Aube d'une époque plus sombre -黒い腕 – Kuroi Ude

Les calanques troublées.

Une terre plutôt singulière en ce qu’elle renferme peu ou pas de choses. La terre était aride mais au moins, l’influence de Zang était moins grande. Qui s’inquièterait d’un bout de terre aussi stérile, dépourvu de zones véritablement cultivables.

Mais ne vous y trompez pas. Ces terres renfermaient tout de même des courageux individus s’étant réfugiés en groupe dans des bourgades depuis plusieurs années. Vivant majoritairement du commerce et des travaux de mine, il y avait de quoi faire tourner l’économie et assurer la vie.

Comme partout ailleurs dans le monde, il y avait tout de même un régime de sécurité et de justice. Une poignée de gardes tout au plus pour maintenir la sécurité. Ce qui était l’exact opposé des zones proches de la capitale où les bras militaires étaient plus abondants.

Malgré cette faible présence, l’ordre régnait. On ne dénotait qu’un cas de crime – depuis les délits les plus mineurs aux crimes les plus majeurs – qu’une fois par mois. Un taux relativement faible finalement.

Ayant au préalable prélevé les informations sur cette zone, il était clair qu’il constituait un endroit parfait pour dissimuler un criminel.

À quelques centaines de mètres des bourgades, il y avait une zone destinée à l’emprisonnement. C’était dans cet endroit que les responsables du trouble à l’ordre public, du vandalisme, du vol, et même de meurtres, étaient envoyés.

Au sud Est des calanques, derrière une colline, se dissimulait une bâtisse à un niveau assez large pour contenir une dizaine de prisonniers. Autant dire que ce n’était pas véritablement une large prison gardée. Il ne s’agissait que de l’endroit disciplinaire où étaient retenus les responsables de délits.

Selon la rumeur qui circulait, il se disait que les prisonniers retenus dans cette miniprison étaient condamnés à disparaître. Ils ne revoyaient plus jamais leurs proches et sombraient dans l’oubli. La cause ? Les monstres des océans. Leurs capacités au-delà du réel parvenaient à capturer les âmes des détenus, absorbant leur corps dans la mer jusqu’à ce qu’il n’en reste rien.

Pourtant, en ce soir de pleine lune, les gardes de cette prison ne devaient pas craindre les esprits et monstres des océans. Mais plutôt Shiro Shinigami – maître de la mort et du chaos.


Sous l’éclairage nocturne de la lune, je me tenais là, au sommet de la colline qui surplombait la prison. Situé à une trentaine de mètres de là, je sus qu’il était impossible de me faire localiser. Le voile noir recouvrant l’intégralité de mon corps jusqu’à ma tête, j’observai depuis l’orifice unique de mon masque les personnes qui étaient au bas.

Dans le creux de ma main droite, il y avait une sorte d’affiche avec en son sein, une illustration de visage et un nom : Omoïchi.

L’affiche était simple et exigeait d’avoir le brigand mort ou vif. Aucune autre information n’était dévoilée sur l’affiche. Mais ayant pris la peine de faire mes recherches sur le criminel ainsi que les lieux, j’en avais su davantage sur le prisonnier et la miniprison.

Omoïchi. Accusé de vol et de plusieurs meurtres. Cela faisait à présent 3 ans qu’il était en cellule. Son cas n’était jugé que mineur pour le moment. De ce fait, il n’avait pas de raison pour que la justice en place accélère les procédures d’emprisonnement à la véritable prison de Shuzâ. Le bougre était tout simplement encagé avec quelques autres prisonniers de la même trempe. Voilà ce qui définissait le mécréant prisonnier.

Aujourd’hui, Omoïchi n’était rien. Une personne dissimulée dans l’ombre d’une cage, sans espoir, sans famille et sans avenir. Il était condamné à pourrir là, oublié du monde. Comme si son existence n’avait jamais été réelle. Il était parfait. C’était exactement ce genre d’individus qu’il fallait pour créer le monde auquel j’aspirais.

Comme percevant la nature malsaine de mon aura, les nuages des cieux laissèrent perler ci-et-là des lumières vives étincelantes. Le grondement sourd qui était provoqué était le signal, naturel que je devais passer à l’action.

- Bien… Omoïchi. L’heure de sortie est arrivée.

Qu’en était-il des lieux ?

Sur la base des informations que j’avais déjà à ma disposition, les lieux étaient gardés. Deux gardes à l’intérieur, deux gardes à l’extérieur pour assurer une routine régulière dans un périmètre de 2 m autour de la bâtisse. Ils ne disposaient d’aucune clôture, ni même de dispositifs de sécurité étranges.

En somme, une fois les quatre neutralisés, je pouvais parfaitement mener à bien le plan que j’avais préparé pour l’occasion. Ma vision de ce criminel se portait bien au-delà d’une simple délivrance. Pour des plans plus grands, il allait être important. Peut-être même le premier pas vers une série d’hécatombes se propageant dans le monde, sans fin.

Tout devait être reconstruit. Et pour y arriver, le monde devait prioritairement être détruit.

Jetant la feuille dans le vent, observant du sommet des pierres, je m’effaçai dans l’ombre pour tenter une approche plus subtile. Les éléments avaient déjà été posés. Il était temps désormais d’activer les leviers que j’avais mis à disposition.

Ce matin-là, tout devait se passer comme prévu.

Elle venait à peine de finir une bonne lessive bien grande et avait même affichée un sourire de satisfaction juste après avoir étalé les vêtements sur les cordes. La journée démarrait bien et même comme le soleil brillait un peu trop fort comme à son habitude, tout était merveilleux.


Soudainement, elle se rappela tout ce qu’elle devait faire aujourd’hui. Et la seconde chose dans la liste n’était autre que le réveil de son jeune garçon Kim. Étant seule à l’élever depuis qu’il a vu le jour, elle n’a jamais manqué de lui transmettre une affection si grande qu’il aurait pu s’en contenter. Qui avait besoin d’un père quand on avait une mère aimante et affective ?

« Kim… » Se rappela-t-elle rapidement.

Laissant ce qu’elle avait à faire, la belle se dépêcha de rejoindre son garçon. Il lui fallut marcher rapidement sur trois mètres pour arriver à sa demeure. Ouvrant alors la porte de la chambre de son jeune garçon, elle constata que le champion dormait encore à point fermé.

Dans la chambre éclairée et en bazar, le jeune garçon de quatre ans se faisait brave. Les bras et jambes écartés sur le lit dans une position quasi artistique, on pouvait déjà lui attribué ce sens incroyable inné en tous les garçons : le désordre. Finalement, ricanant timidement, la mère s’approcha de son fils les yeux mi-clos avant de poser une main délicate sur son front.

« Kim ? Il est temps de se lever… rappelle-toi, on doit cueillir les oranges ensemble aujourd’hui »

Les caprices infantiles furent nombreux, mais au bout du compte, Kim finit par se lever, les cheveux ébouriffés et les yeux remplis de fatigue.

Rien de mieux pour le remettre dans le bain qu’un peu d’activité. C’est alors que, dans un jeu déstressant dont ils avaient coutumes de s’impliquer, les deux blonds se mirent à se chatouiller mutuellement, riant au point d’en avoir la larme à l’œil. Tout était si beau… C’était excellent.

Finalement, ils eurent le temps de partir au seul petit champ du village. Dans ce champ, ils avaient planté eux-mêmes un oranger, qui commençait à porter ses fruits. La mère portant son enfant, c’est ensemble qu’ils se mirent à recueillir les quelques fruits qu’ils avaient vu grandir.

Kim : mama… cette orange est sacrément grosse ! C’est pour moi !

Souriant chaleureusement à la remarque de son fils, elle tapota la joue de Kim avant de placer :

« Non non… il faut savoir penser aux autres aussi. Ne sois pas égoïste mon garçon. »

Kim : mmhh… d’accord mama… glissa-t-il finalement avant de cueillir le fruit


La journée avait déjà bien démarrée. Et maintenant que les fruits étaient cueillis, le couple blond revint à la maison. Il était temps de faire la cuisine. Mais le malheur aurait voulu que ce jour précisément, il manquait quelques ingrédients clés pour la soupe aux oranges qu’ils avaient l’habitude de consommer ensemble.

« Oulà… il faudrait que j’aille trouver un moyen d’obtenir ces ingrédients »

Soudainement, elle posa un baiser sur le front de son jeune femme avant de sortir et fermer la porte derrière elle.

Comme saisi d’un sixième sens, Kim tenta en vain de retenir sa mère. Juste après son départ, il fixa la porte quelques instants, inquiet. Après quelques secondes, il décida d’enterrer rapidement ses inquiétudes. Pour le retour de sa mère, il allait déjà préparer avec ce qui serait présent.


Sur le chemin qui menait au cœur de la bourgade, il n’y avait pas beaucoup d’habitations. Mais rien n’était vraiment inquiétant. Depuis près de 25 ans, elle a toujours vécu ici et ainsi, sans s’inquiéter outre mesure de ce qui pouvait arriver.

Chantonnant sur la voie tracée dans le sillage, elle constata bien vite un homme masqué juste en face. Cet homme… c’était moi : Shiro.

« Que… que voulez-vous ? » Demanda-t-elle hésitante.

Au travers de mon masque, je la fixai, sans rien dire. Mais en un rapide déplacement, je vins devant elle, enfonçant mon poing profondément dans son ventre, pour lui faire perdre connaissance. Après qu’elle se soit effondrée, je plaçai furtivement :

- Je veux vous utiliser… pour la gloire des miens.

Finalement, je la portai et la posai au creux de mon coude, l’emmenant avec moi dans le lointain. Elle n’allait probablement jamais revoir son jeune garçon. Peut-être que son enfant allait devoir devenir un brigand ou faire des choses peu recommandables pour survivre. Je n’en savais rien, et ne cherchais même pas à le savoir. Pour l’heure, j’avais besoin d’un appât. Et elle était parfaite. C’était tout ce qui comptait.

Achevant de serrer le lien de la corde épaisse autour du corps de la jeune femme, je descendis du pieu que j’avais préparé pour l’occasion. Tout était maintenant prêt. Suspendu à une poignée de mètres du sol sur une sorte de bucher, il y avait aux pieds de l’appât plusieurs branches de bois séchés. Tout était préparé pour qu’au moindre embrasement, doucement mais surement le feu monte jusqu’à elle et la dévore jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.

Maintenant… elle devait compter sur la portée de sa voix et la réactivité des gardes de la miniprison pour sa survie. Afin d’achever mon œuvre, je déposai au pied des buches un parchemin explosif. À mon niveau actuel, il ne pouvait être assez fort pour tout exploser. Mais juste assez pour générer une vague de flammes qui allait s’embraser à la chaîne et allumer le bûcher.

Le bûcher avait été disposé à cinq mètres environs de la miniprison, en arrière. J’avais pris mes précautions. Veillant à échapper aux regards indiscrets et aux espions. À présent, nous y étions. L’heure de vérité approchait.




Malaxant légèrement le faible chakra qui m’habitait dans une position de main symbolisant le tigre, j’activai alors le petit parchemin explosif à distance. Il s’embrasa de lui-même avant de créer une détonation qui résonna dans toute la zone, réveillant par la même occasion la blonde attachée.

Et alors… le feu commença à se propager. Toujours tapis dans l’ombre, je me contentai d’observer la réaction des gardes. La jeune femme n’allait pas tarder à crier, je le savais. Et dès lors, ils allaient bouger, abandonnant immédiatement leur position.

« Où… où suis-je ? »


Ses yeux remplis de terreur observèrent les flammes montantes qui s’approchaient dangereusement d’elle. Pour l’instant elles étaient un peu loin, mais la température montait et le malaise avec lui. Pris de panique, elle ne put retenir ses larmes épaisses qui coulaient sur son visage qui jadis, était encore rempli de joie.

« Non… pitié…. AAAAAAAHHHHHHHH HHHHH !!!!! »

Son cri perçant raisonna encore plus fort que la détonation. Et au moins cette fois, il était répétitif. La femme criait pour sa vie et les gardes commençaient à s’agiter.

Les responsables de la miniprison s’empressèrent de sortir tous ensemble pour fixer au loin ce qui semblait être une colonne de fumée s’élever dans les cieux. Derrière cette fumée, un cri puissant de détresse, qui se donnait à cœur joie dans son ultime acte de désespoir.

En réponse en la situation, les gardes se concertèrent rapidement entre eux avant de secourir ensemble la jeune femme. Elle n’était pas loin, ils auraient pu y arriver rapidement.

Mais… un dernier resta sur place pour monter la garde. Les gardes semblaient se douter de quelque chose. Rien ne perturbait jamais leur tranquillité. Si un évènement pareil devait arriver, peut-être qu’il y avait quelqu’un dans les parages. Avec des intentions sombres à leur encontre.

Si c’était ce qu’ils se disaient, ils n’auraient jamais été aussi proches de la vérité.

- Finalement, vous avez un sens plus développé que ce à quoi je m’y attendais...

Annonçais en approchant peu à peu dans la lumière sous la vue du dernier garde qui était présent. Ne vous y trompez pas. Il n’avait de garde que le titre. Son ventre épais et ses grosses joues montraient bien qu’il n’avait plus eu d’expérience de combat depuis un moment.

Garde : Je savais… tu vas morfler mon salaud !

Ma capuche dissimulait mon masque, mais quand je m’abaissai, il ne fallut que quelques millisecondes pour que je décapite le garde qui était devant moi. Son corps tomba en premier, la tête par la suite. Une attaque nette et précise, qui valait bien les entraînements que j’avais effectués dernièrement.

Débarrassant par la suite ma lame de son sang, je récupérai les clefs de la prison, entrant alors dans cette dernière comme si j’avais tout le temps du monde.

Ce qui n’était pas très faux. Les flammes devaient les occuper un peu.

En entrant dans une prison, il était clair qu’on ne s’attendait pas à trouver des hommes et femmes joyeux chantant à l’unisson. Cependant, le spectacle auquel j’assistai était tout de même perturbant.

Les prisonniers étaient amaigris et affamés. Ils semblaient être bien trop épuisés pour faire quoi que ce soit. Des sortes de zombies oubliés par les leurs. Les gardes devaient certainement manger l’ensemble des provisions qui leur était destinés. Quels êtres pathétiques.

M’enfin… j’étais peut-être mal placé pour parler de cela à présent.

- Je vais tous vous libérer. Que ceux qui ont la force de marcher me suivent.

Ils étaient une dizaine de personnes à sortir à pas boiteux des cages de la prison. Certains n’auraient même pas pu traverser les calanques sans se faire capturer. Dans mon plan, je n’avais pas prévu que les détenus soient si faibles qu’il était impossible de les déplacer. Il aurait donc fallu réagir et vite. Sans même y réfléchir à deux fois, je pris deux couteaux classiques de combat achetés pour l’occasion et les confiai aux deux individus les plus faibles.

Par la suite, je les poussai à grand coup de pied pour les envoyer valser plus loin. Ils allaient rester en retrait quelque temps. Assurant notre fuite en combattant les gardes pour leur vie. En supposant qu’un garde sur trois s’occupe de la jeune femme, les deux n’auraient qu’à essayer de s’enfuir et de blesser pour les garder un peu.

Continuant la marche dangereuse, pendant de longues minutes, nous arrivâmes finalement à l’entrée d’une grotte. Et là, le petit groupe de personnes restantes me suivit et s’y réfugia également. Il n’y avait pas vraiment de nourriture. Cependant, les baies à disposition permettaient de reprendre un minimum d’énergie à chacun d’entre eux.

J’étais venu pour libérer Omoïchi, et maintenant je me retrouvais avec une bande de bras cassés que je n’avais pas prévu. Pour ma part, la qualité m’importait peu. J’étais davantage inquiet, à ce stade, pour la quantité. Voyant dans leur regard l’incompréhension et la fatigue, je me dressai haut et parlai :

- Vous n’êtes personnes et ne valez rien. C’est exactement ce que la société vous transmet comme message en vous enfermant dans les cages et en vous affamant. Kosaten a changé, mais il est bien pire que ce que nous avions dans le temps. Aujourd’hui, nous devons recréer ce que les dirigeants ont échoué de faire : un monde parfait pour tous. Nous devons reconstruire le monde. Et afin d’y arriver, nous allons tout détruire. Absolument tout jusqu’à ce qu’il n’en reste rien.

Marquant un instant de silence pour laisser mes paroles parvenir dans le cœur et l’âme de mes interlocuteurs, je parlai cette fois-ci avec un timbre plus agressif :

- Ce monde est un échec. Les dieux ont échoué à protéger ce monde. Les dirigeants ont échoué à mettre en place une ère de paix et de prospérité. Les élus eux-mêmes ont échoués dans le rôle premier de protéger ce monde. La conséquence est encore marquée aujourd’hui dans les roches et dans les cœurs : le grand cataclysme.

Serrant mon poing ganté dans un bruit élastique de cuir, je repris :

- Nous allons réparer l’échec des anciens. Depuis le sommet de la chaîne, jusqu’à la racine – les citadins. Aujourd’hui, je vous donne deux options. Retourner à ce monde qui vous a déjà rejeté. Vous battre par vous-même jusqu’à l’épuisement et la mort. Ou bien, être pour une fois dans le côté des plus forts et dominer le monde dans le chaos et la destruction.

Le choix était leur, mais quoi qu’ils décident, je n’allais pas leur donner plus d’une trentaine de secondes pour choisir. Je me levai soudainement et m’en allai dans le lointain. Ceux qui étaient prêts à commencer cette nouvelle vie me suivirent. Quant au reste, ils pouvaient aller mourir. Peut-être allaient-ils revenir à la raison dans les semaines et mois à venir.

Bilan de course :

La mission avait été un succès.

La jeune femme a été soupçonnée d’être complice dans les évènements et a été enfermée quelque temps plus tard.

Kim lui, ne vit pas sa mère rentrer ce jour-là. Mais jamais une fois, il ne cessa d’observer la porte de sa maison avant d’aller se coucher.

Peut-être qu’un jour… sa mère serait relâchée.