Le blanc et le rouge (Ameri/Alathea)

Alathea n’avait pas traîné depuis son départ de Jiban. Son désir de prendre ses distances vis-à-vis de la capitale et de son lot de soucis, ainsi que du conseil, lui avait clairement donné des ailes. Il s’en était passé des choses en peu de temps et l’elfe avait également besoin de souffler, comme Lexi l’avait fait auparavant. Toutefois, si son aînée à Shintan avait préféré s’exiler quelque temps sur la côte et les îles de l’ouest, Al’, quant à elle, avait préféré revenir sur ses traces, rebroussant ce chemin qu’elle avait emprunté en sens inverse il y a de cela si longtemps, alors qu’errante, elle cherchait à rejoindre Jiban. C’était une autre époque. Forcément, en remontant ainsi sa propre piste, cela faisait remonter en elle des souvenirs de ce temps désormais révolu.

C’était ainsi qu’elle avait repensé notamment Sayo-Hee, la princesse à la personnalité complètement différente selon le jour, une jeune femme étrange aux côtés de laquelle l’archère avait eu à combattre une terrible créature tout droit sortie des enfers. Malgré le handicap de Sayo-Hee, les deux élues avaient réussi à se coordonner suffisamment pour mettre en déroute la bête et ainsi mettre fin à cette rude bataille. Alathea avait ensuite offert son aide pour remettre la brune sur la bonne voie vers Kaen, et le duo avait pu longuement échanger sur leurs mondes respectifs. Une certaine forme d’amitié s’était alors nouée, sans pouvoir néanmoins davantage se concrétiser puisque les deux demoiselles ne tardèrent pas à se séparer. Aujourd’hui, la belle aux yeux d’or était curieuse de savoir ce qu’était devenue la princesse.

Un motif qui l’avait poussée à diriger ses pas vers la zone neutre du continent, avant de faire route vers les étendues désertiques de Kaen. Alathea était au fait de certaines tensions existantes entre Shintan et Kaen, mais sa réputation ne l’avait très probablement pas précédée en cette nation qu’elle n’avait encore jamais foulée. C’était sur ce postulat et attirée par sa curiosité maladive que l’elfette s’était définitivement mise en route vers ces terres si arides. Bien entendu, elle ne comptait pas s’y éterniser très longtemps, ayant toujours certaines responsabilités à Jiban. Toutefois, c’était là une occasion unique de se lancer à la découverte de paysages et de civilisations qu’elle ne connaissait qu’à travers les ouvrages adaptés à la grande bibliothèque de la capitale.

En chemin, Alathea avait été confrontée à un dragon furibond et soucieux de défendre par tous les moyens possibles son territoire. Malgré la proximité de la tireuse de précision avec la faune en général, elle n’avait pu calmer les pulsions belliqueuses du monstre et avait dû se battre face à ce souverain des cieux. Finalement, après moult assauts répétés visant à l’épuiser complètement, la bête enragée avait admis sa défaite et fui la queue entre les jambes, comprenant qu’une prolongation de l’affrontement conduirait inexorablement à sa mort. Au final, une issue assez similaire à celle de son combat en compagnie de Sayo-Hee, bien que ce coup-ci, Al’ ait été seule et avait vraiment l’impression d’avoir remporté le combat.

Tout à coup, alors qu’elle arpentait l’une des rares zones boisées de la nation, bien que sa végétation ait cruellement souffert des dépôts de cendres continus, elle entendit des bruits d’affrontement et des cris. Cela venait d’un endroit assez près de sa position. Alors que l’elfe, intriguée, s’intéressait à ce qu’il se disait, elle entendit tout un paquet de menaces et une insulte qui ne lui fit pas beaucoup plaisir. Même si elle était censée rester assez discrète à Kaen, elle ne pouvait décemment pas, ni laisser une personne en danger, ni laisser couler ce genre d’injure. Ni une, ni deux, Alathea se précipita vers l’endroit d’où provenaient les bruits, bondissant par-dessus les racines et sous les branches avec une certaine agilité montrant plutôt bien les longues années qu’elle avait passées à vivre et à chasser en forêt.

Alathea ne mit pas beaucoup de temps à atteindre sa destination et observa d’un rapide coup d’œil la situation. Trois hommes à la mine patibulaire étaient en train de harceler une jeune femme à l’étrange chevelure rousse. L’archère s’arrêta aussitôt d’observer en voyant l’un des badauds s’emparer de son arme, une lourde épée, et la lever dans l’intention de frapper la mistinguette en détresse. Il lui fallut moins d’une seconde pour s’emparer de son arc, matérialiser une flèche lumineuse en son encoche et tirer, en ayant pris soin de viser l’une des mains tenant l’épée. Moins d’une seconde alors qu’à ses débuts, elle ne pouvait même pas matérialiser une simple flèche…

Le trait fila à toute allure et vint se planter dans la main du gaillard, qui hurla de douleur et de surprise, lâchant son arme et portant son attention vers la zone d’où provenait le tir. Alathea s’avança calmement et toisa les trois hommes du regard, tandis que le blessé se tenait la main meurtrie pour limiter la perte de sang.

« A votre place, je laisserais cette jeune femme tranquille, je m’excuserais et je décamperais sans demander mon reste. » déclara l’elfe sur un ton froid.

Mais le trio n’était pas prêt à s’en aller ainsi, humilié. Au contraire, les deux hommes en parfait état se saisirent de leurs armes respectives, un gourdin et un poignard, et s’avancèrent vers Alathea en ricanant, tandis que le blessé saisissait la demoiselle de sa main valide.

« Je sais pas qui t’es, mais t’as fait une grosse connerie là, et tu vas le payer très cher !!! » répliqua l’un des trois sur un ton mauvais.

« Ouais !!! » surenchérit un autre.

Ils n’eurent pour unique réponse qu’un soupir de l’elfe, déjà prête à neutraliser ces gugusses.

Flèche utilisée:

C’était usant, à force, que personne ne se rende jamais suite à ce genre de sommation… Quand tu t’appliques à faire les choses correctement, dans le bon ordre, sans trop te précipiter, forcément, tu t’attends à obtenir le résultat souhaité. Alathea n’avait pas envie de se faire remarquer à Kaen, n’étant absolument pas là sur instruction des autorités de Shintan, mais bien de son propre gré. Elle voulait profiter de son voyage, sans prise de tête ni remous. Toutefois, ce n’était pas dans ses habitudes de laisser une personne se faire agresser sans intervenir. Appartenant à la même nation ou non, cela ne changeait pas le fait que chacun était un être vivant et pensant ne méritant pas que sa vie repose entre les mains d’autrui. L’elfe était donc intervenue rapidement, en espérant pouvoir faire fuir les assaillants sans trop avoir à faire usage de ses pouvoirs. Malheureusement, niveau aura de prestance et charisme qui effraie, il faudrait repasser… Sa flèche, bien loin d’avoir eu l’effet escompté, n’avait fait que mettre en colère le trio, dont deux s’avançaient maintenant vers l’archère, tandis que le dernier agrippait fermement la malheureuse demoiselle en détresse.

« Bon. Je vois que vous avez fait fi de mon avertissement. Tant pis… Je ne me répéterai pas. » ajouta simplement Al’ sur un ton toujours aussi froid.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à tirer une nouvelle fois, ce coup-ci dans un but plus létal, la rousse se saisit de l’occasion, et surtout de la diversion que lui offrait Alathea, pour se débattre furieusement, parvenir étrangement à faire lâcher prise l’homme qui la retenait, et commencer à l’enchaîner à grand coup de patates de forain dans la tronche. Peu esthétique, mais diablement efficace, au vu des cris de douleur poussés par l’homme. L’elfette se serait sûrement amusée d’un pareil retournement de situation si la situation en question avait été complètement renversée. Néanmoins, il restait encore deux badauds en parfait état et prêts à en découdre.

Sauf que l’action de la jeune femme en détresse avait réussi à détourner leur attention pendant quelques instants, pas bien longs, certes, mais amplement suffisants pour permettre à Alathea de neutraliser les hommes un bon paquet de fois. Ni une, ni deux, elle fit apparaître deux flèches d’une blancheur immaculée, qu’elle tira rapidement en direction de ses deux cibles. Les hommes se firent tous deux toucher en pleine bedaine et, très vite, le froid qui composait ces flèches se propagea dans tout leur corps, les transformant tout aussi vite en véritables cristaux de glace. Ce n’était pas mortel, car la belle aux yeux d’or ne tenait pas à se retrouver avec un meurtre en territoire inconnu sur les bras, mais cela suffirait à les neutraliser un sacré paquet de temps.

Alathea rangea ensuite son arc et alla rapidement porter assistance à la demoiselle, toujours en proie à marteler le visage déjà bien enflé du dernier brigand, celui-là même qu’Al’ avait touché à la main un peu plus tôt. L’élue de Shintan termina le travail en assommant le gaillard d’un coup du tranchant de la main au niveau des cervicales, ne faisant rien pour rattraper l’homme lorsqu’il s’effondra. Elle se tourna plutôt vers l’inconnue, l’aidant à s’asseoir au besoin tout en se mettant à son niveau.

« Est-ce que ça va ? Vous êtes blessée quelque part ? » demanda-t-elle en examinant du regard l’inconnue.

Maintenant qu’elle y regardait de plus près, il était vrai que celle-ci avait des allures d’elfe, notamment de part ses longues oreilles et sa grande taille, mais la chevelure rousse ne s’y prêtait pas du tout, les elfes que la mi-humaine connaissait ayant généralement des cheveux noirs ou blancs, rarement dans d’autres coloris. Un détail étonnant était celui de ses étranges oreilles de Kitsune qui se confondaient presque avec sa chevelure. Ce n’était pas une apparence très typique du continent, mais Al’ savait que pas mal d’espèces y cohabitaient.

« Je m’appelle Alathea et vous ? Vous vivez dans le coin ? »

Avec un peu de chance, Alathea avait affaire à une habitante des environs, qui pourrait alors l’aider dans sa visite et éventuellement aurait entendu parler de la localisation actuelle de Sayo-Hee. Le regard de l’hybride se durcit lorsqu’il bascula à nouveau sur les goujats qui avaient cherché à s’en prendre à la demoiselle, tout du moins ce qu’il en restait.

« Ce sont vos agresseurs, libre à vous d’en faire ce que vous souhaitez désormais. Si vous le souhaitez, vous ne devriez pas avoir trop de mal à briser la glace de ces deux-là et ainsi, les briser eux aussi. Quant au dernier, l’achever ne sera pas trop dur, si vous réclamez vengeance. » précisa-t-elle à son interlocutrice.

Alathea ne comptait pas tuer les trois hommes ayant manqué de courtoisie envers la jeune femme, n’ayant pas envie de se faire remarquer car on lui aurait imputé un crime. Toutefois, en tant qu’ancienne mercenaire ayant connu la guerre, et tout simplement par pragmatisme, elle avait souhaité tout de même laisser cette opportunité à la demoiselle qui avait été mise en danger. Ce n’était, certes, pas la meilleure manière de se venger, mais l’elfe n’avait aucun jugement à apporter dessus et était prête à laisser l’autre se défouler, si cette dernière le souhaitait. De surcroît, n’étant pas à Shintan, elle ne voulait pas imposer ses méthodes et son jugement personnel, alors que, peut-être, cette zone condamnait cruellement ce genre de bassesse.

L’archère continuait d’observer la jeune femme, à la recherche d’une éventuelle blessure à panser pour éviter toute mauvaise infection, et dans l’attente de sa réponse à ce même sujet. Celle-ci ne tarda d’ailleurs pas à admettre un peu de fatigue, bien que les hommes n’aient pas eu le temps de la meurtrir physiquement. C’était au moins un bon point, Alathea avait réussi à intervenir à temps. La fatigue soudaine était elle aussi très logique, faisant suite à un pic d’adrénaline et de panique, qui disparaissaient tout à coup. Le corps mettrait un peu de temps à se remettre, mais l’esprit semblait au moins épargné, la rousse ne donnant pas spécialement l’impression d’avoir été traumatisée. Cependant, l’elfette voyait bien dans son regard que quelque chose la troublait, même si elle ne parvenait à en déterminer la cause.

« C’est déjà ça ! Un peu de repos et vous serez en pleine forme ! » déclara Al’ sur un ton rassurant.

Alathea avait pu remarquer que, selon les réponses et le visage affiché par son interlocutrice, son étrange seconde paire d’oreilles, celles similaires à des oreilles de kitsune, s’animait vraisemblablement en réaction à ses émotions ou ses ressentis. Toutefois, la native d’Erdrigoth n’était pas suffisamment spécialiste en la matière pour en interpréter le sens. Elle se contenta de noter cet amusant détail et écouta la suite des propos de la jeune femme. Cette dernière déclara alors s’appeler Ameri Azazel, avant d’avouer ne pas être une locale non plus. Tant pis pour la petite visite guidée en ce cas… Néanmoins, elle ajouta quelque chose qui intrigua la belle aux yeux d’or. De fait, Ameri indiqua ne pas avoir bien compris ce qu’il s’était passé.

Sans dire un mot, Al’ arqua un sourcil, un peu surprise et étonnée. Faisait-elle référence à l’incident dont elle venait d’être victime ou à autre chose encore ? Il était vrai que le trio l’avait peut-être suffisamment malmenée pour la désorienter et lui faire perdre ses repères, mais ce n’était pas l’impression que cela donnait ici. L’élue de Shintan avait une curieuse sensation de déjà-vu, mais elle préféra taire ce sentiment pour l’heure et offrit ensuite l’opportunité à Ameri de décider de la sentence des hommes l’ayant assaillie.

Ameri était visiblement quelqu’un de magnanime et sans doute mature, puisqu’elle fit le choix de ne rien faire, déclarant que la rouste subie par les vicelards leur servirait de leçon. Alathea acquiesça et n’ajouta rien. Même si elle savait que cela ne se passait pas toujours comme la rousse le disait, que certaines fois ce genre de comportement se reproduisait peu de temps après, elle avait laissé Ameri choisir et respectait cette décision. S’assurant du regard qu’aucun des trois hommes ne pourrait leur nuire, elle cessa ensuite définitivement de leur prêter attention.

Ameri reprit ensuite la parole, précisant sa situation actuelle et revenant sur ses étranges propos énoncés précédemment. Elle indiqua alors être une étudiante devant se rendre à son école, mais ayant été victime d’une téléportation forcée par un étrange portail dont elle ne savait rien. Le déjà-vu se précisait totalement. Alathea avait beau être sur ce continent depuis plus d’un an, elle se souvenait très bien de la manière dont elle avait été arrachée à Erdrigoth, sa terre natale, pour débarquer, complètement paumée et totalement privée de ses pouvoirs, en Kosaten. Cela semblait avoir également été le cas pour la jeune femme face à elle.

« Je pense savoir ce qu’il vous est arrivé. Toutefois, j’ai besoin de vérifier quelque chose. Ne vous en faites pas, je ne compte pas vous nuire de quelque façon que ce soit. »

Alathea attendit l’approbation de l’autre, avant de reprendre :

« J’ignore quelles sont vos capacités ou si vous êtes dotée d’un pouvoir particulier. Néanmoins, est-ce qu’actuellement, vous êtes en mesure de faire usage de toute votre force ou est-ce que vous vous sentez démunie ? Et, est-ce que le nom de Kosaten vous évoque quelque chose ? »

L’hybride se doutait de la réponse d’Ameri, surtout au vu de sa détresse face à ses agresseurs. Toutefois, comme il se pouvait également qu’elle soit simplement une native victime d’une amnésie, peut-être à cause justement de l’agression, elle voulait aussi vérifier que le nom du continent ne lui était pas familier. Même si sa mémoire à court terme était atteinte, il était très peu probable qu’une telle évidence lui échappe, si tant était qu’elle vivait ici depuis sa naissance.

Évidemment, l’hypothèse qu’Ameri soit également une élue ayant été transportée contre son gré sur ce continent était directement venue à l’esprit d’Alathea. Il fallait bien avouer que beaucoup d’éléments concordaient. La rousse ignorait visiblement où elle se trouvait et avait évoqué une école qui n’était vraisemblablement pas dans les environs. Elle avait également mentionné un portail magique l’ayant téléportée ici. Son attitude et ses paroles traduisaient son profond désarroi et laissaient parfois quelques traces d’angoisse. En outre, les trois gredins défaits précédemment ne représentaient pas une menace réelle, hormis leur surnombre, pour quiconque était en capacité de se battre, de quelque manière que ce soit. Même s’il était possible qu’Ameri ne soit pas en mesure de se défendre par elle-même, il y avait aussi cette possibilité non négligeable qu’elle ait été privée de cette capacité à se défendre lors de son arrivée en ces lieux. L’elfe manquait encore de preuves et d’éléments tangibles, mais les réponses de son interlocutrice suffirait à les lui apporter.

Heureusement, Ameri semblait tout à fait disposée à coopérer et à répondre à l’elfette. Elle avait sans doute compris que cette dernière pouvait l’aider. En tout cas, elle accepta rapidement de s’exprimer, confirmant en quelques mots les soupçons d’Alathea. Une jeune femme perdue, désormais extrêmement faible et dénuée de ses pouvoirs habituels, ignorant le nom même de Kosaten. Il n’y avait plus de doute à avoir, Al’ avait effectivement affaire à une élue fraîchement débarquée. Élue qui avait d’ailleurs failli subir les affres de la cruauté masculine dès son arrivée, ce qui n’était franchement pas top pour une première impression de Kosaten. Qui que soit l’individu ou l’entité à l’origine de la nouvelle vague d’élus, il n’était décidément pas très regardant lorsque l’on prêtait attention aux conditions d’accueils des élus en question. Alathea avait elle-même failli mourir peu de temps après ses premiers pas en zone neutre…

L’hésitation et les doutes d’Ameri rappelaient fortement à l’hybride sa propre expérience. De fait, ayant également vécu ce que vivait aujourd’hui la rousse, Alathea avait été confrontée à la brutale réalité dès son arrivée. Privée de ses pouvoirs et de son lien si mystérieux avec son arc, ce dernier n’était alors plus qu’un bout de bois renforcé et privé de projectiles, pas spécialement très puissant comme arme. L’elfette était complètement perdue et, n’étant pas familière avec le concept de portail magique, ne comprenait vraiment pas ce qui lui arrivait. Ici, Ameri avait l’air de connaître ce genre de vortex lumineux, bien que son usage soit différent de ce à quoi elle était habituée. Mais heureusement pour la native d’Erdrigoth, un vieux couple de natifs avait pris soin d’elle quelque temps, puis, par la suite, le jeune Robbie White s’était affairé à lui expliquer ce qu’elle devait savoir.

« Je vous confirme que je pense savoir ce qu’il vous arrive. » commença Al’.

Toutefois, alors qu’elle s’apprêtait à reprendre parole, afin de s’expliquer, Ameri se trouva soudain prise d’une inspiration soudaine. Sa panique prenant le dessus sur le reste de ses émotions, elle se mit à évoquer une frontière, ainsi qu’un monde souterrain. Visiblement, dans son monde d’origine, ce qu’elle avait vécu restait plausible, quoique extrêmement compliqué à mettre en place et assez rare. En soi, c’était une bonne chose pour l’élue de Shintan, qui avait là une piste pour décrire la situation à son interlocutrice. Néanmoins, cela ne ferait que renforcer la méfiance de cette dernière, ainsi que son incrédulité, quant à un autre monde totalement indépendant du sien.

« Pour tout vous dire, vous êtes en quelque sorte dans un monde d’humains, bien qu’il soit sûrement très différent de celui que vous connaissez. Ce portail que vous avez traversé était effectivement une manière de vous invoquer ici. Sa puissance est effectivement phénoménale, malheureusement, on ignore aujourd’hui qui est capable de la déployer… Quant à Kosaten, il s’agit du continent sur lequel vous êtes arrivée. J’imagine que je devrais vous souhaiter la bienvenue, bien que ces messieurs n’aient pas été à la hauteur pour vous accueillir. » ajouta-t-elle en jetant un regard dédaigneux aux trois hommes hors d’état de nuire.

« D’ailleurs, je suis sûre que vous avez un paquet de questions qui vous viennent à l’esprit, et je me ferai une joie de répondre autant que je le pourrai, mais je pense qu’avant cela, nous devrions nous installer ailleurs, dans un coin plus tranquille. Si vous voulez, avant de vous rejoindre, j’ai repéré une clairière pas très loin d’ici qui sera sûrement parfaite pour ça. »

Il était vrai qu’initier une conversation sur les mystères entourant les élus, et les différentes informations à savoir sur Kosaten et ses voisins à côté des agresseurs d’Ameri n’était sans doute pas l’idée du siècle. Et puis l’explication serait longue, il valait mieux trouver une zone paisible pour s’asseoir quelques heures. Alathea n’attendait que l’aval d’Ameri, qui connaissait encore moins bien l’endroit qu’elle, pour lui indiquer le chemin.

« Par où commencer… Par le début, j’imagine… Ameri, comme je vous le disais, vous avez été invoquée en ce monde grâce ou à cause, selon la version, du portail lumineux que vous avez franchi. C’est d’ailleurs également ce portail très puissant qui est responsable de votre faiblesse actuelle. Ne vous en faites pas, vos facultés vous reviendront progressivement. Donc, vous avez été invoquée, ce qui fait désormais de vous une élue. Pour tout vous dire, j’en suis une aussi, et j’ai vécu la même chose que vous aujourd’hui. »

Alathea s’arrêta là pour le moment, laissant le temps à Ameri de suivre, attendant évidemment ses réactions avant de savoir par où enchaîner. S’il y avait bien une chose qu’elle avait apprise à la bibliothèque de Jiban, c’était que l’apprentissage était différent pour chaque individu et que c’était à celui qui transmettait l’information de s’adapter et non à l’apprenant.

Après avoir obtenu l’accord d’Ameri, les deux élues changèrent d’endroit pour rejoindre la clairière aperçue un peu plus tôt par Alathea. En réalité, plus qu’une clairière, il s’agissait davantage d’un espace moins envahi par la végétation aux couleurs de la cendre, laissant davantage pénétrer la lumière du jour. Il était également assez facile à cette position de repérer l’arrivée de quelqu’un ou quelque chose, surtout pour l’elfe qui disposait de sens supérieurs à la normale. Et puis, évidemment, celle-ci n’avait pas envie de devoir botter le train une fois encore des olibrius de toute à l’heure si ceux-ci avaient la fâcheuse idée de se réveiller ou de sortir de la glace avant qu’Al’ ait fini ses explications. C’était donc assez logiquement que cette dernière avait émis cette proposition. La zone était relativement plus agréable et serait bien plus propice à la discussion.

Comme prévu, Ameri avait un sacré paquet de questions en tête, cela se lisait sans trop de soucis sur son visage, ceci étant mêlé à de l’inquiétude et de l’appréhension, ce qui était parfaitement normal dans sa situation. Toutefois, un bon point à noter était qu’elle réussit plutôt bien à conserver son calme et semblait croire l’elfette dans ce qu’elle racontait. Il arrivait en effet parfois que les nouveaux arrivants ne veuillent absolument pas écouter ce genre d’explications, n’imaginant pas un seul instant être confrontés à la stricte vérité. La rousse était peut-être méfiante, mais elle ne le montrait pas en tout cas, et écoutait attentivement l’archère, qui appréciait le geste.

Alathea eut un léger sourire, qu’elle réprima rapidement par respect pour Ameri, lorsque cette dernière évoqua le but de l’invocation dont elle avait été la cible. Beaucoup se demandaient les raisons de l’arrivée des élus en Kosaten, et Al’ en faisait partie. Elle avait longuement interrogé son entourage et les ouvrages de la bibliothèque à ce propos, sans jamais trouver de réponse satisfaisante. Si la première vague d’élus survenue un millénaire auparavant était imputable aux anciennes divinités, la seconde, l’actuelle, ne l’était à personne, puisque les divinités étaient aujourd’hui disparues. Nombreuses étaient alors les théories sur le retour des élus, mais rien n’avait été démontré formellement.

« C’est effectivement le cas. Pour tout vous dire, ce sont des dieux qui sont à l’origine de ce processus d’invocation, il y a de cela très longtemps. Leur objectif était alors de mesurer leurs puissances respectives à travers les élus invoqués. Il s’est passé pas mal de choses et ces divinités belliqueuses ont aujourd’hui totalement disparu. C’est pourquoi l’on pensait également les élus disparus jusqu’à il y a peu. Toutefois, force est de constater que les élus continuent à être attirés contre leur gré en ce monde, sans que l’on sache aujourd’hui qui en est à l’origine, ni quel est le but. Malheureusement, je n’en sais pas plus que vous et la seule réponse à peu près potable que j’ai pu entendre, c’est que ce but serait connu en temps voulu... »

La curiosité de l’hybride avait dû se satisfaire de ces bien maigres informations à son arrivée, et ce n’était pas ses nombreuses escapades à travers le grand bâtiment de la sagesse de Jiban qui avaient su assouvir cette soif de connaissances. Ameri allait également devoir se contenter de cela… Celle-ci semblait extrêmement pragmatique et continuait d’afficher une façade neutre, malgré les émotions négatives qui l’envahissaient peut-être. Elle avait une sacrée force de caractère. D’ailleurs, la rousse se montra heureuse d’être encore en vie et satisfaite d’avoir protégé ses camarades d’école. Néanmoins, elle tint à demander si le phénomène d’invocation et de portail pouvait aussi faire d’autres victimes dans son monde d’origine. Alathea hésita alors à livrer la vérité, sentant qu’il s’agissait là d’un élément qui tenait à cœur à son interlocutrice.

« Eh bien, l’apparition des élus est un phénomène extrêmement mystérieux. Les élus proviennent d’origines et de mondes complètement différents, certains élus sont très puissants et ont des capacités inimaginables, d’autres des facultés plus modestes. J’ignore comment se fait le processus de sélection et je n’ai jusqu’ici jamais croisé deux élus provenant du même monde. Néanmoins, je ne peux vous garantir la fiabilité de cette information… »

Alathea se rappela une discussion qu’elle avait eue avec Lexi et Shiro, il y a plusieurs mois. À l’époque, cette dernière s’était montrée déçue par les capacités de la marchombre et de l’elfette, déclarant qu’il n’y avait rien d’extraordinaire dans leurs forces. Cela donnait presque l’impression d’un hasard dans le choix des élus invoqués. Finalement, la mi-humaine enchaîna, sortant de son petit sac de voyage une carte du continent qu’elle avait achetée à Jiban peu de temps après avoir choisi d’aider la nation du cristal. Heureusement, la belle aux yeux d’or était prévoyante et elle disposait toujours sur elle de plusieurs exemplaires, juste au cas où. Ainsi, elle put la tendre à la rousse avec un léger sourire.

« Tenez, Ameri ! Il s’agit d’une carte du continent, nommé Kosaten. Comme vous le voyez, Kosaten est scindé en plusieurs territoires, cinq au total, chacun appartenant à une nation différent. Actuellement, nous nous trouvons ici, au nord de Kaen, pas très loin de la frontière avec les zones neutres. » indiqua Al’ en pointant leur position de son index droit.

C’était assez délicat d’expliquer à un élu fraîchement débarqué que son apparition en Kosaten pouvait ne résulter que d’un simple hasard, que l’instigateur à l’origine de cette invocation était inconnu et ne se dévoilait pas et que les mystères à ce sujet étaient légion. Alathea ne s’était pas particulièrement sentie arrachée Erdrigoth, puisqu’elle n’y avait pas d’attaches particulières, mais sa frustration avait été immense dès lors que sa curiosité était confrontée aux limites des connaissances des gens avec qui elle échangeait. En réalité, très peu de monde se penchait aujourd’hui sur la question du retour des élus et de l’origine de cette seconde vague, se concentrant bien plus sur les conséquences de ce retour et la manière d’intégrer les élus au système ou de les éliminer. L’elfe avait dévoilé tout ce qu’elle savait à ce propos, livrant par la même occasion, ses doutes et ses interrogations. Bien qu’étant présente sur ce continent depuis plus d’un an, elle était loin d’avoir tout compris sur les élus.

Heureusement, Ameri semblait être une excellente élève, réceptive et compréhensive, dotée d’une certaine vivacité d’esprit. De fait, Alathea n’eut aucunement besoin de se répéter pour que l’autre comprenne la situation et fasse le lien entre les différents éléments énoncés par l’archère. Toujours aussi pragmatique, elle résuma le phénomène qui avait provoqué sa téléportation dans la région, attendant néanmoins confirmation de la part de la belle aux yeux d’or. Cette dernière acquiesça, tant de la tête que du regard.

« C’est exact, à ceci près qu’il est possible, voire possiblement probable, que quelqu’un ou quelque chose vous ait véritablement choisie, vous, et non quelqu’un d’autre dans votre entourage. Le portail avait été placé sciemment sur votre chemin, il n’est donc pas impensable d’envisager cette idée. »

Ameri accepta la carte tendue par Alathea, observant rapidement avec curiosité les différents noms et territoires y figurant. Évidemment, ce n’était pour que des lieux inconnus, mais au moins, la rousse pouvait dès à présent visualiser un peu plus précisément ce qu’était Kosaten. D’ailleurs, à partir de la carte et se souvenant de la formulation des paroles de l’elfe, celle-ci questionna alors cette dernière sur les autres continents qui existaient potentiellement en ce monde. Al’ cacha son air admiratif et répondit assez rapidement :

« C’est bien vu ! Kosaten étant une île entourée de part et d’autre par la mer, il est évident que ce n’est pas l’unique continent de ce monde. Il existe par-delà les flots, en direction de l’est, un autre vaste territoire nommé Mukaï. Toutefois, ce continent est en proie à quelques tensions avec Kosaten et il serait peu recommandable d’aller s’y balader maintenant. Il existe sûrement d’autres îles à part entière, mais je ne sais rien d’autre là-dessus. »

Cela faisait quelque temps déjà que les tensions s’intensifiaient. L’empire de Tenkasuru devenait une menace de plus en plus importante. Alathea ignorait ce que Reisha ou le conseil avaient en tête pour y faire face, mais elle ne doutait pas non plus qu’une telle éventualité ait été prise en compte. Néanmoins, malgré tout le contexte dangereux qui régnait, l’hybride n’aurait pas dit non à une visite de ces terres encore si peu connues.

Ameri n’avait encore étonnamment pas demandé de quelle manière elle pourrait regagner son monde d’origine. La réaction différait d’un élu à l’autre, mais c’était souvent lorsqu’il apprenait que ce retour était impossible qu’il changeait brusquement d’attitude. C’était également à ce moment-là que l’élu commençait à retenir les informations qu’il jugeait jusqu’ici comme superflues. Toutefois, la rousse donnait vraiment l’air de s’intéresser à Kosaten, bien que ses paroles témoignent du mal-être grandissant en elle. Elle ne tarderait pas à découvrir la triste vérité.

Finalement, Alathea fut interrogée sur les cinq nations. Elle rassembla alors ses connaissances et se servit de son doigt pour illustrer les propos qui suivirent :

« Eh bien, vous avez donc Kosaten, scindé en cinq nations. Celle où nous nous trouvons se nomme Kaen. Il s’agit d’une terre globalement désertique et aride, assez pauvre, mais dont les habitants ont la réputation d’avoir le cœur sur la main. Sa capitale se nomme Feng.

Ensuite, non loin de notre position actuelle, se trouvent les zones neutres. Comme leur nom l’indique, elles restent neutres vis-à-vis de leurs voisins et ne prennent jamais part dans les conflits. C’est un bon endroit pour vivre paisiblement, sans prise de tête et sans grand danger, même si c’est également le repère privilégié pour de nombreux brigands. Il y a d’ailleurs fort à parier que vos agresseurs y soient normalement établis. La capitale est Shutô Tokai.

À l’ouest des zones neutres se trouve Shintan, une ancienne citée flottante s’étant écrasée au sol il a de cela un millénaire. Sa capitale est Jiban. Shintan est très avancée scientifiquement et technologiquement parlant, le savoir prodigué là-bas y étant immense. Généralement, ses habitants se méfient des visages inconnus et des étrangers.

Tout au nord, c’est là qu’est Reifuu, la nation de la glace. Le climat est assez peu convivial et l’hiver y est presque permanent. Sa capitale se nomme Heï. Je ne connais pas trop cette région, mais je sais que ses habitants ont la réputation d’être robustes et assez simples. Si vous préférez la chaleur, je ne vous conseille pas d’aller vous y promener.

Et enfin, par là, tout à l’est, c’est Shuzâ. Cela serait sans doute une magnifique et resplendissante nation si elle n’avait à sa tête un dictateur de la pire espèce. Il terrorise ses sujets et a poussé ceux-ci à fomenter une rébellion. La situation est particulièrement instable par là-bas, il semble facile de se retrouver entre le marteau et l’enclume. La capitale porte le nom de ce despote, Zang. »

Ainsi conclua-t-elle sa rapidement explication sur la géographie de Kosaten. La mi-humaine aurait pu évoquer plein d’autres éléments, mais elle ne voulait pas perdre Ameri en si bon chemin.

Ameri conservait un air plutôt calme et compréhensif, ne paraissant pas plus inquiète que cela pour l’heure. Pourtant, elle était encore il y a peu victime d’une agression par un trio de voyous, agression dont Alathea ignorait les potentielles limites. Entre ça et la découverte de ce nouveau monde qui remplaçait son précédent, il y avait largement de quoi piquer une énorme crise de panique. Mais la rousse avait visiblement réussi à prendre du recul et parvenait vraisemblablement à dissimuler ses émotions. Conservant son sang-froid (encore que, peut-être que le sien était chaud) et ses capacités de raisonnement, l’autre l’interrogeait un maximum sur Kosaten et les élus qui y étaient liés, essayant déjà de retenir le plus possible d’éléments qui pourraient lui être utiles un jour. Une réaction qui rappelait beaucoup à l’elfe la sienne, lorsqu’elle s’était retrouvée à la place d’Ameri, il y a un an de cela. Toutefois, plus que du pragmatisme en ce qui le concernait, c’était surtout la curiosité qui avait pris le pas sur l’anxiété et l’angoisse, d’autant que la belle aux yeux d’or n’avait pas d’attache particulière avec Erdrigoth. Apprendre qu’elle n’y remettrait sans doute jamais les pieds ne l’avait donc pas plus affectée que cela.

Alathea poursuivait donc ses explications, n’hésitant pas à marquer de légères pauses, dès lors qu’elle s’attaquait à un gros morceau ou sentait que son interlocutrice avait du mal à la suivre. De toute façon, Ameri pourrait toujours par la suite revoir tel ou tel détail, s’interroger davantage et creuser plus en profondeur un sujet que l’archère n’aurait fait qu’explorer aujourd’hui. Par exemple, la quasi-totalité de ces connaissances était inscrite dans les ouvrages relatant la géopolitique de Kosaten, fréquemment libres d’accès dans les bibliothèques. Finalement, la jeune femme aux oreilles de kitsune mit plus ou moins fin aux explications sur la géographie des différentes nations, orientant la question sur le rôle des élus. Avant de lui répondre, l’élue de Shintan réfléchit quelques instants, n’ayant jamais vraiment réfléchi à ceci, dès lors qu’on lui avait avoué ne pas connaître la cause du retour des élus, plus de mille ans après le cataclysme.

« Eh bien, j’imagine que oui… Nous saurons peut-être dans un futur proche les raisons de notre présence en ce monde… Jusque là, vous êtes libre d’agir comme bon vous semble et rien ne vous oblige à jouer un quelconque rôle pour quelque nation que ce soit. Vous pouvez tout aussi bien explorer le continent à la recherche d’un portail pouvant vous ramener chez vous, ou même vous trouver un foyer et vous y installer en attendant de retrouver vos pouvoirs. »

Alathea avait fait le choix de s’associer à Shintan, car elle respectait énormément Lexi qui avait fait un choix similaire, et que le potentiel de la grande bibliothèque de sa capitale était incommensurable. En quelque sorte, c’était donnant-donnant : la tireuse de précision était missionnée par le conseil en échange de tout ce qu’elle pouvait apprendre sur son temps libre. Toutefois, Ameri aurait sans doute d’autres envies ou objectifs, guidant ses actions à venir.

« De toute façon, il vaut mieux que vous restiez en ville et que vous associiez à quelqu’un pour vous défendre au cas où, au moins dans un premier temps. Une fois que vous pourrez vous protéger par vous-même, vous serez alors bien plus apte à faire ce que voulez ! »

Ceci étant dit, Al’ n’avait absolument pas appliqué ce principe à elle-même, lorsqu’elle était arrivée. De fait, nombreux étaient les dangers qui s’étaient accumulés sur sa route, alors qu’elle était encore trop faible pour matérialiser ne serait-ce qu’une flèche. Heureusement d’ailleurs que certaines rencontres opportunes l’avaient beaucoup aidée.

Ameri évoqua finalement la satiété de son esprit, qui ne pourrait manifestement plus rien assimiler. Alathea eut un petit sourire nostalgique, se souvenant la frustration qu’elle avait ressentie, lorsqu’elle était à la place de son interlocutrice, et qu’elle voulait en apprendre plus, alors que son cerveau demandait un temps mort. Mieux valait donc ne pas pousser le bouchon plus loin. L’Azazel demanda d’ailleurs à l’octogénaire de la guider vers le village le plus proche, pour qu’elle puisse s’y reposer en toute sérénité. Al’ acquiesça aussitôt.

« Pas de soucis ! Je crois que le village le plus proche se trouve justement à la frontière avec la zone neutre. J’y suis passée toute à l’heure, juste avant d’entrée dans cette forêt en cendres. En pressant un peu le pas, nous pourrions y être en une bonne heure de marche, peut-être un peu plus. Cela vous convient-il ? »

Alathea pouvait bien faire un léger détour avant de découvrir Kaen. Dès lors qu’elle obtiendrait l’accord d’Ameri, les deux élues pourraient se mettre en route.

Sans surprise et assez logiquement, Ameri accepta l’offre d’Alathea et ainsi les deux élues purent commencer à prendre la route en direction du village qu’avait évoqué un peu plus tôt cette dernière. Ameri était quelqu’un d’assez malin pour comprendre que ce genre d’opportunité altruiste ne se présenterait pas forcément de sitôt et l’idée de regagner rapidement un cadre civilisé devait sans doute la rassurer, ne serait-ce qu’un brin. Ce petit bout de route à partager ensemble serait une occasion pour l’elfe d’ajouter quelques explications supplémentaires à ce qu’elle avait déjà appris à l’autre élue, et le séjour en ville permettrait de compléter tout ceci avec d’autres avis ou opinions, des ouvrages un peu plus précis également. La décision avait donc été prise sans réflexion supplémentaire et, puisque tous les partis étaient d’accord, il n’y avait plus eu de raison de s’attarder sur place.

En soit, Ameri aurait quasiment pu effectuer le trajet toute seule, tant la zone était relativement paisible. La route n’étant pas franchement longue, les risques de mauvaises rencontres étaient incroyablement faibles, mais malheureusement pas inexistant. Cela aurait donc été déplacé que l’archère s’éclipse sur le champ en laissant la rousse sans défense. Il valait mieux prévenir que guérir, comme l’on disait dans certaines contrées. Alathea préférait donc s’assurer que l’autre arrive en ville saine et sauve avant de la laisser. Et puis la récente mésaventure de la mistinguette, celle-là même dont elle l’avait extirpée, lui avait fait comprendre que même au sein des plus beaux paradis peuvent se terrer les plus terribles démons. Si Ameri ne traînait pas trop la patte, et ça n’avait pas l’air d’être le cas, la distance serait vite parcourue et la belle aux yeux d’or, grâce à ses capacités et ses flèches, seraient de retour ici en un rien de temps.

Les deux jeunes femmes traversèrent une zone qu’Alathea franchissait pour la seconde fois seulement, une zone où elle manquerait de perdre la vie dans un combat acharné, quelques semaines plus tard, bien qu’à ce moment-là, elle ne puisse pas s’en douter. De fait, elle mènerait ici une chasse endiablée et meurtrière qui la pousserait dans ses moindres retranchements et la conduirait aux portes de la mort qu’elle n’avait pourtant plus côtoyé depuis un certain temps, depuis qu’elle avait recouvré une bonne partie de ses pouvoirs en fait. Mais nous n’en étions pas encore là aujourd’hui.

Alathea tenta donc d’inculquer quelques informations supplémentaires à Ameri, qui faisait de son mieux pour tout assimiler de manière studieuse, bien qu’il soit ostensiblement apparent que sa mémoire était déjà surchargée. L’élue de Shintan n’hésita pas à partager ses expériences personnelles, pour donner quelques astuces à son interlocutrice, tout en l’invitant à ne pas reproduire ses erreurs. Un lien commençait à se tisser entre les deux jeunes femmes, qui pourtant n’auraient guère plus l’occasion de se revoir à l’avenir. Un peu comme avec Sayo-Hee avant elle, ou encore le petit Robbie, il s’agissait là d’une amitié naissante qui n’aboutirait pas, faute de rencontres et d’échanges ultérieurs… Mais nous n’en étions pas là aujourd’hui.

Comme l’avait indiqué Alathea, le trajet dura à peine plus d’une heure à une cadence relativement soutenue. Al’ s’assura qu’Ameri puisse loger chez de braves gens serviables prêts à l’accueillir quelque temps en échange de certaines tâches ménagères, lui donna quelques derniers conseils, et prit congé en lui souhaitant bonne continuation, et en l’invitant à passer à Jiban un de ces quatre. L’Azazel accepta la proposition et assura qu’elle n’y manquerait pas, se confondant au passage en remerciements. Une page se tournait désormais.