Les démons de minuit

Night n’en donnait pas franchement l’air, avec sa dégaine de Dark Sasuke rebelle, mais c’était quelqu’un d’observateur et c’est exactement ce qu’il fit au moment de s’installer à la table de jeu. Ce n’était pourtant pas la raison qui l’avait poussé à s’incruster ici, car il était réellement venu pour perdre un peu de temps et éventuellement d’argent en retrouvant le plaisir grisant des jeux. Kosaten était vraiment différent comme monde par rapport à celui d’où il venait, mais il n’était pas rare pour le Shinigami de rencontrer certaines similitudes avec la Terre. Les jeux de hasard en faisaient partie. S’il n’était pas forcément fan auparavant de dépenser un paquet de fric dans les jeux de poker en ligne, le jeune homme avait toujours bien aimé jouer aux cartes avec des potes, ou aller dépenser quelques piécettes au casino local.

Le regard vairon du garçon parcourut l’assemblée de joueurs, ses futurs adversaires, en détaillant rapidement les traits de chacun. Il y avait de tout pour composer cette table, jeunot comme retraité, physique de nerd comme athlète proéminent, mais, en ce qui concernait la mixité, celle-ci était inexistante. D’aucuns diraient que la place de la femme est à la cuisine, en tout cas ici, elle n’était pas à la table de poker. Un seul type sortait vraiment du lot, et c’était justement le voisin qu’avait interrogé Night en arrivant sur place. C’était aussi le donneur de jeu pour le tour. Le gars n’avait rien à voir avec les autres. Très grand, sûrement bien plus que LeBron James, tout vêtu de rouge, une tenue chic, c’était certain, surtout en comparaison du survêt’ décontracté du bretteur, mais surtout une apparence un peu démoniaque. Bon, rien à voir avec les Hollows, mais tout de même pas le physique le plus commun en ces lieux.

L’intéressé répondit assez vaguement, avec une voix étrange, un peu nasillarde, rappelant fortement à Night les présentateurs radios un peu saccadés lorsque la voiture traversait la Creuse par exemple. Le type était particulièrement étrange, mais étrangement fascinant. Toutefois, sa réponse n’emmenant pas au dialogue, le Vizard refoulé supposa qu’il n’était pas ici pour déconner ou blablater avec les collègues, mais bien pour le jeu. Il se concentra donc sur ses cartes, puisque cela serait rapidement à lui de jouer.

Au premier regard, c’était un très bon jeu, qui avait de fortes chances de l’emporter, sauf si un cocu se pointait avec le meilleur combo possible. Night jouissait en plus du cliché du gamin un peu trop sûr de lui et du débutant qui s’enflamme pour un rien, ce qui lui permettait de rapidement enchérir sans trop attirer les soupçons. Si la plupart des gars autour de la table ne laissaient rien paraître, deux d’entre eux avaient vraiment l’air heureux de leur jeu, tandis qu’un troisième luron avait l’air dépité au plus haut point. Mais bon, tout était possible dans ce genre de jeu.

Le grand rouge ne tarda pas à lancer le jeu, invitant rapidement Night à prendre une décision quant à son jeu. Bien que celle-ci soit actée depuis un bon moment, il fit semblant de réfléchir un bref instant, avant de sourire gentiment à son voisin de gauche, tout en avançant quelques jetons supplémentaires.

« Je relance ! » affirma-t-il d’un ton assuré.

Pendant que le tour se poursuivait, Night reporta son attention sur le géant de l’assemblée, qui dégageait quelque chose de mystérieux et d’intrigant. Vous savez, un peu comme dans un lot sur Ultimate Team, y’a les joueurs en bronze à 51 de général et qui vont vite finir à la poubelle, et puis y’a cette pépite, avec un potentiel à 85, voire plus, que vous pressentez comme étant une future star. Eh bah là, l’épéiste avait l’impression que ce mec hors du commun, c’était le rouge à sa droite. Le tour de celui-ci arriva d’ailleurs assez vite.

« À vous de jouer, Monsieur ! Aurez-vous le cran de continuer ? À moins que vous n’ayez pas confiance en vos cartes ? »

Deux gars s’étaient déjà couchés, dont celui avec la mine abattue, tandis que tous avaient au moins suivi ou relancé. Night, quant à lui, était déjà prêt à surenchérir sur son voisin, mais il ne voulait pas laisser échapper trop d’émotion. Il attendait donc patiemment son heure avant de jouer.

« Eh, arrête de tricher, je viens de te voir glisser une carte dans ta poche !!! »

C’était le gars défaitiste qui s’était couché un peu plus tôt qui gueulait ainsi, pointant furieusement du doigt son voisin de droite, poing levé, prêt à le bastonner.

A la grande déception du jeune Shinigami, et alors que le type à sa droite, celui dont l’apparence et les couleurs le faisaient sortir du lot comme un gentleman en costard cravate au milieu du foule d’ouvriers en bleu de travail, semblait être un vrai passionné du jeu, limitant son choix de mots et de gestes à un ensemble pré-déterminé et précis, en tout cas c’était l’impression qu’il en donnait, ce gars-là se coucha finalement comme deux autres joueurs avant lui, déclarant que le potentiel de son jeu n’était pas assez grand pour lui permettre de s’en sortir, d’une manière ou d’une autre. Une certaine forme de lâcheté empreinte de courage, le courage de savoir admettre sa défaite. C’était dommage de perdre aussi tôt cet éloquent personnage, même si ce n’était que le temps d’une donne.

« Dommage pour vous, Monsieur. Gageons que la chance sera davantage de votre côté au prochain coup. » déclara Night en toute innocence.

Il avait à la fois la naïveté de ce gamin plein de rêves incapable de dissimuler ses émotions, qu’elles soient positives ou négatives, et souvent démasqué par ses adversaires, et en même temps Night en jouait, se donnant des airs faussement insolents et provocateurs, pour distiller le doute chez ses ennemis. Coup de poker ou non, c’était à eux d’en décider, mais il ne leur rendait pas la tâche facile. L’épéiste eut un léger rictus en imaginant Adam face à lui, le pointant du doigt tout en déclamant son plus beau « Tu bluffes, Martoni ! ». Malheureusement, ici, personne n’aurait eu la ref’…

Il relança finalement, comme prévu avant que son voisin de droite n’abandonne la partie, mais à peine ses pions furent-ils avancés qu’une rixe se déclencha juste en face. C’était l’un des joueurs, visiblement mauvais perdant, qui accusait un autre, placé près de lui, de falsification de jeu et autres petites saloperies dont étaient capables les tricheurs. Night leva les yeux vers eux, fixant chacun des partis, tout en soupirant. Cela n’avait pas duré longtemps avant que la situation ne s’envenime… Évidemment que dans un groupe aussi disparate et nombreux, avec des enjeux bien réels, la probabilité qu’il y ait magouille à un moment donné était assez élevée. L’honnêteté avait beau avoir ses vertus, celles-ci ne se convertissaient pas en yens ou en euros…

Forcément, dans ces cas-là, peu importe qui a raison ou tort, c’est, par défaut, toujours l’accusant qui s’octroie les faveurs des autres, et l’accusé qui prend toute la haine. Cette règle ne fut pas abolie ici, puisque aussitôt les accusations lancées, trois autres joueurs s’ajoutèrent au lot, pointant du doigt la félonie absolument pas prouvée du quatrième luron, tout en maugréant chacun pour sa trogne. Chacun, désormais, demandait réparation et l’interpellé, malgré toute sa rhétorique, ne put rien faire pour se défendre. Il finit par vider ses poches sous la pression des autres et la vérité, ainsi que son innocence, éclatèrent au grand jour. Preuve était ainsi faite qu’il n’avait pas modifié le jeu en son avantage, ou qu’il avait procédé autrement.

L’histoire aurait pu s’arrêter là et la partie reprendre, mais, à la grande surprise de Night, le rougeoyant personnage à sa droite, jusqu’ici demeuré silencieux, se leva brusquement, agrippant fermement l’accusateur, tout en retournant ses paroles précédentes contre lui, le plaçant désormais comme le véritable tricheur. L’étreinte du mystérieux individu à la voix si curieuse avait l’air très solide et, malgré une apparente corpulence assez frêle, le gaillard qu’il maintenait ne parvenait pas à se défaire de son emprise. Il fut alors demandé au natif des Hauts-de-France de s’occuper de le fouiller, à défaut d’obtenir son obtempération. Il soupira un peu, en se levant.

« Je m’en occupe. »

Night s’avança vers l’autre homme qui continuait de gigoter dans tous les sens. Il commença par fouiller, tant bien que mal, les deux poches, sans parvenir à en dénicher autre chose que quelques piécettes et de vieux morceaux de pain. Il pensa ensuite aussitôt aux manches, ayant vu de nombreuses fois le stratagème utilisé par certains magiciens pour faire disparaître un objet de leurs mains. Mais alors qu’il s’apprêtait à retrousser la première manche pour l’inspecter plus attentivement, la main libre du mécréant, jusqu’ici consacrée exclusivement à tenter de s’arracher de l’étreinte qui le maintenait, se replia soudain et alla cueillir le jeune élu d’un crochet dans la mâchoire qui le fit vaciller en retrait.

Night recula de quelques pas, se massant l’endroit touché tout en laissant couler de sa bouche quelques gouttes de sang. L’autre, face à lui, avait sorti un couteau modèle petit canif de son ceinturon et s’en était servi pour forcer le rouge à le lâcher, le blessant ou non à la main. Le tricheur avéré, désormais armé et furieux, s’était reculé de quelques pas, menaçant quiconque s’approcherait trop de lui. Dans son élan, il donna un grand coup de pied à la table, faisant valser toutes les mises en jeu. Le Shuchijin soupira à nouveau.

« C’est dommage, c’était vraiment une belle partie. » dit-il un peu plus froidement.

Il tendit deux doigts vers le type, tout en relâchant une partie de la faible quantité d’énergie qu’il avait récupérée depuis son arrivée sur le continent.

« Hainawa !!! »

Un serpentin lumineux d’énergie spirituelle sortit alors de ses doigts et alla s’enrouler autour de sa cible, le ligotant suffisamment pour lui faire lâcher son arme et chuter au sol. Night se pencha pour ramasser le couteau et le mettre hors de sa portée, conscient que le sort ne perdurerait pas. Mais tout de même, quelle satisfaction de pouvoir de nouveau utiliser le Kido, même si ce n’était qu’un sort basique.

Bakudo:

Nouveau succès déverrouillé en Kosaten : premier sort de Kido utilisé. Franchement, au-delà de tout le contexte de la soirée, quel bien fou cela faisait de pouvoir à nouveau utiliser ses pouvoirs, même si ce n’était qu’une petite technique de rien du tout. Au moment où il avait tendu les doigts vers sa cible, Night avait hésité avant de tenter quoi que ce soit, ayant un peu peur de se couvrir de ridicule devant son incapacité à produire le moindre sort. Heureusement, tout s’était bien passé et le voyou avait rapidement mordu la poussière, ce qui avait été un second motif de satisfaction pour le Shinigami, désormais vengé de la mandale qu’il avait récolté au cours de sa fouille. Il n’était pas du genre à s’énerver pour rien, mais n’avait pas non plus l’intention de se laisser marcher dessus sous prétexte de son apparence juvénile et de la perte de ses capacités de Shinigami.

« C’est pas ta soirée, mon pote. T’aurais dû mieux choisir tes adversaires. » dit-il d’un ton un peu narquois.

Un peu de provoc’ de temps à autre, ça ne faisait pas de mal, non ? Night avait remis le couteau sur une table voisine, le confiant sans mot dire au premier type qu’il croisait du regard, avant de s’en désintéresser complètement. Il fixait maintenant du regard le tricheur avéré qui recommençait à pouvoir se mouvoir, le serpentin lumineux s’étant presque entièrement dissipé. Bon, il y avait encore pas mal de route à parcourir avant de retrouver un niveau décent dans la maîtrise du Kido…

Le rougeoyant personnage qui avait été la cible de l’arme blanche posa une main sur l’épaule du Terrien, arguant auprès de l’assemblée ici présente qu’il n’était désormais plus nécessaire de chercher la moindre preuve de sa culpabilité au vu de sa réaction extrême. Night était bien d’accord. Ça le gonflait tellement, lorsqu’il jouait autrefois à des jeux de la licence Phoenix Wright, qu’un personnage dans le jeu s’affiche ouvertement comme un coupable et que tout l’accable, mais qu’il faille quand même chercher une preuve à la con pour l’incriminer… Bref, le type à terre avait prouvé qu’il était un sacré mauvais perdant, en plus d’être un magouilleur.

« Yep. »

Le charismatique orateur s’avança alors vers le sacripant, faisant apparaître une étrange canne dont il se servit pour taper sur le sol, histoire de mettre un bon gros coup de pression à l’autre. Décidément, l’intuition de Night ne semblait pas l’avoir trompé : ce type n’était pas n’importe qui. Il se dégageait de lui une classe et un standing qui ne se trouvaient pas chez les autres. Il y avait cette aura un peu particulière, pas bienfaisante, pas malsaine non plus. Sans le connaître plus que ça, le Vizard refoulé savait au fond de lui qu’il fallait mieux ne pas se le mettre à dos.

Le personnage à la voix aussi mystérieuse qu’intrigante reprit son speech, cherchant à ce qu’une sanction appropriée soit appliquée à l’encontre du coupable. Il évoqua notamment les différents châtiments qui étaient réservés aux gars de cette trempe, avant de suggérer la présence d’autres idées encore plus diaboliques dans son esprit. Si le Shuchijin était jusqu’ici resté en retrait, car il n’aimait guère se mettre en avant lorsque gent féminine il n’y avait pas, et qu’il était somme toute assez d’accord avec ce que disait son ancien voisin de table, cette humiliation n’était pas vraiment à son goût. Night avança à son tour de quelques pas, tirant son Zanpakuto de son fourreau sans le brandir de manière menaçante, s’en servant simplement pour inciter la canne de l’autre à se décaler. Il n’y avait pas de force particulière dans son geste, puisqu’il préférait que l’élégant individu se rétracte de lui-même.

« Allons, Monsieur, tâchons de ne pas tomber dans l’extrême. Il est normal qu’en tant qu’offensé, vous demandiez réparation, mais peut-être pourrions-nous trouver une alternative qui ne nécessite par la perte d’un membre ? »

Que l’autre ait décalé ou non sa canne, Night rangea bien vite son arme, histoire de ne pas créer de tensions inutiles. Il avait tiqué un peu plus tôt en entendant le rouge évoquer Kosaten d’une étrange manière qui n’était pas sans rappeler celle d’un élu. Néanmoins, avant d’en parler avec lui, il voulait arranger le coup pour le gars à terre, qui se décomposait sous le regard scrutateur de l’autre. Le garçon alpagua le tenancier qui observait la scène sans broncher.

« Qu’en pensez-vous, patron ? Y’a-t-il possibilité pour cet homme de se racheter en vous offrant une main serviable pour quelque temps ? Il est sans doute mieux qu’il consacre cette main à de l’utilité d’ordre public plutôt que de la sacrifier… »

« Ça me va. Mais dès qu’il aura fini de rendre service, qu’il ne mette plus un pied ici !!! » répondit le patron du tac au tac.

Nouvel échange de regard avec l’habile locuteur.

« Acceptez-vous ces conditions, Monsieur ? Ce n’est pas très équitable vous concernant, j’en conviendrais volontiers. Mais j’avoue ne pas avoir d’autre alternative à proposer… »

Night avait beau ne pas être un grand sentimental lorsqu’il s’agissait d’affaires d’hommes, car l’on savait que c’était très différent lorsque son oratoire comprenait une beauté féminine, il fut tout de même soulagé au fond de lui que le gentleman lésé accepte finalement l’alternative proposée par le tenancier. De fait, le jeune bretteur n’avait pas l’intention de s’opposer à celui-ci s’il refusait ouvertement de modifier son jugement, d’une part, car il ne souhaitait pas créer de vagues en ces lieux, d’autre part, car son instinct lui suggérait que ce n’était pas une super idée que de se mettre le rouge à dos. D’où le fait qu’il ait simplement sorti son Zanpakuto pour décaler la canne de l’autre, sans chercher à faire menace d’une quelconque manière.

De toute façon, le Shinigami était encore bien trop peu confiant en ses capacités actuelles pour prendre le risque d’affronter quelqu’un dont il ignorait les forces et les faiblesses. Velvet, Adam ou encore Hélène lui avaient bien dit que cela prendrait du temps, mais bordel, ce que c’était long, pire encore qu’un démarrage sous Windows XP, c’est dire… En parlant, Night n’avait jamais compris l’intérêt des vieux geeks aigris pour ce genre de modèle, à l’heure où les ressources économiques et numériques avaient fait progresser la technologie à un niveau sidéral. Lui-même, sans s’acheter de machine de guerre numérique, avait toujours pris soin de se pourvoir d’un matos qui fonctionnait correctement et ne lui faisait pas perdre inutilement de temps.

Revenons-en à nos démons, voulez-vous ? Le charismatique personnage, celui dont l’apparence ne laissait personne indifférent, de quelque manière que ce soit, avait donc accepté le deal, usant d’une expression qui n’avait rien à foutre en ce monde, puisque purement britannique. Forcément, pour le natif des Hauts-de-France qui était pour moitié issu de la terre d’origine de David Beckham, c’était très parlant et cela lui mit directement la puce à l’oreille. Si, jusqu’ici, il avait eu des doutes quant à la provenance de son interlocuteur, ses doutes se transformaient désormais peu à peu en théories crédibles.

« That’s the spirit ! » déclara-t-il en retour avec un léger sourire.

Ce n’était que la seconde fois qu’il était amené à faire usage de la langue de Shakespeare en ce monde, la première étant évidemment ce fameux concert de fou furieux auquel il avait eu l’aubaine de participer grâce à la Team Cooper. Même si cet Isekai était suffisamment bien conçu pour que la barrière des langues soit supprimée, Night avait pu remarquer, notamment après ses échanges avec Adam, qu’il était tout de même possible de s’exprimer différemment dès lors que l’on sortait de sa langue maternelle, ou quelque chose dans le genre.

L’accord tacite entre les différents partis concernés, le mécréant exclus bien entendu, ce dernier se trouva embarqué bon gré mal gré par le patron, qui, s’il était resté assez discret jusqu’ici, venait de s’approcher du gaillard, le toisant d’une bonne cinquantaine de centimètres et rappelant visuellement à chacun qu’il valait mieux ne pas tenter de le douiller. Pendant ce temps, l’ancien voisin de table de jeu de Night proposa à ce dernier de s’installer à une table, afin de faire plus ample connaissance. Allez savoir comment, il avait compris que l’épéiste avait pas mal de questions à lui poser. Bon, ça devait sûrement un peu se lire sur son visage, et puis, avec une apparence aussi peu singulière, il était aussi probablement habitué à être interrogé. Cette proposition faisait, en tout cas, bien les affaires du jeune élu.

« S’il ne faut que cela pour vous contenter, Monsieur, j’y obtempérerai bien volontiers. » affirma-t-il avec un sourire.

Ce faisant, le désordre précédent fut assez vite remballé et chacun s’en retourna dans son coin. Le duo de joueurs s’installa donc en tête-à-tête à une nouvelle tablée. Malgré ce qu’il s’était passé, Night récupéra tout de même le jeu de cartes, le posant dans un coin. Il n’était pas encore assis que son interlocuteur avait déjà lancé les hostilités verbales, mettant directement les pieds dans les plats. Pour le coup, si le kikoujap’ en puissance savait qu’il pouvait parfois se démarquer un peu, il ne pensait pas du tout qu’on l’associerait aussitôt au statut d’élu, même malgré le sort utilisé un peu plus tôt. Avait-il réellement été imprudent ? Ou alors était-ce la confirmation des soupçons qu’il avait à l’égard de l’inconnu devant lui ?

« Votre intuition est la bonne, Monsieur. Je ne suis effectivement pas natif de ce monde. Puis-je vous retourner l’interrogation ? Je dois aussi dire que, sans avoir la prétention de connaître toutes les espèces dont regorge Kosaten, il ne me semble pas avoir jamais vu qui que ce soit vous ressembler. D’autant que vous maniez l’anglais fort bien. »

Night, attendant patiemment sa réponse, tira le jeu de cartes, tout en les mélangeant machinalement. Il laissa un blanc de quelques secondes, avant de reprendre :

« Et si nous reprenions notre partie tout en discutant ? Bien sûr, le Poker ne sera pas possible à deux, mais d’autres jeux le sont. Si vous en avez un en tête en particulier, je suis votre homme. Ah, au fait, je m’appelle Night, enchanté de vous connaître. »

Allez savoir ce qui avait poussé Night à s’installer aussi facilement à la tablée de l’étrange individu. Après tout, malgré des manières distinguées des plus remarquables, surtout dans un patelin un peu paumé comme celui-ci et dans une taverne emplie de vieux célibataires aigris et pas fâchés avec la boisson, son physique lui donnait un aspect démoniaque des plus flagrants et sa voix très étrange pouvait largement inciter à se méfier de lui. D’autant que le Shinigami avait bien été prévenu que Kosaten n’était pas un monde de bisounours avec des habitants ne souhaitant que la bonne humeur et la générosité. Il ne baissait donc jamais complètement sa garde, ce qui ne l’empêchait pas de se montrer sympathique et sociable avec ceux qui en faisaient tout autant. Et puis cela ne l’engageait à rien de taper rapidement la discut’ avec le rougeoyant personnage, et s’il s’avérait qu’il y avait anguille sous roche, ou même que l’ennui arrivait à grands pas, ce serait vite expédié.

Night n’eut même pas le temps de proposer à boire à l’autre ou de lui demander s’il s’était restauré que celui-ci avait déjà pris l’initiative de l’interroger sur son statut. Rien de complètement surprenant, le bretteur étant encore tout nouveau dans cet Isekai, au point qu’il ne parvenait pas toujours très bien à dissimuler convenablement ses origines. Généralement, les conseils appris auprès de ses aînés lui suffisaient à la discrétion, mais dès lors qu’une personne dotée d’une excellente intuition, comme ce semblait être le cas ici, apparaissait, sa couverture ne faisait pas long feu. De toute façon, le garçon aux yeux vairons ne voyait pas franchement l’intérêt de cacher cela, hormis évidemment s’il était question d’avoir affaire à Tenkasuru et sa politique d’extrême droite anti-élus. La seule information qu’il ne pouvait pas révéler, par précaution, c’était son affiliation à la cause rebelle.

Naturellement, les questions de son interlocuteur sur les élus, ainsi que sa manière de les évoquer, eurent tôt fait de mettre la puce à l’oreille de Night, qui retourna très vite la balle à son envoyeur, d’un coup droit très net, sans aucun effet lifté. L’autre confirma ainsi provenir également d’un autre monde, avant de reprendre son questionnement sur ce propos, ayant été interpellé par l’usage commun de l’anglais. Forcément, si langage commun il existait entre les deux mondes d’origine de la paire d’élus, il y avait fort à parier qu’il existe en parallèle davantage de similarités, comme les différents pays par exemple. Le Dom Juan en vadrouille avait un peu de mal à cacher son excitation, voyant déjà en son interlocuteur un type comme Adam, c’est-à-dire avec qui partager une quantité folle de bons délires issus de la Terre.

« Je viens d’un monde appelé la Terre, et plus particulièrement d’un pays que l’on nomme la France. Je suis cependant, de par mes origines parentales, à moitié britannique, c’est-à-dire que mon père venait d’Angleterre. D’où le fait que je parle couramment anglais. Est-ce là des noms qui vous parlent ? »

Le grand moment de suspense touchait à son comble et Night allait finalement savoir si l’anglais n’était qu’une simple coïncidence ou si c’était réellement un facteur liant. Peut-être le Cooper et lui se connaissaient déjà d’ailleurs ? Encore que, c’était peu probable, sans quoi Adam lui aurait certainement précisé l’existence d’un autre élu ayant les mêmes références.

Le curieux personnage finit par se présenter sous le nom d’Alastor, avant d’avouer son manque d’idées en matière de jeux de cartes à deux. Il fallait bien avouer que c’était souvent plus distrayant de jouer à trois, quatre, ou même davantage selon le type de jeu, plutôt qu’à deux, où lorsque l’on ne disposait pas de telle ou telle carte, c’était bien souvent l’autre qui l’avait en main. La surprise était donc moins présente. Néanmoins, Alastor avait tout de même de la ressource, puisque, s’emparant du paquet de cartes, il en extirpa trois d’entre elles, avant de proposer une version revisitée du bonneteau au Shuchijin.

« C’est un genre de bonneteau, en gros, non ? Moi, ça me va, en tout cas. Voulez-vous que nous mettions en jeu quelque chose pour pimenter la partie ? »

Si Night n’était pas complètement naïf au point de ne pas supposer que son adversaire pourrait toujours tricher d’une manière ou d’une autre, comme c’était souvent le cas à ce jeu d’ailleurs, il faisait relativement confiance à ses yeux pour lui permettre d’éviter cela.

« Bonne question. Pour tout vous dire, je saurais pas franchement vous donner avec précision depuis combien de temps je suis ici… Trois mois ? Peut-être quatre ? Sans doute… Probablement pas davantage en tout cas… Ce qui est sûr, c’est que je ne fais pas partie des vieux élus présents depuis de nombreuses années. Vous, en revanche, vous semblez avoir de la bouteille dans le domaine. Seriez-vous par hasard issu de la première vague d’élus, celle arrivée avant le cataclysme ? »

Night réfléchit un court instant à la proposition d’Alastor.

« Pour tout vous dire, je serais curieux de savoir si vous avez des informations à propos des mondes d’origine des élus. Je suis pas un chercheur ou quoi, mais entre certains élus que j’ai croisés et dont nos mondes d’origine partageaient certaines similitudes, et entre d’autres élus issus d’univers existant sous forme fictive là d’où je viens, j’avoue qu’il est difficile de s’y retrouver. Et en même temps, y’a tellement de personnages que je voudrais bien rencontrer s’ils étaient présents ici... »

Finalement, l’auberge avait été un excellent choix. La soirée avait assez mal débuté à cause du mauvais perdant en puissance qui s’était fait gentiment corriger par l’assemblée, mais elle prenait désormais une tout autre tournure, maintenant que Night s’était assis en face du dénommé Alastor. Deviner que ce gars-là n’était pas du coin était assez facile, tout autant que ça l’était pour juger la tenue inhabituelle du Shinigami. Mais de là à parier sur le fait qu’il s’agissait d’un élu, il y avait un sacré pas. Il avait entendu parler de cette théorie qui poussait les élus à se rencontrer inexorablement, un peu comme les utilisateurs de Stand dans Jojo’s Bizarre Adventure, et force était de constater que lui-même, en l’espace de quelques semaines, en avait rencontré plusieurs, alors qu’ils n’étaient pourtant pas si nombreux que ça, si l’on relativisait par rapport à la population globale de Kosaten. Y’avait-il en eux une volonté dont ils n’avaient pas conscience et qui les incitait à aller vers leurs semblables ? Après tout, à leur arrivée, les élus étaient bien privés de leurs pouvoirs, ce qui impliquait une altération corporelle. Peut-être n’était pas la seule ?

Night révéla sans broncher ses origines, n’ayant pas d’intérêt particulier à se dissimuler, maintenant que l’autre savait qu’il était un élu. En outre, s’ils provenaient d’un monde similaire, peut-être pourrait-il nouer un lien solide avec lui comme avec Adam ?

Alastor répondit à son tour, avouant provenir lui aussi de la Terre, connaître de nom les contrées d’origine de Night, sans pour autant y avoir jamais mis les pieds. Lui venait des States, plus précisément de l’état de la Louisiane. Si le garçon avait déjà effectué un voyage en famille sur la côte ouest étasunienne, visitant notamment Los Angeles, San Francisco et Las Vegas, il n’avait jamais été non beaucoup plus loin sur le Nouveau Continent. Cependant, ayant poncé, dans sa jeunesse, la saga des Assassin’s Creed, dont le troisième opus, il voyait très bien à quoi ressemblant la Nouvelle-Orléans et le bayou.

« Ok ok, donc on provient bel et bien d’un monde plus que similaire !!! En revanche, j’avoue n’avoir jamais vu d’individu vous ressemblant sur la Terre dont je viens… Votre apparence vous démarque des humains habituels, tout du moins à mes yeux. Est-ce parce que vous n’en êtes pas un ? Peut-être suis-je moi-même très inhabituel à vos yeux ? »

Alors que Night avait proposé de converser tout en poursuivant leurs jeux de cartes, son interlocuteur prit l’initiative de suggérer un bonneteau. Forcément, la triche était de coutume sur ce jeu fréquemment utilisé par les forains pour duper les passants, et le jeune homme l’évoqua directement, songeant aussitôt à ce qu’il s’était passé un peu plus tôt. Mais Alastor semblait être quelqu’un de bonne foi et, de toute façon, il n’y avait pas d’enjeu, donc pas de risque apparent.

« Ça peut-être marrant ! Partons là-dessus alors ! J’espère que vous êtes prêt à perdre, Alastor !!! » lança-t-il sur un ton hilare et avec un grand sourire.

Les premières parties furent lancées et Alastor semblait sciemment mélanger le jeu avec lenteur et grossièreté, comme s’il voulait laisser l’autre gagner avant de peut-être le piéger plus tard. Leur discussion allait bon train en parallèle. Night fut étonnamment surpris d’apprendre que, malgré l’aisance, la confiance et les connaissances du rougeoyant personnage, il n’était pas de ces élus arrivés mille ans plus tôt sur le continent, comme Adam par exemple. Seule sa curiosité lui avait permis d’amasser ce savoir en l’espace de quatre ans. Le Vizard refoulé afficha un air pensif.

« Vous êtes quelqu’un d’avisé, Alastor. J’avoue que je n’ai pas votre patience ou votre curiosité sur ce sujet. Même si j’adorerais rencontrer certains personnages présents là d’où je viens, je ne suis pas du genre à aller à leur recherche. Surtout avec tout le bordel que c’est actuellement sur ce continent… Sans déconner, je crois bien que les histoires de Zang, Tenkasuru et compagnie vont réussir à détrôner le génocide de la Seconde Guerre mondiale… »

Alastor était quelqu’un de très coopératif. Il comprit assez vite ce que voulait dire le jeune homme aux yeux vairons et proposa de livrer une liste non-exhaustive des différents élus qu’il avait pu croiser au cours de ses aventures. Il y aurait peut-être dans le lot deux ou trois noms qui parleraient à Night.

« Volontiers, je vous prie. »

Les noms s’enchaînèrent alors et, effectivement, Night put en relever plusieurs qui lui parlait, soit parce qu’il avait déjà rencontré les élus en question, soit parce que le patronyme lui évoquait des souvenirs. Lorsque l’énumération de son partenaire et adversaire de jeu fut achevée, il prit quelques instants pour réfléchir, avant de répondre :

« J’en connais effectivement quelques-uns. J’ai eu l’occasion de croiser Ruby, y’a pas si longtemps que ça d’ailleurs, lors d’un concours de bouffe. Une femme belle et forte, avec son lot de mystères…

Armin… Ça m’évoque bien une ou deux possibilités, mais sans indication supplémentaire, je ne saurais vous dire… Avait-il un autre nom ou un signe distinctif en particulier ?

Pour Rinkyu Uchiha le ninja, je pense savoir de quel univers il provient. Bien que je ne connaisse pas ce gars-là particulièrement, mais je sais à quoi ressemble sa famille. J’imagine qu’il doit être balèze et avoir un sacré melon, non ?

Gilgamesh… Si on parle bien du même gars, y’a aucune chance que je puisse le blairer ! À voir si je le croise un jour…

Quant à Adam, c’est un excellent pote à moi, qui m’a beaucoup aidé à mes débuts en ce monde. J’ignore quel lien vous entretenez avec lui, j’espère que vous ne l’avez pas en grippe…

Ah et ce Zoro… Il a les cheveux verts ? »

Rien que dans ce qu’avait énoncé Alastor, plusieurs noms avait su capté son attention. Il ne restait plus qu’à confirmer ses soupçons.

« Pour ma part, hormis Adam et Ruby, j’ai également croisé une dénommée Velvet Crowe. Et ma longue liste de rencontres s’achève malheureusement ici… »

Après ses quelques échanges avec Alastor sur les nombreuses similitudes entre leurs terrains de jeu d’origine, Night en était arrivé à conclure qu’une fois n’était pas coutume, et comme ça avait déjà été le cas avec la « Terre d’Adam » (nom qui sonnait comme le blase de la dernière égérie de Dior), ces deux mondes étaient tout de même bien différentes, notamment sur les habitants qui les peuplaient. De fait, pour le Cooper, c’était des animaux hybrides et pour le Shinigami des humains. Mais pour le singulier personnage qui lui faisait face, c’était encore autre chose, au vu de sa rougeoyante apparence. Cependant, si cet univers existait d’une manière ou d’une autre sous forme fictive dans celui du bretteur, ce dernier n’en avait pas connaissance. Il ne pouvait donc que demander davantage de détails à cet élégant interlocuteur.

Celui-ci ne se fit pas prier bien longtemps et mit aussitôt les pieds dans le plat, contredisant directement l’hypothèse précédente de Night, en déclarant ne pas être un humain tel qu’il le concevait, avant d’avouer que le natif des Hauts-de-France ressemblait bel et bien aux véritables humains de son monde. Donc sa théorie venait de prendre un RKO bien placé et avait été envoyée au tapis, sonnée comme jamais. Alastor n’en resta pas là, ajoutant une petite touche de mythologie divine dans la balance, tout en posant une curieuse question. Cette dernière contraignit le jeune homme aux yeux vairons à quelques secondes de réflexion silencieuse, la réponse n’étant pas si simple que cela pour lui.

« Eh bien… Même si c’est sûrement un peu plus compliqué que ça… Oui, on peut dire qu’il y a un enfer et un paradis chez moi. Plus exactement, si l’enfer est à peu près similaire à la manière dont il est évoqué dans les ouvrages religieux, le paradis correspond à une dimension parallèle à celle de la Terre, nommée Soul Society, où vivent les âmes des défunts une fois qu’elles ont été purifiées et où elles sont protégées contre les démons par des types que l’on nomme Shinigami, Dieux de la Mort. »

Night s’était déjà aventuré au sein du Hueco Mundo, mais jamais directement en enfer, lieu interdit aux Shinigami n’ayant pas une autorisation spéciale, tant sa dangerosité était à un niveau sidéral, un peu comme tenter de battre Sans avec le pseudo Chara, dans Undertale. Pire même… Ceci, les propos d’Alastor l’avaient profondément marqué, le poussant à réfléchir au-delà de la réponse demandée par son interlocuteur. Il se pencha vers lui et baissa d’un ton, pour éviter d’être entendu par autrui :

« La question va peut-être vous sembler saugrenue, mais êtes-vous un démon, Alastor ? Notez que je m’en offusquerais nullement, c’est juste que votre étrange apparence et vos mots juste avant me donnent cette impression que l’enfer n’est pas un lieu étranger pour vous. »

Night ne commenta pas l’étrange enjaillement de son adversaire de jeu quant à l’évocation des années 1939 à 1945, ne partageant pas vraiment cette excitation. Il ne demanda pas non plus de détails sur cette fameuse rencontre avec le petit moustachu allemand. Honnêtement, la guerre le rebutait et s’il n’avait pas l’intention de renier le passé, il ne souhaitait pas non plus lui donner plus d’importance qu’il ne devrait en prendre.

Alastor se montra d’une éloquence et d’une aide précieuse lorsqu’il commença à évoquer ses diverses rencontres marquantes à la demande de Night. Ce dernier afficha un léger sourire après que le premier eut confirmé ne pas nourrir de ressentiment particulier à l’encontre d’Adam. Après quoi, l’otaku sentit son âme de kikoujap se réveiller lorsque les explications de l’autre lui firent comprendre que Kosaten comptait parmi ses rangs, entre autres illustres personnages, Armin Arlet de Shingeki no Kyojin, Gilgamesh de Fate (même si, celui-là, Night espérait en rester bien loin) et Roronoa Zoro de One Piece, quoiqu’il aurait plutôt préféré voir son rival cuistot en cet Isekai.

« Effectivement, je connais quelques-uns de ces types, ceux-ci existant dans des œuvres fictives de mon monde, que l’on nomme mangas. J’imagine qu’ils ont tous dû subir l’affaiblissement réservé aux nouveaux élus, mais je me méfierais quand même d’Armin à votre place, il a un potentiel de destruction pratiquement illimité. »

En parallèle, Alastor était en train de se révéler être un véritable expert en bonneteau, accélérant la cadence à chaque fois que Night donnait la réponse exacte. Si ce dernier ne prêtait au départ qu’un regard évasif au trio de cartes battu par l’autre, il dut finalement reporter toute son attention et sa concentration pour ne pas se faire larguer. Une légère goutte de sueur perla sur son front alors qu’après un petit moment d’hésitation, son premier de la partie, il désignait la carte du milieu. Pourtant excellent joueur de cartes depuis près de quatre ans, le Vizard refoulé avait trouvé là un adversaire à sa juste mesure.

« Je vous confirme que cela va bien au-delà de la simple amitié, quoique rien ne se passe en public. Ceci dit, la dame Ellen semble avoir disparu de la circulation depuis plusieurs longs mois et je n’ai encore jamais eu l’opportunité de la rencontrer, alors que je croise Velvet assez souvent. »

Night ne voyait pas franchement de raison à dissimuler la véritable nature de ce couple. Velvet ne s’en cachait de toute façon pas, elle ne donnait simplement jamais de détails par elle-même. C’était d’ailleurs à la faveur d’une conversation avec des rebelles que le petit nouveau avait appris l’identité de sa compagne.

« Pour l’heure, juste continuer à m’adapter à ce monde et à ses nouvelles règles, et voir comment ça évolue. Si je peux rencontrer certains de ces personnages présents sous forme fictive là d’où je viens, ça me fera bien plaisir. Ah et pourquoi pas tenter de trouver l’âme sœur, aussi… Et vous ? Vous me semblez bien trop renseigné et intelligent pour ne rester qu’un simple observateur de l’ombre, je me trompe ? »

Donc Alastor était bel et bien un démon, comme l’avait supposé Night. Il fallait dire qu’un bon paquet de détails allaient dans cette direction, à commencer par son apparence quelque peu écarlate et sa voix réellement distordue, quoique pas forcément désagréable à entendre. Mais malgré ces évidences, c’était finalement le discours de cet interlocuteur des enfers qui avait réellement mis la puce à l’oreille du Shinigami. C’était un démon, mais radicalement différent de tous ceux auxquels il avait pu être confronté, que l’on évoque ici les Hollows, ou bien les représentations démoniaques dans les films et animés. Après tout, tout grand fan qu’il était, il n’avait pas la prétention d’avoir pu visionner toutes les œuvres existantes sur la thématique infernale, aussi, il était fort possible que l’une d’entre elles traite des origines d’Alastor sans que le bretteur ne le sache.

« … mais pas coulé ! » répliqua-t-il avec un léger sourire.

L’autre élu réitéra son affirmation, confirmant bien connaître ce qu’il nommait les enfers, lieu qui devait être sans doute fort différent de ce qu’avait déjà pu entrapercevoir Night. Il n’avait de fait pas réagi le moins du monde à l’évocation des Hollows, race peuplant pourtant en majorité l’Enfer, tel que le concevait leur chasseur. C’était tout de même plutôt amusant que, ce coup-ci, la similitude de leurs mondes d’origine s’arrête aux plans démoniaques et spirituels, là où, avec Adam, c’était déjà très différent sur Terre. Encore un nouvel exemple de la variété des élus en ce monde, s’il en fallait réellement.

« Par curiosité, on ne vous a jamais trop embêté par rapport à votre apparence ou votre manière de parler ? Je veux dire, ça m’avait pas plus interpellé que ça, mais je reste un petit nouveau en ce monde, en comparaison de bien d’autres, donc j’ai encore du mal à déterminer ce qui est normal ou non en Kosaten. Mais peut-être que les natifs vous ont causé des soucis, au moins dans un premier temps ? Puisqu’on parlait d’Ellen, je crois savoir qu’à cause de sa nature de sorcière démoniaque, elle a eu, et a toujours, beaucoup de mal à s’acclimater et s’intégrer à la société. »

Et en parlant de la conjointe de Velvet, que le garçon aux yeux vairons n’avait encore jamais aperçue, malgré plusieurs mois passés chez les rebelles, l’information de son absence sembla un peu étonner Alastor, sans pour autant totalement le surprendre. Il connaissait déjà Ellen, c’était indéniable, avait peut-être un arrangement avec elle, un arrangement entre démons. Dans tous les cas, ce n’était pas les oignons du jeune homme qui préférait se tenir éloigné de tout problème potentiel, au moins le temps d’être capable de se défendre par lui-même, ce qui était encore vraiment compliqué. Vous n’imaginez pas à quel point c’est pénible de restreindre ses déplacements ou de sans arrêt devoir demander un compagnon de fortune pour effectuer une mission un peu dangereuse…

« Je n’en sais pas plus à son sujet, vous m’en voyez désolé. Si vous souhaitez la contacter, je peux vous mettre en relation avec Velvet, au besoin. »

En parallèle, le bonneteau improvisé, dont la difficulté augmentait peu à peu, forçant le Vizard refoulé à mettre un peu moins d’attention dans ses oreilles pour observer de plus en plus longuement les passes effectuées par son adversaire, se poursuivait. La dernière partie fit assez durement hésiter Night, mais le choix final fut le bon. Il espérait néanmoins que le rythme ne serait pas accru pour la suivante, sans quoi cela serait vraiment une plaie pour lui… Il n’avait pas un mauvais sens du jeu et de l’observation, mais ce démon était supérieur, il le sentait… D’ailleurs, il était à noter que, si la concentration était visible chez le Shuchijin, notamment dans ses regards appuyés ou les quelques mauvais de blanc durant lesquels il se concentrait davantage, ce n’était absolument pas le cas pour Alastor qui continuait de converser comme si de rien n’était, répondant au passage assez évasivement sur ses projets persos.

« Ok ok, si vous le dites. »

Après tout, les deux élus ne se connaissaient que depuis une heure ou deux à peine, ils n’avaient pas élevé les cochons ensemble et il était parfaitement normal qu’Alastor ne souhaite pas se confier au premier venu. Inutile d’insister donc. Le démon changea d’ailleurs assez vite de sujet, revenant sur l’enfer évoqué par Night, se montrant curieux à ce propos. Le brun désigna une carte un peu au pif, n’étant absolument pas convaincu par son propre choix, avant de fixer son interlocuteur dans les yeux.

« Vous êtes perspicace, Alastor, en plus d’être un adversaire redoutable. Effectivement, il existe, en quelque sorte, plusieurs plans en mon monde. La très grande majorité des hommes vivent sans connaître l’existence du paradis ou des enfers. Ceux au parfum sont généralement des envoyés du paradis chargés de réguler le flux de démons qui se pointent un peu de manière impromptue sur Terre. Je fais partie de ces gars-là. »

Inutile d’évoquer ses origines un peu spéciales, ni cette part obscure et démoniaque qui l’effrayait tant et qui prenait parfois complètement le contrôle sur lui. Lui aussi pouvait bien avoir ses secrets, non ? Quoiqu’il en soit, Alastor finit par dévoiler les trois cartes et, sans réelle surprise, mais avec un profond dépit, on tenait ici la première défaite de Night. S’ensuivit un geste rageur et une moue dépitée, qui laissèrent assez vite son sourire habituel se restaurer.

« Fais chier, celle-là est pour vous ! J’aurais pourtant juré avoir trouvé la bonne !!! Mais bon, c’est le principe de ce jeu que de nous prendre la confiance avant de nous punir… Remettons ça, je vous prie ! Je peux pas rester sur une défaite !!! »

Quand on y pensait, les deux élus étaient quand même très vite passés de la partie de poker avortée pour les raisons que l’on connaissait à cette conversation très ouverte en duo, accompagnée de son bonneteau. Y’avait-il réellement une force supérieure qui forçait les élus à se croiser, à se rencontrer et puis à se confronter, que ce soit par les armes ou par les mots ? Plus le temps passait et plus Night commençait à se faire à cette idée, qui n’était pas franchement pour lui déplaire, si ça lui permettait de temps à autre de croiser l’un des persos de mangas dont il était fan. Évidemment qu’il signerait tout de suite si on lui proposait de rencontrer l’une des nombreuses waifu qu’il avait ! Donc il se fichait pas mal de savoir si quelqu’un ou quelque chose tirait les ficelles, tant que cela l’arrangeait lui-même. La manipulation et le jeu des ombres, c’était pas trop sa tasse de thé…

Alastor avoua avoir plus souvent souffert des préjugés de ses confrères élus que de ceux des natifs. Déclaration étonnante, mais pas forcément illogique. Après tout, si effectivement Kosaten s’était habituée à voir débarquer des individus en tout genre, de toute race et de toute apparence, sa population devait, en conséquence, elle aussi y être accoutumée. D’autant que des races bizarres, le continent en était déjà peuplé... Alors qu’à l’inverse, les élus, provenant d’univers très différents, gardaient pour la plupart les croyances propres à leurs origines. D’expérience, Night savait que les démons n’étaient pas très bien perçus, notamment à cause de tous les maux qu’ils véhiculaient. La réponse de l’autre était donc largement compréhensible, mais le bretteur ne put cacher sa surprise :

« Eh beh… J’aurais pas cru ça… Je comprends ce que vous voulez dire, mais y’a quand même tellement plus de natifs que d’élus en ce monde que je les vois mal s’habituer à la présence d’une minorité comme la nôtre. Ça m’étonne pas, ceci dit, que les élus se méfient des démons… Le nombre d’histoires les incluant et qui se finissent mal… C’est pas contre vous, Alastor, hein, mais l’imaginaire collectif a effectivement tendance à se méfier de près ou de loin de tout ce qui touche aux enfers… Enfin, vous avez pourtant l’air bien plus civilisé qu’un bon paquet de gens que j’ai croisés en ce monde, dont cet abruti de toute à l’heure... »

Il fallait bien admettre que, malgré son apparence rougeâtre, Alastor était très élégamment vêtu, sans doute bien mieux que n’importe qui au sein de cet établissement, le Shinigami compris. Il aurait été donc particulièrement hypocrite de critiquer son apparence.

Le sujet Ellen avait particulièrement animé leur échange, chacun y allant des informations dont il disposait, même si, force était de constater que le démon en savait bien plus que Night. Il évoqua d’ailleurs ce fameux millénaire précédent au cours duquel certains élus étaient déjà présents, dont la sorcière, qui avait, à cette période, fait pas mal de conneries. Pour le coup, le bretteur se foutait un peu de tout ça, puisque ça n’appartenait qu’au passé, tandis que beaucoup avaient oublié ce qui avait été fait. Il haussa les épaules.

« J’imagine que c’est quelque chose qui la regarde, elle, ainsi que ceux qui l’ont connue avant. »

Le rouge confirma ensuite, une fois encore, qu’il pouvait aisément se passer de l’aide du garçon aux yeux vairons pour contacter le couple des ténèbres. Il semblait avoir décidément le bras bien long en matière d’élus. M’enfin, tant mieux pour lui, à vrai dire. Night pouvait en profiter pour se reconcentrer sur la partie de cartes qui les unissait. Alastor en toucha d’ailleurs un mot, évoquant la prétendue opposition qu’il y avait entre eux, du fait de leurs statuts respectifs. Cela fit sourire le jeune homme qui alla chercher le regard embrasé de son adversaire.

« Des ennemis, hein ? Je me demande bien qui sortirait vainqueur de ce duel, s’il ne s’agissait pas de cartes... » répliqua-t-il un peu provocateur.

Il pouffa ensuite, se redressant sur sa chaise.

« Je plaisante, bien sûr. Je ne crois pas à la notion du bien et du mal. Même chez moi, là où je suis censé éliminer les démons, j’en ai déjà rencontré certains qui n’avaient aucune mauvaise intention… Alors qu’à l’inverse, j’ai déjà dû stopper quelques collègues un peu zélés et fêlés… Moi-même, j’ai ma propre part d’ombre… De là à vous juger, il y a vraiment un sacré canyon !!! »

Night ayant perdu la partie précédente et se déclarant revanchard, Alastor proposa de rajouter un enjeu. Le perdant offrirait une boisson au vainqueur. Rien de bien méchant, mais de quoi rajouter un peu de piment à leur affrontement.

« Je marche ! »

Le manieur de Kidô hésita quelques instants à faire discrètement usage de ses pouvoirs pour forcer le cours du destin, néanmoins, il se ravisa bien vite. L’exemple du tricheur précédent était encore bien présent dans son esprit et il ne souhaitait pas truquer la partie. D’autant que l’autre avait bien plus l’air d’un vétéran que lui et il ignorait l’étendue de ses capacités, donc aurait peut-être vite fait d’être repéré… Le nouveau match fut lancé et le démon profita du temps de préparation pour interroger le Shuchijin sur les Hollows. Celui-ci eut un petit sourire.

« Oh, vous ne me décentrerez pas ainsi, Alastor. »

Il pointa du doigt la carte qu’il estimait être la bonne, avant de finalement livrer sa réponse :

« On appelle ces démons des Hollows, en référence au trou béant qui se trouve au sein de leur poitrine, là où se trouvait autrefois leur cœur. Généralement, il s’agit de l’âme d’un défunt ayant été corrompue avant de périr, soit par de profonds sentiments négatifs, soit par l’abandon de leurs propres. Normalement, à la mort des humains, leur âme est dirigée vers la Soul Society, ce que vous pourriez nommer le paradis. Mais dans le cas des Hollows, cette âme reste ancrée dans le monde réel et c’est là que naît le Hollow. En gros, l’âme prend forme sous les traits d’un monstre de taille et de puissance dépendant de la force des sentiments négatifs qui l’ont corrompue. Le Hollow va alors devenir une menace pour les humains en tentant de dévorer leurs âmes.

Le but des Shinigamis, les gars comme moi, c’est de purifier l’âme sans la faire disparaître. C’est pour cela que l’on se sert d’un Zanpakutô, ce sabre, qui a la capacité de n’éliminer que les sentiments négatifs, ce qui permet finalement au défunt de trouver le repos éternel. »

Night s’arrêta là, estimant en avoir assez dit pour contenter Alastor, attendant à la fois le résultat de la partie et d’éventuelles autres questions de sa part.

« Et dans votre monde, de quoi sont capables les démons ? Est-ce qu’ils vous ressemblent tous ? »

Une chose était sûre, son mentor aurait très certainement pété un câble et flanqué une sacrée rouste à Night en le voyant ainsi bavasser et taper son meilleur bonneteau avec un démon. Forcément, malgré toutes les plus belles histoires de Yin et de Yang du monde, les démons de son monde, AKA les famosos Hollows, étaient des entités maléfiques qu’il fallait purifier ou éradiquer selon le contexte. Bien sûr, si l’on se penchait sur les origines de chacun, certains pouvaient attirer la pitié et l’empathie du Shinigami, mais ça ne devait aucunement brouiller son jugement et l’empêcher de mener à bien sa mission. Mais on n’était plus sur Terre ici, mais bel et bien dans un autre monde où les règles de la Soul Society ne s’appliquaient pas. De toute façon, le bretteur était connu pour être un parfait trublion incapable de se plier aux contraintes vieillottes et has been des hautes figures qui régissaient la Soul Society. En gros, le garçon était un rebelle qui menait la vie dure à ses anciens boss… Ce qui pouvait largement expliquer pourquoi il avait jeté tous ces vieux préceptes à la flotte et qu’il passait désormais un super moment avec un suppôt du Diable.

Malgré tout, s’il était indéniable que sa juvénilité rimait fort bien avec sa naïveté, le Vizard refoulé avait appris à ne jamais se relâcher en terrain inconnu. S’il affichait une façade joyeuse et dynamique, et qu’il était sincèrement intéressé par l’échange de cartes et de bons procédés avec Alastor, Night se méfiait tout autant de lui que de n’importe quel client de cet établissement. Il nota très bien le double sens de la réponse du rougeoyant personnage lorsque le sujet de l’affrontement fut abordé : si l’autre affirmait ne pas être dans son élément lorsqu’il s’agissait de baston pure et dure, et encore, il fallait le croire, cela ne pouvait que signifier qu’il devait se ranger dans la catégorie des types un peu fourbes capables de remporter un duel sans même y participer. D’ailleurs, le rebelle n’avait pas non plus oublié la première idée du démon pour régler la situation litigieuse de toute à l’heure…

« Ce n’est pas non plus dans mes habitudes de cogner sur quelqu’un sans raison, ne vous en faites pas, Alastor ! » répondit-il avec son plus beau sourire.

Enfin bon, s’il y avait de la charmante damoiselle à conquérir dans les environs, mais ça, c’était une autre paire de manche. Dans ces cas-là, Night sortait généralement victorieux face à l’adversité, mais n’était que rarement couronné de succès ensuite…

Entre deux ou trois explications sur les Hollows que Night lui-même ne vit pas passer, il ne pensait d’ailleurs pas en savoir autant sur eux avant d’attaquer son monologue, le Shuchijin se trouva couronné de succès dans cette première joute à enjeu, sa concentration absolue ayant très certainement fait pencher la balance en sa faveur malgré un excellent card master. Comme il avait été convenu plus tôt, c’était boisson gratis pour lui à la prochaine commande, ce qui lui permettrait de déguster un de ces cocktails exotiques un peu bizarres que proposait le menu.

Dans l’attente de l’arrivée du serveur pour prendre cette commande qui serait forcément délicieuse, puisque la gratuité n’avait pas d’égale en termes de saveurs, Alastor se fendit à son tour de quelques explications sur les démons de son monde qui, de plus en plus, concordaient avec ce que les écrits sacrés de certaines religions racontaient. Night retint de ce très beau discours qu’il avait face à lui un gars très classe disposant d’un potentiel de pouvoirs quasi illimité. Mieux valait donc bel et bien ne pas s’en faire un ennemi. Ce qu’il n’avait de toute façon pas l’intention de faire.

« Je vois. Ça ressemble quand même vachement à l’interprétation qu’en ont la Bible et le Coran, votre histoire ! Comme quoi, il existe des mondes où les religions prêchent effectivement la vérité ! »

Night fut interrompu par la serveur hélé un peu plus tôt par Alastor. Il passa commande, laissa son interlocuteur en faire de même, puis l’invita à rebattre les cartes, tout en le laissant de nouveau choisir l’enjeu.

« Et du coup, en ce qui vous concerne, êtes-vous un démon originaire des enfers ou bien un humain ayant commis des méfaits ? J’imagine que vous préférez conserver vos petits secrets, arrêtez-moi si je vais trop loin surtout. »

Si Night s’était convaincu d’une version erronée, ou plutôt un peu facile, de ce qu’était le monde d’origine d’Alastor, ce dernier lui expliqua bien vite son erreur. Alors, oui, il y avait effectivement quelques ressemblances avec le Paradis et les Enfers éternels décrits par les ouvrages sacrés de multiples religions. Mais, apparemment, toute concordance s’arrêtait ici, notamment parce que le domaine de Satan était bien trop surcoté dans ces fameux recueils par rapport à ce qu’il était réellement. Pas de torture, pas de supplices atroces, visiblement même pas de lien particulièrement avec la fournaise. Juste une ville banale décrite par le démon face à lui, sans réelle contrainte autoritale. Ce qui laissait tout de même présager un joyeux bordel d’organisation, où chacun faisait son train-train de vie comme bon lui semblait, au risque d’emmerder profondément autrui. Sans doute, était-ce là ce qu’évoquait plus tôt le rougeoyant élu quand il mentionnait les Overlords, ces démons plus puissants que les autres, et sûrement à la tête de ces derniers.

« Effectivement, on est bien loin des écrits sacrés, là… Qu’en est-il du Paradis en ce cas ? Oh, ce n’est peut-être pas très approprié comme question, puisque vous êtes un démon ? »

Pour le coup, l’enfer tel que le Shinigami avait pu le voir dans son monde ressemblait bien plus à celui décrit dans la Bible qu’à celui évoqué par Alastor. Néanmoins, la Soul Society était, quant à elle, tellement différente du monde supérieur gouverné par Dieu ou par d’autres êtres de lumière qu’il se demandait forcément quelle pouvait bien en être l’équivalente là d’où provenait l’autre élu. Étonnant tout de même de constater que ce sujet l’intéressait beaucoup plus qu’il ne l’aurait cru… Après tout, sans doute qu’avec n’importe qui d’autre qu’un démon tel qu’Alastor, Night n’aurait même pas effleuré la question. Pourtant, la rencontre entre le bras armé d’un Paradis alternatif et l’envoyé démoniaque d’un autre Enfer était parvenue à changer la donne.

Et en parlant de donne, après la victoire éclatante du bretteur au tour précédent, il était désormais temps de redistribuer les cartes et de relancer une partie. Une fois de plus, Alastor surprit grandement le jeunot en lui révélant sans faire de manière qu’il avait été humain avant d’être un démon, autrement dit, qu’il avait fait un sacré paquet de conneries de son vivant. Night avait donc potentiellement un criminel face à lui. Ceci dit, on parlait là de méfaits qui dataient d’autrefois, d’avant l’ère Kosaten, et qui n’avait donc pas plus leur place en ce monde que les histoires de royauté de Gilgamesh. Le garçon aux yeux vairons constata néanmoins que le poids de la culpabilité n’alourdissait nullement le sourire démoniaque de son interlocuteur. Peut-être était-il un véritable psychopathe après tout ? Peu importait au final pour le rebelle qui n’était pas venu ici pour jouer au flic avec un démon.

« Un mauvais garçon, donc… Belle image pour la jeunesse que je suis, en somme... » répliqua-t-il avec un grand sourire pour montrer qu’il ne lui en tenait nullement rigueur.

Le cocktail tant attendu se trouva servi et Night s’empressa de goûter l’ensemble, avant de grimacer devant l’amertume du breuvage. Au final, le nom un peu farfelu de la boisson ne dissimulait qu’un simple Spritz revisité… Quelle déception… Néanmoins, elle avait tout de même le mérite d’être gratuite et le Shinigami ne pouvait pas cracher dessus. Il en dégusta quelques gorgées supplémentaires avant de reporter son attention sur son interlocuteur qui mélangeait toujours aussi habilement le paquet de cartes qu’il tenait en mains. Alastor fit alors une étonnante proposition, lançant un nouveau défi au récent vainqueur, avec de nouvelles récompenses à la clé. L’oreille un peu discrète du manieur de Kidô se figea quand l’autre évoqua ses secrets.

Night se mit alors à réfléchir à toute allure. Était-ce un simple hasard qu’Alastor tente d’en apprendre davantage sur lui, à tenter de le contraindre de révéler un secret en cas de défaite ? Ou bien le bougre savait-il effectivement que l’intéressé disposait réellement de son lot de mystères ? Après tout, chacun a ses secrets, comme on dit… Mais le natif des Hauts-de-France n’avait guère envie de partager les siens. Entre son affiliation à la cause de Jayna Tekina qui ne lui vaudrait pas que des amis et sa nature démoniaque qu’il ne contrôlait pas, il y avait de quoi faire…

« Oh, vous savez, moi, ce que vous avez pu commettre par le passé, surtout dans un autre monde, ça ne m’importe guère… Personne n’est jamais totalement innocent quand il arrive en Kosaten, j’imagine que c’est aussi pour ça qu’on est choisi. » dit-il avec nonchalance.

Il se redressa et porta son regard vif vers les yeux malicieux de son adversaire de la soirée.

« Si vous tenez tant à ce que je révèle l’un de mes secrets en cas de défaite de ma part, il faudra que vous me révéliez vos projets réels en ce monde dans l’idée où le perdant, ce serait vous. Et histoire de rajouter un peu de suspense, faisons ça en trois manches. Qu’en dites-vous, Alastor ? »

Night suspectait-il une fourberie de la part d’un individu ayant révélé un peu plus tôt avoir un passif de criminel latent un peu plus tôt ? Peut-être...

On va pas se le cacher, les réactions et les réponses de Night avaient tout de l’apanage très classique du jeune garçon naïf et offrant sa confiance à n’importe qui, ce genre de gars qui passe sa vie à tomber dans le panneau, mais continue à sourire. Ce n’était en réalité pas tout à fait le cas ici, le Shinigami pouvant avoir un esprit redoutablement affûté par moments. S’il avait été sincère un peu plus tôt en déclarant n’en avoir strictement rien à cirer des bêtises et délits qu’Alastor avait pu commettre avant Kosaten, il n’était pas complètement stupide au point de croire que ce qui avait potentiellement pu être acté dans le passé pouvait très bien se reproduire à l’avenir. D’autant que l’on parlait tout de même d’un démon qui, sous son apparence de gentleman, n’avait cessé de répéter à plusieurs reprises qu’il n’était foncièrement pas un honnête individu. Mais le natif des Hauts-de-France n’était descendu à cette soirée que pour profiter et s’éclater, et cet élégant interlocuteur était celui qui s’était le mieux prêté au jeu.

Le chapitre concerna les versions alternatives de l’Enfer ou de la Soul Society chez Alastor fut rapidement clos. C’était Night qui l’avait questionné à ce propos, mais il n’était pas du genre très curieux au point de fouiner constamment dans les affaires personnelles d’autrui. Les réponses jugées satisfaisantes et suffisantes à son goût, il cessa donc purement et simplement de relancer le démon rougeoyant sur ce domaine. De toute façon, la religion, c’était clairement pas sa tasse de thé, pas plus que les cours d’histoire spirituelle dispensés à la Soul Society. D’ailleurs, s’il avait accepté de reprendre le flambeau du daron, c’était avant tout en sa mémoire et pour protéger les siens, rien à voir avec une quelconque envie de jouer au juge des âmes comme Anubis. Bon, et peut-être un peu aussi pour trouver une gonzesse du côté de la Soul Society, vu son peu de réussite par chez lui…

Du côté de leur petit affrontement amical aux cartes, l’enjeu avait pris une toute autre tournure. D’un simple échange de bons procédés et en passant par un traditionnel coup à boire à offrir au vainqueur, on en était désormais arrivé à la révélation d’un véritable secret à son adversaire. Night n’était pas tellement chaud de révéler les siens à un gars qu’il ne connaissait même pas quelques heures auparavant. Au pire, il n’aurait qu’à inventer un truc cohérent et suffisamment choquant pour ne pas vouloir qu’une telle info s’ébruite. Encore que, dans la panoplie mystère des pouvoirs que possédait le démon, peut-être la détection de mensonges en faisait partie ? Honnêtement, le Dom Juan en détresse préférait ne pas songer à cette éventualité pour le moment et poursuivre cet agréable moment.

Il s’agissait donc de poser un cadre officiel à cet affrontement qui avait pris beaucoup trop d’ampleur pour ce qu’il était à la base, à savoir un duel de bonneteau. Night écouta les différentes idées émises par Alastor, le tout à son plus beau sourire provocateur, tandis qu’il réfléchissait à toute allure en son for intérieur à ce chaque règle pouvait impliquer pour lui. En soi, répondre à des questions en cas de défaite ne le turlupinait pas trop, puisqu’il y avait peu de chances que le rescapé de l’enfer ne mette par hasard le doigt sur un sujet sensible. Non, le problème était encore et toujours cet enjeu final. Le rebelle ne pouvait pas, ne devait pas perdre.

« Restons sur une partie en trois manches, dont deux gagnantes, voulez-vous ? Quant à votre proposition, je l’accepte volontiers. Mais je préfère vous prévenir, n’essayez pas de tricher sinon... »

Une étincelle mauvaise s’alluma dans le regard du jeune homme, alors qu’il alla croiser les yeux pernicieux de son interlocuteur.

« … sinon vous risqueriez de ruiner l’enjeu et le plaisir de cette petite confrontation amicale, ce qui serait dommage, quand même. » conclut-il en retrouvant son sourire.

Night n’avait pas retrouvé suffisamment ses capacités de Shinigami pour être certain de pouvoir surprendre quelqu’un sur le fait, encore moins un élu qui donnait l’impression de dissimuler tout un paquet de compétences sous sa veste. Il se contenta donc d’accroître sa concentration à son maximum, bien plus que précédemment, et observa le déplacement des cartes avec plus d’attention qu’un fan de DBZ devant le dernier film de la saga. Quand même, une petite technique de Jikante et le tour aurait été joué en temps normal… Quel dommage que la présence rassurante de son Zanpakutô ne se soit pas encore manifestée depuis son arrivée en Kosaten… À croire que celui-ci ne l’avait pas suivi, malgré que Night ait en sa possession l’arme qui le contenait…

« This One, My Dear » déclara-t-il sitôt que la question lui fut posée, le tout en désignant la carte qui allait le faire gagner.