Pèlerinage céleste

Eh beh, il avait déjà une meilleure tronche, ce temple, maintenant qu’il avait été reconstruit en bonne et due forme et sans doute avec tout un paquet de Chin- d’esclaves de Shuzâ ou de Kaen sous-payés. Comme quoi, ce Rhadamantys était capable de faire de vraies choses utiles, plutôt que d’exhiber sa queue à tout-va chaque fois qu’on venait lui chercher querelle. Notez que j’avais jamais eu l’occasion de vérifier ça moi-même, ce n’était que des racontars qui circulaient au sein de la nation, encore que moins avec le temps qui passait…

Bref, le pépère dirigeant du pays le plus glacial de ce fichu continent était l’un des rares élus influents du coin qui me restaient à rencontrer, avant de me faire une vraie opinion sur la nation des grosses brutes sans cervelle. Il me fallait un vrai patron et des contrats réguliers, en plus d’une certaine protection. Sur le papier, Shuzâ aurait sans doute été plus appropriée, mais je le sentais pas trop, surtout la pétasse qui avait pris le pouvoir là-bas, une sacrée suceuse qu’on disait. Le choix par dépit, c’était donc Reifuu, mais encore fallait-il que ça me convainque vraiment, ce qui, pour le moment, était pas vraiment acté…

Qui j’avais croisé de chez eux, vous me direz ? Certainement pas les deux putes de la cour royale, c’était exactement le genre de personne que je pouvais pas blairer… Y’avait eu Roronoa Zoro. Le Reifuujin parfait, à savoir de gros bras qui savaient agiter l’épée pour un cerveau inexistant. Pas franchement méchant, mais qu’est-ce qu’il était con, quand même… Pas un mauvais allié ceci dit, mais il fallait lui dire quoi faire si on voulait éviter qu’il fonce droit dans le mur, littéralement à cause de son sens de l’orientation aussi présent chez lui que le charisme capillaire. Zayro Jinn ? N’en parlons pas. Je suis même pas sûre que ce psychopathe faisait réellement partie de cette nation. De ce que j’avais compris, même ses pseudos alliés ne voulaient pas se battre près de lui… Quid de la Furie alors ? Sans doute le moins pire du lot, même s’il n’en demeurait pas moins un sacré bourrin lui aussi, avec un QI supérieur à 10, par contre, contrairement au premier. D’après ce que j’avais compris, Rhadamantys était un peu similaire, à ceci près qu’il s’était quand même démerdé pour prendre les rênes du royaume des glaçons et qu’il se démerdait plutôt bien pour le diriger, ce qui signifiait qu’il n’était pas complètement abruti…

Mon avis sur la question n’était donc pas tout à fait tranché, et il faudrait sans doute réellement une entrevue avec le roi, pour peu qu’il me l’accorde si j’en faisais la demande, pour que j’acte mon choix. En attendant, je m’étais accordée un peu de répit après mon récent contrat d’élimination de la baleine, pour aller mater la dégaine du temple reconstruit de la nation. C’était dans les parages que j’avais rencontré la tête de cactus, il y a un sacré bail, afin de liquider une secte de tocards, comme l’avait jadis fait une célèbre aérokinésiste il y a mille ans, dont je n’avais aucune connaissance.

J’étais pas seule, évidemment, à me cultiver, mais j’étais sûrement la moins pieuse du lot des quelques passants qui s’étaient arrêtés ici pour prier un dieu qui avait disparu depuis des lustres et des lustres. Je trouvais le concept un peu con, mais vu qu’apparemment c’était ce même dieu qu’était responsable de notre arrivée en ce monde, c’est qu’il devait bien être encore présent quelque part. Enfin, perso, je m’en moquais un peu, sauf s’il se décidait soudainement à me rendre mes pouvoirs, ce qui serait franchement pas un luxe.

Ah tiens, j’étais pas la seule à me démarquer du lot de tous ces croyants visiblement. Une fille avait l’air à peu près aussi paumée dans sa vie que dans sa tête, figée bêtement devant la statue de Long, comme si elle tentait de communiquer avec la pierre et le métal dans lequel il était conçu. Je savais que certains entretenaient un lien particulier avec les cailloux, mais de là à ce que ce soit aussi charnel… N’ayant pas grand-chose de mieux à faire pour tuer le temps, je m’approchai d’elle avec un sourire clairement moqueur.

« J’espère que tu penses pas sérieusement qu’il va te répondre, quand même ?! Non parce que sinon tu risques de te faire chier longtemps… »

J’observai rapidement la nénette à qui j’avais décidé de pourrir la visite, la contemplation, peut-être la prière, et plus si affinité. C’était une gonzesse plutôt attirante, un peu plus grande que moi, jolies formes, cheveux blancs mi-longs qui faisaient négligés et un style vestimentaire sans doute démodé depuis le millénaire précédent, même en ce monde d’arriérés. Sûrement la 2e personne ici qui se ferait draguer si un Dom Juan de pacotille se ramenait là, maintenant, tout de suite. Je pense pas avoir besoin de vous dire qui serait la 1ère… Moi, évidemment (je précise que je le dis quand même pour l’abruti du fond qu’avait pas suivi…). La nana arborait une paire d’antennes satellites sur la trogne, très appropriées face à la statue de Long. Ça m’avait tout l’air de la dégaine d’une élue, ça, mais pour ce que je m’en cognais.

Elle se retourna vers moi avec autant d’intérêt dans le regard que si elle n’avait fixé une fiente de dragon, restons dans le thème tant qu’à faire, me demandant qui j’étais. J’avoue que je m’attendais pas franchement à ce genre de réaction, plus à me faire rembarrer ou à ce qu’elle critique mon peu de foi. Mais non, l’autre me demandait simplement mon blase, comme si on venait de se croiser au café local. J’aurais pu l’ignorer royalement et aller faire chier quelqu’un de moins mort de l’intérieur, mais bon, j’avais du temps à tuer. Et si c’était vraiment une élue, peut-être aurait-elle de quoi me convaincre de rejoindre les rangs de Reifuu plus que d’autres tarés ?

« Eva. » répliquai-je simplement, un ton pas aussi froid que d’habitude.

C’était ma manière de faire des efforts dans mon approche vers autrui, puisque j’avais plus ou moins capté que je ne pourrais pas m’en sortir seule bien longtemps en ce monde de dégénérés. Évidemment, ça signifiait pas que j’allais jouer aux Bisounours avec tous ceux que je croiserai, mais bon, faire un peu moins la pétasse associable, c’était pas totalement inaccessible non plus. Ceci dit, si cette cornue me prenait la tête, ça s’arrêterait assez vite, mais bon, on n’en était pas encore là…

« T’as pas une tête à crécher ici, toi… Tu s’rais une d’ces élus ? »

Ouais, la subtilité et moi, ça faisait deux. J’avais décidé de foutre directement les pieds dans le plat, histoire de vérifier si mon intuition était bonne ou si je m’étais plantée royalement. Après, si l’autre se décidait à me mytho sur son statut, y’avait aucun moyen pour moi de le savoir… C’est pour ça que je la fixai, attentive à chaque micro-expression qui pourrait me confirmer ce que je pensais avoir compris. Allez savoir si je me révèlerais en retour si la miss était honnête, ceci dit. J’étais plutôt à l’aise avec ma condition d’élue et je ne le niais que rarement, mais j’étais pas du genre à m’en vanter non plus, surtout vu mon faible niveau.

C’était pas vraiment dur pour moi de supposer qu’il s’agissait d’une élue, entre les cornes sur sa tronche et la queue bizarre qui pendouillait derrière elle. Il suffisait juste de regarder les autres passants pour constater qu’elle avait pas mal de différences avec eux. Oh, bien sûr, elle pouvait juste être giga malformée de naissance, mais au pire, elle me le signifierait et je m’en tirerais en payant sa tête. Néanmoins, j’avais cette étrange intuition qu’elle était comme moi, une foutue élue si faible qu’elle se demandait l’utilité de ce statut supposément divin. Notez que j’avais quand même fini par m’en accommoder. Même si, parfois, je me coltinais quand même des problèmes réservés aux élus surpuissants alors que j’étais franchement faiblarde comparé à eux…

Alors par contre, je m’attendais vraiment pas à ça comme une réaction. Une réponse polie, quelques insultes, voire de l’ignorance totale, c’était plus ou moins les différentes réparties que je pensais tirer de mon approche. Mais non, elle profita de ma question pour se lancer dans un interminable monologue où elle confirma, certes, être une élue, tout en racontant sa vie à grands coups de métaphores à la con que je ne pris même pas la peine de chercher à comprendre. Dis donc, elle en avait des choses à dire, l’autre bougre, et pas qu’un peu. Je crois que j’avais dû appuyer par mégarde sur l’interrupteur de ce moulin à paroles, car elle n’avait pas l’air de vouloir s’arrêter…

« Eh beh, t’es une vraie causante, toi… »

Finalement, après avoir pris un énorme détour simplement pour répondre à ma question de départ, elle révéla se nommer Talulah. L’avais-je vexée en ne lui demandant pas son nom en retour pour qu’elle me le dise ainsi ? En vrai, peu importe. Je n’avais pas besoin de cette information, mais je l’avais quand même, voilà tout. Je fis de mon mieux pour réarranger plus ou moins tout le joyeux bordel de ce qu’elle m’avait raconté. Comme je l’ai dit plus tôt, je n’avais pas grand-chose de mieux à faire pour le moment, et puisque j’avais, pour une fois, affaire à une élue à peu près normale et pas prise toutes les 30 s de pulsions destructrices, autant en profiter pour apprendre 2-3 trucs qui me serviraient pour plus tard.

« Y’a bien un point sur l’quel j’suis assez d’accord avec toi. Le process de recrutement des élus est foireux, tout comme les divinités qui s’en occupent… »

J’en étais le meilleur exemple. Sans déc’, j’étais qui j’étais, et je ne comprenais pas quel être supérieur s’était un jour dit que ce serait un bon bail que de me recruter dans sa bande ? À moins d’être sacrément con, doublé d’une cuite de l’espace, je voyais vraiment pas… Ceci dit, Talulah avait l’air d’avoir aussi des doutes sur la question, ce qui confirmait une chose : ce monde était foireux, en tout cas au niveau des élus. Pour qu’aucun d’entre eux ne comprenne leur situation et que chacun se retrouve à poil ou presque en Kosaten, il y avait vraiment un gros souci du côté des bureaux techniques supérieurs…

« Si je pige bien, t’es à moitié dragon et tu prends seulement conscience de ce que ça implique ? J’crois pas que fixer ainsi une statue pendant des heures te permettra de mieux comprendre ce qui se passe chez toi… Au mieux, va voir un psy, au moins, t’auras du répondant… »

La nana était vraiment pas nette, peut-être encore moins que moi, peut-être encore moins que Baptiste… Elle se posait les bonnes questions, enfin, je crois, mais était clairement à côté de la plaque dans sa recherche de réponses… Tant qu’à faire, je sais pas, elle aurait pu aller voir Rhadamantys, le roi de cette nation. De ce qui se disait, lui aussi avait une âme de dragon en lui. Et vu la réput’ de malade qu’il se tapait, il devait plutôt bien la maîtriser.

« Tu sais quoi, Talulah, je vais t’aider ! J’sais pas pourquoi, mais ton côté paumé me fait marrer ! En plus, je me fais horriblement chier ici, donc autant tuer le temps comme on peut… Montre-moi ce que tu vaux, en tant qu’élue ou demi-dragonne, ou ce que tu veux !!! J’parie que ça marchera mieux que toutes les contemplations pénibles de statues que tu pourrais faire ! »