Travailler les yeux du rêve [quête PV Lexi & Alathea]

Pour un « aventurier » (même s’ils ne se désignaient que rarement par ce terme, c’était un peu ce qu’étaient les élus, quelque part) expérimenté ayant l’habitude de travailler en groupe, d’intervenir dans l’urgence et de veiller à leur sécurité et à celle de leurs partenaires, il n’était probablement pas trop difficile de trouver des justifications à l’action d’Alathea. Pour Shiro en revanche ... Elle avait dit qu’elle allait bien, et du coup dans sa tête, sa sécurité n’était plus la priorité et il n’y avait aucune chance que sa situation n’empire. Ce qui faisait qu’elle posait les questions comme elles lui venaient, et avait besoin de l’expérience et de la sagesse de ses pairs pour réaliser ce à quoi elle aurait dû accorder son attention. Et pour devenir progressivement capables d’envisager des options bien pires que ce qu’elle avait vécu, des contextes autres que l’actuel, dans lequel elle allait plutôt bien.

Ah oui, c’est vrai ... Tiens, peut-être qu’il y a des araignées géantes, vu que c’est une cave toute sombre et un peu humide ! Si ce sont des animaux, vous savez communiquer avec elles aussi ?

La perspective ne semblait pas perturber la deadman du tout, ce qui expliquait sûrement la légèreté avec laquelle elle abordait le sujet. Couplé à sa curiosité naturelle, il était presque normale qu’elle enchaîne sur une question, même si c’était sur les pouvoirs de sa compagne, sujet sur lequel ses partenaires de voyages n’avaient pas été plus bavardes que nécessaire. Pendant un petit moment, l’albinos avait aussi pensé à demander si laisser Lexi seule ne rendait pas, du coup, possible qu’elle soit celle qui se fasse attaquer « pendant que les autres avaient le dos tourné » ... Mais la marchombre semblait débrouillarde, alerte, se trouvait dans un bien meilleur environnement qu’une grotte presque totalement obscure, et en prime, Shiro était légèrement sûre que c’était la plus forte du trio. La façon dont elle gérait un certain nombre de tâches et supportait la pénibilité du voyage le laissait penser, en tout cas. Bon, elle ne semblait pas capable de tirer des flèches magiques par contre ...

Parlant de Lexi, lorsque cette dernière tendit un casque à la deadman, elle l’accepta avec un grand sourire, et l’enfila aussitôt du mieux qu’elle pouvait. Ce n’était pas dans l’optique d’être protégée ou parce qu’elle s’était déjà blessée au crâne un peu plus tôt ... Mais plutôt pour « rentrer dans le rôle ». Après tout, quel preux chevalier de 8 ans n’avait pas son fidèle bâton ? Quel super héros n’enroulait pas une rutilante cape rouge probablement sortie de la pile de serviette de la salle de bain ? Et quel mineur ne portait pas de casque ? Bon, récolter du métal n’avait rien d’un jeu, mais chacun ses motivations.

Commençant donc à progresser dans les sombres couloirs, et parvenant à la première intersection, l’albinos s’arrêta pour faire une réflexion qui lui sembla pertinente. Et le groupe confirma cette impression, Alathea offrant même une solution au problème en tirant une flèche dans le mur. Un tir à l’arc à cette distance, ce n’était pas commun, et encore moins lorsque le trait semblait fait de lumière pure ... Incapable de s’en empêcher (et ne cherchant pas à), la deadman focalisa toute son attention sur la flèche lumineuse, et s’en rapprocha pour l’observer en se frottant doucement le menton. Elle n’avait pas vraiment eu l’opportunité de voir ce genre de choses de près ... Encore moins lorsqu’elles étaient tirées dans le ciel et disparaissaient derrière une forêt ou autres. Voir le projectile magique rester, statique, dans la paroi rocheuse avait un côté fascinant. Presque assez pour que la question de Lexi n’échappe à la jeune albinos ... presque.

Je ne sais pas si elle va rester pour toujours, ou pour combien de temps ... Mais elle a été faite par magie ...Elle se maintient par magie, aussi ... Peut-être même qu’elle en est faite ... Tournant la tête pour regarder la marchombre par-dessus son épaule, la deadman se redressa un peu. Du coup, si elle disparaît ... Est-ce que ça pourrait techniquement être autrement que « par magie » aussi ?

On aurait pu voir là un autre cas de second degré mal interprété. Au lieu de l’ironie, c’était ici la signification d’une expression qui semblait échapper à l’œuf pourri, provoquant une question qui n’avait pas lieu d’être ... Et pourtant, ce n’était pas le cas. Dire « par magie » dans le monde de Shiro signifiait exactement ce que voulait dire Lexi, même si leurs univers semblaient régis par des lois différentes qui n’avaient pas la même définition du concept de « magie » et de son existence. Mais que son monde soit magique ou pas, Shiro savait ce que voulait dire la marchombre. Le terme employé avait simplement lancé un schéma de pensé la conduisant à une interrogation qui, quelque part ... était légitime.

Et après tout, lorsque vous arrivez dans un univers se définissant lui-même comme « magique », n’est-il pas normal de subitement accepter l’impossible, et de se questionner sur le fonctionnement de l’invraisemblable ?

Mais un bref échange plus tard, le trio désormais à même de marquer son itinéraire reprenait sa progression, pour déboucher sur ... une voie sans issue. Demi-tour, on prend un tunnel un peu plus à gauche, on en marque l’entrée pour se souvenir qu’on est passées par là, et on recommence. Evoluer dans une obscurité si complète, avec une atmosphère et un silence si pesants avait des côtés anxiogènes ... mais la deadman n’était tout simplement pas à même d’expérimenter ce sentiment, et encore moins de la « peur » à proprement parler, aussi s’ennuyait-elle juste fermement alors que les éboulements et les galeries dénuées d’intérêt s’enchaînaient et se ressemblaient. Le fait qu’il n’y ait très clairement qu’elles dans ces anciennes cavités artificielles jouait un peu. Pourtant, au bout d’une durée impossible à déterminer, le trio d’élues tomba finalement sur des formations métalliques qui ressemblaient fortement à ce qu’elles cherchaient. Une brève observation, confirmé aussi bien par l’albinos un peu rat de bibliothèque que par ses deux collègues aux yeux si performants, leur indiqua qu’elles avaient enfin atteint, tangiblement et visiblement, l’objectif de leur voyage ... Ce qui provoqua une poussée d’excitation et de joie à Shiro, dont le visage se barra d’un large sourire. Enfin. Elles l’avaient trouvé, cette fichue Baramites. Nytes. Quelque chose, un métal, peu importe, elles l’avaient trouvé. Offrant sans qu’on ait besoin de lui demander une des deux pioches qu’elle portait à Lexi, la deadman décrocha la seconde de son sac, et l’observa travailler un instant ... Avant de se chercher un morceau de minerais à décrocher à elle aussi. Elle était de loin la moins forte du trio ... mais ça ne l’empêchait pas d’être la plus motivée pour les travaux physiques : elle l’avait prouvé tout au long de ce périple, et elle allait continuer. Sans compter que vu à quel point elle se reposait sur une lanterne pour y voir, lui donner un travail où elle devait scruter et filtrer les minerais dans l’obscurité n’était pas forcément très pertinent.

Et beh, s’il faut juste taper sur des trucs, ça a l’air plutôt simple. Si seulement tous les problèmes pouvaient se résoudre comme ça, d’ailleurs ...

Commentant cela à voix haute, mais plus pour elle-même que ses partenaires, la jeune manipulatrice de sang se mit à frapper comme une sourde contre la roche solide, observa l’efficacité de son geste, l’altéra quelque peu ... Et recommença ce procédé jusqu’à devenir à peu près efficace avec. Elle n’était pas prête d’égaler le niveau d’un pro ... Mais elle ne comptait pas faire carrière non plus.

Rapidement, la monotonie des gestes à effectuer et d’une tâche à la fois simple et pénible absorba ses pensées, et elle se mit sans s’en rendre compte à fredonner. Elle n’articulait pas particulièrement les paroles, en remplaçant un certain nombre par de petits « hums » correspondant généralement aux moments où son souffle était mobilisé par la tâche qu’elle effectuait ... Mais ce n’était pas très difficile de saisir les paroles de sa chanson.

Un malicieux, petit pic-vert,
Un jour de plus, creusait ses trous dans la forêt,
Détruisant les arbres, ruinant le bosquet,
Le vieux dieu de la forêt, irrité, changea son bec en couteau empoisonné,
Pauvre petit pic-vert …

Ses nids sont tous empoisonnés,
Sa nourriture devint intoxiquée.
S’ils le touchent, ses amis meurent et tombent à ses pieds
Le triste petit pic-vert fut bien embêté …

Des larmes empoisonnées scintillaient clairement alors qu’elles coulaient le long de ses jouuuues …

Bien sûr, ce n’était pas le genre de chansonnette qu’on pouvait répéter en boucle pendant des heures, et la deadman faisait, tout comme sa camarade à côté d’elle, pas mal de bruit à chaque fois que les pics métalliques heurtaient le roc. Rapidement donc, elle cessa de soupirer son petit refrain entre ses lèvres ... mais après tout, elle n’y avait pour commencé même pas prêté attention, ce n’était donc pas comme si ça allait particulièrement la choquer. Lorsque Lexi, après peut-être deux heures de travail intense, fit une remarque sur la pénibilité du travail, la deadman tira une petite moue ... Elle-même n’était pas très à l’aise, mais elle n’avait pas de courbatures ou de raideurs dont se plaindre. Être en sueur et la sensation d’étouffement, par contre ... Haussant les épaules, elle imita Lexi pour se faire craquer le dos, émettant un « plop » qui lui hérissa les poils des reins à la nuque, avant de la faire ricaner doucement.

Je sais pas, c’est peut-être un coup à prendre ... Mais c’est sûr que j’aimerais pas passer ma vie à faire ça non plus.

Reprenant correctement sa pioche en main, elle se remit à frapper avec force ... Même si depuis un certain temps déjà, elle déployait de moins en moins de puissance. Après tout, pour une adolescente athlétique, mais pas vraiment « sportive » dont l’organisme fonctionnait juste un peu plus vite que celui d’une personne normale, la tâche était ardue ... Et même si elle ne se plaignait d’aucune douleur, elle était rattrapée par la fatigue. Tant et tant, à vrai dire, qu’après peut-être une ou deux dizaines de minutes supplémentaires, elle posa la tête de sa pioche sur le sol et s’appuya sur ses genoux, cherchant à reprendre son souffle ... Ses mains, enfoncées dans des moufles de tissus grossier, étaient visiblement tremblantes. Souriant en s’en rendant compte, elle se tourna vers tout ce qu’elle avait réussi à excaver de son côté, qui ne formait pas un tas si petit que ça au final ... Même s’il était moindre que celui de sa camarade.

Je ... Crois que j’aurais besoin de faire une petite pause, moi ... Athalea, ça te dérangerait de me relayer pendant que je m’assoie deux minutes ? Je reprends juste après hein ... j’ai juste besoin d’un petit break.

Un « petit break » si nécessaire, à vrai dire ... qu’une minute après s’être reculé de la veine de Baranite pour s’asseoir en s’adossant à une paroi de pierre, la deadman avait perdu connaissance.

Dans les bras de morphée, bien sûr. Elle n’allait pas non plus faire un coma d’épuisement. Mais visiblement ... Le son de pioches percutant du roc à proximité ne semblait pas à même de la réveiller non plus.

Heureusement qu’il ne restait plus beaucoup de minerais à extraire, au total.