Champs de culture, Kaen, Kosaten.
Contrairement aux apparences, ce périple n’avait rien d’un voyage de routine. Si je devais mener les actions aussi librement que je l’entendais, si je voulais agir sans craindre d’être vu, surpris ou pris de court, je me devais absolument de prendre des précautions à la hauteur de mes ambitions.
Quelques jours plus tôt, j’ai pris la peine de me déplacer depuis les terres gracieuses des zones neutres. Je savais que m’enfoncer aussi loin dans le Sud n’était pas facile. Mais je n’aurais pas pensé que la traversée soit aussi rude.
La nature n’était pas douce. Elle vomissait des bestioles toutes les plus difficiles à neutraliser les unes que les autres. Par moment, ce désert que je pensais d’abord être calme, me donnait l’impression de terrer sous ses montagnes de sable des bêtes inouïes dont nul n’avait la connaissance.
Si la bestialité de la faune était difficile à vivre, la morsure impitoyable du soleil lui, fut encore plus sévère. Mon dromadaire de fortune tenait cette insoutenable chaleur avec une déconcertante facilité. Tout mon opposé, qui était bien habitué aux terres froides. Mon visage était pour la plupart du temps rempli de grosses gouttes épaisses de sueur. Malgré le passage répétitif de ma main pour m’en débarrasser, ces gouttes revenaient plus importantes que par le passé, obstruant parfois ma visibilité.
La flore et le soleil étaient durs. Mais le plus compliqué était de passer inaperçu devant les contrôles spontanés et imprévisibles de la milice kaechijin. À chaque arrêt, je devais trouver une explication à la présence de mes couteaux. Mais sous différents noms – Fubiki Oki chez le premier, Kiba Inoshi chez le deuxième ou encore Toku Okihiro chez le troisième – je me définissais comme chasseur, vendeur d’armes précieuses et finalement comme un simple voyageur qui se préparait au pire dans le désert.
C’était assez simple comme explication, mais ils ne cherchaient pas non plus à aller plus loin que ça. Mes déplacements se poursuivirent jusqu’à ce que j’arrive finalement au point le plus important de Kaen : les champs de culture.
Cet endroit n’avait rien de tout ce que j’avais pu contempler dans les terres du Sud. Il y avait une douce verdure et une brise fraiche continuelle, donnant l’illusion naturelle d’être plus au Nord, dans les montagnes. Les fleurs aux multiples couleurs s’étendaient dans l’horizon et ce havre de paix était rempli de paysans heureux et d’auberges.
Dommage alors que, plus loin, dans la zone des champs agricoles, les gardes aux visages sévères avec des épées larges et fortes, gâchaient cette chasteté environnante. La bonne nouvelle quand même, était que la présence de ces gardes me permettait de savoir exactement dans quel sens ne surtout pas aller.
La zone était… gardée. Mais heureusement, pas partout. Il y avait tout de même en bordure de la région, des espaces urbaines qui étaient habitables et visitables par les étrangers. C’était là-bas que j’allais me rendre.
Tirant sur la corde de ma monture, je pus finalement découvrir une large allée encadrée par des multiples auberges et tavernes. Il y avait dans l’allée un fatras d’individus, de charrettes ou de voyageurs munis de leurs montures.
Mais aucune chance d’être reconnu. Ma cape sombre couvrait ma tête jusqu’aux yeux. Je voyais aisément en relevant légèrement la tête, mais l’ombre généré empêchait à quiconque de faire de même.
Mes marches se poursuivirent jusqu’à ce que j’arrive aux pieds d’une taverne. Un jeune homme arriva alors dans l’ombre de la petite allée située sur la gauche de la bâtisse, me proposant de conserver le dromadaire contre une pièce de dix yens.
Plongeant alors ma main dans ma poche arrière, après le tintement de quelques pièces épaisses, je retirai une d’entre elles pour la remettre au jeune homme du jour.
—
Tenez… Il réceptionna la pièce avant d’agripper la bête qu’il baffa tendrement sur le museau avant de le diriger au loin.
—
Merci monsieur… Ajouta le garçon
Prenant une grande inspiration, j’attaquai le perron de l’auberge, engageant chaque marche sans le moindre son avant de me glisser dans la grande salle – vide.
Mon grande voile s’opposait à mes mouvements au fil de mon déplacement, je marchai dans la direction de l’aubergiste qui nettoyait son verre frénétiquement. Ce dernier jeta un bref coup d’œil dans ma direction à mon entrée. Cependant, c’est lorsque mes pas accostèrent en face de son établi que le trait sur son front s’aplatit en une expression neutre.
—
Que puis-je faire pour vous, monsieur ?—
J’ai besoin d’une chambre… Pour les deux nuits. Idéalement la chambre la plus à gauche de la bâtisse…Le bougre arqua d’un cil, sans comprendre l’importance de la précision. Et pourtant, il y avait bien une raison. Le jeune garçon que j’avais vu plus tôt, provenait d’une allée sombre située à gauche. À supposer que les chambres aient une fenêtre, celle que j’allais prendre devrait normalement donner sur l’allée gauche. Mais ça… j’étais le seul à le savoir.
Le bonhomme trapu à la boule ornée d’une couronne grise de cheveux fins et désordonnés, serra ses dents jaunies en un léger étonnement. Mais il regagna vite son calme en sortant un registre du bas de son établi.
—
La chambre est à quel nom ?Une question piège. Une procédure habituelle pour ce coin un peu reculé. Mais sans broncher, je repris un nouveau nom :
—
Futo Ôda. Il gribouilla une note dénonçant une bien mauvaise main d’écriture avant de refermer lourdement le registre. Il remit ce dernier au bas de son établi avant de se retourner pour décrocher une clé préalablement disposée dans un cadrant en bois dans son dos.
Il finit par me la tendre avant de rétracter d’un soudain sa main.
—
Ça fera soixante yens ajouta l’aubergiste
Bien sûr… je répétai l’opération, plongeant ma main dans ma poche dans un bruit gracieux de tintements de pièces. Suite à quoi, je sortis huit pièces que je déposai sur sa table.
Le monsieur arqua d’un cil et me fixa dans une interrogation évidente. Il ne comprenait pas la présence supplémentaire de vingt yens. Mais c’est là que je lui confiai :
—
Pour mon repas du soir…—
Bien sûr – susurra le trapu avec une certaine note de gêne avant de me passer les clés.
En somme, j’étais bien arrivé.