Détente au Soleil [quête, solo]

Détente au soleil

Alors que Lexi était à la capitale, on vint toquer à son appartement situé dans le lotissement attribué aux élus de la nation. Elle prit une seconde pour jeter un œil au judas de la porte, avant d’ouvrir au jeune homme qui se tenait sur son palier. Celui-ci s’inclina légèrement en guise de salutation, tandis que la jeune femme se contentait d’un sourire. Elle n’avait pas complètement pris cette habitude typique à Kosaten, et ce n’était donc pas naturel.
“-Vous voulez entrer ? demanda-t-elle avec politesse.”
“- Non je vous remercie. Vous êtes bien Lexi Hil’Feyan ? J’ai un message pour vous, rien de très confidentiel mais assez urgent. D’ailleurs il faudrait que je reste le temps que vous le lisiez, afin que vous me donniez une réponse, si cela vous va.”
“-Bon bah rentrez alors, le temps que je lise, je ne vais pas vous laisser sur le pas de la porte.”

Elle laissa l’homme entrer et lui tira une chaise, tandis qu’elle-même s’adossait contre un mur et parcourait la lettre. Celle-ci venait de Dom Illys, qui avait besoin qu’on le remplace pour accompagner ses élèves. Cela n’avait pas l’air bien méchant, et puisqu’elle et le vieil homme s’échangeaient des services, il était naturel de l’aider si elle le pouvait. En terminant la lettre, elle s’adressa au messager - qui était l’assistant de l’historien, comme elle le découvrirait sous peu.
“ - Je vais le rejoindre de ce pas, j’imagine que vous retournez également au palais.”
” - En fait, je suis son assistant, et nous allons organiser le voyage en question à l’instant où nous l’aurons rejoint. Mais peut-être voulez-vous que je vous laisse vous préparer et y aller seule?”
“ - Non non, quand je disais “de ce pas” c’était maintenant, tout de suite.”
Sur ces mots, elle attrapa sa clef et l’invita à sortir en même temps qu’elle, après quoi elle verrouilla la porte et lui emboîta le pas. Ils firent donc connaissance sur le trajet, et en vinrent rapidement au tutoiement mutuel au vu de leurs âges, et aussi des manières de la marchombre. Le jeune homme avait tout juste dix-sept ans, et se nommait Aïko . Il sortait de l’Académie de Jiban et était désormais sous la tutelle de Dom Illys en tant qu’assistant, depuis quelques semaines seulement - ce qui expliquait que c’était la première fois que Lexi le rencontrait. Passionné d’Histoire, il profitait de la présence de l’historien pour en apprendre le plus possible, mais en retour il devait aider le vieil homme, ce qui pouvait être parfois beaucoup moins intéressant, notamment lorsqu’il s’agissait de ranger sa paperasse ou de surveiller ses élèves les plus jeunes. La jeune femme de son côté, s’arrangea d’abord pour savoir ce qu’il savait déjà d’elle, histoire de savoir ce qu’il était inutile de cacher, et ce qu’elle pouvait garder pour elle. Mais pour commencer, le vieil homme avait raconté - comme on raconte une anecdote croustillante - comment il était intervenu alors que l’élue prenait en otage un garde au temple de Shintân. Apprenant cela, elle tâcha de se justifier, en grommelant :
“ - Je venais de me réveiller dans cet endroit que je ne connaissais pas, évidemment que j’étais méfiante, d’autant plus qu’être une élue ne t’attire pas que des amis dans ce monde. Encore quelques semaines avant … de m’endormir on va dire, un groupuscule traquait les élus, et un de leur membre a décapité d’un seul mouvement l’un d’eux à quelques mètres de moi. De quoi être méfiante non ?”
“ - Wow. En deux minutes tes anecdotes sont aussi accrochantes que celle de Dom. Je comprends mieux ce qu’il voulait dire en pensant à toi pour le remplacer.”
“ - C’est-à-dire ?”
” - Il t’expliquera.”
Ils échangèrent ensuite quelques banalités avant d’arriver au palais, et de retrouver le vieil homme dans son bureau.

Détente au soleil

Comme prévu, les deux jeunes gens trouvèrent le vieil historien dans son bureau, posé devant une tisane encore chaude, et emmitouflé dans une couverture. Le teint pâle, les yeux humides et le nez rouge, il n’avait pas vraiment l’air en pleine forme. D’ailleurs il ne se leva même pas pour leur ouvrir, ni pour les saluer lorsqu’ils entrèrent.

” - Bonjour, je suis navrée de vous trouvez si mal, le salua Lexi pendant que Aïko se prenait une chaise et lui en avançait une seconde.”
“ - Ne vous en faites pas, le soigneur que j’ai vu pense que ce n’est rien de grave, mais je vais peut-être être faible encore un bon moment. Je conclus de votre présence que vous acceptez de me remplacer ?”
“ - Oulà, vous allez un peu vite en besogne, je ne sais même pas exactement de quoi il s’agit ! Disons que dans l’idée pourquoi pas, mais vous devez me donner les détails.”
“ - Bon, déjà j’imagine que tu as fait connaissance avec Aïko, je ne fais pas les présentations ?”
“ - Nous avons un peu discuté en effet, répondit le concerné.”

Le vieil homme répondit d’un grognement et commença à chercher des trucs, en trier d’autres, et lorsqu’il fut prêt, se lança dans les explications.

“ - Bon bon bon. Alors voilà, j’ai deux classes que je devais emmener en vacances au bord de mer. Cela devait être l’occasion pour eux de sortir un peu à la surface sur une longue période, ce que nous estimons bon pour leur culture et leur santé, et puis évidemment encadré de cours et d’activités.”
“ - Combien et quel âge ? demanda alors la marchombre.”
“ - Six le premier groupe, entre douze et quatorze ans, et 3 le second groupe, six ans la plus jeune, et huit les deux autres. Tu auras les détails plus tard de chaque élève. Moi je fais le strict nécessaire d’explication avec toi, puis je vais me coucher et tu te débrouilleras avec Aïko !”

L’historien avait l’air exténué, et se montrait beaucoup moins patient qu’à son habitude - et même ne tolérait pas beaucoup d’être ralenti dans son planning pour retourner chez lui. Il poursuivit.

“ - Bien. J’ai pensé à toi pour plusieurs raisons. D’abord parce que je me disais que tu serais d’accord pour me rendre service.”
L’élue hocha la tête sans un mot, mais avec un léger sourire, pour tâcher d’adoucir le malade.
“ - Mais aussi parce que tu seras, je pense, à même d’assurer leur sécurité.”
“ - Je dois tout de même vous interrompre, surveiller des gosses c’est déjà pas dans mes habitudes, mais alors neuf et de ces âges…”
“ - N’vous inquiétez pas pour ça ! Vous aurez Aïko pour gérer les enfants et un soldat pour la sécurité du groupe. Enfin, la dernière raison c’est que je pense que tu as beaucoup à leur apporter. Évidemment tu as moins de connaissance que moi sur Shintân ou Jiban, mais qui de mieux que toi peut leur parler de Tenshi, de l’ère précédente, de l’ancienne vague d’élus, de Reisha même ! C’est si rare en histoire d’avoir des témoins vivants de périodes si éloignées ! Je suis sûre que tu n’auras aucun effort à faire pour les intéresser. Ce ne sera même pas des cours pour eux, mais des histoires bien réelles. Alors qu’en dis-tu ?”

Lexi prit un court instant de réflexion.
“ - Ma foi, ça me va !”
“ - Parfait alors je me tire !”
“ - Encore une question ! Puisque je vous remplace, Aïko c’est mon assistant ?”
“ -  Et bien oui ! Vous avez quoi, sept ans de plus,mon aval, et un rang d’autorisation D, faut pas déconner ! Le soldat aussi, vous êtes sa supérieure. Allez je vous laisse mon bureau pour vous organiser, Aîko en a la clef. Bonne journée !”

Sur ces mots, le vieillard se dressa sur ses jambes avec un énergie que seule la promesse d’une sieste pouvait lui donner, et s’en alla à petits pas rapides sans rien ajouter. De son côté, la marchombre esquissa un sourire narquois.

“ - Bon je crois que j’ai un assistant alors…”
Le concerné leva les yeux au ciel et sortit les papiers nécessaires pour la suite de l’organisation.

Détente au soleil

Puisque la jeune femme n’avait rien de prévu ce jour-là, elle resta au palais après s’être entrenue avec Dom Illys pour préparer le voyage en compagnie de Aïko. Pour commencer, il l’informa des détails techniques et immuables du voyage. Ils partiraient dans deux jours, à l’aube. Un bateau les emmènerait par le fleuve presque jusqu’à la surface et ils gagneraient le village du cratère. Là, une carriole d’une quinzaine de places les attendrait, puis les transporterait jusqu’à l’auberge où ils logeraient. Sur la route, ils feraient une pause pour manger, les enfants et adolescents ayant donc dans leurs sac leur repas du midi fourni par leur maison - c’est-à-dire cuisiné a priori par leur domestique, puisque c’étaient presque tous des enfants de nobles. Leur logement quant à lui, se trouvaient sur la côte de la mer intérieure, ce qui rassura Lexi. En effet, elle avait d’abord pensé que leur séjour se ferait au bord de l’océan, ce qui aurait compliqué les choses pour laisser les élèves faire trempette dans une eau aussi agitée. Mais la mer intérieure était en général calme, et les vagues jamais bien hautes. L’auberge avait été partiellement louée par l’académie pour loger ses jeunes élèves. En effet, celle-ci était un établissement grand et renommé - sa localisation aidant grandement au tourisme - dans un petit hameau à quelques dizaines de mètres de la plage. Elle disposait donc de trois étages, et c’était le dernier dans son entièreté qui avait été réservé. Cela leur donnait donc trois chambres individuelles pour les encadrant, et trois chambres de trois pour les élèves, ainsi qu’une salle d’eau commune, et un pièce qui aurait été préparée en salle à manger pour eux, évitant ainsi que les enfants ne se retrouvent à prendre leur repas entre deux tables de soulards occasionnels. Presque un hôtel finalement. Ils rentreraient de la même manière que le trajet aller était prévu, six jours après leur arrivée.

Leur programme quant à lui, n’était pas bien défini, et donc encore souple, bien que certaines activités étaient déjà planifiées en avance. Par exemple, au deuxième jour, un bateau viendrait les prendre sur la côte pour une longue balade en mer, avec un capitaine connaisseur de la faune marine afin de leur faire un petit cours. Le bateau loué avait la particularité de disposer de quelques vitres de verre sur les côtés, sous le niveau de l’eau, afin d’observer les animaux, et ceux qui auraient montré qu’ils savaient nager la veille pourrait même se mettre à l’eau, sous la surveillance accrue des encadrants. Cela impliquait donc qu’il fallait prévoir la veille une petite évaluation à ce sujet. De plus, un étrange sanctuaire inutilisé se trouvait non loin de leur auberge, et si aucune date n’avait été fixée par absence de nécessité, il était au programme d’aller le visiter. Un contact du vieil historien lui avait assuré que cela ne craignait rien, et celui-ci avait également donné pour mission à Aïko - puisqu’il ne pouvait le faire lui-même - de relever une description précise des lieux et d’en étudier le plus possible.

Détente au soleil

Pour le reste c’était désormais à la marchombre de le planifier. C’est donc ce à quoi Aïko lui proposa de s’atteler ensuite.

“ - Je préfère attendre de rencontrer les élèves et qu’on soit sur place. Ne t’inquiète pas, tout s’improvisera bien. Une question : Dom a parlé de cours. Moi je veux bien raconter ce que j’ai vécu et ce que je sais, mais est-ce qu’il faut prévoir des trucs plus académiques ? ”
“ - Je ne pense pas. Ca reste des vacances après tout.”
“ - Ok. Un autre truc qui m’inquiète c’est les trois plus jeunes. Honnêtement j’ai jamais trop eu à m’occuper de gosses donc tu seras leur responsable de groupe.”
“ - Tu me files les petits et tu récupères les grands en somme ?”
“ - Oui, mais non. On restera un seul groupe mais j’veux que tu gardes un oeil sur eux. Un accident est trop vite arrivé. Pour ce qui est de former les chambres etc. je préfère attendre de les connaître. Est-ce que les parents sont prévenus du remplacement ?”
“ - Dom a prévenu qu’il cherchait un remplaçant, mais je crois qu’à partir du moment où nous a dit au-revoir aujourd’hui, il ne comptait plus faire quoi que ce soit.”
“ - On leur écrit alors.”

La jeune femme joignit le geste à la parole et prit une feuille et une plume. Elle disait chaque phrase à voix haute pour avoir l’avis d’Aïko, et lorsqu’elle eût fini, ils relurent une dernière fois le message avant qu’Aîko ne le porte au système de courrier pour qu’il soit reproduits et transmis dans les plus brefs délais aux maisons des élèves qu’ils allaient emmener.
<< Madame, Monsieur,
Je vous écris car je suis la remplaçante de Monsieur Dom Illys pour le voyage en bord de mer de votre enfant.
Permettez-moi donc de me présenter : Lexi Hil’Feyan, élue de Shintân. Je serai responsable du séjour en lieu et place du professeur habituel de votre enfant, et serai accompagnée de son assistant personnel, ainsi que d’un soldat de la nation. Si la forme des cours sera moins académique que possiblement prévu par le professeur Illys, soyez assurés que je ferai mon possible pour partager mon savoir, et mon expérience de l’ère précédente, tout autant que je veillerai à leur sécurité.
Afin que tout se passe au mieux dès notre départ de la capitale, je vous saurai gré d’informer les élèves de ce changement. En cas de doute sur l’information ou mon sérieux, je vous encourage à faire part de vos doutes à Dom Illys ou l’académie, car je suis convaincue qu’ils sauront vous rassurer.
Respectueusement, Lexi Hil’Feyan >>
N’ignorant pas comment pouvait être la noblesse, l’élue avait soignée les formes de son message, et s’était relue avec application. Une fois le tout validé, Aïko s’empara de la lettre pour la faire diffuser et les deux jeunes gens se saluèrent. Ils n’avaient pas prévu de se revoir avant le départ, ne songea pas que cela serait nécessaire, et de son côté la jeune femme comptait réfléchir à ce qu’elle allait faire de ces élèves pendant presque une semaine. Elle ne fit pas grand chose d’autre le lendemain que songer à un petit programme, pour occuper ce beau monde.

Détente au soleil

Le lendemain à l’aube, Lexi se trouvait devant les portes de la capitale, côté cité, et attendait. Elle était un peu en avance, tout comme le soldat chargé de la sécurité de sa future petite troupe et Aïko, ce qui la satisfaisait franchement. Elle était soulagée de constater le professionnalisme de son équipe à peine le voyage commencé, et cela avait aussi permis de rencontrer le troisième membre de cette dernière en l’absence des enfants. Ce dernier se nommait Benjiro, et lui et Lexi était tombé d’accord sans problème : puisqu’il était responsable de la sécurité, il devait entre autre veiller à ce qu’ils ne perdent aucun enfant ou qu’aucun d’entre eux ne se fassent mal, ce qui était plus du chaperonnage que le rôle d’un soldat, néanmoins nécessaire. Pour autant, il ne serait pas demandé au soldat d’organiser ou de participer aux activités, ou encore de recadrer un enfant si besoin.

La jeune femme dansait d’un pied sur l’autre et tournait en rond en attendant l’arrivée des élèves, et des parents. Elle espérait qu’ils ne soient pas trop à cheval sur le fait que Dom Illys n’était pas présent et accepteraient de lui confier leurs mioches. Cependant, elle s’inquiétait pour rien puisque ce n’était pas le genre de la noblesse : sur les huit familles dont venaient les neufs élèves, six avaient envoyé leur enfant accompagnés d’un ou d’une servante, une mère était venue en personne, et une grande sœur. Cela donnait le ton. Lorsque tout le monde fut arrivé, l’élue prit la parole un court instant.
“ -Bonjour à tous, je me nomme Lexi, et voici Haïko et Benjiro, respectivement l’assistant de Dom, que vous connaissez peut-être, et le soldat chargé de notre sécurité. Pour les enfants, je promets de faire votre connaissance sur le trajet, mais nous devons y aller. Voilà vous pouvez nous les laissez à partir de là, conclut-elle à l’intention des adultes qui les avaient amenés.”
Les enfants dirent à peu près tous bonjour, mais avaient l’air encore bien dans la lune à cause de leur réveil aux aurores. Mais ils avaient de la route, alors il ne fallait pas traîner. Le petit groupe franchit les portes de Jiban à pied, puis marchèrent dix minutes jusqu’à la rive où les attendait leur premier moyen de transport. Ils montèrent tous dans le bateau, et avant que celui-ci ne parte, elle recompta une dernière fois les élèves, soulagée qu’ils soient toujours neufs.

Elle s’était attendue à ce qu’ils soient curieux et bavards, mais à cette heure-ci de la journée, ils étaient surtout somnolents. Alors que la moitié d’entre eux retombait déjà dans les bras de Morphée et que les autres fixaient le vide l’air déconnecté, elle se murmura pour elle-même :
“ - Bon et bien nous discuterons lorsque tout le monde aura fini sa nuit.”
Cela ne valait pas seulement pour les enfants cela-dit : Aïko était lui-même adossé sur une barre de bois et ses yeux se fermaient. Puis elle chercha Benjiro du regard et constata que lui était parfaitement éveillé, et que bien qu’il était également assis sur un banc, son regard faisait des aller-retours réguliers sur la petite troupe, et parfois elle pouvait l’entendre compter jusqu’à neuf. Il était visiblement très sérieux et cela était parfait.

La trajet jusqu’aux mines les moins profondes par bateau permit à ceux qui en avait besoin de dormir encore un peu, mais il fallait ensuite marcher pour remonter jusqu’à la surface, puis jusqu’au village du cratère. Si les plus grands pouvaient tenir un rythme correct malgré leurs têtes de déterrés, les plus jeunes, leur fatigue et leurs petites pattes imposaient une allure ridicule. Au bout de quelques minutes et après un échange de regards, Lexi avait saisi l’un des enfants de huit ans et le prit sur son dos, Benjiro en avait fait de même, et Aïko avait ainsi récupéré la petite de six ans, qui s’endormit la tête contre son épaule. Cela leur évita notamment d’arriver en retard au rendez-vous de la carriole. Lorsque celle-ci se mit en route avec tout le monde à bord, le soleil était maintenant haut dans le ciel et les enfants émergeaient enfin.

Détente au soleil

Peu à peu, Lexi apprit à connaître rapidement les enfants dont elle était en charge. Dans le groupe des plus jeunes, il y avait d’abord la petite fille de six ans qu’Aïko avait portée endormie sur une partie du trajet. Elle se nommait Mitsuko, et se montrait jusque-là calme et discrète. Il y avait également Aya, une fillette de huit ans qui se montrait dynamique et énergique depuis qu’elle était complètement réveillée, et Takumi, un petit garçon de huit ans également, jusqu’ici sage. Ce dernier était le petit frère d’ Amaya, une adolescente qui ne se faisait pas encore remarquer.  gée de treize ans, elle était l’unique fille du groupe des élèves les plus âgés, les autres étant notamment Nori, qui commençait à se montrer bavard et en confiance dans la carriole ; et Kaito, tous les deux aînés du groupe puisqu’ils avaient quatorze ans. La petite troupe était enfin complétée par Hoshi, plutôt timide, et Raiden, les benjamins de douze ans, et finalement Tomoya, qui avait treize ans.

Tout ceci, c’était les informations que Lexi avait apprises en demandant simplement un petit tour de table - ou plutôt de carriole, puisqu’aucune table ne se situait entre eux - des prénoms et âges. Elle n’avait ensuite pas insisté pour faire quoi que ce soit, mais elle viendrait plus tard à proposer quelque chose pour regrouper un peu tout ce petit monde. Mais pour l’heure, la petite troupe allait faire une pause, puisque c’était l’heure de manger. Ils s’arrêtèrent donc, et les élèves de Dom Illys bondirent de leur place assise sur les bancs pour retrouver la terre ferme. Lexi se leva elle aussi, s’attendant à devoir déjà leur courir après, cependant ils s’assirent dans l’herbe sans chercher plus et commencèrent à ouvrir leur panier repas. Cela lui tira un sourire, et elle les entendit se plaindre d’avoir eu faim depuis un moment, et les entendre soupirer de soulagement aux premières bouchées. Après tout, ils s’étaient levés bien plus tôt qu’à leur habitude, et donc leur petit-déjeuner remontait. La marchombre s’adressa à Aïko.
“ - Commence à manger avec eux, je te laisse les surveiller cinq minutes je voudrais parler avec le cocher et son coéquipier de la suite de la route. Je vous rejoins.”
“- Ca marche, ne traîne pas, dès qu’ils auront fini de manger il faudra probablement canaliser tout ce petit monde.”
“ -C’est vrai, répondit-elle avec une petite grimace faussement inquiète.”
Puis elle joignit le geste à la parole et s’approcha des hommes chargés de leur transport, lesquels attachaient leurs chevaux.
“ - Qu’est-ce qui est prévu pour la suite ? les questionna-t-elle ?”
“ - La route continue comme ça dans les plaines encore un moment. Puis on traverse rapidement une forêt et on s’approche de la côte. On quittera la route principale à environ une heure de l’auberge. Pas vraiment de difficulté en vue.”
“ - Très bien. Vous souhaitez une longue pause ou plutôt courte ?”
“ - Ecoutez déjà que le fait de transporter des enfants nous pousse à imposer un rythme tranquille, on aimerait bien n’pas y passer notre journée si vous voulez bien…”
“ - Aucun problème. Je vous laisse manger, bon appétit !”
Sur ces mots, elle rejoint les enfants et Aïko en cercle dans l’herbe grasse des plaines.

Détente au soleil

Alors que tout le monde mangeait, aucune conversation ne venait troubler le silence presque religieux qui s’était installé. Celui-ci venait à la fois du fait qu’évidemment les élèves avaient la bouche pleine, mais la marchombre sentait également quelques regards posés sur elle, curieux mais timides à la fois. Elle ne savait pas trop comment briser la glace, et réfléchissait elle-même à une manière de communiquer un peu avec eux. Heureusement pour elle, ce fut l’un des élèves qui s’en chargea.

“ - Euh… Madame Hil’Feyan ?”

La concernée tiqua un court instant : elle s’était simplement présentée de son prénom, ne voulant pas mettre inutilement trop de distance avec eux - déjà qu’elle n’était pas toujours formelle avec les adultes ni même la hiérarchie… - donc elle mettait cette appellation sur le compte de sa lettre envoyée aux parents. Ceux-ci avaient logiquement dû la présenter par son nom complet.

“ - Tu peux m’appeler par mon prénom Takumi.”
C’était en effet le petit garçon du groupe des jeunes qui l’avait interpellé.
“ - Vous êtes vraiment une élue ? C’est ce que mes parents m’ont dit.”
“ - Oui, ils ne t’ont pas menti.”
“ - Waw...”

Si la conversation s’arrêta pour le moment ici, des chuchotements commencèrent à monter, les élèves se murmurant des commentaires, pensant à tort qu’elle n’entendait pas - même Aïko entendait à vrai dire.

“ - Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez, reprit-elle pour les encourager.”
“ - Est-ce que vous avez des supers-pouvoirs ? demanda donc sans attendre Tomoya.”
“ - Il y a des choses que je sais faire parce que ça fait des années que je m’entraîne, mais je suppose que cela pourrait rentrer dans la catégorie des super-pouvoirs. Je vous montrerais de temps en temps pendant le voyage si ça vous intéresse.”
“ - Tu peux nous montrer quelque chose maintenant ?! Euh, vous !”

Le tutoiement était venu sans faire exprès au jeune garçon, et si cela ne dérangeait pas le moins du monde la jeune femme, elle se posa un court instant la question suivante : devait-elle ou non les laisser la tutoyer ? N’ayant jamais encadré d’enfant, encore moins un tel groupe, elle décida de ne rien dire pour l’instant, elle ne voulait pas se montrer trop familière au risque de ne plus être écoutée et obéie, et d’un autre côté Takumi s’était repris tout seul. Puis elle réfléchit à un petit tour qu’elle pouvait leur montrer, et son regard tomba sur l’anneau sombre qui brillait à son doigt. Cela pouvait servir pour un tour de magie, néanmoins, peut-être que la vue d’arme n’était pas vraiment appropriée pour des enfants. Peut-être pouvait-elle faire quelques acrobaties ?

“ - Bon, je ne vous montre pas les super-pouvoirs tout de suite, on commence gentiment d’accord ? ”

Elle se leva, et recula du cercle de quelques pas, avant de se propulser en arrière et d’enchaîner quelques flips avant de terminer par un salto. Si les plus petits applaudirent à toutes mains, et certains grands lâchèrent un soufflement impressionné, elle remarqua qu’ Amaya la fixait sans expression, et que Nori se penchait à l’oreille de Kaito avant de murmurer avec dédain :

“ - C’est ce que font les artistes que mes parents paient pour divertir la galerie. C’est comme ça qu’ils vivent, en se faisant payer pour faire des pirouettes, tu parles d’un travail digne.”

La jeune femme répondit du tac au tac, et à voix haute avec fermeté :

“ - Ces acrobaties aussi me font vivre Nori. Mais pas parce que les nobles me payent, mais parce qu’ainsi mes adversaires ne peuvent jamais me blesser.”

Sa phrase fit tomber un silence étrange sur le groupe. Certains étaient choqués qu’elle ait évoqué ainsi le combat, d’autres par son ton, quelques-uns étaient curieux et en voulaient davantage… Et Nori n’osait pas détourner la tête du regard froid de la marchombre, mais serrait les dents.

“ - Bon, vous avez fini de manger ? demanda-t-elle en lâchant la pression sur Nori, comme si rien ne s’était passé.”

C’était le cas, aussi leur demanda-t-elle de ranger leurs affaires et de retourner dans la carriole, où elle vit que déjà le cocher avait attelé les bêtes de traits et les attendait. Puis elle se tourna pour vérifier que tout le monde partait, et vit alors le déjà tristement fameux Nori faire un signe de tête à Kaïto, lequel s’avança vers l’élue et lui demanda :

“ - On peut rester pour se promener ?”
“ - Non, car nos cochers ont à faire et notre voyage leur prend plus de temps qu’il ne devrait.”
“ - Mais euh … On voulait jouer un peu.”
“ - Ce n’est pas un argument valable, et puis plus vite on arrive, plus vite vous serez en bord de mer, vous n’avez pas hâte ?”
“ - Si, c’est vrai, concéda l’adolescent en se dirigeant vers la charrette.”

Intérieurement, la jeune femme venait de gagner une bataille, la première de ce qu’elle savait être une longue série, sentiment qui se renforça lorsqu’elle vit Nori rejoindre son camarde en trottinant et soupirer en roulant des yeux lorsqu’il fut près de lui. Elle soupira, et retint Aïko par le bras alors qu’il rejoignait la carriole, afin de lui adresser deux mots sans la présence des élèves.

“ - Bon, je m’en sors comment ? demanda-t-elle.”
“ - Pas si mal. Ce n’est pas ce que j’aurais dit à Nori peut-être, mais en tout cas je crois que tu commences à le cerner. Je veux dire, je ne voulais pas te parler des enfants en avance pour que tu te fasses ta propre idée mais…”
“ - Mais Nori est en plein conflit avec l’autorité. J’ai vu. J’espère que j’arriverai à gérer.”
“ - Tu peux gérer une garde de dix soldats mais pas un adolescent ? La taquina-t-il, en référence à son réveil sur Kosaten.”
“ - A moins que je ne sois autorisée à l'assommer régulièrement, je ne crois pas que les situations puissent se comparer malheureusement. Bon allons-y. Ah une dernière chose. Il faudrait qu’on ne se contredise pas devant les enfants, jamais.”
“ - De toute façon je n’avais pas pour habitude de contredire Dom tu sais.”
“ - Parfait.”

Sur ces mots, ils rejoignirent leurs élèves, et de Benjiro qui se faisait très discret, pour reprendre la route.

Détente au soleil

Après le repas, le voyage reprit donc pour la petite troupe de Shintanjins, et les conversations allaient désormais bon train. En particulier, les élèves commençaient à se montrer de plus en plus curieux au sujet de l’élue. Il fallait dire que lorsque les élus avaient commencé à réapparaître sur Kosaten, la réaction de la nation du cristal avait été de faire préparer des banquets et des soirées en leur honneur, imposant ainsi un accueil presque digne de héros. De plus, avant cela les élus étaient considérés comme une légende, personne n’était sûr qu’ils aient existé, et on jouait aux cartes en se battant avec leurs images. De quoi construire une sacrée réputation pour leur retour.

Si c’était d’abord Takumi qui avait lancé la discussion avec Lexi, se montrant curieux et sociable, peu à peu les autres élèves s’étaient lancés eux aussi, et maintenant il n’y avait que Noriet Kaito qui ne participaient pas, se chuchotant des choses en pensant que la marchombre ne pouvait pas les entendre. Non, celle-ci ignorait seulement les murmures râleurs des deux adolescents, pour participer activement à la conversation avec le groupe.

“ - Et alors c’est vrai qu’il y a des élus qui vivaient il y a mille ans qui sont revenus ?”
“ - Oui, et j’en fait partie. Mais il y a aussi des élus qui arrivent en ce moment, et découvrent Kosaten pour la première fois.”
“ - Et du coup toi tu étais là y a mille ans alors ?!”
“ - Et bah oui c’est ce que je disais…”
“ - Mais alors… Tu es VIEILLE !!”
“ - Euh … J’avais pas vraiment vu ça comme ça. Parce que je n’ai pas vieilli, je n’étais pas vraiment là pendant mille ans.”
“ - Tu étais où, tu étais rentrée chez toi ?”
“ - Elle aurait pu y rester, commenta Nori à voix basse.”

La marchombre continua de se montrer indifférente à celui-ci, et répondit à la question de Raiden.

“ - Il y a mille ans, un cataclysme s’est produit, je suis sûre que vous avez déjà entendu parler de cet évènement avec Dom, non ?”

Les élèves acquiescèrent.

“ - Et bien le cataclysme a peut-être été déclenché par un groupuscule voulant détruire les élus, mais cela nous a simplement enfermé dans des bulles temporelles, où on a plus ou moins dormi pendant mille ans. ”
“ - Waw, si je dormais tout ça c’est sûr que je me ferais sortir du lied par les pieds !”
“ - C’est à dire qu’on a pas vraiment eu le choix. Comme si on avait été assommé. ”
“ -Et du coup ça t’as fait bizarre au réveil ? Moi quand je dors trop longtemps ça me fait bizarre au réveil.”
“ - Ce qui fait bizarre, c’est surtout de se réveiller dans un endroit qu’on ne connaît pas, seule, et d’apprendre que les gens qu’on connaissait, le monde qu’on connaissait, n’existent plus.”

Sa dernière réponse avait cette fois laissé un silence, d’autant qu’elle avait laissé transparaître dans sa voix la pointe de nostalgie liée à l’ancien monde.

“ - Mais que voulez-vous, je pourrais presque dire que j’ai connu trois mondes ! Celui d’où je viens, Kosaten il y a mille ans, et Kosaten maintenant. C’est fou non ?”

Elle tâcha d’apporter un peu de légèreté à la conversation, et de changer le sujet pour la suite.

Détente au soleil

Sentant que l’air se rafraîchissait et que l’humidité avait un peu augmenté, la marchombre interpella leur cocher pour leur demander combien de temps le voyage allait encore durer. réponse : une petite heure. Il était donc temps pour elle et son coéquipier de préparer l’organisation et la future installation de la petite troupe.

“ - Bien, écoutez-moi s’il vous plaît, demanda-t-elle aux élèves.”

Les conversations se turent, et les regards se tournèrent vers elle.

“ - Les chambres sont des chambres de trois, comme il ne serait pas correct de faire des chambres mixtes, Mitsuko, Aya et Amaya vous êtes par défaut ensembles. Ensuite vous êtes donc six à répartir en deux groupes. Des préférences ?”

Les cinq garçons du groupe des élèves les plus âgés commencèrent à discuter, et alors Takumi, le petit garçon curieux, se retrouva un peu isolé. Lexi se rapprocha donc de lui et lui demanda :

“ - Il y a un souci ?”
“ - Je vais être tout seul avec le groupe des grands alors ?”
“ - Seulement pour dormir ne t’inquiète pas. Et tu sais quoi, je te mettrais dans la chambre juste à côté de la mienne, et si ils t’embêtent je le saurais.”
“ - Mais tu seras pas dans la même pièce.”

La marchombre baissa la voix, et pour que seul Takumi l’entende.

“ - Je vais te dire un secret, tu le répéteras pas d’accord ?”
“ - D’accord.”
“ - J’ai une super-ouïe, si je suis dans la chambre voisine de la tienne, je pourrais entendre s’ils t’embêtent. ”
“ - Tu dis ça juste pour me rassurer.”
“ - Tu ne me crois pas ? ”

Le garçon ne répondit pas et fit une moue, avec l’air de ne la croire qu’à moitié. Puis elle se tourna vers les cinq adolescents qui choisissaient leur groupe et demanda :

“ - Bon alors ? ”

Nori fut le premier à répondre, comme s’il s’imposait chef de leur groupe.

“ - On a décidé que moi et Kaïto, comme on est les plus vieux, on restera avec Takumi pour veiller sur lui.”

Si Lexi n’était pas surprise que le petite rebelle ne prenne son acolyte influençable avec lui, elle s’était cependant attendu à ce qu’ils fassent tout pour ne pas finir avec le petit, encore moins pour s’en occuper. Cela ne lui disait rien qui vaille, et visiblement le concerné également puis qu’elle le vit se tendre. Pour autant, elle se contenta d’acquiescer. Elle n’avait aucune raison a priori d’empêcher cette distribution de chambre, et de plus elle ne pouvait pas se mettre contre Nori sans lui laisser sa chance. Elle reprit donc l’organisation de leur arrivée.

“ - Bien. Alors voici ce que ça donnera : à l’entrée il y a deux chambres individuelles, pour Benjiron et Aïko. A côté d’Aïko ce sera Nori, Kaïto et Takumi, et à côté de Benjiro, les trois filles. Puis entre la salle de bain et la chambre de Takumi, ce sera moi, et en face, entre la chambre des filles et la salle à manger, ce sera Hoshi, Tomoya et Raiden. Vous avez bien retenu?”

Les élèves hochèrent la tête et confirmèrent, elle poursuivit donc.

“ - D’après notre cocher, nous devrions arriver dans une petite heure. Cela signifie que vous avez une heure entre notre arrivée et l’heure du dîner. Vous allez vous installer, et ensuite vous faites ce que vous voulez, mais sans sortir de l’étage. Attention, je vous fais confiance pour l’instant. Ce serait dommage de perdre ce privilège.”

En réalité, à défaut elle ne leur faisait pas confiance, mais elle ne voulait pas commencer le séjour en instaurant des règles et sanctions dès le début. Et puis, Benjiro et Aïko ayant les chambres vers les escaliers, aucun gamins ne pourraient descendre sans passer devant eux, elle leur demanderait discrètement en descendant de la carriole de laisser leur porte ouverte pendant cette heure de temps libre.

“ - Pour tout le séjour, en cas de problème ordinaire - dispute avec un camarade, une question, une fenêtre qui ferme pas … - vous venez me voir moi, ou Aïko. En cas de problème de sécurité, vous prévenez l’adulte le plus proche entre nous deux et Benjiro, par exemple si vous pensez qu’un étranger est à l’étage, ou qu’un camarade s’est perdu. Des questions ?”

Les élèves restèrent silencieux, ou haussèrent les épaules, puis elle les laissa reprendre leurs conversations. Aïko de son côté, reprit celle qu’il avait commencé avec le soldat de Jiban, et elle-même resta silencieuse.

Détente au soleil

Une fois arrivés à l’auberge, les enfants étaient tellement pressés d’être complètement en vacances qu’ils montèrent s’installer à la hâte. La jeune femme prit sa chambre et laissa la porte ouverte pour surveiller leurs allers et venues, et posa son sac dans un coin, avant de s’assoir sur le lit. Elle ne déballa pas ses affaires, car elle voyageait toujours légers. Elle se posa donc d’abord un instant, puis se dirigea vers la chambre d’Aïko. Il avait également laissé la porte ouverte, elle s’appuyant contre l’encadrement et toqua tout de même. Le jeune homme étant en train de sortir des vêtements de son sac, il sursauta au bruit avant de dire :
«  - Oh ! C’est toi. Dis moi ?»
«  - Je peux te laisser en charge des élèves un instant ? Je vais aller discuter avec la tenancière de l’organisation de notre séjour.»
«  - Yup, pas de souci.»

Lexi descendit donc les trois étages et retrouva la femme qui les avait accueillis en train de balayer la salle du rez de chausser, où de rares clients étaient déjà attablés. Les repas ne seraient pas servis tout de suite, plutôt dans une petite heure, comme ce serait le cas pour la petite troupe venant de la capitale, apprit Lexi. Tout avait déjà été payé et Dom avait négocié avec la tenancière pour des repas de qualités. Cependant, Lexi comptait parfois partir sur la journée avec les élèves, elle demanda alors comment s’organiseraient les repas.
« - Ma foi je peux vous préparer un truc froid, ça me coûte pas plus cher que de vous servir ici. »

Elle discutèrent encore un moment, puis la tenancière prit congé de Lexi car elle devait justement commencer à préparer le service du soir, avec l’équipe de l’auberge constituée de son mari, un commis et un serveur. Elle remonta donc au dernier étage où tout avait l’air de relativement bien se passer. Elle toqua à chaque chambre. D’abord celle des filles, qui ouvrirent presque immédiatement. La plus âgée avait visiblement fait valoir sa voix d’aînée pour prendre le lit seul, tandis que les deux fillettes de six et huit ans dormaient dans les lits superposés.
«  - Tout se passe bien ?»
Si les deux plus jeunes répondirent d’un ton enjoué, tandis qu’Amaya hocha la tête avant de reprendre sa lecture. Lexi prit le temps de lire l’intitulé avant de sortir : « Légendes et contes de Kosaten ». Intéressant. Elle passa ensuite à la chambre suivante, où se trouvait Takumi et les deux aines des garçons, et posa la même question. Takumi semblait faire la tête.
«  - Ils m’ont laissé le pire lit, ronchonna-t-il.»
«  - Quand tu auras leur âge ça sera à ton tour de laisser le pire lit aux plus jeunes ne t’inquiète pas.»
Même si elle se méfiait de l’association demandée par Nori, le fait que les grands monopolisent les meilleurs places était un classique et elle n’allait pas commencer à arbitrer pour si peu. Dans la dernière chambre, Hoshi, Raiden et Tomoya avait commencé à discuter tranquillement et il n’y avait rien à signaler. N’ayant pas grand chose à faire, elle se dirigea vers le chambre de Benjiro qui l’a vit arriver. Il semblait en effet faire attention à d’éventuelles tentatives de sorties des élèves, toujours aussi sérieux sur son rôle. «  - Tout se passe bien avec les gosses ? Lui demanda-t-il .»
«  - Franchement pour l’instant c’est tranquille. »
«  - Tant mieux. Mais j’ai cru comprendre que tu n’avais pas l’habitude de ce genre de job ? »
«  - Argh non pas vraiment. Les missions auxquelles je suis habituée impliquent en général plus de combats que de pédagogie. »
« - Tu es quoi en fait pour Shintân ?»

La question était légitime mais cela faisait plusieurs semaines que l’élue de là posait à elle-même. C’était compliqué de répondre. Alors elle abrégea.
«  - Disons que c’est ma nation, que je suis un élément libre mais sur lequel ils peuvent compter. C’est complexe. »
«  - Hummmm…»

Une trentaine de minutes plus tard, le serveur de l’auberge monta la nourriture, aidé du commis. Ils portaient deux grandes marmites qu’ils disposèrent sur la table, tandis que Lexi et Aïlo appelaient les élèves pour manger. Un second aller retour plus tard, des corbeilles de pain, des assiettes creuses, des verres et deux carafes d’eau rejoignirent les grandes casseroles et tout le monde était à table. Leur repas du soir étaient une bouillon avec des légumes, quelques pommes de terre et un peu de viande. L’eau était évidemment servie mais si les adultes voulaient boire quoi que ce soit d’autre, ce serait de leur poche annonça le serveur. De toute façon Benjiro prenait son rôle trop au sérieux pour boire pendant son service, Lexi ne buvait que rarement, et Aïko ne pouvait pas trop se le permettre. A la fin du repas, avant que les élèves ne retournent dans leur chambre, Lexi leur annonça le programme dont elle avait discuté avec Aïko peu de temps auparavant.
«  - Comme dans deux jours on fait une sortie en mer, demain après-midi on teste votre niveau de nage. Rien d’obligatoire mais si vous espérez nager en compagnie du capitaine pour observer les animaux marins, vous devez nous montrer que vous savez nager. Donc demain après midi sortie plage. Demain matin on vous laisse dormir mais ceux qui sont levés sont priés de rester à l’étage ou de venir nous voir pour sortir. Demain soir est-ce que ça vous tente un petit feu de camp sur la plage après manger ?»
Évidemment la proposition fut chaleureusement accueillie. «  - Puisque je remplace Dom, il m’a demandé de vous transmettre ce que je sais sur Tenshi. Donc ça sera une soirée feu de camp / cours d’histoire. Voilà vous pouvez y aller. »

Les élèves ne se firent pas prier et se levèrent précipitamment de leur chaise, dans un brouhaha monstre, et évacuèrent les lieux. La plupart allèrent dans leur chambre, certains ressortirent aussitôt avec leurs affaires de toilettes pour aller se mettre un coup de propre : le voyage avait été long. Lexi quant à elle, retourna dans sa chambre, ferma la porte et entreprit de longs exercices d’assouplissement, tout en prêtant une oreille attentive à ce qu’il se passait à l’étage.

Détente au soleil

Le lendemain matin, Lexi se réveilla lorsque les premiers rayons du soleil passèrent par la fenêtre. Elle s’étira et se leva, avant de sortir discrètement de sa chambre et d’écouter ce qu’il se passait dans l’étage. De la chambre de Benjiro venait un ronflement régulier, de celle d’Aiko une respiration lente : ses deux collègues dormaient. Dans les autres chambres, les enfants dormaient aussi, sauf celle des filles où un bruit de papier semblait indiquer qu’Amaya lisait. Elle descendit au rez-de-chaussée : la tenancière avait indiqué à Lexi que les petits déjeuners étaient compris. En voyant l’élue arriver, celle-ci appela son mari à la cuisine et lui indiqua de préparer le petit déjeuner pour « le groupe de la capitale ». Mais celui-ci était déjà prêt, ainsi le commis et le serveur attrapèrent ce qu’il fallait et remontèrent accompagnés de Lexi, qui malgré sa proposition d’aide, avait les mains vides. Ils déposèrent le tout sur la grande table de bois de la salle à manger et redescendirent. Il y avait du pain frais, du beurre, de la confiture et du lait, ainsi que du jus de pomme. Les nobles de la capitale avaient les moyens d’envoyer leurs enfants en vacances visiblement. Elle se dirigea vers la chambre des filles et tapota doucement sur la porte, pour ne pas réveiller celles qui dormaient. L’aînée vint lui ouvrir, signe qu’elle était effectivement réveillée, et la marchombre lui chuchota :
« - Il y a du petit déjeuner si tu veux.»
« - J’arrive, lui répondit la jeune fille en refermant la porte.»

Quelques minutes plus tard, l’élève la rejoignit à table et commença à se servir. Lexi en fit de même, et engagea la conversation.
« - J’ai vu que tu lisais. Les légendes t’intéressent on dirait. »
« - Oui beaucoup, c’est pour ça que je suis les cours de professeur Illys, mais ce n’est pas toujours aussi passionnant que je le voudrais. Il nous enseigne beaucoup l’histoire récente de Shintân, car selon lui on manque encore d’informations sur l’ère avant le cataclysme. Mais c’est de cette ère là d’où viennent  les mythes que l’on nous raconte aujourd’hui.»
« - Une chance que je sois là alors, non ? »
« - Ne le prenez pas mal mais … Je n’ai aucune preuve que vous disiez vrai. Que vous soyez une élue, passe encore, mais que vous ayez vécu sur l’île volante avant sa chute… »
« - Je comprends. Tu n’as aucune raison de me croire à priori, et c’est bien d’avoir un peu de scepticisme et de ne pas gober tout ce qu’on te raconte. Mais le livre que tu lis …»
« -Il parle de légende. Il ne prétend pas parler d’histoire. »
« - Lorsque je parlerais ce soir, de l’ère pré cataclysme. Si tu veux passer un bon moment peut être faudra-t-il que tu te dises ça aussi. Que ce ne sont que des contes.»
« - Mais ce n’est pas ce que vous prétendez. Ce que vous allez dire à tout le monde. »
 « - Oui. Mais je ne sais pas si je peux te convaincre que je viens bien d’une autre époque. On verra j’imagine. Discussion intéressante en tout cas, conclut la marchombre en quittant la table.»

Dans les autres chambres, tout le monde dormait encore. Elle s’installa donc dans la sienne et ferma la porte, avant de sortir son arc du linge ou elle l’avait emballé. Elle le posa sur ses genoux, et en testa la corde. Régulièrement elle l’a changeait ou la tendait. Une arme magnifique qui lui rappelait aussi des souvenirs forts… perdue dans ses pensées, elle sursauta et remballa l’arc dans le linge, avant de le glisser sous son lit.
« - Oui ? »
C’était Aïko, lui, Benjiro et les élèves émergeaient peu à peu, il fallait reprendre le boulot.

Détente au soleil

La matinée passa tranquillement, tout comme le repas, après lequel il fut demandé aux élèves de se préparer pour la sortie de l’après-midi. Aïko en profita pour prendre Lexi à part et lui toucher deux mots au sujet des tests de nage.

“ - Euh dis-moi Lexi… On en a pas vraiment parlé mais… On est d’accord que c’est moi qui vais à l’eau avec les jeunes ?”
“ - Tu te baignes bien si tu veux, je comprends pas la question.”
“ - Tu … Tu compte aller à l’eau avec eux ?”
“ - Oui, je comprends pas le problème.”
“ -Et dans quelle tenue si je peux me permettre ?”
“ - Ohhh ! Tu as peur que je ne fasses pas attention. Quand je voyage seule c’est vrai que je ne suis pas toujours très habillée pour rentrer dans l’eau mais j’ai prévu le coup, j’ai pris un short et un haut de coton que je laisserai sécher.”
“ - Mais Lexi… Avec l’eau ça va être … hyper moulant, enfin...”

Et soudain la concernée comprit pourquoi son assistant devenait écarlate à mesure qu’il essayait d’expliquer.

“ - Ce sont des enfants de nobles, de riches, ce ne serait pas correct qu’ils te voient ainsi.”
“ - Mais toi si ? ”
“ - Je suis un homme, c’est différent. Mais d’ailleurs pour la même raison j’espère que tu ne t’attends pas à tester Amaya ?”
“ - Bah si je m’y attendais. Parce que c’est une fille, elle va passer à côté de l’occasion de nager ?!”
“ - Honnêtement, je ne pense pas qu’elle sache nager Lexi. Ce n’est pas comme ça ici. C’est déjà la fille la plus âgée que je connaisse à suivre des cours. En général leurs familles imposent une autre éducation entre-temps, plus axées sur un futur mariage, tout ça…”
“  - Mais même sans parler de ne plus avoir pied, elle et les deux petites ne vont pas profiter du tout de la mer ? C’est absurde. ”
“ - Tu vas avoir des problèmes avec les parents en rentrant si tu ne m’écoutes pas.”

La jeune femme fulminait, mais s’en voulait aussi de ne pas y avoir pensé. Puis elle fit un compromis, mais l’exposa à Aïko sur un ton qui ne souffrait pas de contradictions. Ils rassemblèrent les enfants qui étaient finalement prêts en haut des escaliers.

“ - Bon et bien puisque nous partons nous mettre à l’eau, les garçons iront avec Benjiro et Aïko, et les trois filles et moi trouverons un endroit plus loin, dans le respect de la pudeur. On passe deux heures comme ça puis on se retrouve à l’auberge. On mangera tôt pour pouvoir retourner sur la plage se faire la soirée feu de camp. Allez en route !”

Bien que cela n’avait absolument pas été le but, elle se retrouvait ainsi avec un groupe réduit, et esquivait Nori et son ami influençable. Et cela ferait toujours un ratio d’un adulte pour trois élèves, de quoi assurer la même sécurité, bien que Benjiro avait d’abord montré de l’inquiétude. Si quelque chose arrivait au groupe de Lexi, il aurait, après tout, failli à sa tâche. Mais celle-ci l’avait rassuré : elle était au moins aussi compétente que lui pour cette tâche. Les deux groupes se séparèrent donc cinq petites minutes après avoir quitté l’auberge, et marchèrent dans des directions opposées sur la plage, jusqu’à ce que Lexi trouve un recoin où des rochers formaient un lieu presque privé sur la plage. Ce serait parfait.

Là, les filles enlevèrent quelques couches mais gardèrent un haut et un bas de coton, et Lexi qui, pour une fois était habillée de vrais vêtements, Rawen étant rétractée, en fit de même. Aïko avait vu juste, Amaya ne savait pas nager, et évidemment les deux plus jeunes non plus. Cependant, elles purent se baigner, la mer intérieure de Shintân n’était jamais très houleuse. Lexi les surveilla attentivement et profita également de l’eau pendant une petite heure et demie. Puis, il fut temps de se sécher et de se rhabiller décemment avant de rentrer à l’auberge.

Là, ils eurent tous un moment pour se changer et se rincer si besoin, avant de manger, moment pendant lequel Lexi demanda un débrief à Aîko, notamment au sujet de qui pourrait à l’eau pendant la balade en mer. Ce serait le cas de Niro, Tomoya et Raiden. Hoshi n’avait pas beaucoup parlé ni donné d’explications, mais n’avait pas mis un orteil dans l’eau, et de son côté, Kaïto avait tenté de convaincre Aïko qu’il savait nager, peut-être sous la pression de Niro qui se débrouillait vraiment bien, mais l’homme n’avait pas été dupe : il aurait été plus que dangereux que mettre Kaïto à l’eau en pleine mer. La marchombre fit confiance au jugement de son acolyte et les autorisations pour le lendemain furent conclues, juste avant qu’ils n’aillent manger.

Détente au soleil

Comme prévu, après manger chacun prit une veste et rejoignit Lexi dehors, à l’entrée de l’auberge. Puis, la petite troupe chercha un endroit approprié pour la soirée, et lorsqu’ils eurent trouvé un endroit où s'asseoir et allumer un feu sans danger, ils s’installèrent. Lorsque tout le monde fut prêt, et que les flammes brûlaient haut au centre du cercle qu’ils avaient formé, la marchombre put prendre la parole.
“ - On va donc commencer les cours d’histoires, à ma sauce. D’abord, quelques précautions. Rappelez-vous que je ne suis pas historienne : je n’ai pas étudié les faits, je les ai vécus. Cela rend mes histoires peut-être plus authentiques que les cours que vous dispense Monsieur Illys, mais aussi probablement moins objectives. Rappelez-vous donc que ceci est mon point de vue, c’est l’histoire à travers le prismes de mon ressenti et de mes sensations. D’accord ?”
Elle laissa un court silence pour laisser à chacun le temps de réfléchir à ceci, même si certains étaient peut-être trop jeunes ou immatures pour prendre le recul nécessaire. Elle tâcherait donc de ne pas peindre une réalité trop contrastée, et d’apporter des nuances.
“ - Je vais commencer par vous raconter comment s’est passée mon arrivée dans ce monde. Cela vous permettra d’avoir d’abord des informations sur l’arrivée des élus il y a mille ans, comment elle fonctionnait, comment ils choisissaient ou non leur nation, et d’en apprendre plus sur les sceaux...”

Il y a mille ans et quelques donc, j’étais dans mon monde d’origine, en train de vaquer à je ne sais plus quelle occupation, quand soudain mon environnement s’est changé d’un coup, à en donner le tournis, et je me suis retrouvée dans une ruelle. Si je ne me souviens pas de ce que je faisais juste avant ma téléportation, je me souviens du juste après. En effet, je me suis retrouvée seule dans une ruelle, avec quelques types éméchés prêts à me chercher des noises. J’essaie d’abord de les maîtriser et de le mettre KO. Ca aurait dû être une formalité, mais là étrange, je suis faible, lente, et pas résistante du tout. Je dois donc me débrouiller pour fuir, et finis à courir sur les toits de la ville, complètement perdue. C’est là qu’une femme me retrouve - on avait signalé ma présence - et commence à me parler. Elle s’appelait Raiden, et était une élue de Tenshi - l’ancêtre de Shintân. Elle m’expliqua donc ce que je faisais ici : j’étais désormais une élue, et j’avais été attirée dans ce monde, probablement par un Dieu. Vous devez savoir que si maintenant, un élu est complètement libre de se lier ou non à une nation, c’était loin d’être le cas avant. Dans mon cas, j’avais été invoquée par le Dieu de Tenshi, comme le prouvait - au cas où j’avais du mal à croire Raiden - un sceau dans mon cou. Ce sceau avait des conséquences multiples. D’abord, il indiquait que j’appartenais à Tenshi, et ce, sans l’avoir choisi. Ensuite, il était responsable de ma faiblesse. En effet, chaque élu à son apparition était bridé dans ses capacités par le sceau de sa nation, probablement à cause du pouvoir du dieu associé. Un mage puissant devenait à peine capable d’invoquer une flammèche, un combattant pouvait se faire mettre KO par le premier gamin un peu dégourdi qui passait par là. Croyez-moi, c’était très frustrant. Enfin, le sceau nous bridait aussi dans nos actions, et nous empêchait de nuire à notre nation. Il paraît que celui de Tenshi était le plus souple, que celui des autres nations pouvait provoquer une douleur rien que pour une désobéissance. Mais chez Tenshi, cela semblait surtout se retreindre à protéger la nation d’éventuels écarts des élus. Mais dans le doute, je suis partie : après tout j’en avais le droit, et ainsi je ne risquais pas de voir mes actions arrêtées dans leur course juste parce que ça pouvait gêner Tenshi. Mais revenons-en au sceau comme identification. Voyez-vous, ils étaient inimitables, inaltérables. On ne pouvait pas l’enlever, le modifier. Certains pouvaient le cacher facilement : par exemple, si il était sur le ventre, une tunique et pouf, invisible, mais pour d’autres, c’était plus compliqué.  Quel est l’intérêt me direz-vous ? Et bien d’abord, montrer le sceau de votre nation pouvait vous donner des passe-droits, ou la confiance des gens. Par exemple, vous cherchez des missions, et on vous demande si vous êtes compétents : boum, vous êtes un élu, ça donne une certaine réputation. Mais cela peut aussi être à double tranchant. Par exemple, quand je visitais une ville de Seika - la nation qui se trouvait au Sud, là où il y a les tribus de Kaen - quelqu’un a remarqué mon sceau, et puisque à l’époque, l’île céleste venait d’apparaître et faisait bien des mystères, ils ont tenté de me kidnapper pour demander une rançon au gouvernement de Tenshi. Et encore, Tenshi n’était alors l’ennemi de personne. Imaginez vous, si elle était en guerre avec une nation, cela devient alors impossible de la visiter sans prendre le risque d’être traqué, car les élus sont parfois considérés comme des armes. Un dernier point : l’apparence des sceaux. Chez Tenshi - actuellement Shintân - c’était un cristal mauve incrusté dans la peau. Chez les autres nations,  il s’agissait d’un tatouage : un serpent vert pour Minshu, actuellement Shûza, un pheonix rouge pour Seika, un dragon bleu pour Fuyu, actuellement Reifuu.

Le cours se termina là dessus, et il se faisait un peu tard, les trois adultes raccompagnèrent donc les élèves à l’auberge où chacun se fit une petite toilette avant d’aller se coucher. Avant qu’ils ne partent tous dans leur chambre, Lexi leur rappela le programme du lendemain.
“ - Demain matin, le groupe de jeunes vous avez une heure de cours de lecture et d’écriture avec Aïko. Les aînés vous avez quartier libre dans l’étage, et vous venez me voir si vous voulez sortir. On mange ici à midi puis on a une heure de marche pour rejoindre le port le plus proche, où un bateau nous attend pour une sortie en mer. Ceux qui veulent nager - pas dit que ce sera possible attention, ça dépendra des conditions - vous prenez vos dispositions, notamment du rechange. Ceux qui n’ont pas reçu l’autorisation d’Aïko aujourd’hui, inutile d’essayer de négocier. Voilà c’est tout, bonne nuit et à demain.”
Elle même alla également dans sa chambre, bien qu’elle n’allait pas dormir tout de suite. Elle fit à nouveau une longue séance d’assouplissement, car il n’était pas question de se négliger pendant ces petites vacances au soleil.

Détente au soleil

Le lendemain, les élèves et leurs trois accompagnateurs marchèrent jusqu’à un petit port, où les attendait un bateau fait pour aller au large, dirigé par un capitaine fort sympathique. Celui-ci était un homme dans la force de l’âge, aux cheveux poivre et sel, barbu et un bâtonnet au coin de la bouche. Il les salua jovialement et leur présenta son modeste équipage pour la journée, même s’il était le seul des trois personnes le constituant à se montrer bavard. Pendant la balade, il leur parla de ce qu’il savait sur la mer, leur montra un banc de raies, et les fit descendre dans le fond du bateau où des hublots spéciaux, résistants à la pression de l’eau, leur permettaient de voir l’intérieur de la mer. Ils purent ainsi voir un banc de plancton, et observèrent de loin une jeune baleine, ce que Lexi aurait appelée une Dame, même si elle était étonnamment petite par rapport aux cétacés de son monde. Cependant, la mer était trop agitée pour laisser les jeunes se mettre à l’eau, ils durent donc se contenter d’observer depuis le bateau. Globalement tout se passa bien, il fallut simplement aider Raiden à gérer son mal de mer, et nettoyer son déjeuner du midi qui finit malgré tout sur le plancher de l’embarcation.

Le soir en rentrant, le programme fut le même que la veille : prendre le repas tôt, et ensuite se faire une petite soirée histoire par Lexi. Cependant, au contraire du jour précédent, la pluie les contraint à faire ça en intérieur, et ils se réunirent donc dans la salle à manger. Ce jour-là, la marchombre allait leur parler de la corruption dont Tenshi avait souffert…

Je vais vous parler de certains guerres, batailles et intrigues politiques. N’oubliez pas que c’était il y a mille ans,et que les ennemis ou les alliés de cette époque n’ont rien à voir avec maintenant.

La première partie de ce que je vais vous raconter, je ne l’ai pas vécu, car j’étais en train de m’adapter à Kosaten, et je n’ai donc pas pris part à la guerre qui a opposé principalement Fuyu et Seika. D’abord, il faut savoir que vis à vis de cette guerre, Tenshi était neutre. Elle s’était déplacée au dessus de Kosaten depuis peu de temps, les gens la considérait encore comme un mystère, et elle en profitait pour garder de la distance avec les problèmes du continents et ses intrigues politiques. Initialement, une alliance était tout de même prévue avec Minshu, la nation la plus faible à ce moment-là sur le continent. Sauf que les envoyés de Tenshi et Minshu se sont retrouvés sur le champ de bataille entre Seika et Fuyu de manière imprévue. Et pendant cette bataille, l’île céleste a tiré un rayon d’énergie destructeur sur les deux camps qui s’opposaient, sans prévenir. Ce fut le premier signe de la corruption de Tenshi. A cette époque, tous les habitants de l’île avaient un cristal dans la peau, le sceau des élus étant légèrement plus gros et marqué, mais cela leur permettait de se téléporter entre le continent et l’île volante. Et bien tous les cristaux se sont alors retrouvés corrompus d’une magie noire, qui manipulaient les tenshijins et les poussaient à faire certains actes contre leur volonté. On n’a pas comprit au début ce qu’il se passait, mais on remarquait la corruption aussi par le fait que le cristal des habitants n’étaient plus mauve, mais noir. Heureusement, Reisha - qui n’était pas à ce moment-là parmi les dirigeants, ni grande prêtresse - leva un camp de rebelles. Elle avait réussi à trouver un moyen de libérer les corrompus : il fallait frapper leur cristal avec un métal spécial, le fer blanc, et cela le libérait de la magie noire qui l’avait corrompu. J’étais sur le continent lorsque la corruption m’a touchée, mais vers la côte, pas loin de l’île où les rebelles avaient établi leur camp, ils n’ont donc pas mis longtemps avant de me trouver et de me libérer.

Cela ne faisait cependant pas de moi quelqu'un de leur camp, mais je leur étais en partie redevable après tout. J’ai donc choisi de les aider un peu, en réalisant une mission qu’ils avaient placardée sur des affiches dans les territoires neutres : il s’agissait de trouver du fer blanc. C’était un minerai rare, présent dans des zones volcaniques, et cela les aiderait à libérer plus de monde. Après ça cependant, j’ai fait mon bonhomme de chemin, car je n’avais pas assez d’informations pour choisir un camp, pas de vraies raisons. Gardez ça en tête les enfants : il faut toujours prendre des décisions en connaissance de cause. D’ailleurs, on s’arrête là pour ce soir. La prochaine fois, je vous parlerai de la suite de cette histoire de corruption, et de la bataille de Shiriai évènement tout de même majeur de l’époque où j’ai vécue.

Lexi n’avait en réalité pas prévu de s’arrêter aussi tôt dans son histoire, mais elle avait remarqué que les trois plus jeunes commençaient à piquer du nez : la balade les avaient tout de même un peu secoué, d’autant plus qu’ils avaient beaucoup marché à l’aller et au retour entre le port et l’auberge. Elle laissa donc tout le monde aller se coucher, et pour changer, se rendit dans sa propre chambre avant de faire quelques exercices en silence.

Détente au soleil

Pendant la troisième matinée du séjour, ce fut le groupe des grands qui avait cours avec Aïko, et les jeunes qui avaient quartier libre. Elle surveillait donc ces derniers, mais globalement ils étaient sages : les deux petites filles jouaient au loup dans l’étage, et Takumi s’était approché de Lexi pour la questionner davantage. Entre autre, il se plaignait de ne pas avoir vu plus de « super-pouvoirs » de l’élue, qui lui promit donc de leur montrer quelque chose de nouveau aujourd’hui. Le programme du jour était de partir juste après manger et de marcher jusqu’au sanctuaire, ce qui leur prendrait bien deux heures au rythme des enfants, et de découvrir un peu l’endroit. Ils rentreraient avant que la nuit ne tombe évidemment, et dîneraient à l’auberge.

Pendant le trajet jusqu’au sanctuaire abandonné, les trois accompagnants durent porter les trois plus jeunes, comme le jour du départ, s’ils voulaient avancer à un rythme suffisant pour passer du temps sur place. Si Lexi et Benjiro arrivèrent encore frais de la petite randonnée, Aïko était éreinté d’avoir porté la plus jeune, Mitsuko. Le sanctuaire se trouvait au cœur de la forêt, et était marqué par un cercle de rochers allongés, posés verticalement dans la terre et mesurant presque deux mètres de hauteur. Au centre se trouvait ce qui avait dû être un autel il y a des dizaines d’années : c’était un empilement de roches dont la plus hautes étaient quasiment plates, formant comme une table plus ou moins ronde, mais assez haute. D’étranges inscriptions étaient gravées sur l’autel, qu’Aïko s’empressa d’observer en prenant des notes sur les parchemins qu’il avait emmenés. D’abord les enfants purent également observer les lieux et se balader un peu, dans un périmètre fixé, et c’est là que la présence de Benjiro et Lexi s’avérait cruciale : c’était dans ce genre d’endroit qu’il était facile de perdre un enfant au milieu de la forêt. La marchombre se montra donc intransigeante et dès qu’un élève sortait du périmètre, même d’un pas, elle intervenait et lui demandait de revenir vers le centre. Elle vit que Benjiro en faisait de même, et évidemment lorsqu’il dit empêcher Nori de s’éloigner trop, l’adolescent en profita pour lui tenir tête.

« -Tu es là pour notre sécurité, c’est pas à toi de nous dire quoi faire, on est même au dessus de toi, si je dis à mes parents que tu as autrepassé tes droits- Ah!! »

Benjiro l’avait attrapé sans ménagement et jeté comme un sac à patate sur son épaule.

« -On dit outrepasser et mon devoir c’est effectivement de veiller à ta sécurité. Mais crois moi je préférerais te laisser te faire croquer par un loup  »
« -Je vais tout dire à mes parents tu seras de-promu!!! »
« -Rétrogradé tu veux dire ? »
« -TU N’ES PAS PROFESSEUR ARRÊTE ! »

Le soldat reposa le gosse au centre du sanctuaire et croisa le regard de Lexi, qui avait suivi la scène de loin. Pendant que Nori partait râler, ils s’approchèrent, et Benjiro poussa un long soupir. La jeune femme lui parla à voix basse.

« -Celui là tu le laisses sortir la prochaine fois tu fais comme si tu n’avais pas vu. Je le suivrai ne t’inquiète pas. »
« -Je ne peux pas faire ça Lexi, s’il vous arrive quelque chose ?  »
« -Il ne nous arrivera rien, il n’y a rien de très dangereux dans cette forêt, surtout avec le boucan qu’on fait. Au pire on tombe sur un loup quelque chose dans le genre et crois moi je saurais gérer. Je veux lui donner une leçon. »
« -Tu n’as pas intérêt à ce que ça me retombe dessus hein… »
« - Fais moi confiance. »

Détente au Soleil

La jeune femme put appliquer son plan, mais elle dut même se dépêcher puisque à peine Lexi et Benjiro avait été pris par leur discussion, à peine Nori s’était éclipsé à nouveau. Non seulement il était sorti du périmètre de sécurité, mais s’en éloignait le plus directement possible. Si elle n’eut aucun mal à le repérer au bruit, elle eut la désagréable surprise de constater qu’il parlait à quelqu’un, elle était prête à parier qu’il avait embarqué Kaito avec lui. « Oh et puis tant mieux ! songea-t-elle, peut être qu’il remettra en cause ses fréquentations celui là aussi ! » Elle les suivit avec discrétion et efficacité. On aurait pu parler d’une traque si ça n’avait pas été aussi facile. Et ce qu’elle attendait arriva finalement. C’était en revanche un peu plus qu’un simple loup de forêt : elle entendit le grognement caractéristique du sanglier sauvage. Il avait entendu les enfants et s’approchait. Lexi resta en retrait. Et quelques secondes plus tard, les élèves imprudents se retrouvèrent face à face avec l’animal, et se pétrifièrent de peur.

Face à eux, le sanglier les observait, en poussant des grognements peu rassurants. Allait-il les attaquer ? Ces bêtes étaient en général belliqueuses. Kaito ne put s’empêcher de gémir de frayeur, et ce fut le son qui brisa l’équilibre fragile de la situation. Le sanglier chargea. Et soudain une silhouette gracile apparut devant les yeux des jeunes terrorisés. Lexi s’était enfin interposée, ne daigna pas adopter la forme de combat de son armure ou utiliser le bouclier de Rawen, elle avait bloqué l’attaque en prenant garde aux défense de l’animal, et celui-ci était maintenant un peu déboussolé par une arrivée aussi impromptue. Il fit cependant mine d’attaquer à nouveau, et Lexi soupira. Si les deux imbéciles n’étaient pas derrière elle, la bête n’aurait eu aucune chance de la toucher, mais ici elle ne pouvait pas se permettre d’esquiver, sinon le sanglier finirait sa course droit dans Nori et Kaito. Elle devait le faire fuir.
Elle sortit alors ses deux poignards, qui étaient dissimulés sous sa veste, et se baissa sur ses appuis. Elle adopta une posture clairement agressive et soutint le regard du sanglier. Mais ce dernier ne sentit pas le danger qu’elle représentait, peut-être n’était-il pas assez expérimenté en la matière ? Il chargea à nouveau, et cette fois-ci elle laissa Rawen déployer un bouclier qui la protégea du coup. C’était assez. Elle passa à l’attaque, si vite que les deux enfants, qui observaient la scène médusés, ne la virent pas bouger. Il entendirent simplement un couinement et un coup, et soudain la jeune femme était à nouveau devant eux, rempart entre eux et l’animal. Sauf que ce dernier était désormais zébré d’une entaille écarlate sur le gras du flanc et avait pris quelques coups de pieds en bonus. Il prit la fuite sans demander son reste.

La jeune femme nettoyant le sang sur la lame qui avait servir et rengaina ses armes, avant de se tourner vers les deux élèves avec un air sévère.

« -Alors vous croyez quoi ? Qu’en désobéissant on est cool ? Que les règles que j’impose sont arbitraires ? Leçon du jour : quand on est incapable de survivre seul a une rencontre imprévue dans la forêt, on ne se retrouve pas seul. »

Si Kaito resta muet, elle vit que Nori tentait de trouver quelque chose à dire.

« -Non mais toi tu te tais. Et tu t’estimes heureux que je ne vous punisse pas. Et ne crois pas que je sois dupe. Je sais que c’est toi qui embarque Kaito dans tes rébellions. Je me demande ce que feraient ses parents s’ils apprenaient que tu l’as mis en danger comme maintenant.  »

Cela suffit, et s’il serra les dents avec frustration, il resta coi. D’un signe de tête, l’élue leur fit signe de se mettre en route et ils retournèrent au sanctuaire, où Benjiro avait veillé à ce que personne ne s’éloigne trop. Elle envoya les deux jeunes idiots s’assoir dans un coin du cercle de pierre tandis que le soldat s’approchait d’elle et lui demandait d’un signe de tête comment cela s’était passé.

« -Ils ont croisé un gros sanglier sauvage un peu belliqueux. Ça leur a fait les pieds j’espère. Mais ne t’inquiète pas, la bestiole ne les a pas effleurés. »

Benjiro soupira mais ne commenta pas, et la marchombre rassembla ensuite les élèves en petit cercle, entre l'autel centrale et la périphérie des pierres qui limitaient le sanctuaire. Aïko allait leur dispenser un cours préparé par Dom Illys sur certains anciens rituels religieux. Lexi en profita pour rester en retrait et se contenta de surveiller les enfants.

Détente au soleil

Après le cours dispensé par Aïko, il était temps de rentrer, s’ils voulaient arriver à l’auberge avant la nuit. Ce dernier commença donc à leur demander de prendre leurs affaires et de s’organiser pour le retour, quand Takumi l’interrompit.

“ - Attendez, Lexi a dit qu’elle nous montrerait un de ses pouvoirs pendant cette sortie.”
“ -Tu parles, c’est un mercenaire c’est sûr, grommela Nori.”

La jeune femme tourna la tête pour fixer l’adolescent droit dans les yeux, avec froideur et sévérité. Ne comprenant pas ce qu’il percevait comme une coïncidence, puisqu’il avait murmuré, ce dernier blêmit. Elle lui faisait peur, surtout après ce qu’il avait vu devant le sanglier. “Tant pis pour lui, songea-t-elle, peut-être qu’au moins il ne posera plus de problème”. Après cet échange de regard qui ne dura qu’un court instant, la marchombre laissa un doux sourire glisser sur ses lèvres et céda à la demande de Takumi..

“ -Très bien, très bien. Je vais vous montrer quelque chose que j’ai appris sur Tenshi, l’île céleste. Mais j’ai besoin d’un assistant.”

Les réactions furent diverses : certains enfants se portèrent immédiatement volontaires, Aïko, persuadé qu’il s’agissait de lui, se levait déjà en soupirant, et Benjiro à son habitude, regardait le tout avec détachement. C’était pourtant de lui dont Lexi avait besoin pour sa petite démonstration, ce qu’il comprit quand elle le fixa.

“ -J’avais dit que je ne participerai pas aux activités, maugréa-t-il dans un premier temps.”
“ -Aller s’il te plaît. Même toi, tu n’es pas curieux de voir ce dont je suis capable ?”
Il haussa les épaules, car il continuait de voir en elle une femme un peu débrouilarde, mais une femme d’abord, pas une combattante. Mais puisqu’elle insistait gentiment, il allait l’aider.
“ - Que dois-je faire ?”
“ -Attaque moi.”
“- Pardon ? répondit-il immédiatement avec incompréhension.”
Dans le public composé des élèves et d’Aïko, un silence s’était fait, plein de curiosité.
“ - Aller enfin ! Puisque je te le dis !”

Peu convaincu, Benjiro fit partir une gifle. Trop lente, trop faible, la marchombre se contenta de reculer légèrement et de sentir le souffle passer devant son petit nez.
“ - Enfin Benjiro ! Si tu veux que je me défende, il faut y mettre du tiens. Il faut au moins que tu puisses me toucher.”
Elle ne disait pas seulement ça pour le spectacle, elle sentait qu’elle ne pourrait déclencher le pouvoir de sa nation qu’avec un minimum de tension, car elle ne s’en était jamais servie hors combat.
Ce dernier soupira.
“- Tu l’auras voulu, mais ne vient pas te plaindre.”

Il décocha alors un franc coup de poing. Pas comme il le ferait contre un adversaire cependant, plutôt comme s’il remettait à sa place un homme ivre et lourdeau. La marchombre évita sans mal. Il fronça les sourcils, et décocha un vrai coup de poing cette fois-ci, un direct rapide et puissant. Elle évita une nouvelle fois, avant d’esquisser une moue.
“- Sors ton épée, lui intima-t-elle. Les enfants, je vais vous montrer que les élus de Shintân ont la protection de la nation. ”
“- Tu es peut-être rapide Lexi, répondit Benjiro, mais l’allonge d’une épée devient plus compliquée à éviter que celle du bras seul.”
“- Ne fais pas ton rabats-joie enfin ! ”

Il grommela une nouvelle fois, mais finit par sortir son épée. Chez les élèves comme pour Aïko, tout le monde retenait son souffle. Benjiro attaqua, probablement pas à pleine puissance, mais enfin quelque chose de dangereux. La jeune femme fit face, et déclencha la technique apprise au camp d’entraînement de Tenshi, il y a plus de mille ans. Une plaque de cristal mauve apparut et  vint s’interposer devant l’épée, tandis que la jeune femme bloqua de ses avants-bras derrière la plaque - ça aurait été dommage de se la manger dans le nez. Et cette fois-ci, elle vit des regards stupéfaits voir admirateurs chez tout le monde, même Benjiro. Elle entendit des enfants souffler entre eux “trop stylé !”, et le ton neutre d’Amaya admettre que “ça claque plus que les pirouettes”.
“ - Aller, je vous ai montré le coup du cristal, maintenant on rentre avant de se faire surprendre par la nuit ! Hop hop hop !”

Alors que les enfants se mettaient en route, le soldat resta près de Lexi un instant.
“ - Tu as piqué ma curiosité. Tu serais d’accord pour un petit combat amical, une fois le voyage finit ? Je me demande jusqu’où tu peux aller.”
“ - Avec plaisir, mais ne me sous-estimes pas, ton ego pourrait en prendre un coup, répondit-elle avec effronterie. ”

Détente au soleil

Le quatrième jour, Aïko et Lexi avaient prévu une balade le long de la plage, avec pic-nique au bord de la mer et visite d’un phare, où un pêcheur avait accepté de les recevoir, pour qu'ils puissent monter au sommet de l’édifice et observer la vue. Ils partirent dans le milieu de la matinée de l’auberge, après un bon petit déjeuner. La jeune femme s’était fait la réflexion que ce voyage tout frais payé la nourrissait grassement en comparaison de son régime habituel, et cela ne lui faisait pas de mal. Elle se chargeait en nutriments, en protéines, et stockait quelques graisses qui n’allaient pas faire long feu de toute façon, bien que son activité sportive était également réduite pendant ces petites vacances. Enfin “vacances”, elle devait tout de même surveiller et occuper les gamins que lui avait confié Dom Illys, ce qui restait tout de même une contrainte. Mais bon, ce n’était pas si terrible, et même si certains -Niro, pour ne viser personne- étaient plus compliqués que d’autres, dans l’ensemble elle et Aïko ne s’en sortaient pas trop mal.

Ils arrivèrent au phare alors que le soleil s’approchait du zénith, comme il était prévu, afin de picniquer contre le phare. Cependant, obnubilés par la taille imposante du bâtiment, les enfants oublièrent la faim dont ils s’étaient plaints sur le dernier kilomètres pour demander à grimper immédiatement. Ainsi, les trois accompagnateurs saluèrent et remercièrent le pêcheur, et grimpèrent au sommet du phare avec les enfants, par l’escalier intérieur, qui menait jusqu’à la plateforme où des feux étaient allumés à la tombée de la nuit. Là, Lexi comme ses deux collègues était aux aguets : il ne s’agissait pas qu’un des élèves ne prennent des risques et ne passe par-dessus la rambarde de la plateforme, mais heureusement celle-ci était déjà haute pour des enfants. Ils les laissèrent profiter de la vue un moment, avant de faire redescendre tout ce petit monde pour le repas du midi.

Ce dernier avait été préparé pour être mangé froid, comme promis par l’aubergiste. Il s’agissait de lard grillé, avec du riz et des légumes cuits. La nourriture et la vaisselle avait été transportées par la marchombre et ses acolytes, obligeant donc même les plus jeunes à marcher tout le long du trajet. Ce dernier ayant ouvert l’appétit de tout le monde, il ne resta bientôt qu’un silence satisfait et le bruit des couverts, parfois interrompu par un soupir de satisfaction, lié à un estomac qui se remplissait enfin. Lorsqu’ils eurent fini, certains demandèrent à monter à nouveau voir la mer depuis le sommet du phare, Benjiro accompagna alors ces derniers, tandis que les autres semblaient piquer du nez à cause de la digestion. Le groupe resta donc là, pendant que quelques-uns piquaient un somme à même la plage, et d’autres discutaient tranquillement.

De son côté, l’élue détaillait le phare de son regard, et parfois fixait la mer intérieure de Shintân. Cela lui rappelait le vieil homme au bord de la côte océanique, qui l’avait hébergée quelques jours. Que devenait-il ? Avait-il revu ses fils ? En rentrant à Jiban après l’avoir rencontré, Lexi avait demandé un service à Dom Illys, pour que les deux soldats revoient leur père, ce qui nécessitait des jours de congés communs et bien placés. Il lui avait dit que cela ne devrait pas être difficile, et qu’il s’en chargerait. C’était par ce genre de demandes que Lexi se retrouvait désormais à garder neuf enfants de nobles : il fallait bien qu’elle lui rende la pareille. Personne ne tenait les comptes, mais ils se rendaient des services comme ça de temps en temps.

Plus tard, le groupe reprit le chemin de l’auberge, avec un rythme tranquille : il avait largement le temps de rentrer avant que la nuit ne tombe. Ils purent donc même faire une pause au bord de l’eau, pour que les élèves se reposent notamment, car ils n’avaient pas l’habitude de marcher autant chez eux, et cela faisait quatre jours qu’ils n’arrêtaient pas. Lexi décida donc qu’elle allait en profiter pour continuer de leur raconter la corruption de Tenshi et la bataille de Shiriai.

Détente au soleil

La corruption de l’île de Tenshi posait problème, et pas qu’aux Tenshijins désireux de récupérer leur nation libre. En effet, pendant les mois de corruption qu’elle a subis, l’île s’est montrée un danger pour les autres nations. Elle a tiré avec un rayon d’énergie, très puissant, au moins deux fois sur le continent, visant des points importants des autres nations, comme un temple. On craignait qu’elle devienne incontrôlable. C’est pour cela que, des mois après le début de ce problème, quand elle a estimé que ses rebelles étaient prêts et armés, Reisha a appelé à la révolte ouverte pour récupérer l’île ; et alors, les trois nations du continent ont répondu présentes en envoyant ses élus. Quelques mois avant, Fuyu et Seika s'affrontaient sur un champ de bataille, mais une menace trop lourde pesait sur Kosaten, c’est pourquoi les ennemis sont devenus des alliés.

Pour rendre sa liberté à Tenshi, il fallait remplir plusieurs objectifs, et celui des Tenshijins présents et libres étaient d’aider Reisha à défaire le conseiller corrompu qui dirigeait l’île. Il fallait en parallèle désactiver la source de pouvoir du laser, passer les défenses mises en place par le conseiller… Malheureusement, cela se traduisait par le fait que les Tenshijins corrompus allaient nous empêcher de progresser et se battre, il y aurait donc une bataille. Mais pendant celle-ci, les Tenchijins libres devaient se défendre et avancer vers le coeur de la capitale, en tâchant de mettre hors de combat leurs adversaires, sans blesser ceux qui avaient été leurs voisins et leurs amis.

C’était difficile, mais nous avons fini par vaincre Hatanz, le conseiller. Pour le reste, cela ne se déroulait pas forcément bien. Puis, quand personne ne s’y attendait, une entité immense et puissante est apparue. D’aucun prétende que c’était Gensou, la déesse de Tenshi, mais corrompue elle aussi. Honnêtement, je suis plutôt du côté de ceux qui y croient, mais je n’aurais pas la prétention de l’affirmer. Déesse de Tenshi ou pas, cette entité faisait partie du problème de corruption, il fallait donc la combattre. Mais elle était si puissante, cela paraissait impossible.

Alors Reisha a fait quelque chose dont je n’aurais cru personne capable. Elle a drainé les pouvoirs de tous les élus présents sur l’île, afin de déchaîner leur puissance sur l’être corrompu. Cela vous paraît fou à vous aussi ? Pourtant sachez que, d’une part, ce n’est rien à côté de la suite, d’autre part, cela n’a pas suffit. La créature corrompue était toujours là. Alors, celle qui est aujourd’hui la grande prêtresse de la nation a fait quelque chose d’encore plus incroyable. Elle a ouvert une faille vers un autre monde - le monde des morts selon les rumeurs - et a dirigé le flot de puissance qui sortait vers les élus, leur distribuant une quantité de pouvoir incommensurable. Nous nous sommes donc battus avec une énergie presque divine, contre ce qui semblait être une divinité, et avons vaincu son côté corrompu. Les habitants qui étaient sous l’emprise de la corruption en furent drainés, et enfin, la bataille s’arrêta.

Ainsi, l’épisode de la corruption de Tenshin s’acheva, bien qu’en réalité, il fallut encore du temps et du travail pour reconstruire et réparer la capitale, et pour panser les plaies laissées par de tels évènements.

Après cette narration sur la fin de l’époque où Tenshi avait subi la corruption, les élèves et leurs accompagnateurs retournèrent à l’auberge où ils prirent leur repas avant que tout le monde ne se retrouve dans sa chambre, comme les soirs précédents. Les jours suivants furent eux aussi répartis entres des activités et des cours. Entre autres, ils firent une nouvelle sortie plage, toujours séparés en deux groupes genrés, Lexi leur parla encore un peu de ce qu’elle savait sur l’ancien monde, et Aïko assura quelques cours plus classiques. A la fin de la semaine, il fut temps de regagner Jiban, de la même manière qu’ils étaient venus. Arrivés par bateau aux portes de la capitale, les dames de maison - ou plus rarement les parents - étaient revenus chercher les élèves, lesquels ne reverraient probablement pas la marchombre. Takumi la salua donc chaleureusement, tout comme Hoshi, malgré sa timidité tout le séjour, et Raiden. D’autres furent plus réservés, comme Amaya et Tomoya, et évidemment Nori la snoba complètement, entraînant avec lui Kaito qui se débrouilla pour lui faire un signe avant de partir. Benjiro quant à lui, aurait aimé pouvoir donner rendez-vous à Lexi dès le lendemain dans un camp d’entraînement de la milice, mais avait des ordres qui le remettaient au travail rapidement. Aïko enfin, était fatigué du voyage et fut bref lorsqu’il salua la marchombre. Cette dernière les regarda donc partir, avant de rejoindre son modeste logement. Elle était reposée, bien nourrie. C’était parfait pour repartir à l’aventure, ou dans des missions palpitantes et dangereuses.