Chasse à la baleine géante

Quête:

En parcourant le tableau des missions d'un pauvre bled fumé de Reïfuu dont le nom n'avait pas la moindre importance pour cette aventure, une en particulier attira mon attention. Une putain de chasse à la baleine géante. Et merde, pourquoi pas ? Ça changeait des petits boulots merdiques de routine. Ils disaient qu'elle détruisait les glaciers, menaçait les villages, tout le tralala du monstre marin, je vous fais pas un dessin (de toute façon, je suis nulle à ça). Des trucs de sauveur du monde, bla bla bla... Moi, ce que je voyait surtout, c’était l’opportunité de me faire un peu de fric et de tester mes limites. J'avais regagné un peu de force, mais ma puissance était toujours encore plus bridée que le scooter d'un jeune minet de quinze berges... Ça ne m'empêcherait pas de démonter Moby Dick et d'en faire de la charpie.

J'allai donc voir le connard de service, pardon le sympathique employé qui n'avait pas trouvé mieux comme CDI, qui gérait les contrats. "Je prends la chasse à la baleine" que je lui dis, avec mon meilleur sourire, celui qui ne montrait pas mes dents et ne donnait pas tellement l'impression que j'envisageai bien de lui faire couler les viscères sur le sol s'il se bougeait. Il hocha la tête, sans doute content de filer cette tâche à quelqu'un d'aussi... motivé et charmant que moi. Il me parla alors de prudence, de dangers potentiels, de ne pas sous-estimer la créature, tous les gestes barrières à appliquer quand on s'apprêtait à aller trucider un mammifère marin. Je retins un rire, tout en plaçant ma main devant ma bouche pour montrer mon ennui le plus profond. Comme si j'avais besoin de ses conseils.

La première étape, c'était l'équipement. Mes dagues habituelles ne suffiraient pas pour cette bête. Je me dirigeai donc vers l'armurerie du coin. Le type qui la tenait connaissait ses affaires. Je lui expliquai ce que je cherchais : des harpons, et des bons, pas de la camelote en carton qui plierait au premier coup tenté. Tant qu'à faire, autant avoir quelque chose qui peut vraiment percer la peau d'un monstre marin. Il me montra ce qu'il avait en stock, des trucs lourds, sérieux, avec des pointes comme je les aimais, capables de transpercer n'importe quoi, n'importe quoi ! Je les manipulai, testai le poids, l'équilibre. Parfait. J’en pris trois. Déjà, parce que si j'étais douée, un seul me suffirait. Mais surtout, parce que c'était pas donné... Je claquai donc mes derniers yens, pariant sur cet investissement. La récompense était plutôt correcte.

La seconde étape, c'était de me trouver des fringues un peu plus chaudes que les froufrous que je portais habituellement. Si je m'étais faite au climat de cette nation de psychopathes timbrés, j'avais cru comprendre que là où j'allais, c'était encore plus dans le négatif qu'ailleurs... La faute à des vents venus de je sais pas trop où et qui ramenaient avec eux tout le froid d'ailleurs. Autant je craignais pas trop les différences de température, autant je restais quand même humaine, et oui je vous jure, et il me fallait quand même quelques épaisseurs quand la morve au nez se mettait à geler... Je liquidai donc vraiment ce coup-ci le fin fond de ma bourse, raclant les fonds de tiroir pour m'offrir une doudoune un peu plus épaisse, mais qui me donnerait pas l'impression de faire un cosplay du boulimique local.

Équipée et prête, je quittai la ville en direction du cimetière des baleines. L'excitation montait. Ça va être un sacré spectacle. Juste moi, cette merde de baleine, et tout l’espace glacé du monde pour voir qui allait anéantir l'autre. Calamity vs the wild ! C'était marrant de constater ce que j'acceptais désormais comme taf, qui n'avait rien à voir avec un contrat d'assassinat classique. Avant, je n'aurais même pas calculé l'annonce... À croire que ce monde avait réussi un peu à me changer... Bon, on n'en était pas non plus à aller bisouiller tous les types que je croisai non plus, fallait pas abuser !

Après avoir récupéré les harpons et revêtu une épaisse doudoune, j'avais quitté la ville pour me diriger vers le cimetière des baleines. Le trajet promettait d'être aussi réjouissant qu'un enterrement, traversant des étendues glacées qui semblaient interminables. Le froid mordant n'était qu'un détail mineur pour moi, mais l'ennui menaçait de me tuer avant même d'atteindre cette foutue baleine.

En chemin, comme pour pimenter un peu cette expédition monotone, j'avais croisé la route d'un groupe de maraudeurs. Visiblement trop stupides pour comprendre qu'ils n'avaient aucune chance, ils m'avaient pris pour une cible facile, probablement à cause de ma dégaine de touriste pas tout à fait adaptée au décor. Ils avaient tenté de m'encercler, l'un d'eux brandissant une arme qui semblait avoir été bricolée dans un atelier de fortune. J'avais esquissé un sourire en coin, presque reconnaissante pour cette distraction. Je ne pouvais pas faire ce que je voulais dans ce foutu pays, sous peine de devoir me coltiner l'un de ces zouaves surcheatés qui se faisaient appeler les empereurs, mais dans un cas de parfaite légitime défense comme ici, et j'insiste, ça n'avait ici rien à voir avec une excuse de ce cher Zayro, je pouvais me défouler librement.

Utilisant un harpon comme lance, j'avais transpercé le premier idiot qui avait eu le malheur de s'approcher un peu trop. Le poids de l'arme et la surprise de l'attaque avaient suffi à semer le doute parmi ses compagnons. Une rapide démonstration de mes capacités à manipuler l'air autour de moi, balançant des lames d'air aussi subtiles que tranchantes les balayant comme de simples feuilles mortes, avait achevé de dissiper leur envie de continuer ce combat inégal. Ils avaient battu en retraite, tous plus estropiés les uns que les autres, me laissant reprendre ma route, un sourire satisfait dessiné sur mes lèvres. Ces petits affrontements étaient toujours les bienvenus pour maintenir mes réflexes en éveil. Voyez ça un peu comme un échauffement avant d'aller liquider ma véritable cible.

Arrivée enfin au cimetière des baleines, le paysage avait quelque chose de solennel et de spectaculairement morose. Des squelettes immenses parsemaient le terrain gelé, certains à demi enfouis sous la neige, d'autres dressés comme des monuments à la gloire de leur espèce disparue. C'était un endroit où le vent chantait des épopées tristes à travers les ossements. J'avais pris un moment pour observer les alentours, scrutant la surface de l'eau à la recherche du moindre indice de la présence de la baleine géante. J'aurais été une elfe curieuse et admirative de ce type de décor, j'aurais sans doute pris le temps de me laisser apaiser par ce cadre, puis de m'émerveiller devant les beautés de ce monde. Mais j'étais moi, n'ayant strictement rien à secouer des panoramas locaux, étant juste ici pour une mission, rien de plus. Une fois celle-ci terminée, cet endroit disparaîtrait bien vite de mes souvenirs...

J'avais trouvé un point d'observation élevé près de la rive, un amas de glace qui me fournissait une vue dégagée sur l'étendue d'eau. La patience n'était pas ma vertu principale, mais pour une proie de cette taille, j'étais prête à faire une exception. Chaque vague, chaque frémissement de l'eau captait mon attention, mes sens aux aguets, prêts à capter le moindre signe. Le vent glacial ne faisait qu'accentuer la tension, les cris lointains des oiseaux marins ajoutant à l'atmosphère étrangement tranquille de ce cimetière marin. Je sentais que ma proie n'était pas très loin, c'était comme un instinct de prédatrice aguerrie : il n'y avait pas la moindre preuve, mais je savais que j'avais raison.

Je crois bien qu'il y a un an, j'aurais maudit vigoureusement ma faiblesse actuelle, en me disant qu'avec mon aquakinésie à son prime, j'aurais pu facilement faire sortir la bête de son antre, voire carrément la balancer de force sur terre, pour la détailler tranquillement en sashimi sans trop lui demander son avis. Aujourd'hui, j'avais appris à me démerder avec le peu de pouvoirs que j'avais. C'était juste une question de dosage, un peu comme un pauvre rajoutant de l'eau pour diluer son shampooing et faire durer plus longtemps sa bouteille. Ici, le shampooing, c'était mes pouvoirs et l'eau, c'était toute l'originalité dont je pouvais faire preuve pour les utiliser correctement.

J'avais passé un temps de merde, le cul gelé sur cet amas de glace, à attendre que la bête décide de pointer le bout de son nez. Ça m'avait rappelé mes jours de surveillance lors de contrats moins... arrosés... Je me souviens qu'une fois, du temps où je bossais encore pour Weather, j'avais carrément dû poireauter pendant trois jours entiers sur place, me contentant de quelques rations de survie et d'un filet d'eau courante pour me nourrir, tapant une p'tite sieste de temps à autre pour tenir, trois foutues journées pénibles pour que ma cible soit forcée de sortir de son abri. Le comble, c'est qu'elle n'avait pas dû se mettre à découvert à cause d'un problème de bouffe ou de flotte, non, mais parce que l'odeur de son caca l'incommodait trop pour qu'elle accepte de déposer les gosses à la piscine dans l'abri... Une belle mort de merde, si vous me passez l'expression...

Finalement, la patience, cette vieille pote, avec qui je ne voulais pas passer mes soirées, avait payé. La surface de l'eau frémit et la baleine émergea lentement, un monstre tellement énorme que les carcasses autour n'avaient l'air que de poissons minuscules en comparaison. Le premier contact visuel avait été suffisant pour que mon cœur de tueuse évalue la situation : ce truc était une forteresse flottante. Alors que l'animal prenait une grande respiration, projetant une colonne d'eau qui retombait en pluie fine, je m'étais redressée, harpon en main. C'était maintenant ou jamais. M'approchant doucement et silencieusement, telle l'héraldesse de la Mort que j'étais, je réfléchis à la meilleure façon de la déstabiliser, le temps que je puisse frapper efficacement. J'optai assez rapidement pour un petit peu d'aquakinésie à l'ancienne, touchant la surface de l'eau pour créer des remous et des courants, pas très puissants, certes, mais suffisants pour surprendre Moby Dick qui n'avait toujours pas calculé ma présence.

Profitant de cet instant de faiblesse chez le monstre marin, j'agrippai fermement l'arme de lancer que je portais sur moi. Avec la précision d'un chat, j'avais lancé le premier harpon. La trajectoire avait été parfaite, l'impact solide, le harpon se fichant profondément dans le flanc de la bête. La réaction ne s'était pas fait attendre : un coup de queue monumental qui avait envoyé des vagues se briser contre mon petit perchoir improvisé, menaçant de m'envoyer bouffer des algues au fin fond des flots marins. Mais je tenais bon, comme toujours. Il en fallait bien plus pour me stopper.

La baleine, blessée et furieuse, avait plongé, emportant avec elle mon joli petit harpon toujours bien fermement planté dans son bidou, dont le sang s'écoulait dans l'eau à une vitesse folle. J'avais saisi la petite sœur de cette arme, prête à redoubler d'efforts pour plier la mission. J'aurais pu utiliser mes pouvoirs pour la traquer plus efficacement, mais avec à peine 15 ou 20 % de mes capacités de base, c'était comme pisser dans un violon, fallait vraiment être désespéré pour trouver ça utile.

Alors, j'avais fait ce que je savais faire de mieux : improviser. J'avais utilisé un peu d'aérokinésie pour me propulser vers un autre point de vue, suivant la trace tumultueuse que la bête laissait dans l'eau. Elle nageait en direction des profondeurs plus sombres du cimetière des baleines, là où les icebergs flottants créaient un labyrinthe naturel. Sur mon nouvel observatoire, je voyais le sillage de sang qui se diluait dans l'eau glaciale. La bête était rapide, mais blessée, elle laissait derrière elle une piste évidente. Mon deuxième harpon était prêt, mais je savais qu'un tir direct dans cette eau sombre et agitée relevait plus du coup de chance que du talent. Je devais attendre le moment parfait.

J'avais renforcé ma concentration, prête à utiliser chaque once de pouvoir qui me restait pour repérer les mouvements sous la surface. Finalement, la silhouette sombre de la baleine avait reparu, s'enfonçant vers une grotte sous-marine à l'abri des regards. Une cachette parfaite pour une créature blessée cherchant à échapper à une mort certaine. Elle pensait peut-être avoir trouvé un refuge, mais pour moi, c'était juste une étape de plus dans la chasse. Il y avait un accès maritime, mais mieux valait éviter, je doutais de résister suffisamment longtemps au froid et à la pression pour l'atteindre facilement. Il fallait donc que je trouve la voie terrestre, celle qui me permettrait d'avoir un accès VIP vers le succès de la quête, quitte à ce que je crée moi-même ce foutu trou.

La silhouette sombre de la baleine géante s’était fondue dans les ombres de la grotte sous-marine, s’offrant un répit bien mérité, tout du moins, c'était ce qu'elle pensait. Le harpon ne tarderait pas à sortir de lui-même, son épaisse peau se régénérant assez vite. La vie reprendrait son cours pour notre léviathan préféré et cela, jusqu'à ce qu'un énième abruti tente d'en finir avec elle de nouveau. Mais pas de bol pour elle, je n’étais pas du genre à abandonner quand le gibier filait se cacher. D'autant que maintenant, ça devenait vraiment une affaire personnelle. Déjà que j'avais plusieurs fois échoué en ce monde à mener à bien des tâches simples, imaginez un peu si ça venait à se savoir qu'une mercenaire de mon calibre était pas fichue de buter un gros poisson...

Le cimetière des baleines, avec ses immenses squelettes dressés contre le ciel gris, m'offrait un spectacle macabre que je ne pouvais pas ignorer. Une inspiration peut-être, pour ce qui allait suivre. Cherchant une entrée terrestre, je me frayais un chemin parmi les ossements, la neige craquant sous mes bottes. Finalement, un passage étroit se dessina, probablement utilisé par d'autres prédateurs ou curieux, menant droit vers la cachette maritime de la bête.

Je progressais lentement, mes sens aux aguets, la lumière se réduisant à mesure que je m’enfonçais dans l'antre. La fraîcheur humide de la grotte me frappait le visage, mais je restais concentrée, chaque pas calculé pour ne pas annoncer ma présence. Une fois à l'intérieur, l'odeur métallique du sang mêlée à l'air marin remplissait mes narines. La baleine, blessée, mais pas encore vaincue, attendait dans l'eau sombre, sa respiration lourde et irrégulière troublant le calme trompeur.

Mon regard s'habitua rapidement à l'obscurité. J’apercevais la masse imposante de la baleine, flottant près de l'entrée sous-marine. Elle semblait faible, ses mouvements lents et pénibles. Parfait. Armée de mon dernier harpon, je ne m’embarrassais pas de subtilité cette fois. D'un mouvement fluide et déterminé, je lançais l'arme qui trouva son chemin à travers l'épaisse couche de graisse et de muscle, s'enfonçant profondément. La baleine sursauta, projetant de l'eau en tous sens, sa douleur formant une symphonie sauvage qui résonnait contre les parois de la grotte.

Elle tenta de s'enfuir, mais la blessure était trop profonde, ses forces l'abandonnant peu à peu. Je me rapprochais, observant le géant se débattre faiblement. Sûre de ma victoire, je sortis mes dagues de lancer, les enfonçant une à une dans les parties les plus vulnérables du mammifère marin. Chaque coup était un message : ici, c'était moi le prédateur, et elle était ma proie. Ce n'était pas un affrontement, c'était une boucherie. Elle n'avait aucune chance de s'en sortir. Dire qu'une telle prime avait été placée sur ce monstre, qui s'était pourtant laissé avoir si facilement...

Une fois la créature immobile, un silence lugubre s'installa dans la grotte. Mon travail ici était terminé, et j'étais prête à réclamer ce qui m'était dû. Sortant de la grotte, le froid me mordait le visage, mais une satisfaction profonde réchauffait mon cœur. De retour en ville, je fis valoir mon succès, amenant un représentant local de la loi avec moi pour lui montrer ma nouvelle pièce d'art. Les autorités, à moitié impressionnées, à moitié horrifiées par l'efficacité brutale de mon travail, n'eurent pas d'autre choix que d'acquiescer et de me remettre ma prime. Impeccable, pas d'entourloupe dessus.

Il était donc temps pour moi de me tirer du pays des pingouins. Ils étaient bien mignons avec leurs dégaines d'esquimaux, mais je préférais quand même les beaux surfeurs musclés presque à poil sur les plages chaudes... Le cœur léger, la bourse lourde, je n'eus pas trop de mal à refourguer les harpons qui étaient presque neufs, mais n'avaient à présent pas plus d'utilité pour moi qu'un chargeur Iphone. Ceci fait, j'avais décidé d'aller faire un tour du côté de la capitale de cette nation. Malgré la folie de certains de ses élus, je n'avais pas oublié l'idée d'être embauchée directement par la nation pour faire ses sales besognes. À voir si les conditions proposées étaient bonnes...