Un arbre peut en cacher tant d'autres

Je le frappai à la gorge avec précision et dextérité, comme toujours, tranchant la corde dont il s’était piteusement servi pour tenter de se protéger, avant de tailler dans le gras, recevant une faciale de Ketchup, tandis que l’autre m’insultait. J’avais malheureusement sous-estimé sa résistance, persuadée d’avoir mis un terme à notre affrontement par cette dernière attaque, alors que l’autre, qui cachait bien son jeu, avait une sacrée barre de vie à descendre. Même pissant le sang et à deux doigts de clamser, il trouva la force, sans doute l’énergie du désespoir, de me choper à la gorge, commençant à m’étranger en me soulevant de terre, alors qu’essoufflée et blessée, je tentais de me débattre comme je pouvais, entaillant son bras à plusieurs reprises, mais de manière superficielle, sans parvenir à le faire me lâcher. Ça allait être un ultime match d’endurance entre nous deux…

Je gigotais comme je pouvais, alors que ma vision se rétrécissait peu à peu et que le manque d’air commençait à se faire ressentir. J’allais pas tenir très longtemps encore comme ça… Sans doute une trentaine de secondes tout au plus. C’était la fin pour moi ? Certainement pas… Pas encore… Pas face à une telle tanche… Ma jambe fila à toute allure vers son entrejambe, prête à lui faire rentrer les roubignoles dans le fiac s’il le fallait, mais elle n’arriva pas à destination. Le barde m’avait relâchée, ayant perdu ses dernières forces en même temps que son dernier souffle. Je me relevai lentement, me massant la nuque tout en fixant avec amertume l’assassin au sol, songeant que dans d’autres circonstances, il m’aurait vaincue dans mon propre domaine de prédilection… Il allait falloir que j’agisse plus prudemment, tant que je n’avais pas récupéré davantage de pouvoirs…

Je tournai la tête, constatant que, dans notre affrontement, le tenancier avait été buté, ainsi qu’un autre joueur. Il ne restait plus qu’un type en vie, prostré sous la table, chialant toutes les larmes de son corps et s’étant littéralement pissé dessus. Lorsqu’il vit que je l’observai avec une certaine froidure et qu’il comprit qu’il était la prochaine cible, il m’implora de l’épargner en échange de toutes ses économies et tout le tralala comme quoi il ne dirait pas ce qu’il s’était passé ce soir. Je pris alors un air innocent, en récupérant la bourse qu’il me tendait avec un sourire rassurant.

« Ok, faisons comme ça ! »

Il releva la tête, ne croyant pas à sa chance, commençant à me remercier en inondant encore plus le parquet de ses pleurs de gonzesse à barbe, et je profitai de cet instant pour le poignarder en conservant mon visage précédent, le tuant presque instantanément. J’étais désormais la seule survivante dans la taverne. Je fis le tour des poches des autres, un petit passage par la case caisse de l’établissement qui, à ma grande déception, était quasiment vide. Le temps de récupérer mes armes qui traînaient par-ci par-là, puis d’éclater deux torches sur le sol afin de débuter un incendie, et me voilà sortie, de retour en la plus violente des compagnies.

J’avais pas envie d’avoir à gérer ce genre de réputation pour le moment. Un peu la flemme de devoir me coltiner des chasseurs de primes au cul, surtout vu mon niveau actuel. Je me contenterais pour l’instant de ma réputation professionnel, dans le milieu, et le reste du temps, je serais simplement Eva. Je fixai Zayro Jinn avec un regard neutre, m’attendant à ce qu’il commente sa prestation en critiquant à nouveau ma faiblesse ou ma lenteur d’action, mais il se contenta de me demander si le taf avait été fait. J’opinai, désignant de la tête le bordel embrasé derrière moi sans rien ajouter.

Il insista à nouveau pour savoir si j’avais l’intention de rejoindre Reifuu, ce qui me fit légèrement marrer. Décidément, ce type était borné, en plus d’être un sacré psychopathe. Et il était vraiment nul pour recruter…

« On va pas se mentir, j’en ai pas la meilleure des impressions actuellement… Si je peux te filer un conseil gratos, évite de bombarder les gens ou de les mutiler, si tu veux les recruter… »

Ceci étant dit, l’autre avait pas tort sur un point, et à force de me balader en ce monde, j’avais fini par accepter cette fatalité : les solitaires survivaient rarement bien longtemps. Les grands noms de Kosaten étaient toujours associés à une nation en particulier… Et vu ma faiblesse actuelle, il n’était pas déconnant que je rejoigne temporairement un groupe, au moins le temps de pouvoir me dépatouiller toute seule.

« J’irai à la capitale de Reifuu, un de ces quatre, et je verrai ce que le roi a à proposer ! Si ça me va, alors ouais, je rejoindrai les rangs… »

J’avais fait le taf, un peu malgré moi, et j’avais buté du monde pour le plaisir de ce taré psychopathe. Je savais pertinemment en sortant de la taverne, malgré la satisfaction d’avoir pu quelque peu renflouer les caisses, que j’étais la prochaine sur sa liste. Il m’avait fait comprendre dès le départ qu’il se contentait de jouer avec moi et dès lors que j’aurais fini de l’amuser, il me buterait et oublierait aussitôt mon existence. Ça ne changea rien à ma manière de faire. J’avais pas peur de lui quand on était dans la forêt, ça n’avait pas changé. Quelqu’un qui est capable d’ôter aussi facilement la vie des autres doit s’attendre à ce que la sienne lui soit enlevée sans prévenir. Un genre de cercle vicieux du monde des assassins…

La seule option que j’avais de survivre, c’était sans doute d’accepter son deal et de rejoindre les rangs de Reifuu. Mais de la même façon qu’il ne m’impressionnait pas tant que ça à rouler des mécaniques et à libérer son aura dès qu’il était un peu vénère, c’était clairement une nation de dégénérés qui ne m’attirait pas plus que ça pour le moment. Shuzâ m’avait l’air un peu plus appropriée pour moi, alors que j’avais l’impression que le pays que servait Zayro Jinn n’était rien de plus qu’un dépotoir pour tous les cinglés de la baston dont personne d’autre n’avait voulu, la tête d’asperge de la dernière fois, soit disant un Empereur de Reifuu, en était un parfait exemple. Mais bon, vu que ça m’avait pas l’air con l’idée de bosser directement pour une nation et d’en tirer certains avantages, je pouvais quand même caler dans mon agenda overbooké une p’tite visite chez le gros Bill qui gérait cette ribambelle de cinglés pour voir si, effectivement, c’était une bonne idée de rejoindre ce camp ou si, comme je le pensais, c’était très clairement débile.

Il tendit sa main vers moi et évoqua un dernier test. Le temps que mon cerveau capte ce qu’il voulait dire, j’avais déjà un trou dans le bide, encore, et du sang qui en jaillissait à tout va. Je crachai aussi un peu de sauce tomate par terre, alors que ma respiration se saccadait à nouveau. Ma main se posa sur la plaie béante, tentant comme elle pouvait de stopper l’hémorragie, mais bon, c’était comme mettre un petit bout de scotch pour colmater une fuite sur un réacteur nucléaire…

« Enfoiré ! »
dis-je en lui lançant un regard noir.

Evidemment, il s’en foutait royalement, avait d’ailleurs sans doute plus d’intérêt à prêter à son tout premier calebar. Apparemment, dans sa grande bonté, il se contentait de m’éclater le ventre, sans me buter, mais bon, vu mon état et ma condition, c’était un peu tout comme, m’invitant à le rejoindre à Reifuu. Je me demandai un bref instant si j’étais tombé sur le type vivant le plus dans le déni de l’existence entière ou si c’était vraiment le plus attardé des cassos que j’ai jamais croisés… Sans déc’, il venait de me buter à moitié et me demandait dans le plus grand des calmes de me joindre à lui… Y’a clairement un truc qui tournait pas rond chez lui…

Je n’avais rien à ajouter, j’avais dit le peu que j’avais à lui dire, n’ayant aucun intérêt à lui porter. J’encaissai alors une bonne vieille mandale de forain, à l’ancienne, alors que ce Zayro Jinn m’adressait ses ultimes politesses, pendant que je valdinguais dans le décor. Ma tête heurta une pierre et je perdis aussitôt connaissance, tandis que ma blessure au ventre achevait de m’achever. C’était donc ici que je crevais pour la première fois en ce foutu monde… Et c’était sans doute pas fini, au vu du chemin que j’avais décidé d’emprunter… Une victime de plus à ajouter au tableau de chasse de ce maboule qui était tant craint sur le continent et dont je m’étais foutu de la gueule jusqu’au dernier moment…