien au contraire ! Si elle pouvait continuer comme ça toute la journée, elle le ferait, quitte à mettre la rousse dans tous ses états. Au moins, à la fin de la journée, elle aurait mal aux zygomatiques. Rire jusqu’à en avoir mal, c’était plutôt quelque chose d’engageant, surtout que Kiyohime n’aidait pas vraiment non plus.

‘’L’inverse aurait été plus étonnant !’’ Répliqua-t-elle, encore un peu confuse de ce contact qu’avait fait l’impératrice à son encontre. Elle savait que certaines personnes pouvaient se montrer envahissante lorsqu’elles souhaitaient remercier, mais de là à presser ses lèvres contre sa joue… Bon sang, il y avait des choses terribles dans la vie et elle se tourmentait là pour un baiser volé ! Heureusement qu’elle l’avait eu par surprise, car autrement, la chevalière aurait pu réagir de bien d’autres manières pour se protéger.

Mais bref. Des présentations, un brin tardives vu les actes, avant que l’impératrice n’explique un peu plus qui elle était. Celle qui régnait sur le japon depuis plus d’un millier d’année, et déjà, des choses inexplicables se produisaient aux yeux de l’Ylissienne.

‘’Rien que ça ?’’ Fit l’elfe en levant un sourcil face aux déclarations un peu grandiloquentes de la demoiselle face à elle, qui se présentait après tout comme la descendante de certains dieux qui n’avaient, ici, pas le moindre cultes. Enfin, c’était si l’on considérait Kami céleste comme un truc un peu près équivalent.

‘’Mille ans, mais… Comment ?!’’

‘’J’ai vu des immortels bien moins conservés après quelques siècles.’’

‘’Des immortels ?! Mais quel âge avez-vous ?’’

‘’Moi ? Un peu plus de la soixantaine.’’

‘’P-Pardon ?’’

‘’Quoi, vous ne le saviez pas ?’’

‘’Pas du tout ! Je vous en aurais donné moitié moins !’’

‘’Faut croire que d’être une elfe ça peut aider quelques fois !’’ Fit-elle, un sourire en coin et particulièrement amusé. Après tout, Eileen avait une certaine expérience du monde, ce qui devait venir de nombreuses aventures. En plusieurs décennies, elle avait ainsi pu obtenir ce dont elle avait besoin, mais l’ensemble de son passé restait pour le moins mystérieux, à croire qu’elle avait bien d’autres choses à révéler. Tant qu’elle n’était pas une princesse perdue descendante d’une divinité mystérieuse… Pitié qu’elle n’en soit pas une !

‘’Autrement… J’arbore le même objectif. Le royaume d’Ylisse a besoin de moi et… Chaque journée ici me fait un peu plus douter.’’

‘’Hey, vous saviez que cela n’allait pas être simple. S’il n’y aucun moyen connu, c’est qu’il n’allait pas être trouvé en quelques journées !’’

‘’Je le sais bien oui, mais… J’osais espérer réussir, contre toute attente.’’ Avoua-t-elle, dans un soupir particulièrement laconique. Avec plusieurs semaines, suite à l’attaque surprise de Plegia, le royaume d’Ylisse pourrait-il survivre ? Le saint-royaume pourrait-il protéger sa couronne et contre attaquer ? Si seulement elle n’était pas tombée dans cette embuscade, peut-être que tout serait différent, même aujourd’hui…

‘’Bienvenue dans le monde réel, où même les meilleurs échouent.’’ Soupira l’elfe avant de passer sa tête au niveau de la rue principale, qui s’était quelque peu dégagée. Tout du moins, aucun groupie pour la dragonne à l’horizon, ce qui signifiait que la voie était libre. ‘’Ça devrait être bon. Chacun va pouvoir retourner faire ce qu’il a à faire maintenant et basta.’’

‘’Chercher une prochaine mission je présume.’’

‘’Exactement.’’

‘’Dites, est-ce que vous sauriez où nous pourrions trouver du travail en cette ville ? Nous sommes à la recherche de quelques contrats, et je crains qu’à explorer les auberges, ma camarade ne termine pas cette journée dans le meilleur des états.’’

‘’Qu’est-ce que vous insinuez ?’’

‘’Je présumais juste que vous risqueriez de prendre une bouteille par établissement que nous fréquenterions.’’

‘’Humpf… Pas faux.’’