Voleur du dimanche - Ft Alathea

Cela faisait bien longtemps qu’Alathea n’avait pas revu Lexi… Plusieurs mois à coup sûr, un an, sans doute pas tout à fait… L’elfe réfléchissait à quand remontait la dernière fois qu’elle avait croisé celle qui lui avait un jour proposé de rejoindre son camp. L’évidence la frappa alors : depuis le retour de Reisha, aucune communication, que ce soit visuelle, factuelle, gestuelle ou écrite n’avait existé entre les deux élues, hormis bien sûr la lettre reçue de la part de la marchombre il y a peu. En même temps, toutes deux n’étaient pas du genre à poser leurs valises éternellement au sein d’une chouette résidence chaleureuse. S’étant renseignée un peu au sujet de Lexi, Al’ savait que celle-ci avait multiplié les missions effectuées pour le compte d’une guilde d’aventuriers, au sein des territoires neutres. Pour le reste, elle ignorait ce qu’avait bien pu faire la plus puissante élue de la nation.

Plusieurs mois qu’elles ne s’étaient plus revues donc… Alathea ne les avait pas vus passer, tant son quotidien avait été occupé, avec notamment cette grande traversée du continent qu’elle avait effectuée. Un long voyage permis par le retour au commandement de Reisha, bien moins intrusive et possessive que son prédécesseur au pouvoir. Mais ce n’était pas pour autant que l’archère préférait la tournure qu’avait prise Shintan depuis que la grande prêtresse en avait repris les rênes. Pragmatique, elle voyait au-delà de toutes les émotions positives émises par Reisha, se concentrant sur l’état actuel de la capitale et de ses provinces, complètement délaissées depuis que Tyr avait été banni. Un constat amer de décadence qui ne lui plaisait guère, au vu des récentes nouvelles en provenance de Tenkasuru. Si rien n’était fait pour relever, une nouvelle fois, la nation du cristal, Vaharis et ses armées auraient tôt fait d’en prendre le contrôle, ce qui, par extension, signifiait la fin pour tous les élus y résidant.

Alathea avait longuement réfléchi au problème durant son périple et avait finalement décidé de mener son enquête, tout en poursuivant la trace de Tyr et de ses technos. Enquête qui l’avait finalement conduite à revoir le technocréateur, ainsi qu’à rencontrer Kuri, l’oracle de Shintan. Une longue conversation durant laquelle l’hybride avait appris énormément de choses, bien plus qu’elle n’en apprenait usuellement à Jiban. Un fait avéré qui la poussa alors, entre autres, à accepter de devenir le porte-parole de Tyr. Si elle restait fidèle à sa nation, elle préférait cependant chercher des solutions ailleurs qu’au sein de celle-ci, et Kougaku semblait se dessiner comme l’une d’entre elles.

La belle aux yeux d’or avait quasiment atteint sa destination : une taverne modeste, un peu semblable à d’autres, située en plein cœur du cratère. Un lieu banal pour la multitude, mais extrêmement symbolique pour elle, puisque c’était ici qu’elle avait pour la première fois fait la rencontre de Frisk et Nemesis, avant que tous trois, menés par Lexi Hil’Feyan, s’engagent dans une mission qui avait été rudement éprouvante et dont les conséquences se manifestaient encore aujourd’hui. C’était ici que l’elfette avait choisi d’aider Shintan, en vertu de ce qu’elle en avait entendu dire et des liens noués peu à peu avec les autres élus, mais surtout avec Lexi. C’était ici qu’Alathea avait donné rendez-vous à cette dernière, répondant à sa missive dans une même volonté de réconciliation.

Tyr avait tort concernant leur lien, Al’ en était persuadée. Elle n’avait d’ailleurs jamais manifesté la moindre intention d’altérer sa relation avec Lexi. D’une élue respectable et sacrément balèze, c’était devenu sa meilleure amie en ce monde, une confidente proche avec qui pester contre les complots du conseil. Sauf que malheureusement, toutes ces théories du complot s’étaient avérées exactes et cela avait conduit à la mort de Reisha. Une mort vécue différemment par le duo, l’une étant très proche de la défunte, mais en même temps si loin au moment de son trépas, tandis que la seconde n’ayant pas d’attache particulière avec avait vécu en direct sa disparition. Une séparation brutale s’était alors effectuée entre les deux amies, chacune suivant sa propre ligne de conduite. Mais aujourd’hui, Alathea avait répondu favorablement à Lexi, parce qu’elle croyait fermement que leur lien était réel, et non un artifice factice généré par l’esprit humain, comme le prétendait Tyr. Alathea croyait en Lexi et en leur amitié, solide et immatérielle.

Elle touchait à son but, ayant déjà atteint le village du cratère où avait été établi le lieu du rendez-vous. Rendez-vous qui aurait lieu dans les prochains jours peut-être, la nouvelle lune approchant. Bien qu’incertaine que Lexi y soit dès cette fois-ci, Alathea avait cette petite intuition au fond d’elle-même que leur rencontre se ferait à ce moment-là. Dans tous les cas, comme elle avait un peu d’avance, et bien souvent lorsque l’archère avait du temps à tuer, elle se mit à arpenter les rues de manière hasardeuse, sans vraiment avoir d’objectif précis, s’arrêtant de temps à autre pour questionner un marchand sur son étalage. Et en parlant de marchand, un bruit sourd, accompagné d’un cri, provenant de l’échoppe d’un commerçant attira son attention.

Généralement, l’elfette ne prêtait pas attention à tous les sons étranges qui l’entouraient, n’aimant pas particulièrement attirer l’attention sur elle. Sauf que, depuis peu, avec tout ce qui c’était passé à Shintan, et en prenant en compte l’ensemble des missions et requêtes que Frisk et elle avaient accomplies, la renommée de l’élue s’était répandue aux quatre coins de la nation, ce qui impliquait un minimum de responsabilité de sa part. Ainsi, même s’il ne s’agissait peut-être que d’un rien, elle se dirigea tout de même vers l’établissement d’où étaient provenues les potentielles échauffourées.

Bien lui en prit puisqu’à peine entrée dans le bâtiment, un rapide coup d’œil lui permit de constater la présence du dénommé Adam D. Cooper, un élu de Shuzâ qu’Alathea avait déjà pu croiser par le passé à Zouhan, l’élu en question en train de menacer avec une serpe un homme à l’apparence taciturne, ayant visiblement été mis à terre par le premier. Au fond de la grande pièce, se trouvait sans doute le tenancier du commerce, terré et mué dans un silence profond. Il ne fallait guère réfléchir bien longtemps pour deviner ce qu’il s’était passé, mais l’archère prêta tout de même attention à la justification du renard bipède, qui prétendait que les apparences étaient trompeuses, tandis que la victime présumée infirmait cette idée par ses paroles.

« Il vous faudra êtes bien plus convaincant que ça, Monsieur Cooper. » rétorqua la mi-humaine sur un ton glacial.

Aussitôt, elle dégaina son arme, la braqua sur l’autre élu, matérialisant une flèche électrifiée en son encoche. Évidemment, ne pouvant se fier qu’à ses yeux, elle ne croyait pas la version donnée par Adam. Et puis ne le connaissant pas plus que cela, elle ignorait aussi s’il s’agissait de quelqu’un digne de confiance, certains élus ayant tendance à faire usage de leurs pouvoirs à mauvais escient.

« Relâchez cet homme tout de suite ou cette flèche vous sera destinée. Le choix est vôtre, évitons tout esclandre inutile. »

L’homme malmené par Adam afficha alors, un court instant, un petit sourire satisfait, que la belle aux yeux d’or ne remarqua pas. Il restait silencieux, attendant de voir ce qui allait suivre, sentant le vent tourner en sa faveur.

Une fois encore, deux élus que peu de choses rapprochaient, n’appartenant même pas à la même nation, et qui pourtant se rencontraient par pur hasard, dans un village peuplé de plusieurs milliers d’habitants… Ce n’était pas une coïncidence. Alathea avait toujours eu cette conviction qu’une force mystérieuse poussait indubitablement les élus de Kosaten à se croiser mutuellement, malgré des parcours très différents. Elle ne parlait pas ici de destin ou de volonté supérieure capable d’animer leurs gestes et pensées à leur place. Non, elle évoquait ici plutôt un phénomène d’attraction naturelle, sans doute lié à leur organisme un peu spécial et qui les poussait, sans qu’ils en aient conscience, à rejoindre leurs congénères. Car effectivement, malgré les origines très diverses des élus, ainsi que leurs formes toutes très variées, il y avait chez chaque élu une aura particulière et particulièrement reconnaissable pour quiconque avait l’habitude de la sentir. Une aura potentiellement responsable de la convergence des élus en ce monde.

Ceci étant dit, si Alathea avait bien écouté toutes les récentes révélations concernant l’existence des élus et leur présence sur ce continent, révélations qui, soit dit en passant, ne l’avaient pas entièrement convaincue, notamment de par les nombreuses incohérences qu’elle y avait relevé, bref, si Alathea avait vu sa curiosité être partiellement désaltérée, il n’en était rien concernant ce phénomène, et ce, malgré ses recherches personnelles et ses échanges avec autrui.

L’elfe avait donc surpris Adam en flagrant délit de braquage à main plus ou moins armée, la situation à son arrivée étant relativement éloquente à ce propos. Toutefois, si elle le menaça aussitôt de son arc afin que l’homme au sol soit relâché de l’emprise du renard bipède, elle avait bel et bien l’intention de le laisser au moins exprimer son désaccord et se défendre s’il le souhaitait, bien qu’ici, l’avis de l’hybride soit déjà plus ou moins acté.

Adam nia aussitôt le crime, affirmant ne pas être en état d’une telle opération, et n’en ayant de toute façon pas l’intention. Il se tourna ensuite vers l’homme situé au fond de la pièce, celui qui semblait dans un état de choc profond, espérant obtenir du soutien de celui-ci, soutien qui n’arriva évidemment pas. Sur ce constat, l’élu de Shuzâ, tout en avertissant le second gaillard, le relâcha finalement et releva son étrange arme, avant de la déposer sur le comptoir, montrant ainsi sa bonne foi. Alathea ayant obtenu gain de cause, elle fit disparaître sa flèche paralysante et abaissa son arc, sans toutefois le rengainer. Il ne lui faudrait pas plus d’une seconde pour réitérer le geste inverse et tirer sur l’autre élu s’il faisait des folies.

« Bien, je constate que vous êtes raisonnable, au moins. Avez-vous à quelque chose à dire pour votre défense ? »

Ainsi, Alathea offrait à Adam l’unique opportunité qu’il aurait de tenter de dissiper un malentendu qui n’était ici pas flagrant. Elle lui laisserait le bénéfice du doute juste pour cette fois. Mais s’il s’avérait que le renard bipède se moquait d’elle, l’archère le lui ferait bien vite regretter.

Étonnamment, cet interlocuteur, qui semblait avoir la langue bien pendue, ne reprit pas la parole tout de suite, se contentant d’enlever une partie de son manteau. Alathea l’observa un instant, intriguée, avant de découvrir la quantité importante de bandages enroulés autour du ventre et de l’un de ses bras. Donc, son excuse, c’était son état de santé critique ? C’était déjà un peu plus entendable, même si, évidemment, cela ne justifiait en aucun cas un vol. Néanmoins, Al’ ayant décidé d’écouter ce que l’autre avait à dire, elle se tut, attendant les explications qui allaient avec.

Et qui ne tardèrent pas. De fait, Adam déclara avoir fait la malheureuse rencontre d’un groupe de vingt bandits sur son chemin, avec qui il avait d’abord tenté la méthode douce, ce qui n’avait pas franchement fonctionné… D’où la grosse baston qui s’en était suivie et les quelques coups vicelards que l’élu avait reçu. Cela semblait crédible, mais forcément, hormis les bandages du Shuchijin, rien ne pouvait servir de preuve concrète. Mais bon, l’idée de faire un cosplay de Toutankhamon pour braquer une échoppe était un peu étrange.

Al’ tiqua légèrement lorsqu’Adam évoqua le nom de Lexi dans son récit. Il affirmait avoir rencontré celle-ci, et que c’était d’ailleurs elle qui l’avait recousu. Ainsi donc la marchombre était déjà dans le coin elle aussi. Leurs retrouvailles ne tarderaient donc pas.

Pendant ce temps-là, Adam poursuivait son monologue en prônant ses valeurs en tant que voleur, affirmant n’agir que pour nuire à Zang. De bien belles paroles qui malheureusement encore n’avaient aucun moyen d’être vérifiées… Un peu dépitée, l’octogénaire fixa l’homme au fond du magasin, mais celui-ci ne s’était toujours pas remis du choc. Il faudrait bel et bien faire sans lui.

« Vous pouvez vous relever, monsieur. Puis-je vous demander votre version, je vous prie ? » dit-elle en s’adressant au véritable voleur, qui était trop content de la tournure des événements.

Il se releva effectivement, se massa les parties du corps ayant été « meurtries » par Adam, en faisant même un peu trop, un peu comme certains joueurs sur un terrain rectangulaire où l’objectif est de pousser un ballon rond dans les buts adverses. Jetant un regard énervé au renard bipède, il s’en éloigna un peu, se rapprochant aussi un peu plus de la sortie encore barrée par Al’.

« Il ment, ne le croyez pas ! Je suis venu acheter de quoi soigner mes frères et sœurs qui ont été blessés par une attaque de loups. Mais cet animal est entré dans le magasin avec la ferme intention de prendre toutes les richesses qui s’y trouvaient. J’ai essayé de m’y opposer, mais comme vous l’avez vu, je n’ai rien pu faire… Vous êtes une élue, mademoiselle ? Je vous en prie, aidez-moi. »

Un numéro de cinéma presque larmoyant, qui ne touchait pas l’elfe plus que cela, mais qui avait au moins le mérite de la faire douter. Elle soupira. Si Lexi avait été là, elle aurait sans doute su discerner le vrai du faux. Malheureusement, la native d’Erdrigoth ne disposait pas de telles capacités d’observation… Son regard se porta alors sur Adam.

« Quelque chose à répondre à cela, M. Cooper ? Votre état ne me semble pas exagéré, mais, même ainsi, vous êtes très certainement en mesure de braquer un petit établissement comme celui-ci par vos propres moyens. Vous avez peut-être des principes, mais un voleur reste un voleur, et vous êtes ici le principal suspect... »

À bien y regarder, et à y réfléchir après coup, il y avait quelque chose d’étrange dans la scène qui se déroulait devant les yeux d’Alathea, d’étrange par rapport à la vision qu’elle en avait. De fait, elle ne comprenait pas franchement l’intérêt de braquer une telle échoppe, aux revenus sans doute pas glorieux et probablement à peine suffisants pour permettre à son propriétaire de s’acquitter de ses frais, tout en retirant de quoi subvenir à ses besoins personnels. Bien que possédant un emplacement relativement avantageux pour le commerce, il ne devait pas y avoir beaucoup de passage ici, notamment à cause de l’importante concurrence aux alentours. D’ailleurs, certains de ces concurrents étaient un peu plus réputés et jouissaient d’une réputation suffisante pour attirer la convoitise, contrairement à l’établissement dans lequel elle se trouvait en ce moment.

A contrario, comme on dit dans le jargon, il n’y a pas de petit profit. Ainsi, un voleur souhaitant dérober de l’argent ne s’attardera pas à ce genre de détail, d’autant plus si, n’étant pas du coin, il n’a pas forcément les connaissances du terrain. Et puis, comme l’elfette n’avait pas hésité à le préciser, le nom d’Adam D. Cooper était connu jusqu’en ces terres, mais pas forcément en biais. Même s’il s’agissait là surtout d’une propagande émise par Zang, les faits étaient bien là. Le renard bipède n’avait donc pas de quoi se vanter ici, ce qui lui portait préjudice dans une affaire où sa parole était censée valoir de l’or, puisqu’elle seule pouvait le tirer de cette injustice, si toutefois celle-ci existait.

L’élu de Shuzâ ne se laissa pas démonter pour si peu, réagissant très vite aux accusations portées par l’autre inconnu. Il évoqua notamment la sobriété du lieu, indiquant à demi-mot qu’il était pas bête au point de se tromper de point à braquer, avant de réitérer ses convictions fermes à l’encontre de Zang. Si, sur ce point, Alathea pouvait envisager de le croire, au vu de la réputation qu’avait le voleur chez les rebelles, lorsqu’elle-même apportait son soutien à cette cause, cela ne l’empêchait pas forcément d’aller faire ses courses chez le voisin. Néanmoins, sa remarque, faisant écho aux réflexions internes de l’archère, eut au moins le mérite de semer le doute chez cette dernière.

« Je veux bien croire que vous vous opposiez fermement à Zang, au point de le dépouiller dès lors que l’occasion s’en présente. Mais c’est là une preuve de votre criminalité. Vous connaissez sûrement le dicton : qui vole un œuf vole un bœuf. Quand bien même vous auriez vos valeurs, rien ne dit que tôt ou tard vos méfaits les supplanteront. »

Une fois encore, Al’ rebondissait sur le statut de cambrioleur recherché de son interlocuteur pour l’accuser de nouveau. Ce n’était pas le plus fiable des argumentaires, mais c’était à peu près tout ce qu’elle avait sous le coude pour le moment, en l’absence d’un témoignage apte du commerçant.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce fut Adam qui amena une solution à leur problème, proposant que les deux suspects soient arrêtés jusqu’à ce que lumière soit faite sur l’affaire, vraisemblablement jusqu’à ce que le malheureux braqué retrouve ses esprits. L’idée n’était franchement pas débile, mais la Shintajin préférait rester méfiante envers cet élu qu’elle ne connaissait que trop peu. Après tout, il lui avait déjà mis des bâtons dans les roues par le passé, lorsqu’il avait fallu sauver Reisha à Zouhan.

« Votre idée me semble acceptable, M. Cooper. Toutefois, je dois vous avertir qu’à la moindre tentative d’entourloupe de votre part, la prison ferme ne sera qu’une partie de plaisir en comparaison de ce que vous subirez alors. Je connais cet endroit pratiquement comme ma poche, donc ne vous la jouez pas roi de l’évasion en pensant naïvement avoir ne serait-ce qu’une chance de m’échapper. »

L’avertissement était donné. Et il ne s’agissait pas ici de fausse prétention afin d’effrayer l’autre élu. Al’ avait tellement arpenté ce village au cours de ses voyages qu’elle en connaissait presque tous les recoins, et, par conséquent, les potentielles planques. Elle se tourna vers le second homme, qui était resté muet depuis sa dernière accusation à l’encontre du voleur avéré, l’interrogeant du regard sur ses intentions. Bien sûr, s’il était effectivement innocent, cela ne serait pas facile de le convaincre d’accepter l’idée.

« C’est que… j’ai des frères et des sœurs qui attendent mon retour, mademoiselle... »

Sans surprise.

« Je comprends et je vous assure que je ferai au plus vite. Vous les retrouverez très rapidement et tout ceci ne sera plus qu’une anecdote à raconter au dîner. »

Malgré la réponse de l’hybride, le type ne semblait pas convaincu. À vrai dire, il semblait de moins en moins à l’aise par rapport à comment la situation évoluait. C’est alors qu’une voix enfantine se fit entendre de derrière le comptoir :

« Menteur ! Menteur !!! C’est toi le méchant qu’a attaqué Papa ! C’est pas le renard ! »

À la grande surprise d’Alathea, un gamin d’environ dix ans venait de se hisser par-dessus le comptoir, pointant du doigt le suspect inconnu, larmes aux yeux, regard furieux. Jusqu’ici, la belle aux yeux d’or n’avait pas du tout senti sa présence… Il avait dû se cacher dès que le méfait avait été initié. Dans tous les cas, son témoignage, bien que bref, venait d’apporter de la crédibilité à la version racontée par l’autre élu. Al’ tourna aussitôt la tête vers celui qui venait de se hisser à la première place des suspects, dont le masque de la crainte était complètement retombé, pour afficher un visage furibond.

« Sale gosse !!! » hurla-t-il en se ruant vers le môme, dont il était le plus près.

Le voleur présumé attrapa le gamin par le coup, avant de se tourner vers le reste de l’assemblée.

« N’avancez pas ou je tue le gamin !!! Vous êtes des élus, non ? Vous êtes censés aider les autres, pas vrai ? Alors foutez-moi la paix et laissez-moi me tirer, sinon y’aura des conséquences ! »

Adam s’offusqua une fois encore du manque de confiance qui lui était accordé, ce qui sidérait quelque peu l’archère qui l’avait en joue. Après tout, on parlait tout de même de quelqu’un accusé de vol à main armée, ayant déjà une prime de voleur sur la tête, et dont Alathea n’avait pas de très bons souvenirs à l’esprit. Autrement dit, le gugusse partait avec un certain malus et se trouvait, malheureusement pour lui, dans une situation assez ambiguë et propre à lui retirer encore davantage de crédit. Alors, même s’il y mettait toutes les manières du monde et donnait l’air de jouer le jeu, l’elfe n’était pas suffisamment naïve pour lui accorder ainsi sa confiance. Déjà qu’il n’était, en temps normal, pas aisé de la gagner ou de la conserver…

La répartie du renard bipède eut au moins le mérite d’arracher un sourire à l’archère, surtout lorsqu’il déclara sans pression qu’il aurait pu s’enfuir quand il le voulait. Elle tourna la tête pour observer les environs en exagérant volontairement le geste, avant d’afficher une moue autant dubitative que provocatrice.

« Vous devez avoir sacrément confiance en vos capacités, M. Cooper, pour oser ne serait-ce que songer à vous échapper, dans pareille situation, et ce, en sachant que vous êtes sur mon terrain de chasse et qu’à tout moment, je suis capable de vous localiser, en supposant bien sûr que vous soyez assez prompt pour vous téléporter hors de cet établissement. » déclara-t-elle assez cyniquement.

Certes, elle ne disait pas toute la vérité et n’était pas pleinement certaine de ce qu’elle avançait, mais la belle aux yeux d’or tenait à ce que son interlocuteur s’en tienne à ce qu’il affirmait, et ne tente effectivement rien. Si tout se déroulait de cette façon, il serait très rapidement relâché, et avec une tripotée d’excuses, s’il était réellement innocent. Dans tous les cas, la situation semblait prête à se tasser, Alathea s’avança un peu pour procéder à la double arrestation.

Sauf que le destin en avait voulu autrement, offrant ici un petit coup de pouce à l’élu de Shuzâ. De fait, quelle ne fut pas la surprise pour l’hybride lorsqu’un petit garçon fit son apparition de derrière le comptoir, affirmant la culpabilité du second suspect, tout en déclarant l’innocence d’Adam. Al’ était surprise de ne pas avoir ressenti plus tôt la présence du gamin, elle qui avait une perception sensorielle bien supérieure à la normale de par ses origines. En tout cas, l’enfant, probablement celui du pauvre tenancier, avait visiblement été témoin de ce qu’il s’était passé précédemment, ce qui l’avait sans doute effrayé comme son paternel. Toutefois, dans un élan de courage, il s’était dévoilé pour aider à rétablir la vérité.

Le dernier luron, comprenant que les masques étaient tombés et que son mensonge éhonté avait été brisé, se précipita vers le môme, profitant de sa proche position et du fait qu’Adam avait dû s’éloigner un peu plus tôt. Il l’agrippa par la gorge, le prenant comme otage, alors que le malheureux gémissait et commençait à pleurer. Les conditions du voyou étaient très claires : le laisser fuir ou le garçon périrait. Alathea n’avait pas lâché son arc et, devant ce nouveau rebondissement, elle soupira :

« Sérieusement ? Vous vous bouchiez les oreilles jusqu’ici ou quoi ? Vous pensez vraiment vous en sortir dans pareille situation ? »

Le regard de la jeune femme de quatre-vingts ans passés se radoucit en venant chercher celui du garçon.

« Ne t’en fais pas, bonhomme, ce sera très vite terminé. »

Adam avait lui aussi entamé des discussions avec le voleur, sans obtenir plus de succès. Il se lança dans un long monologue, tout en se déplaçant légèrement, qui eut le mérite de capter l’attention et l’ennui du malfrat. Alathea ignorait si l’autre élu croyait franchement convaincre par son choix de mots ou s’il gagnait ici du temps, mais elle profita de l’opportunité qui lui était donnée pour cibler le voyou et générer une flèche électrifiée sur son arc. Elle n’attendait plus qu’une fenêtre pour tirer, ce qui arriva bien vite, alors qu’Adam donnait le signal, confirmant qu’il avait bien déblatéré dans cette optique-là.

Le trait partit instantanément, frôlant le corps de l’autre élu sans lui infliger la moindre égratignure, avant de venir se planter dans le bras menaçant du voleur. La décharge électrique se propagea aussitôt dans son corps, le paralysant temporairement ce qui permit à Adam de bondir sur lui sans crainte et de libérer complètement le gamin, tout en projetant l’agresseur à terre, avant de l’assommer pour de bon, en faisant usage de la serpe qu’il avait mentionnée toute à l’heure. Le gars était hors d’état de nuire pour quelque temps.

L’hybride se précipita vers le garçon, s’assurant qu’il n’avait pas été blessé par la prise d’otage, avant de constater que non. Le môme voulut remercier l’animal de son intervention salvatrice, mais il se rendit compte qu’une plaie assez grande s’était ouverte sur l’un de ses bras, sans doute une blessure précédente s’étant rouverte. Alathea le notifia au même moment et elle s’empressa de sortir un tissu large de son sac, le pressant sur la plaie, afin d’en contenir le saignement.

« On dirait que je vous dois des excuses, M. Cooper, mais cela attendra pour le moment. Pourriez-vous tenir la compresse par vous-même ? J’ai ce qu’il faut pour vous rafistoler un peu plus efficacement que Lexi. »

Al’ adressa alors un sourire rassurant au garçon, qui n’avait pas osé s’éloigner du blessé.

« Ne t’en fais pas, bonhomme, je vais le remettre sur le pied. Fais comme il t’a dit, vas plutôt voir si ton papa n’a besoin de rien. »

Décidément, l’élu de Shuzâ était véritablement incapable de la boucler plus d’une dizaine de secondes. À croire que sa langue avait tellement la bougeotte qu’il était obligé de l’utiliser sous peine d’en subir de terribles conséquences. De fait, le renard avait beau être passé longuement pour le suspect numéro un dans cette histoire de braquage, et accessoirement avoir été menacé par Alathea, il n’avait aucunement réduit son débit de parole, poursuivant les nombreux discours, autant pour se dédouaner du délit que pour tenter de trouver une alternative à la situation pour le moins alambiquée qui les préoccupait, le tout agrémenté de sa petite sauce maison spéciale provocation chaque fois que l’elfe lui rappelait qu’elle le tenait en joue. Inconscient ou un confiant, au choix du lecteur.

Ainsi, une fois encore, Adam ne perdit pas l’occasion de lancer un petit défi à l’archère dans un numéro de charme aucunement subtil, proposant de tester effectivement leurs différentes capacités respectives un peu plus tard. Si Alathea refusait rarement ce genre de challenge, il n’en demeurait pas moins que la situation actuelle ne se prêtait pas franchement à la rigolade. Dissimulant ainsi comme elle pouvait le léger sourire provocateur qui naquit sur son faciès tout aussi vite qu’il en fut expédié, elle soupira un coup, avant de fixer l’autre élu avec un regard un peu plus sévère.

« On en reparle plus tard, si vous le voulez bien ? D’autant que dans votre état, je m’en voudrais de vous humilier si facilement... »

Forcément, ce n’était vraiment pas le moment… Le pauvre enfant ayant été pris en otage devait être terrorisé et laissait reposer tous ses espoirs sur les épaules de deux élus en train de se donner la réplique. D’ailleurs, même le véritable voleur, tout du moins de la journée, était agacé par ces simagrées et il ne tarda pas à le faire savoir, rappelant à chacun l’ampleur de ses menaces. Si Adam ne put s’empêcher, une fois encore, de répliquer avec son ironie habituelle, sa manière de se positionner ainsi que son langage non-verbal firent rapidement comprendre à la belle aux yeux d’or ses intentions. Ainsi, les deux élues en présence purent combiner leurs efforts pour envoyer le malfrat au tapis et libérer le gamin de son emprise.

Tout semblait donc parti pour rentrer dans l’ordre, à ceci près que le renard était franchement dans un état assez moche à regarder. Alathea s’attela aussitôt à compresser la plaie pour éviter toute perte superflue de sang, rassurant au passage l’enfant, tout en s’intéressant de plus près à l’état du Shuchijin. Effectivement, Lexi avait fait au mieux avec ce qu’elle avait fait sous le coude, mais force était de constater que le rafistolage humain n’était vraiment pas le fort de la marchombre. Et puis comme son patient l’avait affirmé, celui-ci n’avait pas était le plus soigneux avec les recommandations médicales.

Tout en poursuivant la compresse, Alathea s’excusa auprès de son interlocuteur, tandis que celui-ci en fit de même pour son attitude précédente. Il semblait toutefois très fier de sa proposition de défi précédente et se permit même de poursuivre le numéro de drague en complimentant le regard de la jeune femme. Celle-ci ne put s’empêcher de pouffer en entendant cela, venant chercher les yeux bleuâtres du renard.

« Vous en ratez pas une, n’est-ce pas ? Je vous ai menacé et accablé, vous êtes dans un bien piteux état… Vous draguez toujours celles qui vous mettent en joue ou c’est moi qu’ait tiré le gros lot ? » répondit-elle sur un ton amusé.

Al’ souleva légèrement la compresse, qui était déjà bien imbibée de sang. Il fallait soigner l’autre de manière plus efficace si l’on voulait éviter des complications par la suite.

« Il va falloir que je vous soigne, M. Cooper, si vous tenez réellement à honorer votre proposition de toute à l’heure. Je ne doute pas que vous puissiez guérir tout seul tôt ou tard, mais si vous voulez éviter de devoir rester cloué au lit une éternité, et avec tout le respect que j’ai pour Lexi, il vaut peut-être mieux que l’on vous prodigue des soins appropriés. »

La native d’Erdrigoth confia le soin de tenir le tissu sur la plaie béante à Adam, avant de se relever, pour s’emparer de son arc. Elle le brandit alors, le pointant rapidement vers le renard, avec un sourire carnassier sur le visage.

« Je vais devoir vous tirer dessus pour vous guérir. Bien sûr, je ne ferai pas usage de la même flèche que toute à l’heure, mais d’un trait de ma conception capable d’accélérer la cicatrisation naturelle de votre métabolisme. Je vous dis ça, mais pour un gars comme vous qui aime se faire cibler par une belle demoiselle, ça ne devrait pas poser de problème, non ? »

Alathea était prête à opérer dès que l’autre lui donnerait son feu vert. Sous couvert de ses provocations personnelles, elle était bien décidée à remettre son homologue sur pieds.

Décidément, rien ne se passait jamais dans la simplicité lorsqu’il était question du quotidien d’Alathea. Il était bien rare, voire pratiquement dénombrable, le nombre de fois où elle était intervenue d’une manière ou d’une autre pour résoudre une situation à problème, sans qu’il y ait de complications par la suite. Généralement, le destin prenait goût à l’ironie et venait pimenter les événements avec des éléments perturbateurs dont lui seul avait le secret. Ce n’était pas pour autant que l’elfe tentait de s’y soustraire et d’éviter ces multiples problèmes, au contraire, cela égayait ses journées, l’empêchant ainsi de s’ennuyer, même si, des fois, cela devenait pénible.

Ainsi, d’une simple appréhension de suspect lors d’un braquage, c’était devenu une véritable prise d’otage avec enfant, et désormais, une séance de soins dans l’urgence. Rien de ce qui était initialement prévu, donc. Heureusement, ce n’était rien d’ingérable pour l’elfette, qui voyait peu à peu la situation se résoudre. Le tenancier de l’établissement était sauf, inconscient, mais sauf ; son fils serait sûrement traumatisé par toute la scène dont il avait été témoin, mais physiquement, il n’avait rien, et le temps parviendrait à chasser ce mauvais souvenir de son esprit ; enfin, le malfrat était visiblement complètement groggy après le coup violent asséné par Adam. Ne restait donc plus qu’à rafistoler, une énième fois, ce dernier et tout rentrerait dans l’ordre.

Alors que l’hybride s’appliquait encore un peu à presser le tissu sur la peau du renard bipède afin de limiter les saignements, ce dernier donna quelques conseils au gamin, qui ne savait pas vraiment quoi faire, pour qu’il puisse aider son père à aller mieux. C’était sans doute inutile, mais cela éviterait d’éventuelles complications chez le vendeur, et puis cela permettrait surtout de rasséréner un tant soit peu le garçon. Celui-ci ne tarda pas à filer, opérant tant bien que mal selon les instructions données par Adam. Pendant ce temps, celui-ci poursuivait ses beaux discours, affichant très certainement une belle façade extérieure qu’intérieure.

« Loin de moi l’idée de briser vos convictions, M. Cooper, mais vous n’êtes guère le premier à me dire ceci, et vous n’êtes très certainement pas le dernier. Pour l’heure, j’aurais tendance à dire que vous êtes effectivement un sacré numéro, mais de là à être le numéro gagnant, il y a de la marge... »

La jeune femme confirma assez vite la gravité de la plaie du blessé, gravité qui était plus due au fait que la blessure datait déjà et n’avait pas été complètement traitée la première fois, ceci plus le fait qu’Adam avait joué au fanfaron avec un corps tout juste rafistolé. Elle leva les yeux au ciel lorsque l’autre lui demanda l’ampleur des dégâts, sachant pertinemment qu’il connaissait déjà la réponse. Ceci étant dit, alors qu’elle ne se donnait même pas la peine de répliquer, le Shuchijin demanda à ce qu’elle l’appelle par son prénom. Al’ afficha alors un léger rictus, prenant soin d’appuyer un peu plus, l’espace d’un instant, sur la balafre dont elle tentait de limiter le saignement.

« Oh… Je suis navrée… Adam. » dit-elle d’un ton faussement désolé.

Peu après, l’elfe confia temporairement le tampon à son interlocuteur, s’emparant rapidement de son arc pour guérir le renard au plus vite. Elle ne tarda pas à obtenir son accord, alors que l’autre surexagérait sa posture, en rapport avec sa réponse. Comment résister à l’envie de se payer un peu plus sa tronche dans ces conditions ? Al’ n’essaya même pas. Tandis qu’elle pointait son arme en direction du convalescent, et que sa flèche curative, d’une teinte très douce aux reflets d’opale, se formait peu à peu à l’encoche, elle fixa Adam avec un air très sérieux.

« Préparez-vous, Adam ! Cette flèche vous guérira en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, mais en contrepartie, la douleur ressentie durant ce très court laps de temps risque d’être terrible, au vu de votre état actuel. Serrez bien les dents et cramponnez-vous à ce que vous pouvez ! »

Dès qu’il fut chargé, le trait fila, pour se plonger dans le bras le plus touché de l’élu. Sous le regard et le sourire sadiques de l’archère, le processus de guérison commença… sans aucune douleur, bien entendu, puisque la flèche guérisseuse de la belle aux yeux d’or était également empreinte de morphine. Son mensonge éhonté n’avait été annoncé que pour observer la réaction de l’autre.

« Alors ? Pas trop douloureux pour vous, Adam ? »

Flèche utilisée:

Alathea ne savait pas trop quoi penser de l’hurluberlu qu’elle était en train de soigner dans cette modeste boutique. D’une part, il avait sa réputation qui le précédait et, si du côté des rebelles de Shuzâ, celle-ci était plutôt bonne, ce n’était pas franchement le cas à Shintan, où son côté criminel récidiviste était mis en avant par rapport au reste. Certes, l’elfe comprenait ses motivations, du moins une partie, mais cela ne l’empêchait pas de garder à l’esprit qu’il était déterministe et pragmatique, et sans doute prêt à beaucoup de choses pour arriver à ses fins. Ajoutez à ceci son impertinence naturelle qui lui donnait du charme et en même temps attirait les foudres de son entourage…

L’archère n’était pas du genre à se fier de manière bornée à ses premières impressions ou à ce qu’elle avait appris en amont, mais elle ne balayait jamais complètement ces données. Si Adam semblait être quelqu’un de sympathique et social, il avait d’ailleurs même réussi l’exploit de se faire aider par Lexi elle-même, son côté beau parleur, sa langue un peu trop bien pendue et sa manie de toujours en faire des caisses pouvaient vite amener Alathea à lui fausser compagnie sans aucune mesure. Pour l’heure, celle-ci, tout en offrant la guérison qu’elle avait promise à son interlocuteur, cherchait à savoir si elle devait le classer dans la catégorie des Don Juan à la chaîne, qu’elle exécrait profondément et qu’elle recalait bien souvent plus vite que ses traits ne filaient, ou dans celle des gentlemen un peu plus classes et entreprenants.

Ceci dit, tout jeu de séduction, de charme, ou de ce que voulez dans le même style, mis à part, Al’ s’amusait beaucoup de son dialogue avec l’autre élu, ce qui expliquait que, pour le moment, elle allait dans son sens. Ainsi, elle n’hésita pas à le malmener un peu, tout en sachant pertinemment qu’il ne souffrirait bientôt plus du tout, le tout agrémenté de quelques sarcasmes habituels chez elle, inspirés pour certains de sa proximité avec la marchombre, pour le reste de son caractère qu’elle dissimulait souvent au profit d’une attitude un peu plus diplomatique.

Finalement, après des moqueries provenant des deux camps, des provocations puériles et des regards appuyés, le processus de guérison put commencer, et une fois encore, Alathea se paya la tête d’Adam en lui offrant un bon gros coup de flippe quant à la douleur qui serait occasionnée lors de l’opération. En même temps, sur l’ensemble des soigneurs ou guérisseurs qu’elle avait pu croiser durant ses nombreuses escapades, l’hybride en avait rencontré certains de complètement inaptes, d’autres seulement capables de restaurer une partie superficielle des tissus cutanés, d’autres encore en mesure de fortifier l’ensemble du corps, mais en immersion sensorielle complète permise grâce à la douleur aiguë qui s’en dégageait… Donc les propos de la belle aux yeux d’or avaient toute crédibilité pour un non-initié.

Ceci étant dit, Adam se rendit finalement compte de la supercherie, en riant un bon coup, avant de penser aussitôt à la suite. Il avait de fait plusieurs questions quant aux capacités de l’octogénaire, tout autant qu’il se permit d’office d’adopter le tutoiement de proximité avec celle-ci. Heureusement, Alathea n’était pas Zayro Jinn. Elle pouffa un peu, avant de reprendre son sérieux.

« Oh, bah, j’imagine que vous n’êtes pas vraiment du genre à vous tenir à carreau, je ne vous dirai donc pas de faire attention à vous, mais plutôt de revenir me trouver si vous vous mettez de nouveau dans un état pareil. Pour info, je vous ai tiré dans le bras, car c’était votre partie la plus meurtrie, mais normalement, le soin a dû se propager dans tout le corps, le reste devrait donc être de nouveau à neuf. Si ce n’était pas le cas, je peux vous cibler une seconde fois pour finaliser la guérison. »

Adam avait également émis l’idée que la tireuse de précision fasse usage de cette capacité pour aider le tenancier de l’établissement à se remettre de ses émotions, mais Alathea secoua la tête de gauche à droite.

« Pas avec ce type de flèche en tout cas… Je pourrai lui administrer une dose d’adrénaline dans le sang, mais l’effet ne serait que temporaire, et le contrecoup pas franchement mieux. D’autant que j’entends sa respiration s’accélérer peu à peu, il ne devrait pas tarder à émerger. »

Vint ensuite le point d’orgue du nouveau monologue d’Adam, qui eut d’abord pour réaction un haussement des épaules de l’archère.

« Honnêtement, faites comme vous voulez. Mais sachez que, personnellement, je me tiendrai au vouvoiement avec vous pour le moment. Ne vous vexez pas, c’est une habitude que j’ai prise il y a soixante années de cela et à laquelle je ne me suis jamais dérobée. »

Hormis les personnes très jeunes qu’Alathea avait rencontrées, il n’y avait qu’un seul individu qu’elle avait accepté de tutoyer, et encore, après de longues aventures en commun, et il s’agissait de l’élue la plus puissante de Shintan.

« Maintenant que vous êtes guéri, vous allez peut-être pouvoir cesser votre numéro d’exhibitionnisme, non ? Ce pauvre enfant n’ose plus vous regarder depuis toute à l’heure. » ajouta-t-elle sur un ton faussement sévère.

En parlant de lui, Alathea se rapprocha du gamin, qui avait positionné son père tant bien que mal selon les instructions fournies par Adam. Le père ne tarderait pas à se réveiller, mais mieux valait pour le moment rester pas très loin. La Shintajin reporta alors son regard sur le renard bipède.

« Et donc, que venez-vous faire de beau au village du cratère, Adam ? Mis à part acheter de quoi vous rafistoler, bien sûr. »

Alathea s’était sans doute un peu avancée quant à l’étendue du soin appliqué aux blessures d’Adam, notamment, car elle ignorait comment fonctionnait son métabolisme animal. De fait, il était possible que son corps nécessite davantage d’attention et notamment un second trait pour guérir intégralement, ou bien tout simplement que la morphine injectée au passage soit trop rapidement assimilée pour permettre une indolorisation totale. L’elfe s’était basée sur son propre corps pour concevoir ses traits, étant donné que son hybridité lui permettait de couvrir plus de possibles rejets du métabolisme. Elle avait même déjà soigné des bêtes avec ses flèches. Toutefois, le renard n’avait pas non plus la dégaine d’un simple renard… Elle espérait juste ne pas s’être trop trompée sur ses propos précédents. De ce qu’elle pouvait constater, l’autre élu était sauf et en plutôt bon état, ce qui était le principal.

L’archère nota très vite le dépit qui se dégageait de la voix de son interlocuteur après le refus de la belle de le tutoyer. Cela pouvait se comprendre sur un point, alors que les barrières semblaient peu à peu disparaître entre les deux partis, Al’ venait d’en rajouter une de carrément solide. Toutefois, il fallait aussi rappeler qu’il y a encore une heure, le duo d’élus ne se connaissait que de vue, et encore, de très loin. Même si la situation avait tendu à les rapprocher d’un coup, ce n’était pas le genre de l’octogénaire de créer des liens aussi aisément. Le temps était l’un des facteurs prédominants dans cette idée.

« Ne le prenez pas mal, surtout, cela n’a rien de personnel, Adam. » ajouta-t-elle tout de même pour éviter toute équivoque.

Il était vrai que la scène qui s’achevait tout juste s’était déroulée si vite, alors qu’il s’était pourtant passé tant de choses. Entre le braquage et la première interpellation de l’archère, puis l’offre d’Adam et la prise d’otage, et enfin la blessure du renard et le soin de l’elfette. Et pourtant, cela faisait quoi, une demie-heure, une heure à tout casser que cela avait commencé. En même temps, lorsque l’on impliquait deux élus dotés de capacités surnaturelles dans le lot, rien ne se passait normalement. Déjà que les élus avaient tendance à s’attirer mutuellement et à se rencontrer fréquemment, voilà qu’il fallait ajouter à cette règle la capacité naturelle des étrangers de ce monde à causer des soucis à leur entourage, puis généralement à les résoudre.

Finalement, Adam ayant pu constater par lui-même qu’il était sauf et que son état s’était grandement stabilisé, il se revêtit peu à peu, toujours dans l’humour et la dérision, ce qui fit sourire à nouveau Alathea, sans qu’elle ne réponde ce coup-ci. Le duo suivit alors rapidement les pas du gamin qui était au chevet de son paternel, docilement positionné pour minimiser les risques qu’il s’étouffe. Concernant ce dernier, cela semblait bel et bien être plus de peur que de mal, les émotions et la pression étant montés en pic en un rien de temps, ce qui pour certains, plus sensibles que d’autres, constituait un trop gros flot d’adrénaline pour que le corps puisse le supporter. Toutefois, comme avait pu le constater la belle aux yeux d’or, le souffle du tenancier se régularisait tout autant qu’il accélérait, signe qu’il reprenait vie peu à peu, sous le regard inquiet de son rejeton qui, quant à lui, semblait être un véritable concentré de courage.

« Il ne tardera pas à revenir à lui, ne t’en fais pas ! » lui précisa tout de même l’elfette, au cas où le petiot n’ait pas entendu le commentaire qu’elle avait adressé à Adam.

En parlant du Shuchijin, Al’ tâcha de faire plus ample connaissance, en attendant que le père émerge. Tout en surveillant de temps à autre l’état du malfrat encore bien sonné par l’assaut commun des deux élus, elle interrogea son interlocuteur sur les raisons de sa présence dans la région. Ce n’était pas dans le but de continuer à le fliquer, même si cela pouvait être interprété ainsi, mais bel et bien par curiosité. Elle-même voyageait souvent sans raison particulière, simplement pour le plaisir de découvrir des coins de ce monde qu’elle ne connaissait pas encore. Mais chaque élu était différent et avait par conséquent des motivations différentes, qu’elle souhaitait ici connaître.

Adam ne tarda pas à donner de la répartie, expliquant qu’il était musicien et regrettait certains matériels de son monde d’origine, sans qui la sonorité des instruments n’était pas la même sur ce continent. Il pensait pouvoir trouver à Shintan, et plus probablement au village du cratère, voire éventuellement à Jiban, des galéoïdes capables d’altérer ce son et de rééquilibrer la donne dans ce domaine. Une justification à laquelle Alathea ne s’attendait pas du tout et des informations qu’elle ne pouvaient pas vraiment transmettre à l’autre.

« Alors comme ça, vous êtes musicien ? C’est marrant, j’aurais pu parier sur deux ou trois passe-temps pour vous, mais celui-ci, je ne m’en serais jamais douté… Comme quoi, les apparences sont parfois trompeuses ! J’espère en tout cas que vous trouverez ici ce que vous êtes venu chercher. Même si je me suis longuement renseignée sur les différentes fonctions des galéoïdes, j’avoue volontiers mon ignorance dans ce domaine si mystérieux pour les novices. »

Alathea repensa à ce qu’avait Adam un peu plus tôt, notamment concernant sa réputation de voleur et l’ambiance générale à Shuzâ. Il soulevait là un point crucial. L’elfe répondit avec un peu de sérieux et de gravité qu’auparavant.

« Votre objectif est honorable, Adam, mais malheureusement, il se heurte à une limite plus que contraignante. De fait, tant que Zang sera à la tête de Shuzâ, tout despote qu’il soit, vous serez toujours étiqueté en tant que criminel, peu importe vos idéaux. C’est triste, car vous semblez être quelqu’un de bon... »

Alathea soupira, repensant aux multiples regrets qu’elle avait pu avoir après que l’alliance avec la faction rebelle se soit quelque peu effritée à la suite de la mort de Reisha. Il faudrait bien reparler de ce point tôt ou tard avec la grande prêtresse.

En soi, si Alathea affichait généralement une façade un peu froide et distante, tout du moins formellement neutre, c’était pour éviter de s’attirer la sympathie gratuite des autres et poser un cadre dès le départ. Après tout, même si elle n’en avait pas l’apparence, elle avait près de quatre-vingt-dix ans à son actif, quasiment tout autant dans le monde de la guerre, et avait vu passer un nombre incalculable de morts durant cette longue existence. Aussi avait-elle fini par apprendre à se détacher de ses relations, pour n’en nouer qu’une poignée, pour le coup vraiment solide, à l’instar de Lexi, bien que les raisons des deux archères soient différentes. Toutefois, dès lors que le premier cap était franchi et que l’elfe avait pu jauger un tant soit peu l’interlocuteur, là, et seulement là, ses réactions naturelles, et notamment sa curiosité sans borne, refaisait surface.

Ce gars-là était digne d’intérêt, pour une multitude de raisons. Déjà, il semblait avoir une forte propension à la survie, et ce, même en milieu particulièrement hostile, au vu de sa condition rebelle et des élues surpuissantes qu’il avait vraisemblablement côtoyées de ce fait. Certains auraient qualifié cela de chance insolente, mais l’archère y voyait davantage une bénédiction réellement acquise par Adam. Après, elle ignorait encore beaucoup d’éléments sur l’autre. Toutefois, il semblait regorger de secrets suffisamment croustillants pour attiser la curiosité de la belle aux yeux d’or. Et heureusement pour elle, elle n’avait pas trop besoin d’insister pour que la langue se délie, l’autre était un bavard dans l’âme. Ce qui pouvait être son cas à elle, dans certaines situations.

Alathea observait le réveil progressif du tenancier tout en écoutant d’une oreille attentive les aventures quelque peu alambiquées du renard, ne manquant pas de réagir de temps de surprise via certaines mimiques ou expressions faciales non dissimulées. L’histoire était tellement absurde qu’elle ne pouvait décemment pas croire à un mensonge, et pourtant, ça en avait un peu la tête. Si l’elfette avait déjà noté de très profondes différences entre les mondes d’origine de certains élus, elle n’était encore jamais tombée sur un énergumène comme le Cooper. Honnêtement, il y avait largement de quoi écrire un recueil tant sa vie semblait n’avoir été que des mésaventures et aventures plus classiques.

« C’est du solide, votre passé… Si je m’attendais à ça… Au moins, Kosaten vous a pas trop déboussolé, en termes d’événements inattendus et parfois incompréhensibles ! »

La voix de l’homme encore allongé au sol (le gentil, pas le méchant) tira l’archère de ses réflexions. Le père avait repris des couleurs et semblait beaucoup aller mieux, preuve que cela n’avait été qu’un petit coup de frayeur. Il s’inquiéta pour son fils et fut aussitôt rassuré en le prenant dans ses bras, avant de s’enquérir du sort du malfrat, du vrai. Ce fut Adam qui lui narra à sa façon la fin de l’histoire, avant de laisser l’homme se remettre de ses émotions.

Al’, qui était précédemment restée silencieuse à la demande du Shuchijin concernant son passé, profita de ce temps mort pour finalement lui livrer la réponse qu’il attendait :

« Je pense que vous allez être déçu, Adam. Mais puisque vous insistez, je vais vous parler d’Erdrigoth, l’endroit où je suis née et où je suis bien heureuse de ne plus être actuellement.

Il n’est nullement question de voyage dans le temps ou de nombreuses espèces pensantes comme dans votre monde. Erdrigoth est un monde peuplé majoritairement par deux races, les hommes et les elfes. Les hommes sont comme les natifs de Kosaten, des gens ordinaires et dénués de capacités surnaturelles, palliant ce manque par une ingéniosité énorme et de nombreuses avancées technologiques. Les elfes, quant à eux, vivent de manière très précaire, en coexistence avec la nature, et sont dotés de capacités magiques très variables. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais malheureusement, il y a de cela un nombre incalculable d’années, et on ne sait pas trop pourquoi, une guerre a éclaté entre les deux camps, et depuis, c’est dans les gênes de chacun de prendre les armes pour aller trucider l’autre d’en face. Il n’y a aucune logique à cela, ni raison particulière, mais les elfes et les hommes se font la guerre, sans que cela n’aboutisse à autre chose que la mort.

Quant à moi, je suis née d’une union interdite entre un homme et une elfe, ce qui fait de moi une hybride mi-elfe mi-humaine. Je n’ai jamais connu mon père, mais je suppose que ses devoirs d’homme l’ont rattrapé et qu’il a péri au combat. Quant à ma mère, la dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a environ soixante-dix ans et elle venait de se faire capturer par les siens, à cause de mon existence.

Le reste de ma vie a consisté à me cacher dans un premier temps, puis à me fondre dans la masse. Alors que j’exécrais la guerre au plus haut point, j’ai fini par l’accepter et en faire ma routine quotidienne, vendant mes services au plus offrant et m’éclipsant dès que j’étais démasquée. Kosaten… et les rencontres que j’ai pu y faire… Ce sont sûrement les plus belles choses qui me soient arrivé. »

Alathea n’avait pas évoqué son lien avec son arc, ni sa prime enfance, deux éléments qu’elle préférait garder pour elle, et que seule Lexi avait eu la chance d’entendre le récit. Constatant que le tenancier était complètement rétabli et qu’il s’apprêtait à les rejoindre, sans doute pour les remercier, elle se contenta d’un dernier commentaire :

« Vous cherchez sans doute à retrouver votre monde d’origine et vos proches, mais en ce qui me concerne, mon histoire ne commence véritablement qu’à mon arrivée ici. »

Alathea était un peu surprise par la réponse d’Adam, lorsqu’il affirma, malgré ce qu’elle pensait, que Kosaten continuait à lui réserver son lot de découvertes inattendues et déroutantes. Certes, il était vrai que ce monde regorgeait de mystères bien particuliers, et parfois inhérents à la condition des élus, donc introuvables dans les mondes d’origine de ceux-ci, et c’était d’ailleurs l’un des points forts qui avaient motivé l’elfe à parcourir le continent, et en parallèle à s’installer à Jiban, puis à Kougaku. Mais aux dires du renard, il avait tout de même traversé une sacrée quantité d’épreuves toutes très diversifiées et à des temporalités radicalement opposées, tant et si bien que le côté voyage multi-dimensionnel devait être une routine pour lui.

À l’inverse, Al’ avait été un peu perdue avec tous les concepts novateurs à assimiler à son arrivée. Heureusement, ayant beaucoup côtoyé les humains en Erdrigoth, car, après tout, en tant que mercenaire, elle vendait ses services au plus offrant, la technologie, ou technomagie comme elle était ici nommée, n’était pas quelque chose de déroutant pour elle, bien que les inventions de son monde d’origine soient presque exclusivement consacrées à l’art de la guerre. Cependant, la multitude d’espèces qui fourmillaient sur ces terres, la diversité des nations ou encore la pluralité des élus étaient à des années-lumière de ce qu’elle s’était toujours imaginée. Sauf que, comme toujours, la guerre était présente pour lui rappeler d’où elle venait…

Finalement, à force d’insistance de l’autre élu, et puisque le duo avait un peu de temps à perdre en attendant que le tenancier se remette complètement de ses émotions et profite un peu de son enfant, Alathea accepta, en juste retour des choses, de parler de ses origines à son interlocuteur. Si elle garda effectivement sous silence quelques secrets, comme tout le monde, qu’elle ne révélait jamais, sauf à de très rares personnes de confiance, elle se montra en revanche assez ouverte à la discussion et livra à Adam un récit condensé, mais bien synthétique, condensant assez bien ses quatre-vingts premières années de vie. Elle ne cherchait nullement sa pitié ou sa compassion, mais répondait simplement à son interrogation par une réponse précise.

Visiblement, ce passé tragique l’affectait beaucoup, notamment, car lui-même était de nature hybride et avait dû subir moult discriminations et injures, bien que de moindre ampleur. Il ajouta quelques propos visant à réconfortant l’archère, tout en donnant son opinion sur les conflits inter-raciaux. En parallèle, il posa ce qui semblait être une main conciliante sur l’épaule de l’octogénaire, la retirant quelques instants sans qu’elle ait émis la moindre opposition. Après le monologue engagé du Shuchijin, Alathea soupira un bref instant.

« Ce qui est différent effraie. Je pense que cet adage s’adapte parfaitement à toute situation, à toute époque. Dès lors que son esprit a ancré en lui un modèle bien standardisé de ce qu’est la normalité, tout ce qui en diffère peut surprendre, effrayer, voire carrément terroriser. Le cerveau se sert de cette normalité pour former une enveloppe protectrice et expulser toute impureté ou disparité qui ne s’y conformerait pas. C’est ainsi.

Effectivement, pour des personnes comme vous et moi, qui sommes issus de plusieurs modèles de normalité, cette carapace nous paraît absurde et complètement dérisoire. Nous sommes capables de percevoir les atouts et les faiblesses des différentes races qui nous ont enfantés, ce qui nous permet aussi de cerner deux fois plus de monde que les autres. Forcément, ce point a de quoi effrayer ceux qui craignent que nous retournions cet atout contre eux.

Honnêtement, aujourd’hui, j’ai arrêté de penser à cette hybridité. De temps en temps, cela me sert, dans le cadre de l’utilisation d’une capacité particulière, ou lorsque j’en parle. Mais globalement, Kosaten nous donne déjà un rôle qui diffère des populations locales et natives. La condition d’élu éclipse toute autre condition que nous aurions pu avoir par le passé. C’est un fait, qui ne me réjouit pas plus qu’il ne m’attriste.

S’il est important de se souvenir de son passé et de nos origines, il ne faut pas que cela devienne une barrière qui nous brime et nous immobilise. »

Ceci étant dit, Alathea n’hésita pas à rappeler que son nouveau monde et son nouvel état lui convenaient parfaitement, interrogeant l’autre à ce sujet, puisque la réponse était moins sûre. Apparemment, il n’était pas en mesure d’offrir un avis définitif à ce sujet, ayant désormais une famille très proche dans les deux mondes, ne souhaitant évidemment pas en abandonner une pour l’autre. L’idéal aurait sans doute été de pouvoir rassembler les deux au même endroit, bien que l’idée semble irréalisable à l’heure actuelle. L’elfette n’osa pas évoqua non plus la possibilité que les proches du voleur encore dans son monde d’origine aient déjà pu disparaître, un millénaire étant passé. Toutefois, elle garda cette pensée pour elle, tout en gardant en tête qu’elle ignorait si la temporalité s’écoulait pareillement ici qu’ailleurs.

Adam n’hésita pas à se confier davantage, évoqua la perte de liens affectifs et le fait qu’il ne lui restait aujourd’hui plus beaucoup de connaissances, que son nombre de bons amis se comptait sur le bout des doigts… Si Alathea et Lexi étaient toutes deux des élues pragmatiques et ne nouant que rarement des liens, le Cooper semblait être, en revanche, ce genre de gars à chercher à se faire des potes un peu partout et ayant besoin d’une certaine compagnie pour se sentir vivre. Histoire de lui rendre la pareille, la tireuse de précision posa à son tour une main réconfortante sur l’épaule velue de l’ancien convalescent, la retirant quelques instants après.

« N’hésitez pas à venir vous installer dans le coin, ne serait-ce que quelque temps, pour changer d’air. Vous y trouvez forcément chaussure à votre pied et cela vous permettra de prendre un peu de recul. Ah, et je me ferai une joie de vous tenir compagnie et de vous offrir une vraie visite le cas échéant ! »

C’était sa manière à elle d’accepter l’offre d’Adam et de lui assurer que cela ne la gênerait pas de le revoir une prochaine fois. Toutefois, la conversation dut prendre fin, puisque d’une part, le tenancier était de retour, et en pleine forme visiblement, et d’autre part, le malfrat reprenait doucement connaissance. Adam se chargea de l’attacher avec une corde, histoire d’éviter tout problème ultérieur, bien qu’aucun des deux élus ici ne l’aurait laissé faire, ne serait-ce qu’un demi-pas, hors de l’établissement. On évoqua alors la suite des opérations.

« Oui, je l’amènerai aux gardes, mais je n’en ai que pour un petit instant, cela peut donc attendre encore un peu. »

Le père s’avança alors vers le duo, les remerciant chaleureusement, tout en demandant au petiot de leur préparer deux tasses d’une boisson chaude locale aux arômes épicés. En parallèle, se souvenant qu’Adam était initialement venu ici pour faire quelques courses, il se hâta de rassembler le tout, rajoutant quelques articles de soin au passage.

« Tenez, brave homme ! Ce n’est pas grand-chose, mais je tiens absolument à vous exprimer ma reconnaissance. Ne vous avisez pas de refuser ou je demande à Dame Alathea de vous y contraindre. »

Encore un local qui connaissait et respectait assidûment la triplette d’élues de la nation. Ceci dit, Alathea ne put s’empêcher d’éclater de rire devant l’injonction du propriétaire. Elle se tourna vers Adam, faisant semblant d’arborer un air sévère.

« Vous avez entendu, Monsieur Cooper ? Vous avez intérêt à obtempérer au plus vite, sans quoi, je me verrai obligée de sévir ! »

Sans s’en rendre compte, Alathea avait longuement discuté avec Adam, alors qu’elle ne le connaissait vraiment que depuis peu. En dépit de cela, elle n’avait pas hésité, la main un peu forcée certes, à lui révéler des éléments importants de son passé et de ce qui l’avait amenée à être ainsi aujourd’hui. Le contexte du voleur assommé d’une part et du petiot au chevet de son père ayant été victime d’un léger malaise avait plutôt bien amené la conversation à se prolonger et à s’ouvrir, jusqu’à devenir un véritable échange philosophique sur la condition des hybrides et des élus. Le genre de discussion que l’archère avait eu, sur ce continent, un nombre de fois si élevé qu’il était possible de le comptabiliser sur les doigts d’une main. Mais elle ne regrettait aucunement cet échange avec l’autre élu.

Toutefois, vint le temps fatidique de cesser cette conversation, ou tout du moins de l’interrompre temporairement, puisque le patron était finalement de retour parmi les vivants, tandis que le malfrat précédemment sonné par l’étrange arme du Shuchijin revenait progressivement à lui. En parallèle, le tenancier de l’établissement, reconnaissant envers les deux élus, tint à les remercier en leur offrant de quoi se désaltérer, tout en ajoutant un petit supplément d’équipement de soin pour Adam, puisque c’était initialement l’objet de sa venue. Après tout, il n’était pas au courant que l’elfette avait profité du temps d’attente pour soigner son interlocuteur, et, de toute façon, il était toujours utile d’avoir sur soi de quoi appliquer les premiers secours, surtout lorsque l’on était un véritable danger pour soi-même comme ce renard hybride.

Le père insista lourdement afin qu’Adam accepte son gage de gratitude, n’hésitant pas à se servir de l’identité de la Shintajin pour faire pression sur le gaillard. Cependant, comme cela avait déjà été le cas un peu plus tôt, celui-ci, loin de se débiner sous la menace, y vit un défi personnel et n’hésita pas à répliquer, arguant qu’il était bien curieux de savoir ce que la belle aux yeux d’or avait dans son sac pour le contraindre à prendre la besace médicale. Celle-ci leva les yeux, prête à rétorquer qu’elle ne rentrerait pas dans cette combine, lorsqu’elle fut interrompue par le ton désagréable et bougon du malfrat, complètement réveillé et parfaitement saucissonné, qui avait vraisemblablement assez peu envie de prolonger sa compagnie avec le duo d’élus. Alathea fit alors disparaître son sourire pour afficher un visage neutre, voire un peu menaçant.

« Bon… Puisque vous insistez... » dit-elle sur un ton froid.

La tireuse de précision plongea son regard doré dans les yeux bleus d’Adam, avant de libérer son aura magique, laissant sa part elfique prendre le dessus sur sa part humaine. La pression était palpable et quiconque ici n’y était pas préparé serait instantanément cloué sur place. Le tenancier, bien que peu inquiet quant aux intentions de l’élue, se plaça tout de même devant son enfant, alors que le malfrat avait perdu toute contenance, se liquéfiant visuellement sous l’effet de terreur. Mais la véritable cible de cette intimidation, c’était bel et bien Adam, vers qui la très grande majorité de l’aura était dirigée. Une aura menaçante et surpuissante, emplie d’intentions meurtrières, ces mêmes meurtres qui avaient jadis étaient le quotidien de la mi-humaine. Arc de nouveau dégainé, elle matérialisa une flèche spectrale, la plus puissante de son arsenal, invisible à l’œil nu et pourtant dégageant une force magique incommensurable. L’arc pointait vers le cœur d’Adam, tandis que l’octogénaire, sans sourciller, reprit sur un ton glacial :

« Acceptez le cadeau de cet homme, à moins que vous ne souhaitiez risquer votre vie, Monsieur Cooper. »

La menace proférée, Alathea dissipa sa flèche, rengaina son arc, fit disparaître son aura et se remit à sourire, comme si de rien n’était. Elle attendait de voir quelle serait la réaction d’Adam avant de reprendre la parole. Ceci étant réglé, elle se tourna vers le voleur raté, qui avait manqué de peu de se faire dessus et restait traumatisé par ce qu’il venait de vivre, le chargeant sans aucune peine sur son épaule, comme s’il s’agissait d’un vulgaire sac à patates.

« Réflexion faite, ce type me saoule vraiment… Du coup, je vais nous en débarrasser illico presto ! J’en ai pour une minute à peine. » indiqua-t-elle à l’intention d’Adam.

Elle matérialisa une flèche lumineuse qu’elle posa sur le comptoir, avant de disparaître aussitôt, colis chargé, guidée par son lien spirituel avec ses traits. Prévoyante qu’elle était, Al’ avait déjà placé de nombreux projectiles au sein de la ville, afin de lui permettre de se téléporter où bon lui semblait. Par conséquent, cela ne lui prit qu’une quinzaine de secondes pour atteindre le poste de garde le plus proche.

Les miliciens en place la reconnurent aussitôt, ce qui facilita la démarche. Alathea expliqua brièvement la tentative de vol du gaillard, réclamant pour lui un peu de geôle afin de lui remettre les idées en place, sans pour autant tomber dans l’abus au niveau de la sanction. Le malfrat remis aux autorités compétentes, elle se téléporta de nouveau dans la boutique, à proximité du comptoir où elle avait déposé la flèche un peu plus tôt. Son regard se posa de nouveau sur le Cooper.

« Vous parliez d’une invitation à déjeuner ? Ma foi, pourquoi pas ? Démontrez-moi donc toute l’étendue de votre flair afin de nous dénicher la perle rare. Si l’établissement me plaît, je me sustenterai volontiers en votre compagnie. Dans le cas contraire, je vous laisserai vous y régaler et irai me délecter ailleurs. »

Si elle était restée stoïque tout au long du processus d’intimidation implicitement quémandé par Adam, Alathea était, en son for intérieur, assez fière d’avoir réussi à faire taire, ne serait-ce que quelques instants, son interlocuteur. Non pas que celui-ci l’indispose ou l’exaspère avec ses loufoques simagrées ou ses pitreries verbales, bien au contraire. L’archère y voyait une continuité dans leur jeu des surenchères de capacités, la suite de l’un de leur premier échange, lorsque Adam avait affirmé pouvoir s’échapper sans difficulté, et ce, malgré la présence de l’élue de Shintan. Telle était donc la réponse de cette dernière, sur le ton de l’ironie et de la dérision. Toutefois, afin que son brusque changement d’humeur ne soit pas mésinterprété, elle fit disparaître son effrayante aura tout aussi rapidement qu’elle avait surgi. Après tout, le but n’était pas de brutalement mettre fin à sa conversation avec l’autre hybride.

Fort heureusement, le gaillard dont il était question était lui-même un élu expérimenté à caractère prononcé et indubitablement doublé d’un courage infaillible ou d’un aspect clairement porté sur le masochisme. Dans tous les cas, il accepta les cadeaux donnés par le tenancier de la boutique, sans plus tergiverser, et ce chapitre put être clos. Après quoi, Alathea, clairement agacée par la présence du malfrat raté, et souhaitant étendre encore un peu cet agréable moment passé en la compagnie du Shuchijin, décida de prestement les délester du bougre, en l’amenant en un rien de temps au poste de garde le plus proche. Cela ne lui prit guère plus de temps que si elle avait été faire une course dans l’épicerie d’à côté et ainsi, l’elfette fut de retour quelques instants après. Puisque les derniers détails avaient été réglés avec le propriétaire de l’établissement et que celui-ci avait fini de se confondre en plats remerciements, le duo d’élus pouvait désormais prendre congé.

Le Cooper ayant proposé d’inviter la belle aux yeux d’or dans un restaurant, celle-ci le mit au défi de dénicher la perle rare qui saurait raviver leurs papilles, sans quoi elle refuserait aussitôt son offre. En réalité, Al’ ne connaissait pas tant que cela la gastronomie locale ou les diverses enseignes du village, mais elle était curieuse de voir comment son interlocuteur s’y prendrait pour répondre à ses exigences. Sans grande surprise, Adam se prêta au jeu, s’accablant même d’un handicap lié à la durée, ce qui fit sourire la tireuse de précision, tandis que son regard doré venait défier le mâle. Le challenge était lancé.

Aussitôt, Adam s’éclipsa par la porte, avant de lancer son étrange serpe dorée vers les cieux et de disparaître en un rien de temps. L’oeil-de-faucon supposa alors sa présence sur les hauteurs de la bâtisse, n’utilisant volontairement pas ses sens accrus pour connaître les intentions de l’autre. Elle attendit donc patiemment pendant trois minutes, avant de voir à nouveau la porte s’entrouvrir, poussée par le Cooper au summum de la galanterie. Celui-ci avait visiblement trouvé son bonheur, bonheur qu’il s’apprêtait à partager avec l’archère. Cette dernière s’avança, tirant une moue désapprobatrice.

« Vous avez six secondes de retard, M. Cooper. Je m’attendais à mieux de votre part... »

Alathea avait évidemment pris un ton faussement irrité, avant de sourire à nouveau et de reprendre :

« Je plaisante, naturellement. Mais, de vous à moi, vous aviez largement assez de deux minutes, non ? »

Pour le récompenser de son haut fait d’armes, l’octogénaire sortir en grande pompe comme une reine, bien assistée par la courtoisie du renard-raton-laveur, attendant ensuite que ce dernier discute affaires avec le patron de la boutique. Après quoi, elle suivit Adam jusqu’au restaurant qu’il avait trouvé, jetant un rapide coup regard à la carte, avant de s’y engager. Au moins, l’endroit était calme et, pour l’heure, personne ne semblait n’avoir reconnu ni l’une, ni l’autre. Le duo put donc prendre place.

« Ouïe attentive aux commentaires des habitants repus, regard tendu vers le visuel global des aliments, odorat attentif aux effluves issus de ces mêmes aliments, c’est ainsi que vous avez effectué votre choix, je me trompe ? »

La déduction n’était pas des plus compliquées, au regard du profil animalier d’Adam. Alathea ne tarda pas à faire son choix, optant pour un plat typique qu’elle ne connaissait pas, ainsi qu’un cocktail sans alcool qu’elle appréciait grandement. Après que le mâle en fait autant, elle reprit la parole :

« Si je ne m’abuse, vous faites partie de cette vague d’élus présents il y a mille ans de cela, n’est-ce pas ? Il me semble avoir déjà aperçu votre nom dans un ouvrage relatant de l’histoire passée de Kosaten. En gardez-vous des bons souvenirs ? Je veux dire, en tant qu’élu soutenant la rébellion, Minshu était sûrement un paradis à vivre, en comparaison de Shuzâ... »