Un arbre peut en cacher tant d'autres

Euh, je suis paumée là, non ? Impossible de reconnaître le décor autour de moi, ou plutôt, ça va faire pratiquement deux heures que je me tape le même fond vert boisé sans y voir la moindre foutue différence. Le type qui avait tenté de me refourguer sa carte pour une belle bourse de yens se serait sacrément bien payé ma poire s’il m’avait vue dans l’état où j’étais actuellement. C’était bien la peine de se foutre de la gueule d’un haut gradé de Reifuu un peu concon pas fichu de différencier sa droite de sa gauche si, à la première forêt rencontrée, je m’empressai de perdre mon chemin. C’était pourtant pas compliqué, toujours tout droite jusqu’au lac, puis à droite toute jusqu’à sortir de l’orée des arbres. Eh bah, j’avais marché, marché et encore marché, mais pas la moindre trace de ce putain de lac. Pire encore, quand j’avais capté, pas bête la guêpe, que je n’allais pas dans la bonne direction, j’avais tenté de rebrousser chemin, évidemment, sans aucun succès.

Ah, je me sentais stupide, mais à un point, vous imaginez même pas. Oh, j’avais un peu de quoi tenir sur moi, et puis je savais me débrouiller pour trouver de quoi manger et boire, même dans une forêt. Mais bon, ça la foutait un peu mal, pour une pro’ comme moi, de ne pas savoir s’orienter convenablement. Et puis, autant dans les champs, la faune me faisait pas trop chier, c’était souvent le contraire d’ailleurs, et je ne courrais que rarement du danger, autant ici, en territoire inconnu, avec mon ramassis de poussière de puissance, j’étais une sacrée proie pour n’importe quel prédateur un peu féroce… Il fallait donc que je me hâte de me tirer de ce mauvais bail, surtout avant que la nuit tombe. Dire qu’il y a peu, la nuit était encore mon terrain de chasse… J’étais bien loin d’imaginer, à ce moment-là, que ça deviendrait un jour peut-être mon cercueil… Encore que, cercueil, il fallait du monde pour se le payer, et puis des amis, et vu que j’avais ni l’un, ni les autres, et qu’en plus, askip, les élus partaient en particules de lumière à leur mort…

…

J’avais enfin retrouvé une petite routine quotidienne et une situation à peu près stable. Je m’étais déjà fait dépouiller une fois depuis mon arrivée en Kosaten, je faisais donc hyper gaffe avec la tune que je gardais sur moi ou ailleurs. Tous les matins, j’effectuais quelques exercices histoire de garder ce corps de rêve qui en avait fait tomber plus d’un, littéralement, puis je vérifiais mon niveau de récupération de mes capacités spéciales par un simple exercice de télékinésie, qui me permettait assez vite de jauger de la progression. C’était particulièrement lent et chiant. Après quoi, je me rencardai sur les contrats dispos dans les environs et si l’un d’entre m’intéressait et me paraissait faisable sans devoir réclamer de l’aide des péquenauds du coin, je prenais. Dès que l’offre de taf devenait misérable ou inexistante, je me tirai et je bougeai selon l’envie du moment.

Il fallait bien que je me refasse un nom dans le milieu. Calamity, c’était une identité qu’on m’avait donnée à l’époque, pendant mes années de gloire. C’était depuis devenu ma signature lorsque je bossais. Pas par fierté ou prétention, mais juste parce que je trouvais ça plus facile de me forger cette identité beaucoup plus badasse pour le boulot. Bien peu étaient ceux qui avaient l’opportunité de faire connaissance avec ma véritable identité, mais ce n’était pas franchement une relation après laquelle je courrai. Quand ça se faisait tant mieux, mais ça ne venait jamais de moi.

J’avais longtemps côtoyé les vieux ripous logés dans les campements crasseux de vauriens des zones neutres, mais j’avais envie d’un peu de changement, et j’avais entendu dire qu’on aimait plutôt bien ceux qui n’avaient pas peu de se salir les mains à Zang. Le dirigeant local était un fou furieux cannibale et celle qui assurait le taf en son absence était apparemment une psychopathe sociopathe sanguinaire, ça me semblait donc assez cohérent. Seul obstacle à ma nouvelle motivation, une forêt à traverser. Rien de bien méchant, non ?

…

Retour au présent, où je suis toujours aussi paumée… J’aurais peut-être dû la prendre, cette carte à la con… Mais en même temps, c’était beaucoup trop cher pour ce que c’était, l’autre se faisait un max d’oseille en pigeonnant les gens… Et y’avait trop de monde pour le détrousser tranquillement… J’allais donc devoir me résoudre à poireauter et à tourner en rond, en espérant que mon destin ne soit pas de finir mes jours ici…

Mes yeux furent soudain attirés par une direction. J’avais cru entendre quelque chose. Je sentais que je n’étais pas seule. Impossible toutefois de déterminer ce que c’était, mes sens étaient bien trop amenuisés… Par précaution, ma main droite alla directement chercher l’une de mes dagues, tandis que je ralentissais au maximum ma respiration tout en m’immobilisant, afin de réduire le plus possible ma présence.

La menace en question ne tarda pas à pointer le joli bout de son nez, alors que je me sentais vaciller, complètement stun à cause de tout le sang que j’avais perdu en même temps que mes deux jambes. Même si le rayon ardent m’avait tellement brûlé qu’il en avait instantanément cautérisé mes plaies, il allait sans dire que j’allais crever. Soit du contre-coup de cette foutue attaque random, soit à cause de cette fameuse menace, soit à cause du premier prédateur qui passerait par là et trouverait un repas déjà servi et prêt à déguster… J’avais été prévenue à mon arrivée, enfin, plus ou moins, qu’il valait mieux faire profil bas, dans un premier temps, histoire de pouvoir se défendre un tant soit peu. J’avais eu un peu de chance et le reste, je m’étais démerdée comme il le fallait. Mais cette histoire s’arrêtait là.

La menace avait l’apparence d’un colosse au teint bronzé, clairement pas local au vu du temps pourri qu’il faisait souvent dans les environs, portant une espèce de toge romaine qui ne lui allait clairement pas. Mon corps ne put s’empêcher de frissonner en le voyant, comprenant rapidement à quel point ce type était dangereux. Pas besoin de confirmer que je lui devais mes blessures. Ma main tenant la dague retomba au sol, alors qu’elle s’était dressée un court instant pour jeter l’arme sur mon bourreau. Ça n’aurait servi à rien… Ce mec puait la mort et la destruction, ce n’était pas un vulgaire couteau qui mettrait sa vie en danger… Je restai donc silencieuse, prête à accepter mon destin funeste, tout en fixant le gars avec un regard étrangement calme. En fait, tout mon être semblait apaisé, alors pourtant que la douleur était toujours présente, et pas qu’un peu…

Il s’avança jusqu’à moi, sans un mot, jusqu’à me toiser et que nos regards viennent mutuellement se défier. Il y eut comme un blanc de quelques secondes, avant que le type n’engage la conversation, comme si de rien n’était, me demandant si j’étais une native ou une élue. Sans dèc’, il avait rien de mieux à foutre que de m’interroger sur un truc aussi con, alors qu’il m’avait déjà amputée d’un tiers de mon corps et qu’il ferait sans doute le reste du taf plus tard. Je m’apprêtais donc bien gentiment à lui dire d’aller se faire mettre bien profondément, lorsqu’une vive douleur s’empara de ma jambe droite, qui venait de repousser, comme par magie, sans doute sous l’action de ce type. Je ne parvins pas ce coup-ci à réprimer un gémissement, la guérison de ma jambe droite me faisant étrangement plus de mal que sa coupure, qui avait été assez nette.

« Qu’est-ce que ça peut te foutre que je sois une native ou une élue ? C’est pour noter ça sur ton tableau de chasse ? »
dis-je en grommelant.

L’enfoiré ne m’avait fait repousser qu’une jambe. Ce qui m’avançait pas beaucoup plus en termes de survie… De toute façon, même s’il avait décidé de me soigner complètement, il était impossible pour moi d’oublier cette rafale d’énergie pure de toute à l’heure qui semblait avoir été balancée au pif. D’ailleurs, le type en balança une autre, derrière lui, pour exécuter une pauvre bête qui passait par là pour aller brouter. Ah ouais, donc le mec était vraiment un psychopathe. Autant moi, tuer, ça me posait pas de problème, autant je ne le faisais quasiment jamais gratuitement. Et généralement, je foutais la paix à la faune et à la flore.

Et v’la qu’il me repose une question, cet ahuri décérébré. Soit dit en passant, il me faisait beaucoup penser à l’autre tronche de cactus de Reifuu : très con, très bourrin, très puissant. Bref, le champion du rayon laser me demanda ce que je pensais de son attaque. Je haussai les sourcils, un peu surprise. Il était sérieux, là ? Il me demandait vraiment ce que JE pensais de l’attaque qui M’avait éclaté MES jambes ?!

« Je sais pas à quoi tu joues, le bronzé, mais ça tourne pas bien net dans ta tête ! Tout dans les muscles et rien là-haut, je parie ? Je vais être sympa, je vais quand même te répondre : va te faire mettre !!! Si t’as besoin de t’en prendre à plus faible que toi pour te sentir vivre, c’est que tu dois avoir une sacrée existence de merde, c’est moi qui te l’dis ! D’ailleurs, si tu veux me buter, fais-le maintenant, ça m’évitera d’avoir à supporter ta présence plus longtemps ! »

Le basané était vraiment un cinglé, totalement perché et fermé d’esprit. Un dégénéré à qui on avait filé trop de pouvoir… Ce qui avait l’air de lui laisser croire qu’il était crédible dans ses actions et que les autres ne le comprenaient pas, alors qu’on avait bel et bien affaire à un timbré sans limite à sa connerie. Au fond, ce type-là était comme moi, un mec vide de l’intérieur, incapable de ressentir quoi que ce soit, juste à se défouler et à trucider comme bon lui semblait et quand ça lui prenait l’envie, cherchant dans le regard des autres de la crédibilité pour ses actions alors qu’il savait pertinemment que c’était un pur fils de pute. Oh, je connaissais bien ce sentiment, j’en avais longtemps été témoin, dans mes années de gloire. Mais comme ce malade, j’en avais strictement rien à carrer, tant que l’on me payait et me craignait, moi, ça me suffisait.

Aujourd’hui, c’était quand même bien différent. Déjà, parce que c’était moi qui étais en train de prendre une raclée de l’espace, face à un fou furieux. Mais surtout, car ma faiblesse m’avait poussée à changer certaines façons que j’avais de résoudre un problème ou plus simplement, ma manière d’être avec les autres. Oh, bien sûr, on ne change pas totalement une nature et fallait pas compter sur moi pour devenir une Bisounours, mais je ne m’étais jamais retrouvée aussi inefficace et inutile qu’en ce monde, ce qui faisait quand même un peu réfléchir. Le meurtre et les contrats dans le même genre avaient toujours été ma came, mais on parlait désormais de tâches difficilement à ma portée pour le moment, ce qui me poussait de temps à autre à accepter d’autres bails, ne serait-ce que pour gagner un peu de thune.

Mais bon, tout ceci, c’était avant, avant que je tombe sur cet enfoiré de la pire espèce qui prenait un malin plaisir à faire durer ma souffrance, alors que l’on savait tous pertinemment comment ça allait finir pour moi. J’avais déjà accepté l’idée que la mort allait finalement me cueillir, après toutes les vies que j’avais fauchées par le passé. J’allais à mon tour subir le châtiment réservé aux criminels de la pire espèce, si toutefois cela existait, et honnêtement, je ne m’en souciais guère. J’avais vécu ma vie, point. J’allais donc subir ma mort, paisiblement, calmement. Enfin, si l’autre zinzin des rayons lasers me laissait clamser pour de vrai, ce qui semblait mal parti…

Après être resté un moment silencieux face à mes insultes, je m’attendais à ce qu’il réagisse mal, comme tous les malades de son espèce. Cela ne rata pas. Il s’agenouilla devant moi, me rappelant ô combien ce type me mettrait un sacré paquet de tête si l’on se tenait tous deux debout et côte à côté, et avant que je ne comprenne ce qu’il avait en tête, je poussai un hurlement de douleur, sentant son doigt s’enfoncer progressivement dans la rotule qu’il venait de faire repousser, me la détruisant complètement, tout en faisant plouf-plouf dans ma jambe comme si c’était un pédiluve pour les doigts. Impossible de réprimer des larmes ce coup-ci, mais mon regard meurtrier ne tarda pas à revenir défier le sien, alors que je me mordais les lèvres jusqu’au sang pour oublier la douleur extrême dans ma jambe.

Ma main tenant la dague se leva d’un coup sec pour venir trancher le doigt qui me détruisait le genou, mais ma lame se brisa net dessus, me confirmant que c’était véritablement un monstre, et que c’était même pas la peine d’essayer. En même temps, on parlait d’un type qui avait enfoncé son gros oid’ tout crasseux dans ma rotule comme si c’était du beurre… Ah, et il voulait des politesses, ce tortionnaire, en plus ? Et des réponses élaborées ? Oh, bah il allait être servi… Il me chopa par le cou, tandis qu’il positionnait son doigt face à mon œil droit, me menaçant de nouveau. Je lui jetai un sourire provocateur.

« Du respect et de la politesse ? Ça se mérite, ça, mon grand ! Et on peut pas dire que t’aies franchement ce qu’il faut pour ! Tu peux me menacer autant que tu veux, ton entêtement n’est que l’expression de ta faiblesse intérieure… »

Ma main droite se plaça sur ma rotule, comme pour apaiser la douleur, sans même calculer le type. J’avais du mal à respirer à cause de son étreinte autour de mon cou, mais ce n’était rien en comparaison de la souffrance que me renvoyait ma jambe, mes deux jambes en fait, car oui, ce timbré avait fait repousser la deuxième, sans doute pour mieux la détruire une nouvelle fois.

« T’appelles ça de la force ? Moi, j’appelle ça un besoin compulsif de sortir sa microscopique paire de couilles pour s’assurer qu’elle est toujours là ! Ma vie ou ma mort ne t’apporteront rien, mais ce sont les seules choses sur lesquelles tu peux agir. Tu n’auras rien d’autre de ma part. Ni peur, ni colère, ni respect, ni politesse. Tu peux bien me crever les yeux et m’éclater les organes un à un, je souffrirai, je chialerai, je gémirai, mais tu n’en tireras rien d’autre. »

Pour prouver mes dires, j’avançai légèrement tête, jusqu’à ce que son doigt touche ma pupille. Ça ne m’empêchait pas de maintenir l’eye-contact avec ce pitoyable meurtrier qui avait besoin d’écraser les fourmis pour se sentir exister.

« Je me fous pertinemment de qui tu es, je me contente des faits et de ce que j’ai face à moi. Un type vide qui aime se pavaner et rouler des mécaniques. C’est pas ici que tu trouveras le public que tu recherches. »

Le tout sur un ton aussi calme que le sien.

J’étais clairement à deux doigts, voire à un et demi, de tomber dans les pommes. La douleur était effroyable et me paralysait presque intégralement chacun de mes membres, enfin, ceux qui étaient encore en état de bouger un peu. Le sang s’accumulait peu à peu sous mes jambes, mon sang qui se barrait un peu plus chaque fois que le fou furieux devant moi s’amusait à m’infliger une nouvelle blessure. Il avait beau faire joujou avec mon corps et faire repousser les parties arrachées comme bon lui semblait, ça ne suffisait pas à me remettre en état et je me sentais petit à petit sombrer, même si je faisais de mon mieux pour ne rien en laisser paraître. Ma vision, déjà pas fameuse à cause de ces larmes que je n’arrivais désormais plus à réprimer, se brouillait doucement et le visage de cet enfoiré, déjà pas bien joli, était rendu encore plus moche qu’il ne l’était déjà à cause de ce flou qui s’installait tranquillement mais sûrement. Pas la plus sympathique des morts, mais je pouvais pas m’attendre à beaucoup mieux, avec la vie que j’avais mené.

Évidemment, les réponses que je lui avais bien gentiment consacrées ne lui plaisaient pas franchement. En même temps, franchement, le type se pointait de nulle part, m’amputait de deux jambes, puis venait taper un brin de causette, comme si de rien n’était. Et il s’attendait vraiment à ce que taille le gras avec lui ?! Quel genre de malade mental avancé c’était pour ne pas y voir un léger problème de cohérence ? Et en plus, fallait être poli avec Papy ?! Bah voyons, tu peux te la carrer dans le fion, ta politesse à la con !

Il aimait bien poser de foutues questions rhétoriques, sachant pertinemment que je n’y répondrais pas, et connaissant déjà de toute façon la réponse. Au moins, à défaut d’économiser mon sang, j’arrivais à économiser un peu de salive. Pas besoin de me casser le cul toutes les dix secondes à lui rappeler que je me tamponnais le fiac de son interrogatoire forcé. Ce qui devait arriver arriva, et je l’avais quand même un peu cherché, je devais bien l’avouer, après ma rotule, c’est mon œil droit qui prit tarif, se faisant bien méchamment dégager de sa place habituelle, tandis que je fermais le second, par réflexe de sûreté, en hurlant de plus belle à la mort. Oh bah, tant qu’à avoir commencé à brailler, autant y aller à fond…

Mon beau visage d’ange pissait donc le sang et n’était plus aussi sexy qu’auparavant, sauf pour ceux fantasmant sur les borgnes, tandis que mon unique œil restant se rouvrait finalement, totalement embué de larmes, mais fixant toujours aussi méchamment mon tortionnaire. Étrangement, son dernier fait d’arme, loin de m’avoir fait tourner de l’œil, mais plutôt fait tourner mon œil, m’avait fait l’effet d’un électrochoc qui me maintenait encore éveillée, ce qui était pas franchement ultra utile. Mais visiblement, mes gémissements de douleur commençaient à l’agacer et il trouva la charmante idée de me faire gober ma propre pupille, m’empêchant de la recracher.

Le haut-le-cœur fut immédiat et un afflux de bile remonta instantanément, en même temps que mon p’tit déj’, dans ma bouche, venant noyer le globe oculaire et fuyant un peu par ma bouche maintenue fermée. En train d’étouffer, je fus contrainte de ravaler ma gerbe, tout en maintenant l’œil en bouche, parce que fallait pas pousser Mémé dans les orties non plus. Je ne l’écoutais même plus, entièrement concentrée sur les différentes parties de mon corps qui me rappelaient très durement leur existence, ou leur absence, selon le cas. Ma rotule ? Oh bah mon bon samaritain me l’avait bien gentiment réparée, sans doute en prévision de sa prochaine torture.

Je pus finalement recracher ce que j’avais en bouche, ce que je fis en direction de sa tronche, sans beaucoup de précision, vidant toutes les merdouilles qui m’obstruaient les voies respiratoires. Alors que je reprenais mon souffle, l’autre vint me rappeler qu’il pouvait faire ça toute la journée, qu’il avait tout un paquet d’options encore en stock, dont le contrôle mental, juste pour me faire parler. Et là, je fus incapable de retenir le flot de haine qui montait progressivement en moi :

« Tu n’es pas un psychopathe, selon tes dires, mais tu es en train de t’acharner à me torturer juste pour obtenir trois pauvres infos qui te serviront strictement à que dalle ! Tu te rends compte de l’absurdité et de la débilité de la situation ?! Je parie que t’es le genre de gars à libérer toute son aura juste pour démouler un bronze… Quel putain d’intérêt tires-tu à me briser physiquement ? Aucun, en réalité… Tu es bien un sacré malade, un fou furieux qui se passe de raisons logiques pour justifier ses actes ! Oh, sans doute que dans ta petite tête marbrée, tu dois te dire que c’est moi la cinglée, que tu es dans ton bon droit, que les autres sont des écervelés… C’est la marque de fabrique des plus grands psychopathes, je te ferais dire… Tout est dans le mot ! »

Un nouveau haut-le-cœur refit monter une nouvelle fois le vomi, qui put sortir du bon côté ce coup-ci. Je m’essuyai ensuite la bouche, attrapant mon pauvre globe oculaire sauvage qui traînait à portée de main, avant de l’éclater en serrant mon poing sous les yeux du type face à moi.

« Je vais me répéter, au cas où tu aies de la merde dans tes oreilles ! Je ne crains ni la mort, ni tout ce que tu pourrais m’infliger ! Mais je vais te faire une fleur : je m’appelle Eva, et c’est tout ce que tu as besoin de savoir sur moi. Pose donc ta marque, si c’est ta manière de faire. Ce ne sera que la preuve de ta défaite face à moi. Ta force extérieure ne sert qu’à compenser cette faiblesse intérieure que tu cherches tant à cacher en agissant comme un connard ! »

Susceptible ? Ce type venait vraiment de me traiter de susceptible ? Sous prétexte que je faisais la gueule et que je l’insultais, parce qu’il m’avait pulvérisé les jambes, puis une rotule et désormais un œil, me menaçait d’une torture quasi infinie et d’une prise de contrôle sur mon esprit, j’étais susceptible ?! Eh bah putain, j’avais affaire à un sacré phénomène de foire, à ce que je voyais… Le pire, c’est qu’il avait vraiment l’air sérieux en me déblatérant ça avec son air attardé… Dans d’autres circonstances, je me serais sûrement fendu la poire à ses dépens, en me foutant ouvertement de sa pomme, mais là, l’ambiance ne s’y prêtait pas plus que ça… Le silence fut donc sa seule et unique réponse à cette accusation bidon.

Il s’écarta soudain, ayant entendu mes dernières résolutions, et je dis qu’il en avait sûrement marre de mes réponses et qu’il allait finalement m’exécuter froidement. C’était la conclusion logique qui s’imposait depuis le départ et ça semblait bien être le moment pour elle de s’appliquer. Je ne comptais pas détourner le regard vers la mort qui m’attendait, bien au contraire. Était-ce de la fierté ou du défi, ou encore autre chose ? À vrai dire, je l’ignorais moi-même, mais dans tous les cas, il était hors de question que je laisse cet enculé de première triompher de moi plus que de raison. J’étais tout de même étonnée que dans les nombreux sévices qu’il ait évoqué, il n’y ait pas eu le viol, choc mental qui fonctionnait plutôt bien pour briser certaines femmes… Enfin, peut-être avait-il lui-même certaines limites ou bien son complexe de taille était bien réel ?

Et puis tout à coup, la douleur s’envola brutalement, alors que je sentais mes différentes blessures se guérir une par une. Il ne resta bientôt plus rien de la branlée que j’avais mangée, rien hormis tout le sang et la gerbe qui traînaient à terre. Je scrutais chacun de mes membres, un peu surprise, m’attendant à tout moment à m’en faire arracher un à nouveau, mais rien ne se produisait. Je levais alors un regard surpris et méfiant à l’autre, qui réaffirma pouvoir me tuer quand il voulait, même si c’était pas prévu pour le moment. C’était ça, son nouveau plan ? Me laisser vivre dans la crainte d’une mort pouvant tomber à n’importe quel moment ? Il risquait d’être déçu, si c’était le cas…

Je me relevai tant bien que mal, vacillante, essuyant mon visage de tout ce qui l’encrassait, massant subtilement chacune des parties de mon corps qui avaient été brutalisées, m’aidant du tronc pour me maintenir droite, tout en reportant mon attention sur le colosse basané. Toutes les informations liées à ce que je venais de vivre étaient bien ancrées dans ma mémoire et, malgré tout mon passif et mes années d’expérience, ce monde m’avait bien trop affaiblie pour que je puisse m’en remettre si facilement. L’autre en profita pour palabrer un de ces monologues à rallonge, se présentant sous le nom de Zayro Jinn, encore un blase pas possible, avant de proposer de recommencer la conversation à zéro, tout en ajoutant qu’il ne faisait que se montrer très prudent. Ouais, bah la gueule de la prudence en question…

« Je comprends pas ce qui te pousse à faire ça, ni ce que tu penses tirer de moi. T’as pu constater qu’il y avait un monde entier entre ton niveau et le mien, je vois pas vraiment en quoi je pourrais t’aider… Et n’espère pas de remerciements, surtout ! »

Je grimaçai, alors que mon œil droit fraîchement régénéré me faisait encore souffrir un peu. Avais-je vraiment le choix ? Cela ne servait à rien de s’obstiner dans un silence dénué de sens… S’il voulait des réponses, il en aurait, même si je doutais franchement pouvoir lui être utile d’une quelconque manière.

« Comme je te l’ai dit, Zayro Jinn, je m’appelle Eva, et je suis effectivement ce que ce monde appelle une élue, même si je comprends pas franchement l’idée derrière ce terme, puisque notre arrivée ici va de pair avec une sacrée descente aux enfers au vu de nos capacités plus que limitées… J’ai pas l’intention de m’affilier à une nation en particulier, je me contente de vendre mes services à ceux qui en ont les moyens et je me contrefous des conflits qui existent sur ce continent. Ça te convient, comme réponse ? »

Je soupirai, tout en profitant du répit qu’il semblait bien vouloir m’accorder pour remplacer le déchet métallique au sol par une nouvelle dague accrochée à ma ceinture. L’avantage, c’est que c’était pas la plus compliquée des armes à changer, et vu que je devais compenser mon manque de pouvoirs et ma manière de me battre au càc, j’en avais toujours plusieurs sur moi, au cas où il faille en balancer dans la tronche d’individus peu fréquentables.

« Je sais pas quel genre d’individus est capable de résister sans broncher à ton attaque, mais je suis à peu près certaine que la très grande majorité des habitants de ce monde aurait pris aussi cher que moi… »

Et y’en a qui appellent ça une conversation spontanée, quelle hypocrisie… Je me contentais juste de lui dire ce qu’il voulait entendre, espérant me débarrasser de ce malade au plus vite. Sa présence était très clairement un cancer pour son environnement, et actuellement, je faisais partie de cet environnement… Décérébré comme il était, ou plutôt instable, car il semblait tout de même doué de raison et de parole, il pouvait craquer à tout moment et s’amuser à nouveau à me démembrer jusqu’à ce que folie ou mort s’ensuive. D’ailleurs, même s’il avait affirmé accepter de me foutre la paix si je répondais bien gentiment à ses questions, je n’accordais aucune valeur à sa parole et je me préparais déjà donc au pire. De toute façon, je l’avais déjà accepté plus tôt, ça ne changeait donc rien pour moi, et si par chance, je m’en sortais intacte, ce serait que du bénéf’ !

V’la t’y pas qu’il se met à me faire la causette à son tour et à me raconter sa vie comme si nous étions de vieux amis. Une histoire à dormir debout en plus, comme quoi c’était aussi un élu, mais pas de la même temporalité ou du même monde… C’était ptêtre vrai, c’était ptêtre faux, mais en soit, je n’en avais strictement rien à carrer. Je lui avais clairement pas demandé ces détails, auxquels je ne pigeais d’ailleurs pas grand-chose. J’avais déjà du mal à assimiler ce que signifiait la condition d’élue et toutes ces histoires de mondes reliés entre eux, si en plus il venait rajouter sa sauce pesto à ce plat de spaghettis temporels, moi j’étais perdue. Mais bon, cet argument semblait justifier le pourquoi du comment il pouvait avoir besoin d’une noobie comme moi. Même si, avec son niveau, ça aurait sans doute été plus simple qu’il aille voir un de ces gros bourrins d’élus surcheatés présents depuis une éternité sur Kosaten.

« Super, le ver de terre que je suis est très honoré de l’honneur que tu lui fais ! » dis-je sans la moindre pointe d’ironie.

Évidemment que je me foutais ouvertement de sa gueule, mais au point où nous en étions, qu’est-ce que ça allait changer ? Dans tous les cas, se prenant pour un de ces vieux profs de fac’, le genre qu’on fait semblant d’écouter tout en ayant son tél’ planqué dans sa trousse ou ailleurs, Zayro Jinn me donna une explication à peu près similaire à ce que je savais déjà sur le job d’un élu. Que du réchauffé, et encore, assez tiède, car c’était assez récent pour moi, rien de bien nouveau. Mais, tant qu’à faire, vu qu’il semblait avoir envie de causer sur la question, peut-être pouvait-il me répondre sur un point que je n’avais pas vraiment compris.

« Ça, on m’a bien fait comprendre que les élus étaient censés être les pions de divinités qui se planquaient… Par contre, je pige pas pourquoi les élus apparaissent en étant aussi faibles… C’est complètement contre-productif, je parie que la grande majorité n’arrive pas à retrouver son niveau d’antan et disparaît dans la nature… À quoi ça sert d’avoir des jouets en main s’ils pètent à la moindre collision, sans déconner ?! À moins que tu ne saches autre chose sur la question ? »

Je n’étais pas souvent curieuse, mais c’était là un point qui m’avait vraiment choquée après avoir passé le tutoriel de ce monde. Peut-être Père Zaystor saurait-il éclairer ma lanterne avec ses histoires à dormir debout ? Dans tous les cas, il se mua ensuite en un de ces foutus démarcheurs qui vous harcèlent au téléphone et au porte-à-porte pour vous vendre ce super aspirateur dont vous n’avez pas besoin. Ici, le psychopathe qui n’en était pas un mais quand même un peu tentait très clairement de me recruter à Reifuu. J’étais tellement pas prête à entendre cette proposition que je ne pus réprimer un léger fou rire qui dura une petite dizaine de secondes. Je lui devais sans doute une petite explication là-dessus.

« Désolée, j’ai pas pu m’en empêcher. Reifuu, on parle de cette nation de bourrins sans cervelle qui aiment tout résoudre par la force de leurs poings. C’est pas contre toi, encore que ça m’a l’air de te correspondre un peu, mais franchement, à choisir, je préfère encore côtoyer des gens qui savent aligner plus de trois mots dans une phrase… » dis-je en redevenant froide et sérieuse.

Il s’énerverait sûrement, mais bon, lui et moi, on était passé à autre chose, non ? Dans tous les cas, je le laissai me répondre s’il le souhaitait, avant de reprendre sur le même sujet, histoire d’éviter qu’on tourne la page trop vite. Il m’avait un peu intriguée, quand même, je devais bien l’avouer.

« Tu as parlé de techniques uniques et d’un soutien de la nation. Peux-tu préciser ? Je suis peut-être solitaire et asociale, mais pas stupide au point de laisser passer une opportunité si celle-ci est intéressante… »

Il poursuivit son explication sur Reifuu et les différentes implications liées à une affiliation à cette nation, et pour une fois, j’écoutais à peu près attentivement ce qu’il me dit. L’idée d’un solde constant était plutôt intéressante, mais si ça signifiait se taper des tâches ingrates et sucer les boules de son dirigeant, c’était très peu pour moi. Loyauté, ça voulait absolument tout et rien dire. Je restai silencieuse, jusqu’à ce qu’il me demande directement ce dont j’étais réellement capable et ce que je valais, une question qui me laissa un peu pantoise, me prenant de court. Je mis un moment avant de lui répondre.

« Pour le moment, je me contente de prendre ce qu’il y a : escorte, enlèvement, assassinat, vol. Tant que le risque n’est pas très élevé et qu’il ne faut pas compter sur des combattants, mais bien sur des mercenaires, c’est encore dans mes cordes. Et je prends les primes comme on me les donne, n’ayant pas encore de renommée par ici… »

Était-ce suffisant pour lui ? Allez savoir. En tout cas, j’eus beaucoup de mal à dissimuler un rictus de joie en l’entendant évoquer un refuge hors de la forêt. Premièrement, cela semblait vouloir dire que j’allais peut-être survivre à cette conversation, à moins qu’il ait prévu de m’abattre en chemin ou de déglinguer tout le refuge avec moi… Deuxièmement, et le plus important, cela voulait surtout dire qu’il allait pouvoir me guider hors de la forêt, et ça, c’était vraiment top, parce que, malgré un certain récent phénomène de déforestation, j’étais toujours aussi paumée… Je lui emboîtai donc le pas, sans rien laisser paraître.

Il évoqua ensuite cette petite séance de torture qui nous avait liés lui et moi, en profitant pour m’interroger sur mon passé, tout en évoquant un test. Je me contentai de hausser les épaules. J’avais pas fait ça pour obtenir quoi que ce soit, simplement pour rester fidèle à cette mentalité qui m’avait toujours permis de survivre.

« Mercenaire, ouais, je l’ai toujours été. Et non, j’ai pas le moindre regret. Que veux-tu savoir d’autre ? » répondis-je sobrement.

Quitte à avoir du temps à tuer, et à défaut que ce soit moi qui me fasse tuer, je pouvais bien lui faire un rapide brin de causette.

Je dois avouer que l’espace d’un instant, un peu curieuse de savoir pourquoi les élus passaient pour de vraies tanches à leur arrivée en ce monde, j’avais un peu zappé que ya pas dix minutes, j’étais en train de me faire refaire le portrait par ce fou furieux qui avait rasé une portion de forêt sous prétexte de sentir la présence potentielle d’un pauvre écureuil qui passait par là. Bref, on s’en fout de tout ça, j’avais enfin une réponse sur ce point que je trouvais un peu con. Askip, les dieux qu’aimaient bien se mettre sur la tronche à l’époque où les premiers élus étaient apparus, s’étaient amusés à jouer les putes en affaiblissant les pions des copains, histoire que Kosaten les dévore bien gentiment. D’accord, intéressante sa version de l’histoire, mais en quoi ça nous concernait encore maintenant, alors que ces mêmes divinités étaient censées avoir disparu, la preuve étant que les sceaux de l’époque ne se manifestaient plus…

« Ok, pourquoi pas ? Mais t’admettras que ça fait chier de se dire que l’on continue de se taper ce malus de l’extrême alors que ces blaireaux de dieux ne sont même plus là pour se faire la guéguerre… » dis-je en grommelant.

En vrai, peut-être que ça m’aurait amusé, à l’époque, d’être envoyée pour buter les types d’en face, à condition bien sûr d’avoir un minimum de pouvoir pour ça… Mais là, à part constamment subir ma foutue faiblesse, y’avait rien à en tirer… J’imagine que j’en tirerais pas plus de toute façon.

Il me parla ensuite plus en profondeur de Reifuu, ne s’énervant même pas un peu, me décevant, après ma remarque sur le manque d’intelligence de cette nation. Il ne nia pas, se contentant d’affirmer qu’il y avait quand même quelques stratèges chez eux, ce que je demandais bien à voir, parce que j’avais déjà vu passer trois spécimens, qui rentraient tous dans mes critères. J’imagine qu’ils devaient tous se servir de leur tête en frappant les cailloux avec… Enfin bon, l’avantage d’être avec des cons bourrins, c’est qu’en plus du fait de bénéficier facilement de leur puissance, on peut tout aussi facilement les manipuler à sa guise. Un bon point pour c’te nation du coup.

Zayro Jinn m’intrigua ensuite un peu plus en me précisant ce qu’il voulait dire lorsqu’il parlait de techniques secrètes de nation. À pleine puissance, j’étais suffisamment polyvalente pour faire face à à peu près n’importe quelle galère, mais si je pouvais gratter quelques capacités avant, je disais évidemment pas non… Alors s’il suffisait juste de faire semblant d’adorer un dieu pour ça, banco ! Là, pour Reifuu, on parlait d’un boucli assez balèze, ainsi que d’un heal. En vrai, pas ouf’ tout ça, car ma terrakinésie et mon aquakinésie savaient parfaitement remplir ces rôles… Mais bon, le psychopathe tenait absolument à me montrer ce que ça donnait en vrai, alors je le laissai faire.

Il matérialisa une intense sphère violette, encore un putain de concentré d’énergie qui m’aurait déglingué en un rien de temps, avant de la jeter assez haut dans les airs. Ok, on jouait au volley maintenant ou quoi ?! Je me reculai bien vite lorsqu’il me le recommanda vivement, comprenant parfaitement que ma peau était en danger à côté de lui. Et puis il recouvrit son corps d’écailles draconiques, encaissant l’impact dans un fracas épouvantable qui rasa un peu plus les arbres autour et faillit me souffler aussi. Heureusement que je m’étais bien bien bien bien éloignée, sans quoi… Bref, comme prévu, il était intact, malgré la force de l’attaque, mais cette démonstration de force me laissait un peu mitigée.

« En vrai, de toi à moi, même sans cette super protection divine, t’aurais pas subi le moindre dégât, je me trompe ? » dis-je avec un sourire provocateur.

Mais ça ne semblait pas le décourager dans sa tentative un peu bizarre de me recruter, en même temps, vu la tronche des RH locales, vu qu’il poursuivit son explication jusqu’au bout, avant d’évoquer les autres nations. Ok, Kaen aussi, c’était franchement la lose, encore un pays de fadas de la baston, c’était clairement pas ma came. Shintan, j’avais bien capté que la connaissance était un truc fondamental là-bas, ce qui m’insupportait au plus haut point… Par contre, Shuzâ, je trouvais leurs techniques parfaitement appropriées pour l’assassinat, beaucoup plus utiles que celle de Reifuu en fait. Il allait sans doute falloir que j’aille y faire un tour un de ces quatre, j’avais entendu dire que leur dirigeant était un vrai cinglé aussi, mais bon, visiblement, ça courrait les forêts en Kosaten.

« Ok ok, je vois le genre. »

Bon, fallait bien avouer que l’argument de se dire qu’un fou furieux comme Zayro Jinn était de son côté plutôt que de celui d’en face, c’était fracassant, mais c’est pas pour autant que j’étais franchement convaincue par sa proposition. Ses histoires de guerre d’élus et de dieux, je m’en cognais royalement, me consacrant pour l’heure sur ma survie perso’, même si ça devait se faire en bas de l’échelle, comme il aimait si bien me le rappeler.

Finalement, je le suivis jusqu’à la sortie de la forêt, sans qu’il ne pipe un mot de plus, ce qui me convenait très bien. Mon corps avait cessé de me faire mal pour de bon et j’étais de nouveau à peu près opérationnelle. On arriva bientôt dans un genre de refuge pour voyageurs. J’aurais bien aimé me faire la malle au plus vite, mais ça ne semblait pas être d’actualité avec le monstre de puissance qui me précédait. Nul doute que si je tentais de la lui mettre à l’envers, je n’aurais même pas le temps de le regretter que j’aurais déjà été pulvérisée…

Je m’assis donc en face de lui, très à contrecœur, observant vite fait autour de nous les quelques péons qui restaient ici, jusqu’à ce que le tenancier de l’établissement vienne prendre commande.

« Une eau gazeuse. » répondis-je froidement.

Je ne buvais jamais d’alcool, n’ayant que de l’aversion pour toutes ces boissons qui vous privaient de votre libre-arbitre sur le plus ou moins long terme. Zayro Jinn m’annonça ensuite que j’allais devoir faire face à un nouveau test, alors même que j’avais déjà pas été particulièrement convaincue par son premier. Apparemment, il avait détecté un tueur dans l’auberge et m’enjoignait de le trouver en moins d’une heure, sinon il tuerait tout le monde en faisant en sorte de me faire porter le chapeau. Cette dernière remarque m’arracha un sourire.

« Je pense que personne n’a autant de sang sur les mains que toi dans c’te pièce… Vas-y, bute ces gens si ça t’enchante ! Leur vie me préoccupe pas plus que toi. »

Mais bon, le challenge ne me dérangeait pas vraiment, pour une fois. Je me levai donc, observant chacun des individus. J’étais pas particulièrement douée pour percevoir tout ce qu’un corps humain était capable de trahir, mais j’avais suffisamment tué pour pouvoir reconnaître un tueur. Et puis j’avais encore un atout dans la manche. En attendant, je m’avançai au milieu de la pièce, frappant dans mes deux mains pour attirer l’attention de chacun, lançant mon sourire le plus carnassier à tous ceux qui daignaient bien vouloir me regarder.

« Votre attention, siouplaît ! Ce type-là, c’est le célèbre Zayro Jinn, élu de Reifuu ! Ouais, je sais, on dirait pas comme ça, à son air blasé et à sa tronche de constipé, mais je vous assure, que c’est le vrai ! À ses heures perdues, quand il rase pas les forêts ou qu’il éradique pas les êtres vivants qui passent à proximité, il aime bien exploser des bâtiments comme celui-ci. Et justement, je crois bien qu’il a prévu de le faire dans pas trop longtemps. Voilà, je voulais juste vous prévenir, profitez bien de vot’ repas, messieurs dames ! »

J’avais scrupuleusement fixé chacun de ces types lors de mon petit discours. Le tenancier s’était figé de terreur, l’habitué avait continué à picoler, la femme avait porté la main à sa bouche, choquée, le nain s’était saisi de sa hache, sans la lever, le barde avait foiré son accordement et s’était fait mal, les joueurs de cartes avaient continué à jouer, en ralentissant un peu la cadence, et les deux encapuchonnés s’étaient tournés en sursaut vers Zayro Jinn. Le meurtrier était donc là-dedans. Je fixai finalement le tenancier une nouvelle fois.

« Elle vient cette commande ou bien ?! Faut quand même pas trois plombes pour un peu de vin et d'eau... »

Décidément, j’arrivais pas à cerner ce gars-là. J’étais vraiment convaincue que j’avais affaire à un timbré de son espèce, au vu de la façon qu’il avait eu de m’agresser et de me torturer alors qu’un simple souffle de sa part pouvait me faire disparaître. Tout ça pour des réponses qu’il pouvait apparemment obtenir sans mon consentement. Mais là où n’importe quel psychopathe se serait lassé et m’aurait bien méchamment achevé, dans d’atroces souffrances, toussa toussa, lui s’était soudainement ravisé, m’avait complètement retapé, avant de se montrer plutôt arrangeant niveau renseignements, me donnant même quelques infos utiles parmi une masse de données dont je me contrefoutais royalement. Certes, j’avais entendu son objectif de recruter un max d’élus pour Reifuu dans l’éventualité où ça péterait un jour contre les dieux, mais à sa place, je me serais clairement pas cassé le cul comme ça, même en connaissance de cause. Sans doute que c’était le genre de chose que lui seul pouvait comprendre…

L’arrivée à l’auberge me permit de souffler un peu. Même s’il avait déclaré me foutre la paix, je me sentais clairement pas tranquille à ses côtés et le simple fait de croiser du monde, tout asociale que j’étais, suffisait à m’apaiser un peu. Évidemment, j’oubliais pas que si le type éternuait un peu trop fort, nous étions tous atomisés, mais en même temps, je ne pouvais pas trop y faire grand-chose… On se raccroche à ce qu’on peut…

Zayro Jinn évoqua son test et je ne pus m’empêcher de lui rappeler que la vie d’autrui ne m’importait pas le moins du monde, même si son défi était un peu intrigant. Dans sa grande bonté d’âme, il m’expliqua alors qu’il pouvait très bien me mettre tous ces futurs meurtres sur le dos, ce qui était censé me poser problème pour l’avenir. Je restai silencieuse, jubilant intérieurement. Une boucherie perpétrée au beau milieu de nulle part par une jeune élue à l’apparence si chétive ? C’était peut-être pas la meilleure promo pour un individu lambda, mais pour une tueuse qui vendait ses services, c’était de la sacré pub’ qu’il me faisait là. En plus, il ne connaissait que mon vrai nom, pas mon identité de mercenaire, et pour ce qui était de mon apparence, il me suffisait de regagner encore un peu de pouvoirs pour pouvoir la falsifier. Sa menace ne me faisait donc ni chaud, ni froid.

Je rentrai pourtant dans son petit jeu marrant et je décidai directement de passer à l’attaque, provoquant un sacré bordel dans l’assemblée en évoquant le nom de Zayro Jinn. Comme je m’en doutais, au vu de la manière dont il m’avait parlé plus tôt et de son étonnement à ce que je ne réagisse pas à sa présence, c’était le genre de blase qui suffisait à lui seul à faire pisser dans son froc les moins téméraires. Je profitai du capharnaüm général pour zieuter à peu près tout le monde, éliminant déjà certains profils peu crédibles dans un rôle de zigouilleur des tavernes.

« J’ai dû me gourer, ça doit être son cousin, Zéro Short, c’est facile de les confondre, déso pour cette boulette ! » dis-je avec un sourire qui se voulait pas trop froid.

J’avais repéré de l’hostilité chez certains individus, mais mieux valait éviter de provoquer tout le monde, car je doutais fortement de l’aide que m’apporterait Zayro Jinn si ça devait dégénérer pour ma pomme et je ne me voyais pas sécher tout le monde par mes seules forces. Je retournai donc m’asseoir à table, attendant que la boisson arrive, avant de siroter cette dernière, sans répondre directement à ceux qui m’avaient parlé. Je posai mon regard d’émeraude sur mon cher bienfaiteur en armure.

« Sacrée réput’ que t’as là, dis-donc ! Et cette histoire de mort définitive, ça a un rapport avec ce que tu disais sur le fait de venir d’un autre monde, j’me trompe ? »

J’avais bien pigé que la mort pour les élus était un concept un peu chelou et pas forcément ultra fiable, et que certains arrivaient à revenir à la vie. Mais là, visiblement, pour que ça ait à ce point marqué les esprits, c’est que l’on devait parler d’un machin capable de tuer pour de bon un élu en s’assurant que sa carcasse aille bien pourrir dans les marais. Je levai une main, en claquant des doigts, afin d’attirer le tavernier à notre table, en achevant d’un trait mon verre. Bordel, ce que ça m’avait donné soif cette journée en forêt…

Lorsque le tenancier arriva, il me demanda naturellement ce que je souhaitais consommer, attrapant mon verre vide, comme s’il s’attendait déjà à ma réponse. Manque de pot pour lui, j’avais d’autres projets en tête pour ce brave gaillard. Je plantai ma dague dans la table, à quelques millimètres à peine de sa main qu’il avait posée, avant de le crucifier d’un regard.

« Il y a du sang séché sous tes ongles et sur ta chemise, que t’essaye visiblement de cacher. J’en conclus donc que c’est pas le tien, mais la question, c’est, à qui appartient-il ? Méfie-toi, je suis allergique aux mensonges et un accident est si vite arrivé… » dis-je en caressant sensuellement le dos de mon couteau.

Tant qu’à faire et histoire d’éviter qu’on me prenne pour plus cinglée que je n’étais réellement, je l’avais dit à voix bien haute histoire que l’accusation indirecte que je lui portais soit entendue de tous.

Je me doutais que la remarque sur son cousin ne passerait pas, mais c’était bien trop fort pour moi. Effectivement, je ne prenais ceci que pour un jeu, un simple jeu où ma vie pouvait être fauchée si je le gonflais un peu trop. En un sens, j’avais bien compris qu’il avait plus intérêt à ne pas me buter, éventuellement pour que je rejoigne la nation des bourrins, mais même avec ce constat, je savais parfaitement qu’à tout moment, il était capable de vriller et d’éclater tout le monde… Ainsi, il tordit mon poignet et le fit craquer avant même que je l’ai vu initier son mouvement, puis me relâcha, me lançant un énième avertissement qui n’eut aucune réponse. À quoi bon chercher à m’intimider davantage pour lui, à quoi bon chercher à me foutre davantage de sa tronche pour moi, on savait tous deux que ça ne servait à rien.

J’avais un p’tit feeling avec le tenancier, pour diverses raisons, mais bien sûr, j’y avais été pas mal au bluff et à l’intimidation, en me servant du peu qui était visible sur lui pour tenter de le griller si c’était vraiment le tueur. Mais sa réaction n’était pas franchement celle que j’attendais. Il s’excita comme une pucelle au moment de passer à l’acte, déclarant qu’en sa qualité de chef cuistot local, il devait bien se salir les mains pour faire la bouffe, et qu’en bon péquenaud crasseux des familles, il se lavait pas assez souvent pour que ça parte. Pas ultra ouf’ l’hygiène locale, mais au moins, son explication avait l’air de tenir la route.

« Oh que si, vil malandrin, ton outrecuidance exaspère ma dignité humaine. Je ne veux point ingurgiter les impuretés qui proviennent de tes préparations, stoppons là les coquecigrues. Débarrasse donc cette tablée de ton homélie avant de douter de notre impécuniosité ! » dis-je avec un sourire carnassier.

Le type n’ayant pas le niveau d’éducation minimal requis, il bégaya trois mots en vrac avant de filer en grommelant pour le trou dans sa table. Enfin bon, si j’avais bien pigé, si je me gourais dans mon choix, ce serait très clairement le foutu cadet de ses soucis… J’avais profité de mon accusation explicite pour zieuter tout autour si l’évocation du meurtre faisait tilter quelqu’un, mais rien n’y faisait, impossible de griller quelqu’un là-dessus. C’était donc sans quelque chose de prémédité exécuté par quelqu’un qui n’était a priori pas trop fragile… Zayro Jinn salua mon initiative, tout en rétorquant que mon raisonnement était trop simple. Mais je t’en foutrais des raisonnements simples, Môssieur J’suis capable de ressentir les atomes machin machin…

Et là le barde se mit à lâcher son meilleur morceau sur moi, une chanson bien éclatée au sol qui eut au moins le mérite de m’arracher un p’tit rictus. Mais bon, ça m’avançait pas franchement sur mon problème, là… Et visiblement, la chansonnette avait pas trop plu à la demi-portion et à sa gueuse, qui se levèrent pour partir. Je ne les calculai même pas, ayant déjà éliminé ce duo de ma short-list des criminels potentiels… Par contre, ce n’était pas la même chose pour le pochtron accoudé au comptoir qui, jusqu’ici, s’était fait plutôt discret. Il se leva soudain, se retournant tout en balançant un tabouret à quelques mètres du nain.

« Tu fais trop d’bruit, toi ! Ta gueule !!! »

Il se leva, se ramassa la tronche, se releva, se cassa une nouvelle fois la gueule, puis se remit finalement debout, à peu près stable. Chacun l’observait silencieusement, attendant de voir la dinguerie qu’il allait nous pondre, bourré comme il était. Il se dirigea vers le barda, le chopant par le colback, tout en le secouant comme si c’était un vulgaire torchon.

« Toi aussi, t’fais trop d’bruit, et puis sont nulles, tes ch’nsons !!! »

Il relâcha ensuite le bougre et se dirigea vers nous, me reluquant bien allègrement et, en même temps, c’était compréhensible, avant de jeter un regard noir à mon charmant comparse, tout en approchant sa tête.

« Tu m’regardes mal, toi, arrête sinon, j’t’éclate ! »

Je chopai subtilement mon coutelas, le planquant sous table, prêt à frapper l’alcoolo aux couilles s’il tentait de lever la main vers moi, peu importe la raison. J’étais un peu curieuse de voir si Zayro Jinn allait réagir, mais étonnée que tout le monde se soit figé devant le type, comme s’il s’agissait de quelqu’un de connu lui aussi… Même le couple s’était finalement rassis, attendant que les choses se tassent pour pouvoir s’éclipser correctement. Quant au tenancier, il faisait comme s’il n’avait rien vu ou entendu…

Vous m’avez bien entendu employer ces mots de tapette que seuls les péteux s’emploient à utiliser à outrance pour montrer qu’ils ont davantage de noblesse et d’éducation que leurs interlocuteurs ? Parfait, bah j’espère que vous en avez bien profité, parce que c’était la dernière fois que je le faisais, tellement ce genre de vocabulaire m’écorchait la langue au plus au point. Après tout, quand tu causes à quelqu’un, c’est pour qu’il te comprenne, ne serait-ce qu’un minimum, sauf si l’on parle de Tata Gilberte qui fait des papouilles à son Médor adoré, mais ça, c’est encore une autre histoire. Bref, j’avais juste fait ça pour recaler ce tavernier un peu trop pénible, et peut-être aussi un peu pour évacuer ma frustration de m’être bêtement fait avoir par ce crasseux.

Visiblement, ce choix de mots intrigua suffisamment mon ex-tortionnaire pour qu’il en vienne carrément à me demander quel genre de péteuse j’étais, gosse de riches ou fayote intello. Tiens donc, ce psychopathe aimait que l’on s’exprime comme ça en sa présence ? Il allait pourtant falloir qu’il se cherche une autre victime à emmerder si c’était son délire, parce que j’avais pas franchement prévu de faire le moindre effort en ce sens pour lui. Je le regardai avec un certain dédain, pour que le message, à défaut d’être exprimé directement, passe bien.

« Aucune des deux, j’ai juste eu l’occase de lire quelques bouquins sur mon temps libre. »

Bon, en vrai, j’avais lu un peu plus que quelques bouquins. À vrai dire, il fut une époque où j’avais pas vraiment le choix, Sun m’avait forcée à me cultiver un maximum si je voulais qu’il me confie des assassinats. En même temps, le pauvre bougre avait dû se coltiner toute mon éducation, pas étonnant qu’à un moment donné il ait décidé de déléguer la tâche à la littérature. J’avais été étonnée de voir tout ce qu’il avait conservé, dans un monde où tout ce qui ne servait pas à grand-chose n’avait pas intérêt à être gardé. Et à force de lire par contrainte, je m’étais prise au jeu et j’avais torché tout sa collec’ en un rien de temps.

S’ensuivit la séquence alcoolo à gogo, avec le dénommé Almar, qui avait décidé de s’en prendre à à peu près tout le monde. Il balança son tabouret vers le nain, qui se barra vite en compagnie de sa gonzesse, puis s’en prit au barde, ce qui donna à ce dernier une énième occasion de démontrer à tous qu’il était aussi nul pour composer ses chants que moi pour faire la bouffe. Pour info, je sais même pas faire cuire de pâtes… Bref, le poète incompris insulta allègrement le grand bourré, avant de me redemander si sa chanson sur mes courbes et tout le tralala m’avait plu. Je l’avais déjà occultée d’mon esprit, celle-là. Je lui fis un grand sourire.

« Ouais, elle m’a laissée pantoise, c’est l’terme. »

Je me désintéressai de ce pauvre type tout aussi vite, puisque notre cher alcoolique unanime venait de se pointer à notre table, cherchant des noises à Zayro Jinn. Pour le coup, même si je me doutais un peu de ce qui allait se passer, j’étais un peu curieuse. Mais quand je le vis choper Almar par le colback, je me reculai d’un coup, l’observant venir faire l’amour à la surface de la table avec sa tête, m’écartant pour ne pas me faire éclabousser par son sang. J’imagine que mon cher partenaire du jour avait dû se sentir menacé par les émanations d’alcool et tous les relents fétides qui se dégageaient de la victime, et avait donc agi en pure légitime défense. Il se justifia auprès de moi, mais je lui fis signe de la main que je m’en foutais.

Notre petit jeu n’était pas terminé pour autant, mais ma liste s’était vachement raccourcie. Malheureusement, mes pistes disparaissaient aussi les unes après les autres, alors que ma perception du sang ne m’aidait plus du tout… Il allait falloir que je trouve autre chose, sans quoi j’allais devoir tenter un truc au pif. Les quatre types aux cartes n’avaient pas vraiment la dégaine de tueurs. Il me restait donc que le barde ou les deux encapuchonnés. J’avais comme une curieuse impression concernant le barde, mais c’était peut-être aussi parce qu’il était profondément nul.

Mais je n’eus pas vraiment le temps de réfléchir plus, les deux encapuchonnés avaient bien vu le pétage de gueule orchestré par ce cher Zayro Jinn et ils commençaient à se poser des questions dessus, alors que l’un d’entre eux sortait une lame, comme pour se montrer plus menaçant. Je levai les yeux au ciel avant de me lever et de jeter mon couteau, pour qu’il vienne se planter juste devant le type qui avait sorti sa lame, sans pour autant le toucher, pour le moment.

« Allez, mon gars, porte tes couilles et dis-nous donc ce que tu feras s’il s’agit vraiment de Zayro Jinn ! » dis-je avec un sourire carnassier et provocateur.

Les joueurs de cartes s’en battaient les steaks royalement, mais le tenancier avait discrètement chopé une hache planquée derrière le comptoir, juste au cas où. Le barde continuait à palabrer, surveillant la scène à l’affût de son prochain thème musical. Le type armé s’empara de mon couteau, le fixa un moment, avant de pointer sa lame vers moi.

« C’est avec ça que tu comptes nous impressionner, gamine ? Tu as peut-être une gueule d’ange, mais ça m’empêchera pas de te la taillader si tu continues à nous chercher ! »

« Oh, Monsieur joue les gros durs ? Cette arme, c’est pour faire joli ou alors tu sais t’en servir ? »

J’avais profité de la provoc’ pour attraper une autre dague, juste au cas où il faille réellement calmer les ardeurs de ces gugusses. Évidemment, je m’attendais à ce que le timbré assis à ma table me laisse royalement me démerder si le duo s’en prenait à moi.

Alors à tout moment, là, ça pouvait vraiment partir en cacahuète… J’avais provoqué un type dont j’ignorais tout des capacités au combat, qui n’était pas seul en plus, et je ne pouvais pas franchement espérer recevoir un quelconque coup de main du psychopathe face à moi. Même si j’étais moi-même armée et que je savais me battre au corps-à-corps, je ne pensais pas avoir le dessus en combat frontal, sans disposer du moindre effet de surprise. Je comptais donc pas mal sur le souillage de froc que ça devait représenter pour ces gens-là de potentiellement se trouver dans le même établissement que Zayro Jinn, à défaut d’avoir une véritable autre solution. En plus de ça, je ne savais pas depuis combien de temps on était ici, mais le chrono que m’avait donné le monstre de Reifuu devait pas être bien loin du compte, et je devais malheureusement admettre ne plus avoir la moindre piste concrète. Autant vous dire que ma situation n’était pas des plus glorieuses…

Finalement, même si le macaque encapuchonné était prêt à se lancer dans une baston qui le conduirait probablement à une mort bien plus prématurée que normalement, son collègue de table avait l’air d’avoir encore quelques années à vivre devant lui et il raisonna rapidement l’autre, tout en le convainquant de déguerpir au plus vite. Ce qu’ils firent tous deux, le petit énervé ne manquant cependant pas venir me bousculer, comme pour réaffirmer sa suprématie de mâle. Je me laissai bouger en poussant un petit cri de surprise, me rasseyant dans la foulée sur ma chaise, le fixant d’un regard noir jusqu’à ce qu’il soit barré. Avant de poser sur table la besace bien sonnante que je lui avais grapillée au passage… J’adressai un regard presque amusé, presque j’ai bien dit, à Zayro Jinn, tout en sortant quelques piécettes de ma nouvelle propriété :

« Avant de tout détruire dans ton sillage juste pour tester ta puissance, tu reprendras bien quelque chose ? C’est la tournée de ce très sympathique voyageur ! »

Qu’il accepte ou non, j’avais bien l’intention de profiter de la bourse directement, et je fis signe au tavernier que les hostilités étaient finies, tout en désignant mon verre vide, pour qu’il m’amène la petite sœur au plus vite. Mon charmant voisin de table en profita pour m’emmerder à nouveau avec son histoire de défi, exigeant désormais une réponse définitive. Je me souvenais parfaitement de sa toute première menace, mais ça ne m’effrayait toujours pas. Seulement, par fierté personnelle, j’aurais bien aimé trouver ce foutu meurtrier, mais, sans mes capacités, force était de constater que c’était bien plus dur que ça n’aurait pu paraître. Je pris le temps de siroter un peu ma boisson, faisant exprès d’accroître mes bruits d’aspiration, avant de reposer le verre et de lui adresser un regard aussi chaleureux que notre premier échange verbal.

« Honnêtement, j’en sais foutre rien… J’ai beau observer ces types, y’en a pas un seul qui a le profil d’un assassin et tous auraient pu tuer quelqu’un hier qu’on l’aurait pas su… »

Je jetai un dernier regard sur les choix qu’il me restait, qui étaient pourtant pas nombreux, mais vu que j’avais éliminé chacune des possibilités une à une, en partant de la plus crédible, c’était assez normal qu’à la fin y’en ait aucune qui me botte vraiment. Certains avaient des super pouvoirs de déduction ou de perception, mais moi, j’étais plutôt versée dans les meurtres et autres crimes dans le même genre… Résoudre quelque chose que j’aurais moi-même pu faire était un peu bizarre, à vrai dire… Si j’avais l’habitude de faire gaffe à bien laisser ma marque de fabrique ou au contraire à ne pas laisser la moindre trace de mon passage, selon le besoin du moment, mon analyse de mes frères de tuerie s’arrêtait là… Je reportai de nouveau mon attention sur le type qui me faisait face.

« Le barde ? M’est avis que ses chansons de merde pourraient bien avoir causé une syncope à quelqu’un… » proposai-je, sans grande conviction.

J’avais glissé une main vers ma dague, par réflexe, même si j’avais bien assez compris que si l’autre décidait de nous rayer de la carte, l’auberge, les autres cloportes et ma pomme, rien ne pourrait l’en empêcher… Y’avait plus qu’à attendre sa réaction, maintenant, même si, au vu de ce que j’avais vécu plutôt, je m’attendais pas à gagner un séjour d’une semaine au Club Med le plus proche…

Bon, tant pis pour ce vieux bougre qui jouait au mec blasé, moi, je me repris une boisson. L’autre avait parfaitement raison sur la qualité de merde de ce qui se buvait ici et au vu de ce qu’il avait picoré tantôt, ça semblait pareil concernant la bouffe. Néanmoins, là, c’était gratuit, donc autant en profiter… Après tout, je pense que j’avais bien le droit à un peu de réconfort après le paquet d’embrouilles que j’étais déjà coltiné sur la journée, et je sentais bien que c’était pas encore fini, donc je profitais largement de mon petit répit. Je pris donc le temps d’avaler mon verre, et je parlais évidemment pas du contenant, qui ne contenait toujours pas la moindre goutte d’alcool, car je connaissais ma faible tolérance dans le domaine…

Finalement, je balançai un peu au pif le blase du barde, l’un des rares mecs dans la taverne que j’avais pas franchement soupçonné, à cause de sa nonchalance apparente ou de sa nonchalante apparence au choix. À tout moment, je m’attendais à recevoir une grosse patate dans la tronche, accompagnée de son fameux « Vous êtes faible ! », pour m’indiquer que j’avais fait fausse route et que je me gourais complètement. Mais ce ne fut pas le cas. Le gros malabar commença par indiquer qu’on avait affaire à un véritable tueur en série, ce qui me permit de mieux comprendre pourquoi j’avais pas été foutu de l’identifier avec précision, car dans ce cas, les gens savaient généralement mieux cacher leurs intentions meurtrières.

Finalement, c’était bien le barde, le foutu coupable que je cherchais. Apparemment, ses cordes puaient le sang et indiquaient à mon très aimable interlocuteur que c’était l’arme dont le tueur se servait. T’es marrant, toi, avec tes histoires d’atomes, mais moi j’ai pas un pif de Médor sur la tronche et mon hématokinésie est encore au point mort… Comment voulait-il que je trouve ça ? En lui chouravant sa vieille guitare flinguée et en allant la renifler, le tout dans la subtilité, évidemment ? Je soupirai, adressant un regard un peu blasé à l’autre.

« On parle d’un type qui connaît sûrement les environs et les gens du coin comme sa poche, qu’a l’habitude de tuer et de se planquer… Sans pouvoirs spécifiques, je vois pas franchement à quoi tu t’attendais… Contrairement à toi, ça fait pas des millénaires que je me balade dans ce monde de dégénérés ! » dis-je avec un petit supplément de mauvaise foi qu’il était rare de voir chez moi.

Notre Jack l’Eventreur local avait apparemment bien capté qu’on était en train de causer de lui, puisqu’il se rapprocha sans qu’on ne l’y ait vraiment invité, commençant à nous raconter sa pauvre vie de merde, en affirmant être fait de la même branche que nous, allant même jusqu’à faire la cour à ce cher Zayro Jinn en se présentant comme un genre de super fan hardcore un peu trop collant. Je m’attendais à tout moment à ce qu’il lui demande un genre de dédicace, une cicatrice ou une connerie dans le genre… Ça me débectait vraiment qu’il existe ce genre de taré. Je savais très bien, en tant qu’assassine pro’, que c’était un taf qui n’offrait aucun avenir, ni aucun amour. On était constamment détesté, craint et rejeté, et ça m’allait parfaitement. Alors, de voir ce genre de timbré aller à contre-courant de cette haine logique, ça me donnait juste envie de déposer ma plus galette sur sa tronche de cake.

Mon partenaire de tablée se leva brusquement, m’invitant à liquider tout le monde sur place, avant de se barrer dans le plus grand des calmes. J’allais donc devoir me salir les mains juste pour satisfaire sa petite gueule. En temps normal, je lui aurais répliqué qu’il me devrait de l’argent, car je n’agissais pas pour mon plaisir perso, mais sous contrat, mais là, je sentis qu’il valait mieux pas insister tout de suite. D’autant qu’il m’avait un peu gonflé tout le temps de sa présence, j’avais enfin une occasion de me défouler et de me dégourdir un peu les jambes.

« Fais chauffer le moteur de la bagnole pour moi, j’en ai pour 1 min ! »

Y’avait peu de chance qu’il comprenne, mais bon. Pendant ce temps, le barde commençait à agiter ses cordes, allant même jusqu’à décapiter le joueur de cartes le plus proche, avant de me désigner comme sa future victime. Je le fixai froidement, tout en jetant la dague que j’avais saisie plus tôt en direction d’un autre joueur, le plantant au niveau de la gorge, l’achevant tout aussi vite que le premier. Heureusement, ces quatre-là n’étaient que des péquenauds sans défense qui ne seraient pas chiants à éliminer.

« 1-1 ! » dis-je sur un ton glacial.

Sans prendre la peine de me répondre, il fit claquer sa corde dans ma direction, à l’endroit où se trouvait ma tête. Se trouvait, j’insiste, parce que j’avais senti venir l’attaque et je m’étais baissée en vitesse. Le con, il visait franchement bien, et vu le boucan que ça faisait, ça devait pas faire que du bien de se manger ça. Mieux valait que je sois un minimum prudente… Un minimum… J’avançai tranquillement vers lui, sans une once de peur sur mon visage parfait, un couteau dans chaque main, parmi les derniers qu’ils me restaient, m’en servant pour repousser une deuxième salve qui ciblait ce coup-ci mon ventre.

Sur le papier, il était censé avoir l’avantage sur main, mais pourtant, l’atmosphère était différente et la sueur qui perlait sur son front laissait bien comprendre le contraire. Moi, j’étais calme, alors que lui se sentait et se savait en danger. Il attrapa une deuxième corde, pour en avoir également une dans chaque main, et se mit à redoubler la cadence. Je fis de mon mieux pour les éviter tout en m’approchant, mais sa vitesse me surprit plusieurs fois, et j’encaissai un coup léger au visage, au niveau de la joue droite, et un coup un peu plus douloureux au niveau du genou.

Je m’effondrai à terre, me tenant là où il m’avait blessée. Il ricana alors, s’approchant à son tour, se délectant de l’instant présent, prêt à m’exécuter. Et puis soudain, il se figea. Sous ses pieds, le sol s’était légèrement affaissé, de sorte à le faire vaciller. J’avais fait semblant de tomber à cause de son coup, afin d’avoir un contact physique avec l’élément qui me semblait le plus approprié pour cet affrontement. Je mis le peu de puissance dont je disposais pour modeler le sol en une sorte de mini pieu qui s’enfonça dans l’un de ses pieds, le faisant hurler de douleur. Je me relevai alors prestement pour lui porter un coup de grâce au niveau de la carotide.