Chasse en forêt (chasse)

Chasse en forêt

Dans une forêt de résineux des Terres Neutres, une jeune femme armée d’un arc noir se déplaçait sans bruit. Autour d’elle, quelques oiseaux piaillaient, des grenouilles croassaient dans les marécages à une trentaine de mètres, et les écureuils couraient par à coup dans les feuilles mortes. La forêt vivaient de mille et un bruits, et la chasseuse, absolument silencieuse, était la mort. Se déplaçant avec la furtivité digne d’un assassin, elle avait invoqué une flèche magique grâce à l’anneau sombre passé à son index, et tenait son arc prêt à décocher un trait fatal. Depuis quelques minutes, elle traquait un daim dans la force de l’âge, dont les traces dans la terre meuble avaient trahit sa présence quelques centaines de mètres en amont. La marchombre l’avait même entendu il y a peu, et elle savait qu’elle se rapprochait. Elle progressait contre le vent, ce qui, ajouté à sa discrétion, la rendais indétectable par sa proie.

Lexi finit par apercevoir cette dernière, mais malheureusement elle ne voyait que son arrière-train, le reste étant dissimulé derrière un pin au tronc deux fois plus large que la jeune femme. Elle ne pouvait ainsi pas tuer l’animal proprement. Elle prévoyait donc d’attendre ou de faire un bruit pour le surprendre, et qu’il se dégage un peu. Avec un tel animal elle pourrait se renflouer un peu …

En effet, Lexi voyageait un peu hors de Shintân et prévoyait de chasser des espèces qu’on ne trouvait pas sur les côtes ou dans les souterrains de la nation. Elle avait donc marché dans les Terres Neutres, jusqu’à trouver des paysages suffisamment différent, puis s’était mis en chasse, l’arc en onyx noir dans la main. Ainsi, elle pouvait tirer des espèces qui, même si elles restaient communes, se faisait plus rare à Shintân, et les revendre au village du cratère pour un bon prix. Elle devrait probablement louer une calèche au village le plus proche pour ramener ses prises, mais cela pouvait s’avérer rentable. À Shintân, on mangeait surtout ce qu’on pêchait, à cause de sa localisation. Un daim, ou encore de la volaille qui change de la mouette ou du goéland, cela pouvait valoir son pesant de monnaie, et ce n’était pas plus dur à tuer pour la marchombre. Et en bonus, elle sortait un peu du coin. Cela lui manquait de voyager, mais il y avait à faire pour Shintân…

Chasse en forêt

Au moment où la jeune femme claquait d’un coup sec de la langue et bandait son arc, elle entendit quelque chose approcher. Pour autant, quand le daim sortit de sa cachette par peur, elle le visa et s’apprêta à tirer, mais le bruit devint plus clair : il s’agissait d’une meute, animal à quatre pattes, rapide, avec de la fourrure. Elle était sur le domaine de chasse d’une autre espèce. Elle tira quand même, mais entre ce court laps de temps où elle avait réalisé ce qu’il se passait, et le daim qui changeait de direction à cause de la même meute, la flèche traça un trait de sang sur l’épaule de sa proie avant de se perdre dans la forêt.

Elle s’apprêtait à enrager mais n’en eût pas le temps : elle entendit un animal soudain très proche d’elle. A peine se tourna-t-elle vers l’origine du bruit qu’un loup l’attaquait. Elle n’eut que le temps d’invoquer le pouvoir de Tenshi et une plaque de cristal en lévitation vint la protéger, une première fois in extremis, mais la seconde fois elle put bloquer derrière la plaque mauve de cristal. Il l’avait prise par surprise, mais désormais elle était dans le combat, alerte et aux aguets. Elle évita ainsi sans problème les attaques les plus rapides et puissantes du loup sauvage qui avait décidé de s’en prendre à elle.

Mais si Lexi était vive et agile, il en était autant de son adversaire qui la noyait d’attaques. Elle devait faire des compromis, accepter ici un coup de griffe pour frapper de ses lames jumelles, là laisser les crocs ripper contre sa jambe pour placer une nouvelle attaque. Elle finit par appeler le bouclier de Rawen, son armure qui avait pris sa forme de combat dès les premières secondes de ce dernier. Cela l’aida à gérer l’assaut tempétueux du loup et lui donna un peu de répit.

Dans l’esprit de la marchombre, il n’y avait pas de place pour le doute ou la peur. Il n’y avait que la réflexion et les décisions à prendre. Elle savait se battre, il fallait qu’elle garde son sang froid et qu’elle reprenne le dessus sur ce combat. Peu à peu, elle renverserait la vapeur, il le fallait.

Chasse en forêt

Le loup était très résistant, et bien qu’il couina sous les premiers coups de la marchombre, cela ne l’empêchait pas de riposter avec hargne et une rapidité hors du commun. Elle dut bloquer une première attaque dévastatrice, et elle ne put retenir un grognement de douleur, avant d’invoquer le bouclier énergétique de son armure. Mais Lexi pouvait rivaliser en vitesse, mais avec ce loup si vif. Elle repoussa ses limites, et se mit à virevolter, à droite et à gauche, à bondir et vriller pour éviter les crocs pointues et les mâchoires puissantes de son adversaire. Ici, elle sautait sur le côté, là, elle s’éloignait d’un flip arrière. Pourtant elle ne pouvait pas tout éviter. Ici, les griffes de l’animal transperçaient son armure et venaient entamer sa peau, lacérer ses muscles et faire couler son sang abondamment.

Évidemment, la marchombre se forçait à ignorer la douleur, et à se montrer tout aussi impitoyable que si elle n’était pas blessée. Pour autant, lorsqu’un second loup vint s’ajouter au combat, l’inquiétude commença à montrer son nez. Son souffle s’accéléra, son coeur commença à battre fort contre sa poitrine. Mais elle s’imposa le calme et la réflexion. Toujours réfléchir, et prendre des choix en connaissance de cause.

Cependant, elle avait beau réfléchir, elle était submergée par les attaques des deux loups qui lui faisaient désormais face. Il allait falloir se sortir de là.

Chasse en forêt

Le combat commençait à se répéter. De son côté, le loup attaquait sans relâche, avec une vitesse ahurissante et ses mâchoires puissantes ; tandis que la marchombre se démenait comme un beau diable pour sa survie. Cependant, elle avait beau être pleine de ressources, elle trouvait pas à elle un adversaire retors. Que se passerait-il si elle perdait ? Son corps se dissolverait-il en particules de lumière, comme on le racontait ? Réapparaîtrait-elle instantanément en Kosaten ? Il paraissait que les élus revenaient lorsqu’ils mourraient, et ainsi n’étaient pas vraiment mortels. Pourtant il y en avait qu’on avait jamais revu…
“Reprends-toi Lexi. Tu ne vas pas mourir ici.”

Dans son esprit, la voix de Rawen avait retenti avec fermeté et détermination. Incapable de lui répondre à voix haute par manque de souffle, la marchombre répliqua en pensée.
“Je ne te savais pas capable de me mentir Rawen. Mais je sais que tu as une analyse développée. Pourquoi n’analyses-tu pas la situation ? Pourras-tu alors me répéter que je ne vais pas perdre ce combat ?”
“ Concentre-toi c’est tout.”

L’élue fit de son mieux. Elle tâcha de garder son sang froid, aidée par la présence rassurante de Rawen en son sein. Éviter ce coup en faisant le minimum d’effort, invoquer le bouclier de son armure au moment opportun, bloquer ici un coup de griffes… Elle restait méthodique, rapide et prudente. Mais il fallait avouer que ses deux adversaires ne lui laissaient pas beaucoup de fenêtre de temps pour attaquer. Lorsqu’elle vit une ouverture, elle se rua en avant et frappa deux fois, de chacune de ses lames aiguisées. Puis elle bondit sur le côté, frappa à nouveau. Elle arrivait parfois à toucher le loup qui l’avait attaquée le premier, cependant il était fort, et elle faiblissait ...

Chasse en forêt

Essoufflée, la marchombre tâchait de survivre à cet assaut. Alors qu'elle peinait à placer des coups, et à gérer la multitudes d'attaques auxquelles elle faisait face, un coup de pouce du destin - ou plutôt une fleur de la part du loup - vint l'aider. Après avoir poussé deux hurlements vibrants qui vinrent s'écraser sur le bouclier de l'élue, le loup sauvage cessa le combat, et retint son compère d'attaquer la jeune femme. Celle-ci ne relâcha pas sa garde pour autant, se demandant ce que cela signifiait. N'étaient-ils pas la pour la tuer ? Pour défendre la proie que le reste de leur meute avait probablement déjà attrapée ? Pourquoi ne pas se nourri de son cadavre à elle aussi ?

Alors que déjà, sa curiosité était piquée, un phénomène tout à fait inattendu se produisit. Le premier loup à l'avoir attaqué ouvrit la gueule, pour aboyer un mot, déformé mais compréhensible, ordonnant ainsi à la jeune femme de partir. Celle-ci mit quelques secondes à réagir. "Pardon?" songea-t-elle. Reprenant son souffle pour répondre, elle cracha avec hargne :
" - C'était ma proie. Moi aussi je dois vivre"

Elle n'allait tout de même pas plier face à un loup sauvage ! Elle allait le faire fuir, et reprendre sa chasse. Déjà qu'elle avait loupé un daim de belle taille par sa faute, de quoi renflouer sa bourse pour peut-être deux semaines ! Elle prit un air sévère, et se jeta sur le loup, toutes lames dehors, tandis que dans son esprit Rawen émettait un doute quand à la sagesse de cette décision.

Chasse en forêt

Evidemment, le fait d’avoir repris le combat contre les loups mit fin au répit que ceux-ci avaient accordé à la marchombre. Cette dernière était d’ailleurs dans un piteux état. Les crocs de ses adversaires avaient percé plusieurs trous dans sa chair, l’avaient déchirée à certains endroits. Les griffes de ces prédateurs avaient laissé de profondes entailles, desquelles coulaient le sang écarlate de la combattante épuisée. Son souffle était court, saccadé, ses muscles se raidissaient, la douleur fusait le lon de sa jambe droite à chaque fois qu’elle s’appuyait dessus.

Mais les marchombres sont habitués à repousser les limites. Les marchombres sont libres, libres de faire leur choix, et ici elle choisissait de continuer à se battre toujours aussi efficacement que si son corps ne souffrait pas. La souffrance aurait dû être un poids, elle s’en délestait comme on ignore les remarques des balourds des tavernes. Lorsque les attaques reprirent, elle bondit une première fois sur le côté pour éviter la mâchoire puissante du second loup, avant de bloquer de ses avant-bras couverts de métal le coup suivant. Puis, le bouclier de Rawen, toujours aussi efficace, lui permit de gagner un temps précieux en encaissant quatre attaques successives du premier loup. Et alors que n’importe qui aurait parié que la jeune femme était prête à s’écrouler de fatigue, elle se fit soudain encore plus vive et insaissisable que la minute précédente, et son adversaire fut alors incapable de la toucher.

A partir de là, elle avait le champ libre. Elle continua de virevolter avec aisance, frappant de ses poignards ici et là, décocha parfois un coup de pied puissant. Elle se mouvait avec une vitesse qui rivalisait avec celle des loups, et un observateur lambda qui observerait de l’extérieur ses trois combattants aurait souvent du mal à distinguer les corps, qu’il aurait vu flou tellement ils étaient rapides. La jeune femme se concentrait sur le premier des loups à l’avoir attaquée, car il semblait que si elle le battait, le second fuirait immédiatement.

Concentrée, déterminée, la jeune femme poursuivait son combat.

Chasse en forêt

Depuis un moment,  le combat était franchement redondant. Les combattants commençaient à manquer de ressources, et au final ce n’était plus que des échanges de coups depuis un moment. De son côté, la jeune femme enrageait. Elle était venue dans cette forêt, qui ne souffrait d’aucun problème de réputation, son arc en main. Elle était une élue puissante, qui avait survécu à un géant, à non pas une mais deux araignées de pierre géantes, qui s’était infiltrée avec la discrétion d’un rêve dans un musée sous haute surveillance. Elle avait mis en fuite deux vampires puissants, et éliminé sans mal un skrein. Combien de fois avait-elle rencontré un prédateur en forêt, et s’en était sortie sans problème, que ce soit par le chant marchombre ou une courte attaque préventive ? Mais ce loup était aidé par une magie ancienne, des boucliers venaient l’entourer à une fréquence anormale, et en plus sans même qu’il n’ait à gérer cette partie tactique du combat. Son acolyte, s’il était gênant par sa présence supplémentaire, était déjà beaucoup plus normal en terme de loup lambda se promenant dans ces bois. Elle l’aurait éliminé sans mal s’il ne s’agissait que de lui.

Un nouvel élément rentrait dans la partie. Des louveteaux. Entre deux attaques des loups, contrés par le bouclier de Rawen elle cracha une phrase. Après tout ces bêtes, ou au moins l’une d’elle, comprenait le langage humain non ?
Votre meute a eu ce qu’elle voulait non ?
Elle faisait allusion au daim. Une esquive, puis deux, et elle poursuivit avec un rythme saccadé, essoufflée par le combat, tout en faisant apparaître deux aiguilles de jet entre les doigts de sa main gauche.
- Alors partez, ou je tue ces deux-là.
Elle évita encore deux attaques, avant de porter deux coups précis.
- Vous êtes liés à la magie de ces endroits non ? Alors vous devez avoir une petite idée de ce que sont les élus… Vous ne me tuerez pas. Au mieux, je vais disparaître aujourd’hui, réapparaître demain, et vous traquer. Abandonnez ici, et maintenant.

Les loups avaient peut-être l’impression de gagner depuis un moment. Mais ils devaient se demander : pourquoi était-il toujours là, alors que n’importe qui l’aurait donné perdante il y a déjà plusieurs minutes ? La réponse se lisait sur son visage. Véhémence, fierté et détermination. Son sang coulait, ses muscles se raidissaient. A la minute où le combat serait terminé, elle s’effondrerait de fatigue, comme après le combat contre les vampires. Mais ici, grisée par l’adrénaline, soutenue par l’instinct de survie, et motivée par la son ego qui refusait de perdre, elle était toujours là. En terme de ressources, son énergie semblait au plus bas depuis un moment, mais pourtant elle était encore capable d’invoquer deux fois le bouclier puissant de Rawen.

Cette dernière d’ailleurs, si elle n’intervenait plus par le biais de paroles dans l’esprit de Lexi, n’était pas du tout du même avis que sa porteuse. En effet, si il lui arrivait de s’humaniser par des traits d’humour, elle n’était pas vraiment sensible aux émotions. Elle percevait celles de Lexi comme des informations, mais elle pouvait traiter la situation en toute objectivité. Et en toute objectivité, l’élue aurait dû partir quand elle en avait eu l’occasion. Mais il était trop tard maintenant. Il fallait espérer que la menace, qui avait marché contre les vampires, marcherait contre ces loups. Finalement, la compréhension quasi humaine du premier allait être utile à la jeune femme.

Chasse en forêt

Lexi constata avec amertume que son bluff n’avait pas marché. Elle n’aurait jamais tué les louveteaux. Il aurait simplement suffit que les deux loups en soient persuadés. D’un geste, elle rangea les aiguilles qui pointaient entre ses doigts, avant de bondir sur le côté et d’éviter l’attaque de son adversaire. Un bouclier puissant de Rawen arrêta les tentatives vaines de son acolyte, et alors que la jeune femme s’attendait à un déferlement d’attaques, les loups s’arrêtèrent une seconde fois, et l’un d’eux hurla. En quelques instants, la jeune femme fut encerclée. Elle n’avait pas besoin de se tourner, elle pouvait les sentir. Des présences, tout autour d’elle. L’observant. La jugeant.

La jeune femme se baissa sur ses appuis, dans une attitude très offensive, comme une panthère avant l’attaque. Mais une voix dans sa tête la fit presque sursauter, tant elle était ferme et sévère. “ Tu t’en vas, maintenant. ” Jamais Rawen ne s’était adressée à elle sur ce ton. Toujours pas pensée, la marchombre lui répondit. “Depuis combien de temps m’aurait-on donné perdante ? Et je suis toujours là !”. Rawen ne répondit pas par des mots. Elle lui transmit une information simple, un fait qui s’incrivit dans la tête de la jeune femme. Oui elle était pleine de ressources. Cela faisait un moment qu’elle survivait avec de la stamina ras les paquerettes - notion que l’alavirienne n’appréhendait pas comme les mages savaient le faire, mais dont elle dépendait malgré tout. Mais cette fois, c’était la fin. Elle ne pouvait pas gagner ce combat. Elle devait se décider.

Cédant enfin, Lexi feula presque comme un félin en lâchant ces derniers mots.
Vous êtes ridicules, à vous allier ainsi soudainement. A appeler la forêt contre moi. En quoi sommes-nous différents ? Je chassais ce daim, et vous aussi. Vous l’avez tué, et vous tuerez l’écureuil sur cet arbre, ou encore le hibou qui ose descendre trop près du sol. Vos leçons sont baignées d’hypocrisie.

Puis, dans un bond où elle plaça la moindre parcelle d’énergie qui lui restait, elle attrapa une branche haute de l’arbre le plus proche, et s’y enroula à la force des abdominaux. Elle grimpa encore de quelques mètres, histoire d’être vraiment à l’abri de tous les carnivores terrestres, et se mit à progresser d’arbre en arbre, en sautant et se balançant d’une branche à une autre. Elle était certes lente, notamment à cause de son état et du fait que ce mode de déplacement n’était pas simple, mais l’adrénaline la poussait en avant. Elle n’était pas encore en sureté. Lorsqu’elle aperçut enfin la lueur d’un village, alors que la nuit tombait, elle sauta au sol, et courut jusqu’au hameau, jusqu’à l’épuisement. Elle s’effondra dans une chambre d’auberge modeste, pleine de sang et de plaies. On ne lui posa pas de question, pas le soir-même.

Mais le lendemain matin, un médecin vint toquer à sa porte : il avait été prévenu qu’une cliente potentielle était là, et pas forcément en état de venir jusqu’à chez lui. Elle le remercia de s’être déplacé et le paya. Il recousut certaines vilaines plaies, appliqua un baume cicatrisant, banda ce qui avait besoin de l’être. Avant qu’il ne parte, la jeune femme lui demanda de demander à l’aubergiste de lui faire monter un plateau repas, elle paierait le supplément. Elle était trop faible pour bouger. Elle prit la journée pour se remettre, tachant de manger beaucoup pour récupérer tout ce sang perdu. Et dire qu’elle était partie chasser pour renflouer sa bourse, la voilà qui était presque à sec après avoir payé le médecin et ses repas. Quelle histoire...